Lettre à un métèque
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- Création : lundi 6 novembre 1961
- Publication : jeudi 24 janvier 2002
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La culture, hélas - mais on s'en est souvent aperçu, ne préserve ni de la sauvagerie, ni de l'indignité.
Georges Gurvitch (1894-1965) avait 48 ans, lorsque la Résistance française à l'Occupant s'est organisée (quant à dire que cette Résistance a été le fait de "la plupart des nôtres", hum !). On ne peut donc pas lui reprocher d'être parti aux États-Unis - comme tant d'autres intellectuels français, d'ailleurs, et comme, pour un temps, Saint-Exupéry lui-même. Il est fait allusion au "Manifeste des 121", dont on trouvera ici le texte (ainsi que la liste des premiers signataires - Laurent Schwartz n'y figure d'ailleurs pas, séjournant précisément aux États-Unis lorsque la première liste a été rendue publique). On notera que l'un au moins des signataires, l'Inspecteur primaire et poète surréaliste Jean Mayoux, fut suspendu (et jamais réintégré) pour avoir signé le dit Manifeste. Il s'intitulait d'ailleurs lui-même le dernier des 121. Mais De Gaulle fut inflexible. Et Mayoux en est prématurément mort, de chagrin.
Et je rappelle enfin qu'à la demande expresse du président Mitterrand - malgré l'opposition farouche du jeune Joxe, entre autres - il a été procédé à la reconstitution de carrière de tous les félons de l'O.A.S., général Salan en tête
Paris, le 6 novembre 1961
Pour la deuxième fois en quelques jours, nous trouvons votre signature au bas d'une adresse concernant les affaires d'Algérie, à côté de celles des Schwartz, des Sartre et autres 121 qui, il y a quelque temps, avec une lâcheté insigne - car ils ne craignaient rien, ou peu de chose, pour eux-mêmes - incitaient les jeunes Français à l'insoumission et à la désertion, au risque de les engager dans les plus dangereuses aventures.
Nous n'admettons pas que VOUS, vous vous mêliez de ces questions :
VOUS, Français de FRAÎCHE DATE (1938, si nous sommes bien informés),
en réalité MÉTÈQUE, venu du fin fond de la Mer Noire,
et par-dessus le marché, JUIF.
JUIF ERRANT qui a traîné sa besace dans tous les pays d'Europe.
FUYARD en Amérique pendant la guerre, au lieu de vous battre et de vous enrôler dans la Résistance comme ont fait la plupart des nôtres, - lâche, toujours lâche.
La discrétion la plus élémentaire, le tact le moins délicat auraient dû vous empêcher d'intervenir dans des questions qui ne sont nullement de votre compétence, métèque, Juif et fuyard ! ! ! et ne regardant que les vrais Français ; sans compter que, si vous désirez (comme tout le monde) la fin de la guerre d'Algérie, il vaudrait mieux aller le dire aux fellaghas qui tuent, égorgent et violent. Mais, pour cela, il faudrait avoir un peu de courage et, triple lâche que vous êtes, vous en êtes incapable.
Vous n'avez pas su VOUS TAIRE : votre impudence effrontée sera châtiée.
L'O.A.S. s'en chargera.
Texte publié - avec le commentaire - dans l'Express du 9 novembre 1961