Extrait des minutes du greffe du tribunal civil d'Apt.

 

Jugement du 23 février 1897.

En la cause de la dame Rose Olympe G., veuve en premières noces du sieur Louis M. et épouse en secondes noces du sieur André N...

 

Le Tribunal autorise la demanderesse à prouver les faits suivants :

Primo : que le sieur André N.., son mari, est d'un caractère grossier et brutal, qu'il n'a jamais eu pour sa femme aucun sentiment d'amitié, ne l'ayant épousée que pour le peu de fortune qu'elle possède, qu'il la laisse manquer des choses les plus nécessaires à la vie, ne lui achète rien, ni souliers ni robes, et que lorsqu'elle veut faire l'acquisition d'un vêtement indispensable, elle est obligée d'aller à la journée pour en gagner le prix.

Secundo : que le sieur N.. fréquente les cafés, les mauvais lieux, qu'il y dépense les revenus des biens de sa femme, s'y saoule et, rentré au foyer, injurie et bat sa femme.

Tertio : qu'il y a huit ou neuf ans, alors que les filles que la demanderesse a eues de son premier mariage, n'étaient pas encore mariées, il s'arma d'un fusil pendant la nuit et menaça de tuer sa femme, qu'il tira même un coup de fusil dans l'appartement et que les filles M., épouvantées, allèrent appeler chez un voisin, le sieur L., qui arriva, désarma le sieur N. et emporta le fusil à sa maison pour qu'il n'arrivât rien.

Quarto : qu'il y a quelques années au mois d'avril, tandis que la demanderesse était allée cultiver la vigne au bastidon lui appartenant, au lieu dit la Palunaque, il la frappa violemment et recommença à lui donner des coups lorsqu'elle fut de retour chez elle.

Quinto : qu'au mois de septembre 1893, il lança à sa femme un violent coup de pied qui lui meurtrit la cuisse et dont elle a eu à souffrir durant plusieurs mois.

Sexto : que le treize ou le quatorze janvier dernier, la demanderesse était allée coucher au cabanon et son mari, qui était allé à C. au café, en revint saoul, brisa la porte de l'habitation et après avoir battu l'exposante, la fit lever et la conduisit à C. par la nuit la plus froide.

Septimo : le 4 mai dernier, il l'a terrassée et l'a battue avec une telle violence, sous prétexte qu'elle s'était arrêtée chez sa fille, la femme T., en allant chercher du pain chez le boulanger de C., qu'elle a eu une attaque à la suite de ces coups et qu'elle est restée ensuite plusieurs jours privée de la parole chez le sieur T., son gendre, qui l'avait recueillie pour la soustraire aux mauvais traitements de son mari ; que le garde-champêtre de la commune de C. a été témoin d'une partie de cette dernière scène.

Octavo : que le sieur N.. a dit à maintes reprises qu'il tuerait sa femme et que les galères et la guillotine ne lui faisaient pas peur.

Nano : que la demanderesse a dû à de nombreuses reprises porter plainte contre son mari, soit à Monsieur le garde-champêtre de C., soit à M. le juge de Paix du canton de C. auxquels elle a fait part de ses doléances et des mauvais traitements que lui faisait subir son mari.

Decimo : que dans ces circonstances, la vie commune est devenue impossible entre les époux….

Il résulte de l'enquête et de la contre-enquête que l'épouse a fait la preuve complète des faits par elle articulés à l'appui de sa demande….

Attendu….

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- que N.. a déclaré lui-même au garde-champêtre qui lui faisait de justes observations sur sa conduite qu'il avait frappé sa femme avec le pied gauche, mais que s'il avait voulu lancer le pied droit, il l'aurait crevée, et qu'il n'avait que ce moyen pour l'assouplir…

- qu'il est encore établi que N.. fréquentait les mauvais lieux de C. et qu'il a tenté d'abuser de l'une des filles de la demanderesse (deuxième, cinquième et sixième témoins)…

Le Tribunal prononce en conséquence… etc. etc.

 

 

 

Post-scriptum : rien de nouveau sous le soleil

 

30 mois de prison pour avoir frappé son épouse et trois témoins.

 

Même s'il regrette publiquement son geste, l'homme qui comparaît dans le box du tribunal correctionnel d'Avignon n'est de toute évidence pas un enfant de chœur.

Le 1er février, cet homme de 29 ans agresse en plein quartier Louis-Gros avec une violence inouïe sa compagne de 19 ans - le couple étant uni par les liens d'un mariage religieux, mais pas civil - puis successivement 3 témoins qui ont voulu mettre fin à cette scène de ménage particulièrement violente.

"Je vais reprendre les faits, car vous les avez relatés avec la neutralité qui sied à votre fonction" a repris le substitut du Procureur de la République, à l'adresse du Président.

Des faits somme toute effrayants. On apprendra que l'homme, pris d'une violente pulsion, a sorti de force son épouse du véhicule par les cheveux, une fois à terre il lui a écrasé les mains puis la tête avec les pieds, avant de frapper à nouveau sa tête contre sa voiture.

Devant ce déchaînement de violence, un témoin tentera de ramener à la raison l'individu. Mal lui en prendra : le mari violent lui assène un coup de tête suivi d'un coup de poing au visage. Bilan : plusieurs dents cassées. Un médecin travaillant pour l'association "SOS Médecins" passant à proximité est requis par une personne ayant vu la jeune femme le visage recouvert de sang. Le médecin essuie à son tour deux coups de poing. Un troisième homme tente de s'interposer, le mari violent grimpe dans sa voiture et tente de l'écraser. Réfugié dans un immeuble de la cité, il est poursuivi par l'agresseur qui le menace de mort, cette fois avec un cutter.

"Qu'avez-vous à dire ? questionne le Président.

- Ce que j'ai fait n'est pas bien. J'ai honte de me présenter devant vous. Cela faisait un an et demi que je n'avais pas de travail, alors je buvais. Je m'excuse" répondra l'homme qui traîne quelques condamnations sur son casier judiciaire. On apprendra par ailleurs que son épouse avait déjà encaissé quelques coups de son époux depuis son mariage.

Le rapport d'expertise psychiatrique sera terrible pour le prévenu. "Cette personne n'a pas grand-chose à espérer de la psychiatrie, sinon, sinon l'arrêt de l'alcool. Dans son cas, un travail de psychothérapie n'a aucun sens, seul un rapport à la loi peut apparaître utile..." et le rapport de terminer par un avertissement, "un risque d'escalade dans la délinquance".

Dans son box, le mari violent pense, lui, qu'il devrait avoir un traitement.

L'obligation de soins sera retenue par le parquet qui demandera par ailleurs deux ans de prison, dont neuf mois avec sursis. L'avocat du prévenu ne reviendra pas sur les faits reconnus par son client, mais sur la personnalité de ce dernier et l'engrenage chômage-alcool-violence.

"Il a déjà fait 23 jours d'incarcération, ça lui a permis de prendre la dimension de son geste. Il fallait effectivement un coup d'arrêt à sa dérive, mais je ne pense pas que le maintenir en prison aidera à sa reconstruction".

Au terme de son délibéré, le tribunal a condamné le mari violent à 30 mois de prison dont 6 assortis du sursis avec mise à l'épreuve assortie d'une obligation de soins.

© D'après La Provence du 27 février 2003