[SUITE]

 

L'article comprend un encadré (dont le titre, La police a-t-elle fait son boulot ?, résume bien le contenu) consacré à une interview du commissaire Constant (dont l'hebdomadaire reproduit une page du carnet de notes personnel).
On peut ajouter que ce qui ne laisse pas d'inquiéter, outre les erreurs manifestes contenues dans ce texte, c'est que les échanges rapportés dans cet encadré sont illustrés par la photo d'un… radiesthésiste et de son pendule…
Au nombre des erreurs manifestes, on notera la confusion entre l'étui d'une cartouche et la balle (ou la pointe). Les étuis récupérés sur la scène du crime (ainsi que les cartouches légèrement percutées) permettent d'affirmer qu'ils ont été tirés par une US_M1, mais pas forcément par l'US_M1 retrouvée dans la rivière : c'est le simple bon sens qui permet d'extrapoler et non la preuve scientifique irréfutable. Quant aux "bullet" (les balles, ou projectiles), elles se sont vraisemblablement évanouies dans le sol... ou se trouvent encore, pour partie, dans les os des époux Drummond.

 

 

 

[Warwick Charlton a passé 14 jours à proximité des assassins des Drummond, recherchant les raisons pour lesquelles ces crimes sont pour l'instant non élucidés].

 

Cela faisait onze jours que j'avais commencé mon enquête, et j'avais désormais une idée beaucoup plus claire de ce qui s'était passé durant la nuit où les Drummond furent assassinés.

Vers minuit et demi ou peu après, Sir Jack Drummond s'est réveillé. La preuve en est qu'on l'a retrouvé chaussures aux pieds. Les gens ne dorment pas avec leurs chaussures, mais les mettent s'ils se réveillent, surtout quand ils campent sur l'herbe, mais pas s'ils sont attaqués, voyez-vous. Si Sir Jack avait été agressé, il n'aurait guère eu le temps de se chausser. Le meurtrier n'avait pas l'intention de voler. Rien n'a été volé. De prime abord, il n'avait pas non plus l'intention de tuer, mais d'effrayer les Drummond pour les contraindre à partir - de les faire retourner chez eux [to make them to go home], ainsi que l'exigent tant de slogans peints sur les murs du village à l'encontre de Ridgway et tous les Américains. Ces gens ne font pas facilement la différence entre un Britannique et un Américain : l'un et l'autre sont des étrangers parlant anglais. De toute façon, pour eux, toute personne n'appartenant pas au voisinage est un étranger.

Sir Jack Drummond a répliqué qu'il n'avait pas l'intention de prendre le large et que, en tout état de cause, se trouvant sur un terrain public, il ne voyait aucune raison de devoir décamper. En réalité, si sa voiture stationnait sur un lieu public, ce n'était pas le cas des lits de camp. Le ton est monté, l'homme s'est fait menaçant, il a pressé la détente sans le vouloir : un premier coup de feu est parti, puis un autre. Lady Drummond est venue à la rescousse de son époux, elle a été abattue de quatre balles et est morte sur le coup. Sir Jack, mortellement blessé, traversa la route en titubant, poursuivi par le meurtrier : c'est la scène à laquelle Aristide Panayotou, le témoin d'une heure du matin, a assisté.

Pendant ce temps, Elizabeth Drummond s'était précipitée hors de la voiture, et avait couru à pied, en criant, en direction de la Durance. Le meurtrier s'est souvenu du crime perpétré récemment à Marseille : une fillette de quatre ans avait mis la police sur la piste conduisant à l'identification de l'assassin : un chandail blanc. Le meurtrier a tiré sur Elizabeth mais l'a manquée ; il a fait feu à nouveau, mais ce fut un nouveau raté. Il n'avait plus de munitions. Il a poursuivi Elizabeth au-delà du pont et jusqu'à cinq mètres dans la pente du talus, où il l'a rattrapée et matraquée à mort. La fillette n'a pas été violée : ce n'était pas une histoire de sexe.

À ce moment-là Aristide Panayotou, le témoin d'une heure du matin, avait fui dans sa voiture. Deux heures plus tard, le meurtrier s'activait toujours sur le lieu du crime, et Ulysse Pacomi, le témoin de trois heures du matin, a vu deux complices - que pouvaient-ils être d'autre ? - postés au détour sur la route et surveillant l'approche d'un véhicule.

Une heure passe encore. Le meurtrier s'active toujours ! Il a dû se sentir à son aise, car selon le témoignage du témoin n° 4, les couvertures masquant les vitres du véhicule des Drummond avaient disparu, ainsi que le lit de camp qui lui faisait face.

Cinq heures du matin, et maintenant un nouveau témoin aperçoit le véhicule sans les couvertures, tandis que le lit de camp n'est plus visible.

Lorsque la gendarmerie est arrivée à 6 heures et demie, le cadavre de Sir Jack était recouvert d'un lit de camp, et Lady Drummond était dissimulée sous une couverture. Quant à la dépouille d'Elizabeth, qui ne pouvait être aperçue depuis la route, elle gisait à découvert.

Tout cela est suffisamment éloquent à mes yeux pour me permettre d'affirmer que le meurtrier a rôdé sur les lieux du crime de minuit et demi, environ, jusqu'à 5 heures du matin, et qu'il a été aidé dans sa tâche par au moins deux autres personnes.

Qui, sinon un habitant de Lurs, ou des gens de Lurs, avait la possibilité de demeurer sur les lieux et à ce moment de la nuit, de minuit et demie jusqu'à 5 heures du matin ? Et qui, dans cette communauté étroitement soudée et aux fortes interrelations, pourrait encore ignorer l'identité du criminel ?

 

 

Q. : On a raconté que des recherches d'empreintes n'avaient pas été tentées sur l'arme trouvée dans la rivière après le crime.

FC : Faux. La carabine a été trouvée à dix-huit heures le jour même du crime, et a fait immédiatement l'objet d'une recherche d'empreintes. Il a été possible d'en relever quelques-unes sur le fût du canon. Les empreintes que nous avons trouvées étaient inexploitables car elles n'appartenaient pas à la partie centrale "en spirale" des doigts, la partie capitale.


[la photo ci-contre (illustrant l'article), dément formellement les propos de Fernand Constant. Sitôt sortie de l'eau et réparée sommairement par les Inspecteurs de la Mobile restés sur place, la carbine est passée de main en main (ici, dans celles du célèbre journaliste grenoblois, Roger-Louis Lachat). Rechercher ensuite des empreintes après un tel traitement relevait évidemment de la gageure... ou de la galéjade marseillaise. Rappelons qu'à ce moment précis, Sébeille n'était pas présent : il assistait aux autopsies, à Forcalquier]






Q. : On a dit que l'arme n'a jamais été adressée à des experts en balistique, afin de prouver, de manière irréfutable, par comparaison avec les balles, qu'il s'agissait bien de l'arme du crime.

FC. : Les tests balistiques ont été aussitôt faits. Les deux munitions qui ont tué Sir Jack, et les quatre qui ont tué son épouse provenaient toutes de la même arme, ainsi que les deux autres qui avaient été éjectées, et qu'on a retrouvées.

Q. : Vous n'avez pas rapporté la preuve que l'arme qui a causé la mort de Sir Jack et de son épouse est bien la même que celle qui a servi à assommer à mort Elizabeth.

FC. : L'arme a été retrouvée brisée. Le canon dans un endroit de la rivière, et la crosse dans un autre. Sous la tête de la fillette a été retrouvé un petit éclat de bois qui s'ajustait parfaitement à la crosse lorsque l'arme a été rafistolée.

Q. : On a rapporté qu'aucun travail sérieux de recherche d'empreintes digitales sur le véhicule des Drummond, comme sur les objets qui se trouvaient à l'entour n'avait été conduit.

FC. : Faux. Le véhicule a été couvert de poudre sur toute sa surface, et a fait l'objet d'une recherche d'empreintes ; nous en avons trouvé une trentaine, dont cinq étaient exploitables. Elles appartenaient à la famille Drummond
De même, tous les autres objets ont été examinés, mais il faut se souvenir que les draps, les oreillers et le bois (sauf si la surface en a été fortement polie) ne conservent pas la trace d'empreintes.

Q. : Pourquoi ne pas avoir utilisé un chien policier ?

FC. : Nous l'avons fait. Mais il n'a pas trouvé la moindre piste. Ce qui n'est pas surprenant quand on se souvient qu'on ne lui a fourni au départ aucun indice. Il aurait dû avoir quelque chose à flairer, un objet ou une pièce de vêtement appartenant au criminel, ou n'importe quoi qui aurait pu l'aider. L'arme n'avait aucune utilité dans ce sens, puisqu'elle avait été immergée dans l'eau.

Q. : Un bruit court selon lequel la police n'est pas arrivée sur la scène du crime avec suffisamment de diligence après avoir été avertie, pour empêcher la destruction d'indices par les badauds.

FC. : Faux. Le crime a été signalé à la gendarmerie locale par un motocycliste, M. Olivier, vers cinq heures trente du matin. Peu après six heures, les gendarmes sont arrivés à Lurs ; Gustave, qui avait arrêté le motocycliste et l'avait mis au courant de sa découverte du corps d'Elizabeth Drummond, les attendait dans sa ferme.
Lorsque les gendarmes sont arrivés sur les lieux, ils ont empêché la destruction des indices. Quant à nous, dès que nous avons été prévenus par les enquêteurs locaux, nous sommes partis pour Lurs, où nous sommes arrivés vers midi.

[Note (du journaliste) : la commune de Lurs est située à environ 60 miles (soit 111 km) au nord de Marseille, et on l'atteint par des routes serpentant dans une contrée accidentée].

Vers dix-huit heures, nous avions retrouvé la partie métallique de l'arme du criminel. Manifestement ce dernier connaissait parfaitement la rivière, et avait tenté d'immerger l'arme à l'endroit le plus profond, mais dans sa hâte à parvenir à ses fins, il avait raté le bon coin. La partie en bois de l'arme flottait à une centaine de yards, environ (soit 90 mètres), et elle aurait pu n'avoir jamais été découverte si elle ne s'était coincée sur un tas de carcasses de moutons et de cadavres de rats.

 

 

© Warwick Charlton, in Picture Post, 11 octobre 1952

 

 


 

 

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[La parution de l'article qu'on vient de lire entraîna des remous, le mot est peut-être faible, d'autant que la politique s'en était mêlée. Sous la forme d'une interpellation du Gouvernement, à la Chambre, le député (Rassemblement des Gauches Démocratiques) des Basses-Alpes Marcel Massot (1899-1981) demanda des éclaircissements "sur les conditions dans lesquelles, à la suite du triple crime de Lurs, certains policiers ou membres du Service du Contre-espionnage français auraient été amenés à faire à un reporter étranger des déclarations odieuses et diffamatoires concernant la population qui habite la région de Lurs". On se reportera au texte du journaliste pour saisir l'allusion... L'interpellation avait eu lieu le 23 octobre. Moins d'une semaine plus tard, le 29 octobre, le Commissaire Divisionnaire, Chef de l'antenne D. S. T. locale, adressa un rapport à l'Inspecteur Général de l'Administration (en mission extraordinaire pour la 9e Région militaire). Après avoir indiqué que "d'après sa fiche d'hôtel", le journaliste Charlton était passé à Marseille le 9 septembre 1952, venant de Paris et se rendant à Forcalquier, il niait qu'un membre du B. C. R. ait jamais rencontré un journaliste étranger. Et il concluait en disant que son enquête n'avait pas révélé l'origine des propos rapportés par le journaliste britannique, mais qu'à coup sûr ils n'émanaient pas des services officiels du contre-espionnage, Surveillance du Territoire et B.C.R.]