Suite de la parole donnée à l'agrégée de grammaire qu'est Hélène Huot (et à un autre des commentateurs de son ouvrage dévastateur), qui continue à tirer au mortier, et fait mouche à tout coup (avec, au final, un sacré coup de patte à Bourdieu). On ne l'a pas entendue, hélas (évidemment). Pour achever de façon souriante après les imprécations (nécessaires) du Procureur général, je place ensuite les souvenirs d'école d'un grand écrivain : Robert Sabatier.

 

 

I. Compte rendu de l'ouvrage : Et voilà pourquoi ils ne savent pas lire.

 

"Par divers recoupements, le ministère de l'Éducation Nationale évalue à près de 10% de la population - c'est énorme pour un pays développé - l'ensemble très diffus des personnes handicapées dans leur vie quotidienne et professionnelle par une maîtrise très insuffisante de la lecture et de l'écriture et qui se révèlent difficilement capables de maîtriser et de mettre en œuvre de façon opératoire les apprentissages instrumentaux de lire, écrire, compter".

Voilà le constat. Il s'alourdit encore quand on apprend qu'il faut ajouter à ces analphabètes tous ceux qui ont de la lecture et de l'écriture une pratique toujours déficitaire ; entendez qu'ils sont capables de lire, mais sans comprendre toujours ce qu'ils lisent, en totalité et sans erreur ; ils peuvent écrire, mais leurs messages pèchent quelque part (choix des mots, construction syntaxique, orthographe).

À cette situation soigneusement occultée, on a donné des explications vagues ou partisanes : influence grandissante de l'audiovisuel, contexte socio-culturel, clivages socio-économiques, voire dyslexie grandissante : d'après P. Debray Ritzen, 8 à 10 % des enfants seraient dyslexiques et il y aurait à l'origine de cette "maladie" un facteur génétique indéniable. Il est clair en tout cas qu'on ne peut invoquer de raisons politiques, par exemple un prétendu laxisme de gauche qui aurait succédé à un immobilisme de droite : la dégradation transcende les régimes successifs et va s'accentuant.

Hélène Huot pense que la reconnaissance de l'analphabétisme porte en soi une mise en cause de l'école, et elle s'en explique. On découvre en la lisant des choses effarantes, d'abord sur la formation des maîtres : 60 % des instituteurs ne sont pas passés par l'École Normale, 1/3 des enseignants des collèges n'ont que le baccalauréat ; ensuite, sur les manuels dont la plupart sont très gravement déficients et fourmillent d'erreurs. Arrêtons-nous un instant sur ce chapitre. Les gens simples pourraient s'imaginer que l'évolution du français n'a pas été à ce point foudroyante qu'il faille changer ou adapter si rapidement les manuels, alors que pendant tout le XIXe siècle et la première moitié du XXe, certains ont été réédités et utilisés pratiquement sans changement pendant près de quatre-vingts ans ! C'est oublier, qu'outre la réformite aiguë qui caractérise notre temps, le livre scolaire offre aux "grands éditeurs" un marché particulièrement juteux, surtout depuis qu'aux alentours de 1950 la loi Barangé a accordé aux écoles publiques des crédits en proportion du nombre de leurs élèves pour leur équipement et l'achat de livres scolaires. Encore fallait-il susciter chez les maîtres un désir de changement et les appâter en les convainquant que l'achat des "guides pédagogiques" qui leur étaient destinés était indispensable du fait de l'indigence de leur formation. Ce qui décide du succès de ces ouvrages, ce n'est d'ailleurs pas leur qualité ou la compétence linguistique de leurs auteurs, mais la présence du corrigé intégral de tous les exercices dans le "livre du professeur"...

Le choix des "bons auteurs" n'est pas non plus innocent : ils doivent être des praticiens et il vaut mieux qu'ils n'aient pas une compétence linguistique trop particulière - qui les comprendrait sinon ? - qu'ils ne bousculent pas trop les habitudes et que les "innovations" présentées soient soigneusement prédigérées. Aussi les grammaires scolaires se répètent, erreurs comprises, au fil des années, avec un dédain avéré pour la recherche universitaire. Alors que celle-ci cherche désespérément à éditer ses travaux, un manuel qui marche bien rapporte à son ou à ses auteurs de véritables pactoles. Dans cette pratique éditoriale, tous les coups sont permis : on gardera un auteur dont le nom servira de garant pédagogique et de locomotive commerciale au nouveau produit et on lui en adjoindra un autre, gage de "changement". On s'assurera la présence d'un enseignant au supérieur pour rehausser la qualité du produit proposé et on veillera à recruter comme auteurs ou directeurs de collection des professeurs ou directeurs d'École Normale, et surtout des inspecteurs afin qu'ils recommandent un manuel plutôt qu'un autre, en utilisant au besoin leur pouvoir administratif.

On croyait être arrivé au bout de ses étonnements avec le chapitre des manuels. Il y a pire : c'est ce qui est dit concernant l'INRP (Institut National de Recherche Pédagogique) et les recherches qu'il patronne. Une de celles-ci, mise en place en 1967, concernait un Plan de rénovation de l'enseignement du français à l'école élémentaire. Composé d'équipes expérimentales travaillant dans de nombreuses Écoles Normales, cette recherche se développa "comme un grand chantier de réflexion et d'action" d'après le responsable officiel, en fait comme un chantier désordonné et stérile : il y fut mis fin autoritairement après douze ans sans qu'il en soit rien sorti de scientifiquement sérieux et assuré aux dires d'Hélène Huot. On comprend mieux pourquoi dans les pages suivantes qui laissent absolument pantois. Il est d'abord délicat d'en préciser le statut et le fonctionnement : l'INRP se partage entre la recherche fondamentale, la recherche appliquée et l'animation pédagogique. Aussi devrait-il avoir le statut d'un établissement de recherche scientifique et subir comme tel un certain nombre de contraintes concernant les définitions de programmes de recherche, le recrutement des chercheurs, l'évaluation de la recherche. On apprend avec stupéfaction qu'en dehors de conditions d'ancienneté et d'appartenance à un corps (inspection académique, enseignement primaire et secondaire) aucune autre condition, d'ordre scientifique et disciplinaire, n'est exigée de ceux-ci. Ils y exercent des fonctions en principe temporaires, mais tous ceux qui les occupent peuvent y être pérennisés. Le Conseil scientifique qui joue un rôle dans leur recrutement est composé de quinze à dix-huit membres "choisis parmi les personnes qualifiées par leurs titres, leurs travaux et leur expérience dans le domaine de la recherche pédagogique" (et sans doute leur activisme syndical, Hélène Huot ne le dit pas, mais donne en note la liste des membres de ce conseil nommés en 82, les noms sont éloquents). Ces "chercheurs", qui n'ont pas reçu de véritable formation à la recherche, poursuivent des "actions de recherche" dont le moins qu'on puisse dire à leur énoncé est qu'elles sont parfaitement fumeuses. Peu importe d'ailleurs, car il ne semble y avoir aucune évaluation scientifique ni sur les projets, ni sur le déroulement, ni sur les résultats de celles-ci. De plus, elles échappent au contrôle scientifique de la publication : l'INRP n'a pas d'archives officielles et les documents auxquels on est renvoyé sont inaccessibles ou introuvables. Fonctionnant en vase clos, l'INRP redoute l'intervention des universitaires auxquels ses chercheurs sont cependant invités à "faire appel" (?), mais qui, lorsqu'on les invite, n'ont aucun rôle dans l'organisation et le déroulement du travail. Quand on se recrute par cooptation à l'intérieur d'un sérail restreint, et qu'on se refuse à tout contrôle extérieur, on se constitue en bastion de médiocres à qui toute compétence porte ombrage.

Après avoir ainsi dressé le tableau d'une réalité scolaire consternante, où la médiocrité des manuels conforte les errements de recherches soi-disant pédagogiques, Hélène Huot, en dépit des déclarations officielles, dénonce une seule et unique cause : l'incompétence certaine et massive des maîtres. Elle préconise un certain nombre de mesures qu'on ne peut qu'approuver : d'abord qu'on cesse de privilégier l'emballage pédagogique aux dépens du contenu. La mission de l'école est d'abord d'enseigner, et si l'on veut que les enfants y soient heureux - certains courants pédagogiques ont beaucoup insisté là-dessus - il faudrait peut-être leur proposer des nourritures et des activités intellectuelles plus consistantes. Elle croit que la polyvalence actuelle est indéfendable et que, dès le premier degré, la classe devrait être prise en charge par deux maîtres, l'un formé pour enseigner la langue maternelle et ce qui touche aux sciences humaines, l'autre pour assurer l'enseignement des mathématiques et ce qui a trait aux sciences expérimentales.

Pour restaurer la qualité des manuels, elle souhaite qu'aucun ne soit publié sans être aussitôt l'objet d'un compte rendu critique assuré par un groupe d'experts dont le mode de désignation en garantisse l'indépendance. Elle est également d'avis qu'il doit y avoir incompatibilité entre la fonction d'inspecteur et la qualité d'auteur de manuel. Quant à l'INRP, elle pense qu'il doit être doté des moyens nécessaires, en termes de publication notamment, à effectuer une recherche nettement fondamentale sur le système éducatif ou les contenus disciplinaires, mais aussi qu'il doit être soumis aux règles de garantie d'une recherche de qualité, à propos du recrutement des chercheurs, de la définition des projets de recherche et de leur évaluation.

On ne peut traiter tous les aspects de ce livre courageux et foisonnant, remarquablement bien documenté. Il faudrait pouvoir s'arrêter plus longuement à ce qu'elle dit des rythmes excessifs d'apprentissage de la lecture, au silence ou à la connivence des syndicats de tous bords, si prompts d'habitude à exiger la transparence et à dénoncer les magouilles, qui sont restés totalement indifférents au problème massif posé par des manuels médiocres et inadaptés. L'envahissement des PEGC (professeurs d'enseignement général de collège) formés sur le tas, l'inadaptation des concours, l'immobilisme des épreuves d'agrégation, les limites de la formation continue, tous ces chapitres méritent une lecture attentive.

Les problèmes que soulève Hélène Huot ne peuvent laisser indifférents les universitaires que nous sommes : les déficiences que nous constatons chez nos étudiants viennent de loin, et si nous sommes obligés de nous transformer en professeurs du secondaire pendant la première année d'université, ou contraints de corriger fautes d'orthographe et de syntaxe jusque dans les thèses de doctorat, au moins saurons-nous désormais pourquoi.

[Hélène Huot, qui a enseigné sept ans dans le secondaire, est aujourd'hui professeur de linguistique à l'université de Paris VII. Spécialiste de syntaxe, Hélène Huot s'est aussi toujours intéressée aux applications de la linguistique, et travaille depuis plus de quinze ans, en relation avec les praticiens, sur les problèmes de l'enseignement du français en France et dans les pays francophones].

 

© Luc BOUQUIAUX, Maître de recherches au CNRS, in La Banque des mots, revue semestrielle du Conseil international de la langue française, n° 29, 1985

 

 

II. Et voilà pourquoi ils ne savent pas lire (suite et fin des Bonnes feuilles de l'ouvrage)

 

Des auteurs soigneusement choisis

 

Mais pour capter définitivement la confiance des maîtres ainsi sollicités, il reste un point très important, qui est le nom mais surtout la qualité de l'auteur. Car des critères très précis dessinent le profil du "bon" auteur, c'est-à-dire de celui dont les manuels "marcheront" bien auprès des maîtres (quelle que soit évidemment leur valeur scientifique ou pédagogique), et qui aura donc été, pour la maison d'éditions, un bon investissement.

 

Des praticiens

 

La première condition, fondamentale, est, bien sûr, qu'il faut être enseignant. De préférence du primaire ou du secondaire, c'est-à-dire de l'un des degrés qui constituent l'essentiel du marché du manuel scolaire. En d'autres termes, ce sont des praticiens qui doivent élaborer les outils de travail destinés aux élèves, mais surtout aux autres praticiens qui les ont en charge, pour que ceux-ci soient mieux convaincus de la valeur des produits proposés : comment en effet ceux-ci pourraient-ils ne pas être satisfaisants puisqu'ils sont faits par des maîtres qui exercent, et qui sont donc au courant des besoins des différents utilisateurs ?

Cela paraît aller de soi, parce qu'il en est ainsi depuis longtemps. Et pourtant ce seul point explique en grande partie les insuffisances des manuels scolaires. Car les maîtres qui se lancent ainsi dans la rédaction de manuels n'ont aucune compétence linguistique particulière, et, compte tenu de ce qu'est leur formation initiale(1), n'ont guère plus de connaissances grammaticales que le contenu des manuels en usage. Ce qu'ils ont peut-être en plus, c'est une connaissance acquise par la pratique, mais celle-ci se caractérise par une absence totale de perspective et d'intégration à l'intérieur d'un champ de connaissances plus vaste(2). Et cela vaut pour les professeurs du secondaire comme pour les instituteurs, car les connaissances linguistiques requises au niveau du CAPES ou de l'agrégation sont notoirement insuffisantes, et souvent sans rapport avec ce qu'exige l'enseignement du français contemporain à des enfants francophones. Et ce qui distingue en fin de compte les agrégés et les certifiés des instituteurs ou des PEGC, c'est que les premiers ont, en règle générale, une maîtrise pratique de leur langue plus assurée que les seconds, mais guère plus, car ils n'en connaissent pas beaucoup mieux le fonctionnement, et n'ont pas tellement plus de recul vis-à-vis de celle-ci.

Finalement, la plupart des enseignants-auteurs ne mettent rien de plus dans leurs manuels que ce qui se trouvait dans les manuels qu'ils ont utilisés comme élèves d'abord, puis comme maîtres, et jusqu'aux années 70, où les maisons d'éditions ont "découvert" la linguistique, les grammaires scolaires n'ont été que des plagiats sans cesse recommencés de manuels déjà parus, dont le contenu n'avait que peu de rapport avec l'évolution de la recherche universitaire. Et leur rabâchage indigent, dont les maîtres s'accommodent si facilement, ne fait que refléter les connaissances insuffisantes des auteurs comme des utilisateurs.

Bien entendu les éditeurs n'éprouvent aucune difficulté à trouver des enseignants qui acceptent de rédiger un manuel, en se pliant aux exigences commerciales les plus draconiennes, de temps de rédaction notamment. Sans mot dire, car les enseignants pressentis résistent rarement aux avantages moraux et financiers, financiers surtout, que représente le succès d'un manuel. Et les véritables pactoles recueillis ces dernières décennies par Lagarde et Michard pour leur ensemble de morceaux choisis littéraires, ou par Bled dans le secteur de l'orthographe, n'ont pas fini de faire rêver toute la corporation enseignante. Les maisons d'éditions exploitent donc sans mal l'insatisfaction de tant d'enseignants, due autant à la modicité de leurs revenus qu'à une perte croissante de prestige dans l'opinion publique.

Mais dès qu'un enseignant se retrouve "auteur" de manuel - avec des motivations qui peuvent d'ailleurs n'être pas uniquement pécuniaires -, il entre dans un engrenage dont il est vite, plus ou moins volontairement, prisonnier. Car il s'établit une espèce de connivence entre la maison d'éditions et l'auteur, de telle sorte que chacun tient à l'autre, et tient l'autre. Les éditeurs, en effet, cherchant à tirer profit du conservatisme pédagogique des enseignants, ne sont pas prêts à lâcher un auteur dont le manuel a connu quelque succès. On assiste alors à deux stratégies commerciales, dont l'objectif, identique, est de conserver une clientèle conquise tout en l'amenant cependant à changer de manuels.

Dans un cas, notamment lorsque le manuel que l'on cherche à "renouveler" est une œuvre collective, on garde un auteur - dont le nom servira de garant pédagogique et de locomotive commerciale au nouveau produit - et on lui en adjoint un autre, gage de "changement". On joue ainsi du désir ambivalent des maîtres de "changer", avec l'espoir que le changement aura des effets pédagogiques quasi miraculeux, et de ne pas s'éloigner vraiment de ce que l'on a toujours fait et connu (comme enseignant, mais aussi comme élève) et qui n'est pas entièrement condamnable puisque la promotion personnelle de chacun y est liée.

On trouve ainsi de véritables "filières" d'auteurs qui peuvent avoir leur source très loin dans le temps. Par exemple, en 1974, les éditions Nathan proposent, à l'intention des collèges, des manuels signés de J. Grunenwald et H. Mitterand. J. Grunenwald était depuis longtemps un auteur de la "maison", coauteur, avec A. Souché, d'une série de manuels destinés au secondaire et publiés entre 1961 et 1966. Mais, au moment de cette collaboration, A. Souché(3) avait déjà publié dès 1938 des manuels pour ce même niveau en collaboration avec J. Lamaison. Ainsi, de 1938 à 1976, les éditions Nathan ont renouvelé plusieurs fois les manuels du secondaire, sous des signatures déjà connues des maîtres, si bien que certains sont passés sans réticence d'une série à l'autre sans avoir l'impression d'avoir vraiment "changé" de manuel. Et cela continue avec H. Mitterand. Car, depuis 1974, celui-ci a signé, avec de nouveaux collaborateurs, trois ou quatre nouvelles séries de manuels, toujours destinés aux mêmes classes de collège...

On peut observer le même phénomène, avec des variantes mineures, aux éditions Larousse où deux auteurs, J. Dubois et R. Lagane, n'ont cessé depuis vingt ans, avec des collaborateurs toujours renouvelés, de faire paraître des manuels de grammaire et d'exercices. Qui, bien que contradictoires entre eux, demeurent tous, évidemment, également offerts au choix des enseignants...

Mais le plus souvent, un auteur, dont le premier manuel aura reçu un accueil favorable du milieu enseignant, est poussé par la maison d'éditions à en recommencer sans cesse de nouveaux. Et la perspective d'un renouvellement de droits d'auteur qui n'étaient plus aussi importants vient vite à bout des hésitations, si tant est qu'il y en ait.

C'est ainsi que E. Genouvrier et C. Gruwez, dont les manuels publiés avec succès en 1972-73 commençaient néanmoins à perdre du terrain, sont en train de sortir une nouvelle série complète (fascicules d'exercices pour les élèves, guides pour le maître), dont le contenu et la présentation ont été, à l'évidence, organisés d'après les réactions des maîtres à la précédente série, et qui est, bien entendu, justifiée par les plus nobles considérations pédagogiques(4).

Ainsi perdurent les auteurs officiels de manuels. Mais il n'est pas toujours facile de devenir un auteur reconnu. Et certains n'arrivent qu'après bien des efforts et des errances, tel F. Marchand, qui est aujourd'hui l'un des piliers du primaire chez Nathan, après des débuts chez Larousse et un crochet chez Delagrave.

 

Un zeste de "spécialité"

 

Évidemment, lorsque les maisons d'éditions ont voulu renouveler leurs manuels au nom de la linguistique, elles se sont préoccupées de faire figurer parmi les auteurs de ces nouveau manuels, et à côté de maîtres du primaire et du secondaire dont la présence demeurait indispensable, au moins un enseignant du supérieur, dont le titre de "spécialiste" devait fonctionner auprès des maîtres comme une garantie évidente de la qualité produit proposé. Ainsi trouve-t-on Dubois, Lagane, Leeman (Paris X) et Genouvrier (Tours) chez Larousse, Peytard (Besançon) chez Bordas, Mitterand (Paris III) chez Nathan, Glatigny (Lille III) chez Hachette, Combettes et Tomassonne (Nancy II) chez Delagrave, pour ne citer que les principaux éditeurs.

Cependant, malgré la présence de ces linguistes, et l'exception de la série Bâtir une grammaire, qui n'eut justement pas de succès auprès des enseignants (sans doute parce qu'elle renouvelait vraiment les points de vue et la démarche d'étude...), la plupart de ces manuels qui se réfèrent à la linguistique ne sont pas meilleurs et ne se sont pas révélés plus efficaces que les autres manuels plus traditionnels.

Cela tient d'abord à ce que le domaine qui nourrit principalement la grammaire scolaire est tout de même la syntaxe, et que la plupart des universitaires auteurs ne sont pas des syntacticiens, mais des lexicologues ou des lexicographes (spécialistes du vocabulaire et des dictionnaires).

Cet accaparement de la présentation scolaire de la syntaxe par des personnes qui n'en sont pas vraiment des spécialistes(5) soulève tout le problème de la vulgarisation scientifique. Certains s'imaginent volontiers, notamment dans les milieux enseignants, que n'importe qui peut devenir vulgarisateur ; il suffirait de lire les travaux et les recherches des autres, et d'en faire ensuite un résumé dans une langue simple et accessible au plus grand nombre.

Ce n'est pas vrai, et il ne peut y avoir de bonne vulgarisation de qui n'est pas soi-même en prise avec la recherche active, le seul niveau où se mesurent la complexité des problèmes et la portée des diverses solutions possibles, le seul aussi d'où peuvent s'apprécier l'exactitude comme les conséquences d'une présentation simplifiée à fin de large diffusion.

"L'exploitation pédagogique" de la grammaire générative transformationnelle, liée à Chomsky, est tout à fait révélatrice à cet égard. Cette théorie a en effet été vulgarisée et diffusée au niveau enseignant par la série de livrets et de films Comment s'initier à la linguistique, parue chez Larousse en 1974, et les ouvrages de C. Nique, parus chez Colin et CEDIC entre 1974 et 1978, mais surtout (et presque essentiellement) par les manuels scolaires de Genouvrier pour le primaire, et de Dubois, Lagane et leurs collaborateurs pour le secondaire. Or, il faut bien dire qu'aucun de ces ouvrages de vulgarisation n'est satisfaisant, et que certains, dont les manuels scolaires, sont proprement catastrophiques. Ils proposent en effet une vision dogmatique et caricaturale d'une théorie qui n'est justement pas figée et dont seule la méthodologie (si elle avait seulement été présentée, ce qui n'est pas le cas) pouvait apporter beaucoup à l'enseignement, beaucoup plus en tout cas que ces aspects techniques qui ont été montés en épingle et dont l'intérêt pédagogique est fort relatif, d'autant qu'ils ont été manipulés par des maîtres qui n'en comprenaient pas la véritable signification. Et ce n'est pas après avoir recopié(6) à longueur de cahier et d'année ces fameux "arbres" (qui, d'un point de vue théorique, sont presque toujours faux et discutables...) que les enfants se sont mis à mieux parler ou à mieux écrire...

Mais pouvait-il en être autrement, alors que tous ces auteurs ne sont pas des spécialistes de cette théorie, qu'ils ne l'ont jamais vraiment manipulée eux-mêmes dans des recherches effectives, et que certains n'ont même jamais fait de véritables travaux de recherche linguistique ?

Cette utilisation plutôt ratée de travaux et de recherches qui pourraient pourtant renouveler vraiment l'enseignement de la langue maternelle, tient aussi à ce qu'un manuel scolaire est d'abord destiné à des enfants et des adolescents, qu'on doit aider à mieux maîtriser l'usage de leur langue maternelle, écrite et orale, mais dont on n'a pas à faire des linguistes. C'est là tout le problème de l'adaptation d'un contenu (ce que la linguistique dit de la langue) à des fins qui ne sont pas celles de la recherche linguistique. À cet égard, les universitaires ne sont pas nécessairement les mieux placés, surtout lorsqu'ils ont perdu tout contact réel avec les milieux enseignants du secondaire depuis quinze ans et plus, ou, pire, quand ils n'en ont jamais été membres (cela se voit...), et qu'ils n'ont donc aucune expérience vécue de ce que signifie vraiment (en termes de contenu comme de mise en forme) le fait d'avoir à conforter des enfants francophones dans leur langue maternelle.

Mais il ne suffit pas non plus d'être resté proche des praticiens pour que tout soit résolu. Car la tentation est grande alors de répondre à leur demande pressante, concernant leur pratique quotidienne, et de leur proposer des recettes (des schémas de leçons, des exercices tout faits, etc.). C'est ce qu'ont fait certains (E. Genouvrier, par exemple), sans voir que "l'aide" ainsi fournie est tout à fait relative, car un exercice qui "passe" bien dans une classe, ne "passe" pas forcément aussi bien dans une autre classe, et que l'on détourne ainsi les praticiens de s'informer et de faire l'effort d'adapter un contenu (qu'eux-mêmes connaîtraient bien) à une classe particulière, toujours "unique" et qui est la leur. Et s'il est un domaine où cette adaptation est absolument fondamentale, c'est bien celui de la langue.

 

Et surtout des inspecteurs

 

Néanmoins, même si les universitaires sont devenus depuis peu des auteurs (ou plutôt des coauteurs) prisés des éditeurs, ils ne comptent pas parmi les personnes dont la collaboration est la plus recherchée, et qui sont les professeurs et directeurs d'École normale, et surtout les inspecteurs.

On comprend aisément pourquoi. De par leur fonction, les uns et les autres se trouvent à des niveaux-charnières, où leur intervention auprès des élèves-maîtres, ou des instituteurs-PEGC, peut être tout à fait déterminante pour la réussite commerciale (ou l'échec) d'un manuel. Et les éditions Nathan, comme le GIDEC(7) ne s'y sont pas trompés, qui n'hésitent pas à offrir chaque année aux IDEN (inspecteurs départementaux de l'Éducation nationale) repas et cocktail dans les plus grands hôtels de Paris ou de province, au moment de leur congrès syndical ou des "journées officielles" organisées par le ministère à leur intention. Et apparemment les IDEN n'éprouvent aucun scrupule à répondre à cette invitation, et n'y voient pas d'arrière-pensée !

 

 

Mais pour obtenir que des professeurs et directeurs d'École normale ou des inspecteurs recommandent un manuel plutôt qu'un autre, peut-on trouver un moyen plus efficace que d'en faire des auteurs ? Voilà pourquoi, depuis quelque vingt ans, ces catégories d'enseignants sont sur-représentées parmi les auteurs de manuels. Qu'on en juge : chez Hachette, parmi les auteurs de la série les Chemins de l'expression, M. Obadia est directeur d'École normale, R. Dascotte est IDEN, L. Collignon est directeur d'études au centre de formation des PEGC de l'École normale de Lille ; chez Larousse, dans la série Apprendre le français, dirigée par J. Dubois et R. Lagane, on trouve : F. Marchand, directeur d'École normale, A. Mauffrey, professeur d'École normale, M. Daumas, professeur chargé de cours à l'École normale de Saint-Germain-en-Laye ; chez Nathan, dans la collection Éveil aux langages, dirigée par F. Marchand, on trouve P. Tarel, IDEN ; et la méthode d'apprentissage de la lecture Au fil des mots est dirigée par Ch. Touyarot, professeur d'École normale, tandis que la méthode plus ancienne mais toujours utilisée, Daniel et Valérie, a comme coauteur R. Vincent, inspecteur de l'enseignement primaire. Enfin, chez Bordas, la collection Des signes et des phrases est cosignée par R. Cuby, inspecteur pédagogique régional, et chez Colin-Bourrelier, la collection Notre langage compte parmi ses collaborateurs A. Parlant, IDEN. Ainsi en est-il dans les grandes maisons d'éditions scolaires. Mais c'est la même chose ailleurs : R. Toresse, inspecteur-professeur à l'École normale de Lyon est un des auteurs des éditions OCDL, de même que J. Foucambert, inspecteur primaire devenu "chercheur" à l'INRP. G. Rémond, IDEN, est aux éditions Retz, qui diffusent les travaux du Centre d'étude et de promotion de la lecture. Enfin, R. Bonnet, IDEN, a valu quelque succès aux éditions de l'École, grâce à ses manuels d'exercices structuraux.

Les responsables de niveau supérieur (inspecteurs d'académie, inspecteurs généraux) ne sont pas absents de cette grande foire commerciale. Ils sont à l'occasion auteurs de manuels, mais ils sont surtout avec plus de "discrétion" (et sans doute aussi de profit) directeurs de collection(8), tel L. Legrand, ancien inspecteur d'académie, ancien directeur du service de la recherche pédagogique à l'INRP, chez Nathan ; tel encore J. Leif, inspecteur général, qui est à la fois chez Colin, chez Delagrave et chez Nathan (où il a également écrit de nombreux ouvrages à l'intention des élèves-maîtres des Écoles normales).

Ce faisant, les maisons d'éditions scolaires ont fait un calcul commercial doublement judicieux. D'abord parce que ces auteurs (aidés par leurs collègues) s'occupent assez activement de faire vendre leurs manuels, et n'hésitent pas, semble-t-il, à utiliser à cet effet leur pouvoir administratif. Comme en témoigne cette note de service, reproduite dans la revue mouvement Freinet, l'Éducateur, de février 1979 (p. 21)

 


INSPECTION DÉPARTEMENTALE
DE L'ÉDUCATION NATIONALE
F... le 24 février 1977
F... Il

Note de service n° 11
MÉTHODE DE LECTURE

Monsieur P..., I.D.E.N. à F... I, a expérimenté et mis au point une nouvelle méthode de lecture "Pas à pas vers la lecture". Cette méthode associe étroitement l'éducation corporelle (schéma corporel, latéralisation, éducation spatio-temporelle, éducation visuelle et auditive), l'apprentissage de la lecture et celui de l'écriture. La progression est établie à la fois en fonction de la prise de conscience de leur corps par les enfants et à la fois en fonction de critères psychologiques et linguistiques.
Par un montage audio visuel d'une demi-heure suivi d'une discussion, M, P... présentera sa méthode à
B. . G le mardi 22 mars 1977 à 17 h (secteurs de B. et G .)
P... G. le vendredi 25 mars 1977 à 17 h (secteurs de P. et S.. ).
J'attacherais du prix à une participation nombreuse des institutrices et des instituteurs chargés de C.P. à cette présentation.
Afin de me permettre d'organiser au mieux cette réunion, vous voudrez bien me retourner le talon ci-dessous pour le 5 mars 1977 après l'avoir complété.

L'Inspecteur Départemental
de l'Éducation Nationale

 

L'Éducateur n'hésite pas à parler à ce propos de "racket pédagogique" et de "trafics d'influence". Avec raison, mais il est bien seul dans ce combat, car, curieusement, ni les syndicats, de quelque bord qu'ils soient, ni les associations de spécialistes n'abordent jamais cet aspect de la réalité scolaire, qui, sans être peut-être toujours aussi voyant et cynique, n'en existe pas moins. Solidarité oblige ? Mais envers qui, et au service de quoi ?

En en faisant des auteurs, les éditeurs ont surtout obtenu que les inspecteurs ne portent plus le moindre jugement public sur les ouvrages de leur spécialité, comme ils le faisaient encore entre les deux guerres dans les revues semi-officielles de l'Éducation nationale. Or, même si l'on peut douter qu'en l'état actuel de leur formation et de leur mode de recrutement, les inspecteurs (généraux ou départementaux) soient les plus qualifiés pour juger du contenu d'un manuel, et même de sa mise en forme pédagogique, il n'en reste pas moins que la première arme contre la médiocrité consternante des manuels demeure une étude critique sérieuse de ceux-ci. À cet égard, on ne peut que s'étonner qu'en une période de "consumérisme", où les consommateurs s'organisent de plus en plus et font tester les produits qui leur sont présentés, et à propos desquels ils exigent des renseignements précis et publics, il y ait un "produit" sur lequel le silence demeure absolu et qui est le manuel scolaire. Car les maisons d'éditions ont remarquablement atteint leur objectif : on ne sait rien des produits qu'elles proposent, ni dans quelles conditions exactes ils ont été "fabriqués", encore moins comment et par qui ils ont été "agréés" et elles ne supportent pas le moindre compte rendu critique un peu indépendant.

Les enseignants non plus, assez paradoxalement, qui finissent par ne plus penser que le manuel est un "produit" comme un autre, sur lequel puisse être porté un jugement global (favorable ou défavorable) de qualité, qui ne soit pas un jugement sur la personne de l'auteur. Toute critique est alors ressentie comme une "incorrection" vis-à-vis d'un collègue auteur presque toujours crédité de "bonnes" intentions. Que les auteurs ne se lancent pas dans la composition d'un manuel avec le seul but avoué cyniquement de gagner de l'argent, nul n'en disconviendra. Mais qu'ils n'aient aucune arrière-pensée intéressée, il est permis d'en douter, et les exemples d'enseignants tels que Souché, et ceux qui, comme lui, refont tous les cinq ou dix ans de "nouveaux" manuels, devraient rendre les enseignants moins naïfs et plus circonspects. Ils devraient apprendre aussi à ne pas se satisfaire trop facilement de ces "critiques" qui, en dosant trop subtilement les réserves et les approbations, dans un style volontairement aseptisé, ou en multipliant les remarques pointillistes, finissent par n'avoir plus aucune valeur informative réelle, ni aucune portée. Comme le sont les trop rares comptes rendus publiés par 1'AFEF(9), qui n'a jamais eu, et n'a sans doute jamais voulu avoir de véritable politique, ou plus simplement de ligne de conduite vis-à-vis du phénomène de l'édition scolaire, et n'a donc pas joué dans ce domaine le rôle qu'elle aurait dû jouer. Son audience réduite parmi les enseignants de français n'y est sans doute pas totalement étrangère.

 

Quelques mesures urgentes

 

Les manuels ne sont pas également indispensables à tous les niveaux de la scolarité, dans ce domaine si particulier de la langue maternelle. Et un certain nombre de travaux d'exploration de la langue, qui sont sûrement beaucoup plus formateurs que les exercices habituels, et beaucoup plus aptes aussi à intéresser des élèves de 13-15 ans, ne pourront jamais figurer dans des manuels.

Mais il faut être réaliste. Les enfants doivent avoir des outils de référence, et l'on devrait leur apprendre, beaucoup plus systématiquement qu'on ne le fait actuellement, à les utiliser pour trouver une information ou vérifier un renseignement. Quant aux maîtres, ils ne sont pas actuellement assez formés, ni motivés, pour pouvoir travailler sans livre, et mettre en forme eux-mêmes en une leçon adaptée à des élèves précis et illustrée d'exercices ayant une signification réelle, des informations grammaticales cohérentes et fiables.

Si les manuels apparaissent ainsi nécessaires, la situation actuelle est inadmissible à tous égards, et un certain nombre de mesures pourraient et devraient être prises, qui amélioreraient immédiatement les choses, sans coût particulier.

 

1. Aucun manuel ne devrait être publié sans être aussitôt l'objet d'un compte rendu extrêmement précis, portant sur son contenu strictement scientifique mais aussi sur sa présentation didactique, de telle sorte que les enseignants - et les parents - soient dûment avertis de la valeur du nouveau produit qui leur est proposé. Et cet examen devrait être assuré non par l'administration, mais par des groupes d'experts, dont le mode de désignation, quel qu'il soit, devrait garantir l'indépendance vis-à-vis des différentes parties concernées.

Ce travail d'appréciation est largement admis pour tous les autres types de produits de consommation. Il n'est pas normal qu'il ne soit pas encore de règle dans un domaine aussi important que celui de l'édition scolaire, où il suffirait à améliorer la qualité des manuels proposés, et à réguler ainsi un marché énorme sur lequel règnent des sociétés d'éditions toutes-puissantes, face à une clientèle d'enseignants et d'élèves qui sont des acheteurs forcés, et techniquement démunis.

 

2. Pour que soit garantie l'indépendance des maîtres, qui demeure la condition primordiale d'un enseignement de qualité, une séparation stricte devrait être maintenue entre ce qui relève de la "pédagogie" et ce qui concerne la gestion administrative du corps enseignant.

À quelque niveau que ce soit (départemental, académique, national), un inspecteur est sans doute chargé de tâches d'animation pédagogique, mais il a aussi, et avant tout, une responsabilité administrative de notation, dont dépend la carrière de chaque maître.

Il ne devrait donc pas être admis qu'un auteur de manuel - dont le souci ne peut être que de faire utiliser son manuel, qu'il doit forcément juger meilleur que les autres - puisse devenir (ou rester) inspecteur, et se trouver ainsi en mesure d'user de cette qualité pour faire pression, directement ou non, sur les maîtres qu'il est chargé de noter, à propos du choix d'un manuel. Et l'incompatibilité entre cette responsabilité d'inspection et la qualité d'auteur de manuel devrait être stricte au point qu'un inspecteur en poste publiant un manuel serait immédiatement déchargé de ses fonctions, et réintégré dans son corps d'origine.

Quant aux auteurs de manuels-inspecteurs actuellement en exercice, il ne saurait être question de les obliger à renoncer à leurs fonctions, puisqu'ils n'ont contrevenu à aucune règle au moment où ils se sont mis dans cette situation. Mais pour assurer sans retard la liberté des instituteurs beaucoup plus dépendants de leur inspecteur départemental que ne le sont les agrégés et les certifiés d'un inspecteur général, il pourrait être établi à titre transitoire que les manuels dus à des inspecteurs départementaux ou académiques ne sont pas utilisés dans l'académie d'exercice de leurs auteurs.

Il n'est peut-être pas opportun d'étendre cette incompatibilité aux Écoles normales, encore qu'il soit un peu naïf d'attendre, qu'un directeur (ou professeur) d'École normale (ou un inspecteur-professeur) auteur de manuel puisse présenter à des élèves-maîtres, dont les conditions de recrutement ne peuvent garantir l'indépendance intellectuelle, une information sur les manuels scolaires qui serait impartiale, ou simplement lucide.

En revanche, tant que le statut et le mode de fonctionnement de l'INRP (Institut national de recherche pédagogique) sont ce qu'ils sont, il n'est sans doute pas bon que le directeur, à tout le moins le responsable de la recherche pédagogique, soit un auteur de manuel, étroitement lié à une maison d'édition, comme cela a été le cas de L. Legrand (inspecteur d'origine, par ailleurs) pendant longtemps. Certes L. Legrand n'a jamais manqué de faire valoir que, sans ses liens personnels avec l'édition scolaire, les travaux de l'INRP n'auraient pas trouvé d'éditeur. Ce n'est peut-être pas tout à fait faux, mais il n'est pas non plus évident que la diffusion des recherches de l'INRP, menées sans aucun contrôle ni aucune garantie scientifiques, et où le pire côtoie l'acceptable, ait toujours été positive. Il reste que c'est une situation malsaine, dont chacune des parties a indirectement tiré profit, sans que la recherche proprement dite y ait certainement gagné.

[Pp. 64-77]

[…]

 

La "rénovation" de l'enseignement du français

 

[…] Compte tenu de l'indigence profonde de ces "fondements" linguistiques dans le texte du Plan de Rénovation, on est fondé à se demander si tout cela n'est pas un artefact d'un questionnaire discutable, à la fois trop long et proposé à un nombre trop réduit de maîtres. Les responsables en ont eu conscience, qui ne cessent de souligner l'aspect "pré-expérience" de ce travail, dont l'intérêt aurait été surtout de tester une méthode, de voir ce que l'on en tirait, ainsi que des traitements statistiques. Peut-être, mais comme pour l'évaluation des capacités syntaxiques des enfants (qui, dans un projet plus ambitieux et plus démesuré encore, devaient être mises en relation avec les types de pédagogies ainsi définies), la question demeure posée de savoir si ce genre de recherches et d'analyses, très coûteux à tous points de vue, était bien le plus urgent dans une entreprise de rénovation de l'enseignement de la langue maternelle, et s'il pouvait être mené par les différents partenaires des équipes expérimentales. La réponse ne peut être que négative, et il est tout à fait dommage que, pour effectuer ces travaux pour lesquels ils n'avaient pas la formation nécessaire (ce qui en explique les déficiences fondamentales), les membres de cette expérimentation se soient détournés de tâches plus modestes sans doute, mais beaucoup plus indispensables, et n'aient finalement jamais produit quoi que ce soit de vraiment précis et généralisable dans les différents domaines où un apprentissage technique est la clé d'une maîtrise réelle de la langue.

Car ce dont les maîtres ont besoin pour modifier quelque peu leur enseignement, ce n'est pas de recherches théoriques ambitieuses sur le système éducatif, pas plus que de descriptifs de séquences pédagogiques ponctuelles qui n'ont souvent d'intérêt que par rapport à une classe donnée, mais d'indications de contenu et de méthodes qui leur donnent le recul et la sécurité intellectuelle sans lesquels ils ne pourront jamais adapter à leurs propres élèves ce qui a été fait, et éventuellement réussi, ailleurs.

 

Un livre invraisemblable

 

De ce point de vue, cette expérimentation a été un échec relatif, dont témoigne, hélas, trop bien, le livre d'H. Romian, Pour une pédagogie scientifique du français. La présence, assez inattendue, de l'adjectif "scientifique" accolé au mot "pédagogie", lui-même associé à une "discipline" qui n'a jamais passé pour faire partie des sciences "dures" ou exactes - à l'école encore moins qu'ailleurs - laisse déjà perplexe, et l'on est en droit de se demander si l'emploi de cet adjectif relève de l'inconscience ou de la provocation. Car, à moins de galvauder le terme "scientifique", il est évident, dans l'état actuel des connaissances touchant au développement cognitif, aux processus d'apprentissage, aux rapports entre un groupe d'enfants et un adulte, dans l'acte d'enseignement en particulier, qu'il n'y a pas, et qu'il ne peut pas y avoir de pédagogie "scientifique", de quelque discipline que ce soit.

Mais ce terme, et quelques autres de sens proche, sont utilisés tout au long de ce livre avec une surabondance lassante, de façon quasi incantatoire, comme s'il suffisait d'affirmer avec force qu'une expérience, qui fut en réalité sans rigueur conceptuelle ni méthodologique, est "scientifique" pour que celle-ci le devienne comme par magie. On y perçoit très bien en tout cas le détournement de cette expérimentation, qui n'est jamais rapportée en termes précis, par rapport à des réalisations et des faits effectifs, datés - et vérifiables - mais toujours d'une façon globale et générale, - "théorique" aux yeux de l'auteur -, qui en limite singulièrement la portée et l'intérêt.

Car, en dépit du titre qui pourrait laisser entendre qu'il s'agit d'un ouvrage consacré à la pédagogie de la langue maternelle, rien de précis n'est dit sur le contenu (et la méthodologie) de cet enseignement, ni sur la lecture, ni sur l'orthographe, ni sur la grammaire, entre autres, bref, sur aucun de ces points qui ne s'acquièrent pas sans un apprentissage technique, et dont la connaissance et le contrôle constituent fondamentalement ce que l'on appelle la maîtrise de la langue, écrite ou orale.

Au lieu de cela, on trouve des développements prétentieux sur la nécessité de "transformer le système scolaire en milieu de vie stimulant", et de définir "des lois de l'action pédagogique" par le biais de "l'innovation contrôlée", dans le cadre d'une "équipe interdisciplinaire de terrain", où la langue maternelle apparaît bien oubliée au profit d'objectifs exorbitants, que leur excès même rend inaccessibles. Le tout dans un style abstrait et ampoulé, binaire jusqu'à la caricature, et avec la volonté (de plus en plus affirmée au fur et à mesure que se déroulait l'expérimentation) de tout englober et de tout résoudre, que l'on peut à la rigueur juger généreuse, mais qui n'en est pas moins à l'antipode d'une attitude scientifique sérieuse(10).

Mais ce style globalisant permet à l'auteur de donner à cette recherche, après coup, une cohérence et une consistance qu'elle n'a pas eues dans la réalité, et surtout de désamorcer à l'avance toute possibilité de contestation ou de discussion. Que peut-on en effet opposer au flou et au vague ? Comment mettre en cause "l'innovation" quand celle-ci n'est jamais désignée autrement que par l'article générique, et qu'il ne s'agit jamais, pas même au détour d'une page, d'une innovation effective précise ? Que peut-on objecter à " l'équipe interdisciplinaire de terrain" où les universitaires ont une place officielle (sinon qu'il est utopique et déraisonnable de vouloir leur présence régulière dans les classes), alors que rien ne peut laisser entendre non seulement qu'aucune équipe n'a jamais fonctionné selon ce schéma idéal, mais surtout que tout fut fait au contraire durant tout le déroulement de l'expérimentation pour que les vrais spécialistes n'aient aucun droit véritable d'orientation du contenu des recherches, et encore moins d'évaluation de celles-ci, et que l'énorme entreprise de "validation" que fut le "questionnaire d'identification des pédagogies du français" (seule présentée de façon un peu plus concrète dans ce livre) se fit entièrement sans eux ?

C'est qu'en rédigeant cet ouvrage, l'auteur, à l'évidence, ne souhaitait pas la discussion, et encore moins la mise en cause ou même simplement une critique sérieuse de ce qui avait été fait. Il s'agissait bien plutôt d'un plaidoyer pro domo - avec ce que ce genre comporte de généralisation et d'embellissement indispensables - comme elle n'a cessé d'en faire un peu partout à partir du moment où les crédits affectés à l'expérimentation ont été réduits, dans une sorte d'apostolat militant, sans jamais vouloir s'interroger lucidement sur le déroulement et le contenu de celle-ci.

Et en fin de compte, en dépit de toutes ces "recherches", la rénovation de l'enseignement du français reste à faire, entièrement. [104]

[Pp. 99-104]

 

L'institution INRP

 

[…]

Dans un tout récent numéro de Recherches pédagogiques encore, l'évaluation des performances des élèves en français est résumée en trois pages, sans qu'on puisse avoir la moindre idée de ce qu'ont fait vraiment les élèves, et surtout de la manière dont les épreuves ont été corrigées et les statistiques effectuées. On apprend de même qu'un test de lecture silencieuse a été proposé aux élèves à leur entrée en 6e en octobre 1978 et à leur sortie de 5e en mai 1980, dont rien n'est dit, sinon qu'il est "constitué de textes courts (paragraphes de quatre à six lignes) suivis chacun de cinq questions auxquelles l'élève ne devait répondre que par quelques mots trouvés dans le texte, la structure de la phrase-réponse lui étant fournie". Aucun exemple, bien entendu. Aucun mot non plus sur la correction du test et le barème de notation, qui ont pourtant servi à établir des pourcentages et des courbes qui, eux, sont présentés. Mais que valent ces chiffres et ces courbes dont on ne sait pas comment ils ont été obtenus ? Quel est leur intérêt ? Et quelle est cette démarche, qui veut se faire passer pour scientifique sans vouloir se soumettre aux conditions d'une appréciation scientifique ?

 

La lecture, entre autres

 

Les "recherches" de J. Foucambert sur la lecture méritent de même quelques commentaires, en raison du succès que rencontrent les thèses de ce "chercheur" dans les Écoles normales, avec l'aide active de l'Association française pour la lecture, et surtout de leur reprise (interprétée par certains comme une consécration) dans le rapport officiel sur l'illettrisme (dont l'un des coauteurs, directeur d'École normale, n'est autre que le président de cette même AFL).

Le soutien de cette association, qui s'apparente beaucoup plus à un mouvement d'animation pédagogique qu'à une association véritablement scientifique (comme le prouvent son implantation exclusive dans les milieux de l'enseignement primaire, et l'absence totale parmi ses adhérents de chercheurs de l'enseignement supérieur ou du CNRS), ne saurait être considéré pourtant comme une confirmation de la validité, ou même de l'intérêt de ces thèses - pas plus d'ailleurs que son affiliation à l'International Reading Association, qui a un peu les mêmes caractéristiques.

Mais on découvre à nouveau que les "recherches" de J. Foucambert n'ont jamais fait l'objet de publications scientifiques précises et détaillées qui donneraient la possibilité d'en apprécier vraiment la démarche méthodologique et les résultats, pas plus d'ailleurs que ne sont réellement connues les "expériences" censées en avoir prouvé les bienfaits pédagogiques, et dont les comptes rendus explicites permettraient seuls de juger ce qui doit être attribué aux hypothèses "théoriques" sous jacentes, et ce qui relève au contraire de l'enthousiasme militant de quelques maîtres, souvent placés d'ailleurs dans ce type de recherches pédagogiques dans des conditions de travail facilitantes, mais non généralisables. Et il apparaît d'autant plus étonnant que des sommes d'argent apparemment importantes aient été récemment affectées à l'exploitation (par micro-ordinateurs) et à la généralisation de recherches dont la valeur scientifique est tout à fait incertaine, et le profit pédagogique réel - et à long terme - encore moins sûr.

Car les "thèses" de J. Foucambert, assenées de façon tranchante dans son livre la Manière d'être lecteur, n'ont vraiment rien d'assuré, et il est pour le moins abusif - et dangereux - de projeter, comme il le fait sans la moindre précaution, ce que l'on peut (probablement, mais sans certitude) considérer comme des caractéristiques de la compétence d'un lecteur adulte entraîné, sur le processus d'apprentissage de la lecture par de jeunes enfants. Et il est tout aussi exagéré d'affirmer péremptoirement que la lecture est un phénomène fondamentalement "idéovisuel", et d'en déduire que tout irait mieux si l'on apprenait aux enfants à lire les mots comme des idéogrammes - sans tenir compte le moins du monde que notre écriture est pourtant phono-graphique, et transcrit des sons, c'est-à-dire la forme sonore des mots et non les idées qu'ils véhiculent, et que l'on maîtrise beaucoup plus vite et plus facilement une écriture de ce type qu'une écriture idéographique.

Il est sûrement nécessaire d'élargir la conception scolaire de l'apprentissage de la lecture, trop souvent entendue de façon étriquée, et que l'école ne s'en tienne pas au déchiffrement, et s'occupe effectivement d'apprendre aux enfants des techniques de lecture silencieuse et de lecture rapide. Mais tout cela n'est pas de même ordre, ni aussi important, et il n'est pas non plus évident que les techniques de lecture rapide, dont J. Foucambert s'est tant inspiré, favorisent et facilitent la découverte du code de transcription phono-graphique du français, dont la compréhension et la bonne assimilation commandent tout de même la maîtrise concrète de l'écriture - et de l'orthographe. Et l'on est fondé à s'inquiéter de ce que donneront dans la réalité des classes de telles thèses(11), cautionnées tout de même par l'INRP, lorsqu'elles seront exploitées par des maîtres moins soutenus que ceux avec qui travaille J. Foucambert, dont la plupart, pratiquement pas formés, n'ont aucune idée du fonctionnement de l'orthographe du français, et sont pour cette raison toujours prêts à se laisser séduire par tout ce qui leur permet d'échapper à ce qu'ils ne maîtrisent pas.

 

Quelques suggestions de bon sens

 

Pour que l'INRP puisse remplir correctement son rôle particulier et que les recherches qu'il patronne soient d'un meilleur niveau et d'une plus grande efficacité que cela n'est le cas actuellement, un certain nombre de conditions paraissent indispensables.

Les unes sont d'ordre législatif et administratif et concernent le statut et la mission de l'établissement, qui devraient être redéfinis de façon beaucoup plus nette. En particulier, si l'Institut n'a pas pour seule vocation la mise en forme et l'impulsion pédagogiques, mais aussi une recherche plus nettement fondamentale (ou théorique) sur le système éducatif ou les contenus disciplinaires, il faut qu'il soit doté des moyens nécessaires à cela, en termes de publication notamment, mais aussi qu'il soit soumis aux règles de garantie d'une recherche de qualité, à propos du recrutement des chercheurs, de la définition des projets de recherche et de l'évaluation des recherches pendant leur déroulement et après leur achèvement.

En ce qui concerne le recrutement des chercheurs, s'il paraît souhaitable que ceux-ci aient une expérience d'enseignant, celle-ci ne saurait être un critère suffisant, et l'on devrait exiger des candidats, beaucoup plus que l'appartenance à un grade précis (qui n'a pas grand sens, en dehors de raisons budgétaires), un niveau de formation théorique et méthodologique garanti par des titres universitaires précis. Cette contrainte, qui n'a rien d'excessif, aurait l'avantage d'éliminer les candidatures trop négatives (indétectables, dans l'état actuel), et redonnerait espoir aux meilleurs des enseignants qui ont le courage d'entreprendre un travail de recherche, et qu'on ne devrait pas décourager comme on le fait actuellement, si l'on ne veut pas que l'enseignement sombre dans une médiocrité redoutable. Enfin le statut de chercheur à l'INRP devrait être obligatoirement temporaire, de façon à éviter les recherches interminables qui ne sont pas toujours les meilleures.

Par ailleurs, il vaudrait sans doute mieux, pour des raisons méthodologiques, que les recherches sur le contenu de l'enseignement d'une discipline et celles portant sur la mise en forme de ce contenu ou les techniques pédagogiques les plus appropriées à sa présentation, soient plus nettement dissociées même si elles ne doivent pas l'être entièrement. Celles qui portent sur le contenu ne devraient pas, à l'évidence, être menées sans la participation d'un spécialiste à qui serait réservé un rôle fondamental dans l'organisation et le déroulement du travail. Cela signifie que les universitaires ne doivent pas être des personnes à qui les chercheurs de l'INRP sont invités à "faire appel" - selon la formule de F. Best, tout à fait ambiguë en ce qu'elle implique de désir de caution scientifique, et en même temps de méfiance - mais des membres à part entière dans les recherches ayant, par leur compétence particulière dans un domaine de connaissance précis, un droit de jugement et de décision sur certains aspects du contenu de la recherche, et dont la responsabilité scientifique serait, de ce fait, engagée.

Enfin aucune recherche ne devrait pouvoir se dérouler sur quelque durée que ce soit, sans être régulièrement évaluée (dans des conditions de même type que celles régissant les commissions du CNRS) par des experts extérieurs à la recherche, à qui serait demandé un jugement scientifique sur les références théoriques et la démarche méthodologique des travaux entrepris. […]

[Pp. 116-120]

 

Les limites de la formation continue

 

Il a été de bon ton, ces dix dernières années, dans les milieux syndicaux notamment, de vanter l'importance et les mérites de ce type de formation, grâce auquel, dans tous les secteurs d'activité, les salariés de toutes origines et de tous niveaux ne devraient pas, cesser, leur vie durant, de mettre à jour leurs connaissances, de s'adapter aux modifications techniques et économiques sans cesse mouvantes, et d'améliorer ainsi en même temps leur situation professionnelle.

On commence à en revenir. Et à savoir, après quelques années d'expérience de stages en tous genres, et à la lumière de mouvements sociaux récents (Talbot-Poissy dans le secteur automobile, la sidérurgie lorraine), que la formation continue ne fait pas les miracles que l'on attendait (un peu trop naïvement) d'elle, et échoue même totalement là où la formation initiale a été faible ou inexistante(12). En d'autres termes, que la formation continue ne peut pas pallier une formation initiale insuffisante, et que celle-ci commande de façon tout à fait cruciale le devenir social et professionnel de chacun, à court et plus encore à long terme.

Ce qui est vrai du monde du travail manuel l'est certainement autant, et sans doute davantage, du travail intellectuel et de l'enseignement. Ceux qui pourront tirer profit d'une formation continue (qui reste d'ailleurs entièrement à définir) sont ceux-là - et ceux-là seulement - qui auront eu une formation initiale assez solide et sérieuse pour être capables de reprendre ou de poursuivre un travail réellement intellectuel (avec ce que cela suppose nécessairement d'effort de lecture, de compréhension et d'assimilation). Car on ne soulignera jamais assez qu'il ne saurait y avoir de formation continue valable pour les maîtres, qui porterait seulement sur la "pratique" pédagogique, et qui ne comporterait pas de mise à jour des connaissances ou d'acquisition de nouvelles connaissances, indispensables pour que l'enseignement proposé aux enfants demeure substantiel et conserve quelque efficacité.

Cela ne signifie pas, bien entendu, qu'il ne faille pas prévoir et réclamer la mise en place d'une formation continue pour tous les enseignants. Mais il ne faut pas en attendre des merveilles, ni que l'enseignement du français en soit considérablement amélioré, si l'on ne modifie pas en même temps, assez radicalement, la formation initiale des maîtres dans ce domaine. Ajoutons que, si l'on veut que la formation continue ait quelque effet et soit autre chose qu'un aimable divertissement, elle doit, comme la formation initiale, répondre à un certain nombre de conditions de contenu et d'encadrement. De ce point de vue, ce qui s'est fait dans ce secteur, de façon légale(13), pour les instituteurs justement, ne peut être considéré comme satisfaisant et ne semble d'ailleurs pas avoir eu de grands effets.

D'après le bilan établi à la demande du ministère et publié dans Recherches pédagogiques(14), il apparaît en effet que ces stages de formation continue (qui pouvaient aller de deux à douze semaines) ont porté sur des sujets extrêmement variés, beaucoup trop variés certainement, car même si tous les thèmes recensés présentent quelque intérêt, on ne peut pas dire que tous soient d'une égale importance, et surtout d'une égale urgence (l'initiation à la guitare, par exemple, ou 1'"ethnographie du milieu local"...), eu égard aux insuffisances de l'école élémentaire dont le nombre de retards scolaires témoignait pourtant crûment en 1972.

Les contenus disciplinaires n'y ont manifestement pas été prioritaires, et même si le français devance nettement les mathématiques, "l'apport de connaissances" n'a jamais tenu qu'une maigre place, loin derrière la "didactique des disciplines" et surtout "l'organisation de la classe".

Cela tient, à l'évidence, à ce que les stages ont été confiés, de fait, aux Écoles normales, et pris en charge essentiellement, voire exclusivement, par le personnel de ces établissements, professeurs d'École normale, IDEN, conseillers pédagogiques. Sans doute ces équipes d'encadrement ont-elles été parfois élargies à d'autres personnes, y compris des enseignants du supérieur, mais ceux ci n'ont pas été particulièrement sollicités, et n'ont, de toute façon, jamais eu d'autre rôle que celui d'intervenants ponctuels dans des stages dont les thèmes et l'économie générale avaient toujours été décidés en dehors d'eux.

Compte tenu pourtant du niveau et du contenu de leur formation, on ne pouvait guère s'attendre que les professeurs d'École normale et les IDEN puissent faire en formation continue autre chose que ce qu'ils font (parce qu'ils n'ont pas les moyens de faire autrement) en formation initiale. On ne voit pas comment, en particulier, ils auraient pu être tout à coup plus sensibles à des problèmes de contenu, et apporter à des instituteurs insuffisamment (ou pas du tout) formés dans le domaine de la langue, des informations linguistiques plus complètes et de meilleure qualité que celles qu'ils dispensent aux élèves-maîtres. Les résultats de l'enquête publiés dans Recherches pédagogiques ne sont donc pas étonnants, mais il est permis de s'interroger sur la lucidité du législateur qui s'assigne un objectif (relever le niveau des maîtres du primaire) don l'enjeu est fondamental, et dans le même temps prévoit une organisation incompatible avec le but qu'il prétendait atteindre. Mais il est vraisemblable aussi que cette décision a été prise pour des raisons plus politiques que techniques, par complaisance à l'égard des diverses organisations issues des Écoles normales du primaire, qui ont toujours considéré et continuent à considérer, sans vouloir regarder la réalité en face, que le personnel qu'elles représentent est seul compétent et capable de former les instituteurs, et qui tiennent farouchement à ce que cette situation reste inchangée.

Il n'en demeure pas moins que, si l'on veut vraiment recycler des maîtres pratiquement pas formés, il faut d'abord leur donner les connaissances qui leur manquent et sans lesquelles ils ne pourront pas améliorer en profondeur leur enseignement, avant de les faire s'interroger sur des techniques de présentation et d'exploitation "pédagogiques" qui ne seront toujours que secondaires, et dont l'efficacité et l'intérêt seront toujours subordonnées à la valeur du contenu qu'elles sont destinées à faire passer. Il faut de plus que ces connaissances fondamentales leur soient proposées par des spécialistes qui en aient eux-mêmes une connaissance assez approfondie pour en saisir clairement l'organisation et la hiérarchie internes.

Mais il ne serait pas honnête de dénoncer les prétentions abusives des professeurs d'École normale et des IDEN, qui veulent enseigner la langue alors qu'ils n'en ont pas une connaissance sérieuse, sans dénoncer en même temps certaines insuffisances de l'enseignement supérieur, dans ce même secteur de la formation continue. Après le rapport de la Commission du Bilan, personne ne nie plus en effet qu'en 1968 et dans les années suivantes, les universités n'aient recruté un peu trop légèrement des personnes qui n'ont jamais fait et ne font aucune recherche, et qui ne sont pas à leur place dans le supérieur. C'est vrai de tous les secteurs, ça l'est malheureusement aussi en linguistique où, dans l'euphorie de l'après 68, on a engagé, sans précaution ni discernement, ou bien des candidats tout juste pourvus d'une maîtrise, qui n'ont pas su, ou pu, apporter ensuite la preuve de leur valeur, ou bien au contraire des enseignants du second degré qui, après quinze ou vingt ans de lycée, n'ont jamais pu s'adapter aux exigences du supérieur, et de la recherche en particulier. Ce qui est beaucoup plus ennuyeux, et inquiétant, c'est que ces personnes se soient, trop souvent, tournées alors vers la formation des maîtres et la "pédagogie du français", les unes parce qu'elles ont cru - à tort - que leur longue expérience du second degré leur donnait vocation - et ipso facto compétence - à former leurs collègues restés dans les lycées et collèges, les autres parce qu'elles ont trouvé là, sans se l'avouer, un moyen d'éviter un travail de recherche fondamentale qui ne les intéressait pas et leur paraissait beaucoup plus redoutable qu'un travail à destination d'un public enseignant dont l'incompétence pouvait laisser penser qu'il serait peu exigeant, et surtout moins sévère que les milieux linguistiques. On a eu droit ainsi, avec la complicité démagogique (et en même temps méprisante) de nombreux directeurs de recherche, à des thèses (de 3e cycle) de linguistique prétendument appliquée à l'enseignement, dont les titres, racoleurs ou prétentieux, ne suffisent pas à masquer un vide consternant et qui sont néfastes dans la mesure où elles contribuent à détourner les maîtres d'une étude sérieuse du fonctionnement de la langue vers des pistes incertaines et dangereuses, et surtout peu profitables pour les élèves.

De tels travaux ne font par ailleurs qu'entretenir - à juste titre - la méfiance des milieux universitaires à l'égard de la "pédagogie" - de façon dommageable en fin de compte pour l'enseignement de la langue maternelle. Car s'il est évident que la pédagogie n'est pas, et ne pourra sans doute jamais être un domaine scientifique, dont on puisse rendre compte par une théorie (au sens strict de ce terme), à la fois explicative et prédictive, il y a néanmoins des travaux à faire dans ce champ particulier de l'activité humaine, des descriptions notamment, qui, si elles étaient bien faites et précises à partir d'analyses linguistiques sérieuses, seraient extrêmement utiles et permettraient sans doute d'avancer un peu dans la connaissance des processus cognitifs d'apprentissage de la langue aussi bien que de la psychologie de l'enfant. Mais ces travaux sont longs, et relativement arides, dans leur minutie indispensable, et ils ne permettent évidemment pas ces grands développements faciles sur les "pratiques" socio-langagières qu'affectionnent tant les épigones zélés et peu critiques de Bourdieu qui parle lui-même des usages linguistiques sans s'être jamais donné le mal d'y regarder d'un peu près.

[Pp. 174-178]

 

© Hélène Huot, Et voilà pourquoi ils ne savent pas lire, Paris, Minerve, 1985, 195 p.

 

 

III. Robert Sabatier : "La base de mon savoir, je la dois à l'école communale"

 

[Ses joies libres de petit garçon dans les rues de Montmartre, puis ses tristesses et ses difficultés d'orphelin, Robert Sabatier les a déjà racontées dans les Allumettes suédoises. Il se penche ici sur ses années d'école primaire communale qui lui ont apporté un "terreau" fécond sur lequel le jeune apprenti en imprimerie, puis le jeune libraire aux Presses Universitaires de France, a pu construire un solide savoir grâce à ses lectures.
Pour devenir l'écrivain que nous connaissons...]

 

Il me reste encore maintenant beaucoup de connaissances de mes années d'école primaire communale ; aussi bien les fables et les récitations que les techniques de calcul mental ou que les paroles que nous faisait chanter le professeur de gymnastique en faisant nos mouvements. C'était à peu près cela : "Grand salut aux bras d'acier roux sous la lumière. Rien n'égale mon métier de vaillant..." Mais je ne me souviens plus de la dernière rime en -ier. Nous apprenions beaucoup de textes par cœur et me souviens encore de tous, des Fables de La Fontaine aux Émaux et Camées de Théophile Gautier ; je peux encore les réciter sans les avoir jamais relus.

Il faut dire que nos instituteurs nous incitaient fortement à les savoir sur le bout des ongles. Il y en avait un qui s'appelait Alonzo. On le surnommait la Chèvre parce qu'il avait un petit bouc. Il avait un fort accent du midi. Et quand un élève connaissait mal sa leçon, il lui disait d'une voix chantonnante : "Tu n'es qu'une moule". Je me souviens aussi d'un autre instituteur, M. Gambier, qui était bien plus sévère. Il pratiquait toujours assidûment la férule, ce coup de règle qu'on donnait sur le bout des doigts. Il avait également une manière de vous prendre par les petits cheveux sur les tempes, au niveau des oreilles, qui était très douloureuse. À part cette discipline très stricte, j'ai de très bons souvenirs de cet instituteur. Tous les matins, il rapportait de la banlieue où il habitait une pomme. Il la posait bien en évidence sur son bureau et disait : "Cette pomme sera pour le meilleur de la classe aujourd'hui !" Et nous passions la journée à contempler ce fruit...

 

Le fruit défendu

 

J'ai rarement pu goûter à la pomme car j'étais un très mauvais élève ; j'étais distrait, je ne pensais qu'à jouer, qu'à faire des farces avec mes camarades. À la sortie de l'école, nous chahutions nos instituteurs. Ainsi, le dénommé Gambier s'est appelé successivement Gambiche, puis Bibiche, et enfin Bibo. Nous nous cachions dans les couloirs tout le long de son passage et nous lui criions : "Ohé Bibo !" Ce qui avait le don de le mettre en rage.

Il y avait quand même un domaine dans lequel j'excellais, c'était la rédaction, la rédac' comme on l'appelait. Tous les vendredis, l'instituteur donnait un sujet, et le vendredi suivant, il lisait la meilleure copie avant d'annoncer le nouveau sujet. Chaque fois, quand le maître s'apprêtait à lire la meilleure rédaction, tous les visages de mes camarades se tournaient vers moi, et j'étais très fier. J'étais à ce point fier de mes rédactions qu'un jour j'ai décidé d'en écrire une en vers. J'avais écouté des poèmes du poète de la place du Tertre ; j'avais compris comment ça fonctionnait et je trouvais très jolie la petite rime à la fin de la phrase, qui sonnait comme une petite clochette. Je revois encore le sujet ; c'était "Le mendiant". J'avais écrit ces vers: "C'est un pauvre vieux sourd muet/ qui racle un violon faussé/ au seuil d'une porte cochère. Passant j'écoute la prière/que murmure le vieil archet". Ce vendredi-là, on n'a pas lu mon texte. L'instituteur avait marqué en marge un zéro, et dessous, cette phrase : "Ne forçons point notre talent, nous ne ferions rien de grâce : La Fontaine". Je me suis alors aperçu qu'il croyait que j'avais copié ce poème quelque part. Cet épisode m'a longtemps vexé. Et je ne pouvais pas chercher à le convaincre ; il y avait une telle distance entre le maître et les élèves ! Si je lui avais dit : "M'sieur, c'est pas vrai", j'aurais certainement eu cent lignes à copier.

 

La passion de l'écrit

 

Je suis ainsi arrivé jusqu'au certificat d'études primaires, et je l'ai eu, à ma propre surprise d'ailleurs. En fait, j'étais un cancre à l'école, mais en dehors, je passais mon temps à lire ; ce qui m'apportait un petit savoir, d'un autre ordre. J'apprenais ainsi l'histoire avec Alexandre Dumas et la géographie dans l'As des boy-scouts de Jean de La Hire. Ce roman d'aventure découpé en épisodes fixait mon imagination. Il s'agissait d'une course autour du monde entre six scouts anglais et six scouts français. Il leur arrivait toutes sortes d'aventures dans le monde entier. Ces lectures et l'école de la rue m'ont permis de pallier les manques dus à mon inattention et à mon désir de m'amuser plus que tout autre chose.

Ce goût de la lecture m'est venu très tôt. En fait, à 4 ans et demi, je savais lire et écrire. Je déchiffrais alors Le Journal de bébé. La lecture m'est venue naturellement; je ne sais pas moi-même pourquoi. Mais il y avait dans ma famille un très grand respect de l'écrit. Mon grand-père était ouvrier forgeron ; il a appris à lire et à écrire tout seul. Ensuite, quand il a épousé ma grand-mère - une petite fille orpheline qu'on louait chez les fermiers comme domestique - il lui a tout appris lui-même. Il respectait beaucoup les Lettres et quand il parlait d'Émile Zola, c'est comme s'il parlait du Bon Dieu en personne.

 

Sans famille

 

Cette passion s'est ensuite développée quand j'ai perdu mon père d'abord, puis ma mère, à 12 ans. C'était un moyen de m'évader, de lutter contre la solitude et l'ennui, d'oublier mes malheurs. J'ai surtout eu la chance de tomber sur des livres qui m'ont beaucoup plu. J'adorais Un bon petit diable de la Comtesse de Ségur ; surtout les passages un peu sadiques. Mais mon livre préféré était Sans famille. Quand je lisais cette histoire, je m'apercevais que j'étais avec les personnages, que je me faisais du cinéma dans ma tête. Mes sens étaient sollicités quand le petit Rémi va quitter la mère Barbarin, celle-ci lui prépare une omelette. Chaque fois que je lisais ce passage, je salivais à l'idée de cette omelette baveuse qui sentait bon. Ensuite, quand j'ai écrit, j'ai cherché moi aussi à faire ressentir au lecteur les parfums, les couleurs, tout ce qui touche ses sens. Je me suis toujours attaché à ce réalisme un peu poétique.

Je lisais tout ce qui me tombait sous la main. À l'école, on prêtait des livres. Toutes les semaines, l'instituteur prenait sa liste ; il la lisait de A à Z, et quand un livre nous intéressait, nous levions le doigt. J'en ai lu beaucoup comme ça. Ensuite, je me suis toujours inscrit à des bibliothèques municipales. Au début, j'étais un peu comme l'autodidacte de la Nausée de Sartre ; je commençais les romans à la lettre A et je continuais ainsi dans l'ordre alphabétique. Inutile de dire que Balzac m'a pris du temps...

Je ne pensais vraiment qu'à lire. Je me revois encore dans les rues de Montmartre, petit garçon, marchant en lisant, et les gens protestant parce que je ne les voyais pas.

 

Un autodidacte

 

Quand j'ai dû arrêter l'école après la mort de ma mère, j'ai toujours continué à dévorer les livres, ce qui m'a permis d'accumuler un bagage culturel. La base de mon savoir, je la dois en fait à l'école communale. J'ai toujours pensé que celui qui sortait avec le certificat d'études primaires avait un terreau à partir duquel, s'il avait envie d'étudier par lui-même, il pouvait aller très loin.

À 13 ans, je suis entré dans l'imprimerie. Ce milieu était très particulier. Les typographes, les imprimeurs étaient tous un peu anars ; ils lisaient beaucoup. Dès que j'avais un peu de temps, je montais en haut d'une pile de rames de papier et je lisais. J'allais faire des courses en triporteur ; à certains moments j'arrêtais tout et je sortais un livre. Tous les instants étaient bons. Je ne faisais pas ça du tout dans un but utilitaire. Je ne cherchais pas à accumuler du savoir pour avoir un métier. C'était uniquement par plaisir. Je lisais dans tous les domaines ; petit à petit une curiosité en amenait une autre, et c'est ainsi que j'ai appris beaucoup de choses. Si bien que mes cousins, qui avaient la chance, eux, de pouvoir continuer à aller à l'école, me demandaient le soir de les aider à faire leurs devoirs !

 

© Robert Sabatier, propos recueillis par Pascaline Citron, in Journal des Instituteurs, n° 6, février 1998, pp. 6-7

 


Notes

 

(1) Ces pages ont été écrites en 1985. La réalité est-elle tellement différente, aujourd'hui ? [note SH].
(2) Comme le remarque fort justement N. Catach dans l'Orthographe française, à propos de certaines "règles" orthographiques de R. Thimonnier. Cela vaut aussi pour les fichiers orthographiques Freinet.
(3) Le cas de cet auteur vaut la peine d'être rapporté, tant il apparaît "exemplaire". Il signe ses premiers manuels (un cours d'apprentissage de la lecture) dès 1927 ! De 1938 à 1950, il co-signe avec J. Lamaison des manuels de grammaire et de textes choisis à l'intention des classes de premier cycle du second degré. Dans le même temps, il publie également des manuels d'instruction civique et, sous les pseudonymes de A. Haisse et S. Henry, des manuels de grammaire pour les classes du primaire, et des manuels destinés à l'Afrique du Nord et à l'Afrique. Enfin, à partir des années 60, il refait avec J. Grunenwald des manuels de grammaire pour le secondaire, et avec M. David et J. Lamaison des manuels de morceaux choisis destinés aux mêmes classes. Voilà donc un auteur qui, de 1927 à 1966, c'est-à-dire pendant presque quarante ans, n'a cessé de faire, pour Nathan essentiellement, des manuels de français dans tous les domaines (lecture, grammaire, morceaux choisis), pour tous les niveaux et tous les pays... Quelle vie bien remplie ! Et sans doute aussi, quelle fortune réalisée, quand on sait qu'un de ses manuels destiné au CE2 était l'objet, en 1949, d'une 100e édition...
(4) Cf. l'avant-propos du guide destiné aux maîtres, Grammaire pour enseigner le français, t 1, CE.
(5) Et qui sont en outre contraintes de se plier, quels que puissent être leurs scrupules de chercheurs, au "genre" particulier de la grammaire scolaire, qui est de traiter (en apparence au moins) de tous les secteurs de la syntaxe, quitte à en dire les choses les plus traditionnelles ou les plus discutables.
(6) Sur la façon dont ces "arbres" chomskyens ont pu être utilisés dans la pratique effective de l'enseignement, cf. la leçon consternante proposée dans un CM2 et reproduite p. 78, en annexe.
(7) Qui regroupe une dizaine de maisons d'éditions scolaires, 42, rue Barbet de Jouy, 75007 Paris [Groupement d'information des éditeurs classiques. Créé en 1969 à l'initiative de Louis Magnard (Éditions Magnard) et de Jean Didier (Éditions Didier). Actuellement sis, 6 rue Maurice de la Sizeranne, 75007, Paris - Note SH].
(8) Ce qui garantit un certain pourcentage sur tous les exemplaires de la collection vendus, quels qu'en soient par ailleurs les auteurs.
(9) L'Association française des enseignants de français (BP 32, 92300, Sèvres) prétend rassembler les enseignants "de la maternelle à l'Université". Elle recrute en fait ses adhérents (3000, environ) essentiellement dans le second degré, et n'a jamais réussi à "mordre" sur le primaire. Sa revue trimestrielle Le Français aujourd'hui n'a jamais fait une place importante à l'enseignement de la langue [l'Association est aujourd'hui sise 19 rue des Martyrs, 75009 Paris - Note SH].
(10) On s'étonne d'autant plus qu'un historien aussi avisé que A. Prost ait pu faire de ce livre un compte rendu si enthousiaste (cf. Le Monde de l'Éducation, n° 61, mai 1980). Le fait qu'il s'agisse du français, c'est-à-dire d'une discipline qu'il ne connaissait pas de l'intérieur, n'y est sans doute pas étranger. A. Prost ne pouvait alors juger ce livre que d'un point de vue institutionnel, indépendamment du contenu, accentuant ainsi et cautionnant, involontairement sans doute, mais de façon néfaste pour la cause du français, les dérives de l'expérimentation et les masquages de l'auteur [Involontairement ? Hélène Huot fait ici preuve de naïveté, feinte vraisemblablement. La raison de cet encensement - comme de la présence ad vitam aeternam de Mme Romian au sein de l'INRP, sont à rechercher du côté du Parti dont cette dame était ardente militante. Quelques éléments de la critique de Luc Bouquiaux, qu'on a pu lire supra, suffisent à corroborer le fait, patent pour qui connait un peu l'histoire du Plan de rénovation - note SH].
(11) Qui sont partagées et reprises par d'autres "chercheurs"-formateurs, tels L. Lentin et J. Hébrard dans Du parler au lire (1979) et E. Charmeux dans La lecture à l'école (1975).
(12) Cf. le rapport officiel sur l'illettrisme, p. 42.
(13) Cf. Circulaires du 6 juin 1969, des 4 janvier, 20 juin et 18 octobre 1972.
(14) N° 103, La formation des maîtres, bilan d'une période.

 

 


 

Texte soumis aux droits d'auteur - Réservé à un usage privé ou éducatif.