Au milieu "d'anciennes affaires de classe", j'avais découvert, il y a déjà quelques années, un modeste "cahier d'écolier" ("L'incomparable 32 pages"...), à couverture rose, qui avait recueilli, en son temps, mes travaux de lycéen effectués en allemand, en classe terminale (dite alors "Philosophie"). J'ai déjà publié un certain nombre d'auteurs redécouverts dans ce cahier (Th. Mann, H. Hesse...).
En ce 11 novembre 2021, il me plaît de mettre en ligne un court texte de réflexion dû à Hans Carossa, parce qu'il me paraît tomber à pic pour cette journée : une réflexion peut-être un peu courte mais bien sentie sur la guerre, écrite par un homme cultivé qui relie avec bonheur le présent (le conflit de 14-18, en l'espèce) au lointain passé largement fantasmé (l'Iliade).

 

"So stark war das Gefühl für die Würde des Menschengesichts, auch wenn ein Feind es trug !
Und nun fragt sichs : können wir mit unseren Gegnern verfahren wie mit einer Masse antlitzloser Larven, ohne selbst larvenhaft zu werden ?"

H. Carossa

 

À la mémoire de mes deux professeurs de langue allemande, André Cuyer (1921-2002) - entre nous, c'était "Spoon" - et Augustin Humbert (1902-1999), agr. 1945 (que nous appelions familièrement, - et irrespectueusement - Buchstabiere)

 

 

 

 

I. Neuzeit und Altertum - En lisant l'Iliade

 

La nuit, en lisant l'Iliade, me vint à l'esprit le souvenir de ce jeune officier autrichien qui nous traita si amicalement sur le mont Carunta. Est-ce qu'aujourd'hui nous nous entendrions encore aussi bien ? Son visage étroit ne m'est plus aussi présent que la longue main osseuse déformée de cicatrices qui, pendant qu'il parlait, faisait des gestes timides.
Un livre avec des poésies italiennes était ouvert devant lui. De temps en temps, il observait le territoire ennemi avec ses jumelles, et il finit par découvrir une concentration de troupes. Conformément à son devoir, il téléphona aux batteries en bas et désigna selon la carte un point en indiquant avec combien d'obus il fallait le pilonner.

Ensuite il nous versa à nouveau du thé dans les quarts et nous parla avec beaucoup de charme de sa femme et de ses enfants tandis que les détonations ébranlaient l'espace.
C'était un excellent soldat et il avait fait une fois de plus le nécessaire et par surcroît de la manière la plus propre et la plus précise. Pas la moindre goutte de sang ne tachait sa veste grise. Il ne lui serait non plus venu à l'esprit de prononcer une parole désobligeante sur ses adversaires, il ne pensait sans doute pas du tout aux corps déchiquetés qui là-bas agonisaient. Que pouvaient-ils signifier pour lui ? Difficilement plus qu'un essaim d'insectes nuisibles qui maintenant, Dieu merci, étaient éliminés.

Et voici que je relis les scènes révoltantes où des héros pleins de sauvagerie et de gloriole insultent leurs ennemis et les maltraitent sans mesure. La mort de son ami rend Achille fou de douleur ; il ne connaît plus désormais pitié ni merci ; traînant par le pied Lycaon sa victime et le jetant dans le fleuve, il lui lance ces délirants cris de triomphe : "Repose maintenant parmi les poissons ! Insensibles, ils su­ceront le sang de tes plaies et jamais ta mère ne te couchera en pleurant sur un lit de mort".  Quand Hector, abattu et râlant, le supplie de ne pas jeter son corps en pâture aux chiens des Achéens et lui offre pour sa rançon des monceaux d'or et d'airain, il refuse en hurlant de rage ; et même après que l'âme a quitté le corps de son ennemi, il lui crie encore, pour l'accompagner sur le chemin du royaume des ombres, le mot le plus cruel.

Quelle terrible race ! Mais au moins les combattants se tenaient face à face, les yeux dans les yeux, et quand le fils de Pélée a satisfait sa colère et sa douleur, le vieux père d'Hector, profondément abattu, se hasarde la nuit dans sa tente ; à genoux il embrasse les mains redoutables qui ont arraché à la plupart de ses fils la lumière de la vie ; il évoque pour Achille le souvenir de son propre vieux père et le prie enfin de lui livrer son mort. Et les deux rois, le jeune homme et le vieillard, pleurent ensemble ; aucun d'eux ne peut parler ; saisis d'une émotion indicible, ils san­glotent si fort qu'on les entend au loin, et c'est pres­que une rupture avec les vieilles divinités qu'an­nonce Achille en les accusant de tout ce qui s'est passé, de tout ce qui doit se produire encore. Plein de compassion, il relève Priam et l'attire à lui ; en secret il fait laver le cadavre, il le fait embaumer, revêtir d'une chemise et envelopper d'un beau lin­ceul pour que son aspect n'afflige pas encore le père. Puis il le dépose lui-même avec précaution sur une couche. L'ennemi redevient sacré, et avec lui l'âme du vainqueur. On prépare un repas commun, et lorsqu'ils se sont rassasiés et désaltérés, les deux rois se regardent avec admiration ; chacun trouve un réconfort dans la contemplation de l'autre, Priam dans la puissance et la grandeur divine du fils de Pélée, celui-ci dans le visage bienveillant et les sages discours de l'infortuné souverain d'Ilion. Il fait dres­ser dans la salle un lit de repos avec des oreillers de pourpre et des coussins pour le vieillard, et il lui demande avant qu'il s'endorme combien de jours il pense honorer le noble Hector, car pendant la durée de l'hommage funèbre il veut retirer ses myrmidons de la bataille.

Comment écouter cela sans se sentir averti que des formes de vie authentiques ne peuvent s'épa­nouir, que la douleur et la joie ne sont vraies que si l'homme prend l'homme absolument au sérieux, dans la haine comme dans l'amour ? Avec grandeur et fierté la technique s'empare de notre monde exigu ; mais la flamme intérieure de l'âme paraît de plus en plus faible, de même qu'une étoile obser­vée au télescope montre des détails plus nombreux, mais perd de sa force lumineuse. Comme il arrive souvent dans cette époque primitive que deux guer­riers, prêts à s'entretuer, se déclarent mutuellement divins ou pareils aux dieux ! Si fort était le senti­ment de la dignité du visage humain, même quand il appartenait à l'ennemi ! Et maintenant il faut se demander : pouvons-nous traiter nos adversaires comme une masse anonyme de larves sans visage ; sans devenir à notre tour des larves ? N'est-ce pas ici que vient se perdre la ligne ténue où l'extrême perfection de la machine nous détourne du sain et solide sens de la terre et nous conduit à une dégé­nérescence éclatante ? N'est-ce pas ici que peut-être a déjà commencé la décomposition de l'antique image sacrée de l'homme ?

 

© H. Carossa (1878-1956), Geheimnisse des reifen Lebens ("Les secrets de la maturité"), Leipzig, 1936. Trad. fse 1941 chez Stock, pp. 64-67

 

 


 

 

II. L'original de ce récit - Beim Lesen der Ilias

 

 

Nachts, beim Lesen der IIias, befiel mich Erinnerung an den jungen osterreichischen Offizier, der uns auf dem Berge Carunta(1) so freundlich bewirtete. Ob wir uns heute noch so gut verstünden ? Sein schmales Gesicht ist mir nicht mehr so deutlich wie die lange, knochige, durch Narben verzogene(2) Hand, die beim Sprechen sehr schüchterne Bewegungen ausführte. Ein Buch mit italienischen Gedichten lag vor ihm aufgeschlagen. Von Zeit zu Zeit sah er durch ein Scherenfernrohr(3) in das feindliche Gebiet hinüber, wo er schließlich eine Truppenansammlung entdeckte. Pflichtgemäß rief er durch den Fernsprecher zu dem Geschütz hinunter, bezeichnete nach der Karte einen Punkt und gab an, mit wie vielen Granaten dieser belegt werden sollte. Dann goß er wieder Tee in die Feldbecher und erzählte sehr anmutig von seiner Frau und seinen Kindern, indessen die Luft von den Abschüssen bebte. Er war ein ausgezeichneter Soldat und hatte wieder einmal das Nötige getan, obendrein auf die sauberste, sachlichste Weise ; kein Tröpchen Blut haftete an seinem grauen Rock. Ihm wäre auch nicht eingefallen, ein unfreundliches Wort über den Gegner zu äußern, er dachte wohl gar nicht an die zerfetzten Leiber, die drüben verendeten. Was konnten sie ihm bedeuten ? Schwerlich mehr als ein Schwarm schädlicher Insekten, der nun, Gott sei Dank, beseitigt war.

Ach, und nun lese ich wieder die empörenden Szenen, wo wilde, ruhmredige Helden ihre Feinde maßlos beschimpfen und mißhandeln. Achilleus rast vor Schmerz über den Tod seines Freundes, Mitleid und Gnade kennt er nicht mehr, und während er den getoteten Lykaon(4) am Fuße packt und in den Strom wirft, frohlockt er ihm wahnwitzig nach(5) : "Liege nur jetzt bei den Fischen ! Gefühllos werden sie dir das Blut von der Wunde saugen, und nimmer legt dich die Mutter mit Klagen auf das Totenbett". Hektor, dem Gefällten(6), der, kaum noch atmend, ihn anfleht, er möge doch nicht seinen Leib den Hunden der Achaier zum Fraße hinwerfen, und unendliches Gold und Erz als Lösung bietet, schreit er tobend seine Verweigerung zu ; ja, nachdem die Seele schon den Leib verlassen hat, ruft er ihr noch das unversöhnlichste(7) Wort auf den Weg zum Schattenreiche nach. Weich furchtbares Geschlecht war dies ! Aber immerhin standen sich die Streiter Aug in Auge gegenüber, und nachdem der Pelide seinen Zorn und seinen Schmerz ausgewütet hat, wagt sich nachts der tiefgebeugte alte Vater Hektors in sein Zelt ; niederknieend küßt er die schrecklichen Hände, die den meisten seiner Söhne das liebe Lebenslicht ausgelöscht haben, und indem er dem Achill Erinnerungen an seinen eigenen alten Vater wachruft, bittet er ihn um die Auslieferung des Toten. Und die beiden Könige, der jugendliche und der greise, weinen, keiner vermag zu sprechen ; laut, in unsagbarer Erschütterung, schluchzen sie, daß man weit über das Zelt hinaus es vernimmt, und fast wie eine Absage(8) an die alten Götter klingt es, wenn Achilleus ihnen die Verantwortung zuschiebt für alles, was geschehen ist und noch geschehen muß. Voll Erbarmen zieht er den Priamos zu sich empor ; heimlich laßt er die Leiche waschen, salben und mit Hemd und schönem Tuch umhüllen, darnit ihr Anblick den Vater nicht aufs neue kränke ; dann hebt er selbst sie behutsam auf ein Lager. Geheiligt ist wieder der Feind und mit ihm die eigene Seele. Ein gemeinsames Mahl wird bereitet, und nun erst, nachdem sie sich an Wein und Speise gesättigt., schauen sich die beiden mit Verwunderung an ; einer erquickt sich an der Erscheinung des andern, Priamos an der gottgleichen Gewalt und Größe des Peliden, dieser aber an dem gütigen Gesicht und an der weisen Rede des unglücklichen Herrschers von Ilion. Ein Ruhebett mil purpurnen Kissen und Polstern laßt er dem Greis in die Halle stellen, und ehe dieser schlafen geht, fragt er ihn, wie viele Tage er den edlen Hektor zu feiern gedenke ; denn er will für die Dauer der Totenehrung seine Myrmidonen vom Kampf zurückhalten.

 Wer kann dies vernehmen, ohne sich gemahnt zu fühlen, daß nur dort noch echte Lebensformen blühen, daß nur dort noch Schmerz und Freude wahr sind, wo der Mensch den Menschen in Haß und Liebe völlig ernst nimmt ? Stolz und groß bemächtigt sich die Technik unserer kleinen Welt ; die Flamme der Seele aber scheint schwächer und schwächer zu brennen, so wie ein Planet, im Fernrohr betrachtet, wohl mehr Einzelheiten erkennen läßt, aber an Leuchtkraft abnimmt. Wie oft in jener Frühzeit geschieht es, daß zwei Krieger, die sich den tödlichen Kampf ansagen, einander noch als göttlich oder göttergleich bezeichnen ! So stark war das Gefühl für die Würde des Menschengesichts, auch wenn ein Feind es trug ! Und nun fragt sichs : können wir mit unseren Gegnern verfahren wie mit einer Masse antlitzloser Larven(9), ohne selbst larvenhaft zu werden ? Verlauft am Ende hier die feine Linie, wo uns die äußerste Vollendung der Maschine dem gesunden Erdensinn entwendet ? Hat von hier aus vielleicht schon die Auflösung(10) des alten heiligen Menschenbildes begonnen ?

Notes

(1) Épisode de la guerre de 1914-1918. [Selon toute vraisemblance, l'épisode décrit a pris place au cours de l'année 16, lorsque l'Empire austro-hongrois a fondu sur la Roumanie]
(2) Déformée.
(3) Jumelle binoculaire.
(4) Lycaon, fils de Priam, tué par Achille près du Scamandre (Iliad, chant XXI, 34-135).
(5) Il le poursuit de ses cris de joie insensés.
(6) Cf. IIiad, chant XXII, 330 sv. et chant XXIV, 470 sv.
(7) unversöhnlich (implacable).
(8) Un désaveu.
(9) die Larve (-n) (la larve ; le fantôme).
(10) La désagrégation.

 

 

© L. Bodevin & P. Isler, in Collection Deutschland, Deutsches Leben und Denken, Neuzeit und Altertum, Classes terminales, Masson et Cie, 1965, pp. 93-95

 

 


 

 

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