Étude d'une page de Germinal
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- Création : lundi 23 janvier 1984
- Publication : vendredi 21 octobre 2016
- Écrit par SH
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I. Le texte
C'était Maheu qui souffrait le plus. En haut, la température montait jusqu'à trente-cinq degrés, l'air ne circulait pas, l'étouffement à la longue devenait mortel. Il avait dû, pour voir clair, fixer sa lampe à un clou, près de sa tête ; et cette lampe, qui chauffait son crâne, achevait de lui brûler le sang. Mais son supplice s'aggravait surtout de l'humidité. La roche, au-dessus de lui, à quelques centimètres de son visage, ruisselait d'eau, de grosses gouttes continues et rapides, tombant sur une sorte de rythme entêté, toujours à la même place. Il avait beau tordre le cou, renverser la nuque : elles battaient sa face, s'écrasaient, claquaient sans relâche. Au bout d'un quart d'heure, il était trempé, couvert de sueur lui-même, fumant d'une chaude buée de lessive. Ce matin-là, une goutte, s'acharnant dans son œil, le faisait jurer. Il ne voulait pas lâcher son havage, il donnait de grands coups, qui le secouaient violemment entre les deux roches, ainsi qu'un puceron pris entre deux feuillets d'un livre, sous la menace d'un aplatissement complet. Pas une parole n'était échangée. Ils tapaient tous, on n'entendait que ces coups irréguliers, voilés et comme lointains. Les bruits prenaient une sonorité rauque, sans un écho dans l'air mort. Et il semblait que les ténèbres fussent d'un noir inconnu, épaissi par les poussières volantes du charbon, alourdi par des gaz qui pesaient sur les yeux. Les mèches des lampes, sous leurs chapeaux de toile métallique, n'y mettaient que des points rougeâtres. On ne distinguait rien, la taille s'ouvrait, montait ainsi qu'une large cheminée, plate et oblique, où la suie de dix hivers aurait amassé une nuit profonde. Des formes spectrales s'y agitaient, les lueurs perdues laissaient entrevoir une rondeur de hanche, un bras noueux, une tête violente, barbouillée comme pour un crime. Parfois, en se détachant, luisaient des blocs de houille, des pans et des arêtes, brusquement allumés d'un reflet de cristal. Puis, tout retombait au noir, les rivelaines tapaient à grands coups sourds, il n'y avait plus que le halètement des poitrines, le grognement de gêne et de fatigue, sous la pesanteur de l'air et la pluie des sources.
II. Présentation
Le texte à commenter, proposé aux candidats à l'épreuve anticipée de français, est extrait du chapitre 4 de la première partie de Germinal ; il présente le mineur Maheu et ses compagnons au travail. Peu ambigu, assez redondant, aisément compréhensible, il donne lieu dans les devoirs d'une classe de première (C) à un discours bavard sur le dur labeur des mineurs, sans que soient dégagés avec précision et d'une façon structurée les intentions de l'auteur et les moyens mis en œuvre.
Une étude plus systématique du vocabulaire s'impose donc. L'index va la favoriser, donnant à toute forme du texte (lexicale ou fonctionnelle) sans exception la même "attention", sans privilégier l'une au détriment de l'autre.
Pour un texte de cette longueur l'index alphabétique se révèle d'un maniement plus simple que l'index hiérarchique. Bien entendu, le retour au texte doit être aussi fréquent qu'il est nécessaire.
Déroulement de l'exercice
On procède à un regroupement des formes lexicales et fonctionnelles en champs lexicaux. Il fait apparaître :
- des "personnages" :
Maheu 1
il 7
ils 1 (sans référent)
tous 1
on 2
elles 1 (ne renvoie pas à des personnes, mais à "gouttes")
On note à ce propos la faible désignation des personnages, on remarque l'absence de "hommes, femmes, ouvriers" et autres synonymes, pourtant c'est un groupe de travailleurs qui est décrit.
- les parties du corps, par contre, sont bien représentées :
bras | hanches | taille |
cou | nuque | tête |
crâne | œil | visage |
formes | poitrines | yeux |
Il y a ici enrichissement du commentaire grâce à l'étude de l'index : les actants, à l'exception de Maheu, ne sont désignés que par le pronom "ils" sans référent dans ce passage, "tous" et "formes" (spectrales) et par certaines parties du corps, fréquemment au singulier, ce qui souligne une volonté étonnante chez Zola de gommer leur identité professionnelle et sociale pour donner du groupe une vision un peu "surréaliste" (des fragments d'individus, plutôt que des individus reconnaissables).
- le second champ lexical, la mine (non nommée) regroupe des formes comme :
air | gaz | pluie |
arêtes | goutte(s) | poussières |
buées | havage | reflet |
blocs | houille | rivelaines |
charbon | humidité | roche |
cheminée | lampes | sources |
degrés | mèches | suie |
eau | pans |
On trouve ici peu de termes techniques (havage et rivelaines), alors qu'ils sont fréquents dans d'autres passages de Germinal. C'est donc la description d'un milieu moins caractérisé qu'on aurait pu le penser à la seule lecture du texte.
- le troisième champ lexical :
(mais l'ordre importe peu), le plus vaste, est celui de l'effort et de la souffrance dont toutes les nuances apparaissent dans le texte. Son importance justifie un sous-classement par catégories grammaticales. Il contient :
des verbes :
acharnant | agitaient |
achevait de ... | battaient |
aggravait | brûler |
chauffait | ruisselait |
claquaient | secouaient |
écrasaient | souffrait |
jurer | tapaient |
pesaient | tombant |
renverser | tordre etc. |
tomber |
des adverbes :
,
brusquement, violemment
des qualificatifs :
alourdi, rauque
entêté, violents
mortel, trempé
des substantifs :
aplatissement | halètement |
crime | menaces |
étouffement | mort |
fatigue | pesanteur |
gêne | sang |
grognement | supplice |
On peut y déceler plus précisément, en plus de l'effort, le thème du supplice, de la "gêne" qui devient géhenne (enfer), qui explique alors cet anonymat dans la présentation des actants dans la deuxième partie du texte.
Apparaissent même, pour être plus précis, le supplice de l'eau :
buée humidité
eau lessive
goutte ruisselait
gouttes trempé
("continues" et "rapides")
et le supplice du feu,
brûler chaude
trente-cinq sueur
(degrés)
Ce milieu décrit et mal nommé est enfer, sans que le mot soit prononcé :
crime | mortel |
formes | noir |
fumant | nuit |
lueurs | spectrales |
luisaient | suie |
points (rougeâtres) | ténèbres |
mort | tordre |
Évidemment, le retour constant au texte permet de repérer les syntagmes que l'index dissocie, et qui viennent renforcer les intentions mises en lumière par l'index.
Exemple:
à la longue toujours à la même place
sans relâche il avait beau etc.
et les comparaisons : celle du puceron par exemple ; ici l'explication traditionnelle reprend tous ses avantages.
La classe suggère alors, à partir de cette nouvelle lecture produite par l'étude de l'index, un plan possible du commentaire (donné ici à titre indicatif).
A) De l'individuel à l'anonymat collectif (opposition entre la première partie du texte, au singulier, consacrée à Maheu, et la deuxième consacrée à ses camarades).
B) De la description réaliste à la "vision" :
- les conditions de travail du mineur
- les transformations du lieu des actants
C) La mine, symbole de l'enfer :
- la souffrance
les supplices de l'eau, du feu
l'éternité, la mort (symbolique)
L'index, par sa formalisation nouvelle des éléments de la chaîne syntagmatique, permet une étude moins intuitive, plus systématique, plus complète, du vocabulaire d'un texte. Il apparaît nécessaire même lorsque le texte semble "clair", car dans ce cas la lecture de l'élève est plus globalisante que jamais, et son commentaire plus paraphrastique.
Il reste entendu que l'étude de l'index ne peut constituer à elle seule un commentaire. Sa pratique habitue l'élève à observer les mots et à se poser des questions à leur sujet, ce qui est essentiel.
GERMINAL : Index hiérarchiques
A. MOTS-OUTILS (199 dont 60 différents):
18: de ;
10: la, un ;
9: des, une ;
8: d', et, les ;
7: le, il ;
6: à ;
5: son, l', s ;
4: qui, que, n'
3: au, avait, sa, pas, ne, y, lui, était ;
2: en, grands, deux, même, dans, on, comme, par, plus, qu', pour, sur, sans ;
1: voulait, aurait, ce, c', cette, ces, du, donnait, elles, fussent, faisait, ils, leurs, mais, où, prenaient, pris, se, tout, tous, quelques, voir.
B. AUTRES MOTS (184 dont 171 différents):
3: sous, coups, air ;
2: montait, lampe, tête, entre, ainsi, tapaient, noir ;
1: rivelaines, retombait, puis, cristal, reflet, allumés, brusquement, arêtes, pans, houille,
blocs, luisaient, détachant, parfois, crime, barbouillée, violente, noueux, bras, hanche,
rondeur, entrevoir, laissaient, perdues, lueurs, agitaient, spectrales, formes, profonde, nuit,
amassé, hivers, dix, suie, oblique, plate, cheminée, large, ouvrait, taille,
rien, distinguait, rougeâtres, points, mettaient, métallique, toile, chapeaux, lampes, mèches,
yeux, pesaient, gaz, alourdi, charbon, volantes, poussières, inconnu, épaissi, sourds,
irréguliers, halètement, échangée, parole, complet, aplatissement, menace, pesanteur, livre, puceron,
feuillets, poitrines, roches, grognement, violemment, secouaient, pluie, havage, lâcher, jurer,
œil, acharnant, goutte, là, matin, lessive, buée, chaude, fumant, sueur,
couvert, trempé, heure, quart, bout, relâche, claquaient, écrasaient, face, battaient,
nuque, renverser, cou, tordre, beau, place, toujours, entêté, rythme, sorte,
tombant, rapides, continues, gouttes, grosses, eau, ruisselait, visage, centimètres, dessus,
roche, humidité, surtout, aggravait, supplice, sang, brûler, achevait, chauffait, crâne,
gêne, clou, près, fatigue, fixer, clair, dû, mortel, devenait, longue,
étouffement, circulait, sources, degrés, cinq, jusqu', trente, Maheu, température, souffrait, haut.
GERMINAL : Index alphabétique
à | distinguait | lessive | rauque |
acharnant | dix | leurs | reflet |
achevait | donnait | livre | relâche |
aggravait | du | lointains | renverser |
agitaient | dû | longue | retombait |
ainsi | eau | lueurs | rien |
air | échangée | lui | rivelaines |
allumés | écho | luisaient | roche |
alourdi | écrasaient | Maheu | roches |
amassé | elles | mais | rondeur |
aplatissement | en | matin | rougeâtres |
arêtes | entendait | mèches | ruisselait |
au | entêté | même | rythme |
aurait | entre | menace | s' |
avait | entrevoir | métallique | sa |
barbouillée | épaissi | mettaient | sang |
battaient | et | montait | sans |
beau | était | mort | se |
blocs | étouffement | mortel | secouaient |
bout | face | n' | semblait |
bras | faisait | ne | son |
bruits | fatigue | noir | sonorité |
brûler | feuillets | noueux | sorte |
brusquement | fixer | nuit | souffrait |
buée | formes | nuque | sources |
c' | fumant | oblique | sourds |
ce | fussent | œil | sous |
centimètres | gaz | on | spectrales |
ces | gêne | où | sueur |
cette | goutte | ouvrait | suie |
chapeaux | gouttes | pans | supplice |
charbon | grands | par | sur |
chaude | grognement | parfois | surtout |
chauffait | grosses | parole | taille |
cheminée | halètement | pas | tapaient |
cinq | hanche | perdues | température |
circulait | haut | pesaient | ténèbres |
clair | havage | pesanteur | tête |
claquaient | heure | place | toile |
clou | hivers | plate | tombant |
comme | houille | pluie | tordre |
complet | humidité | plus | toujours |
continues | il | points | tous |
cou | ils | poitrines | tout |
coups | inconnu | pour | trempé |
couvert | irréguliers | poussières | trente |
crâne | jurer | prenaient | un |
crime | jusqu | près | une |
cristal | l' | pris | violemment |
d' | la | profonde | violente |
dans | là | puceron | visage |
de | lâcher | puis | voilés |
degrés | laissaient | qu' | voir |
des | lampe | quart | volantes |
dessus | lampes | que | voulait |
détachant | large | quelques | y |
deux | le | qui | yeux |
devenait | les | rapides |
Texte de Zola : Pléiade III, pp. 1164-1165
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