"Il n'est évidemment pas question pour nous d'envisager l'innocence de Gaston Dominici" (Rapport Chenevier, p.155)

 

[suite de la première partie]

 

 

  • IV. Une enquête particulièrement fouillée
  • Quelques démonstrations peu convaincantes
  • Un minutieux travail d'approfondissement
  • Les familles Dominici dans le concasseur Chenevier
  • Une exécution de première classe
  • V. Les maîtres jurés-filous
  • VI. Les mots

 

 

IV. Une enquête particulièrement fouillée

 

Ce qualifiant, il convient de le prendre dans toutes ses acceptions : nos Parisiens, sans doute en nombre plus important que leurs collègues chargés de l'enquête initiale, ont tenté d'approfondir le travail des Marseillais à partir de l'assise solide - qu'on le veuille ou non - que leur offrait le premier dossier, et tenté d'en combler les "lacunes" (selon leur propre expression), en s'efforçant de creuser du côté des recoins qui leur paraissaient avoir été délaissés. Mais l'évident désir de se démarquer du travail de Sébeille (et consorts) aboutit souvent, dans ce compte-rendu, à des "démonstrations" - on devrait dire : des constructions intellectuelles -  peu convaincantes.

 

4.1 - Quelques démonstrations peu convaincantes

 

Ainsi, dès la page 72, le Rapport suggère le vol comme mobile de la tuerie. Cette surprenante conclusion est tirée du peu d'argent retrouvé (le billet de 5000 francs dans le carnet d'Élisabeth), et du désordre constaté par les militaires dès leur arrivée, dans la voiture et aux abords immédiats. Il ajoute à ces éléments (pp. 75-76) la disparition d'un appareil photographique et du bracelet-montre de Lady Drummond. Mais c'est pour aussitôt revenir en arrière (p. 77), en citant les termes d'une lettre du journaliste Roger-Louis Lachat (faisant allusion aux explorations clandestines effectuées sur place par tout un chacun), et suggérer qu'après tout le vol de ces objets a bien pu être le fait d'un journaliste, ou d'un curieux, avant l'arrivée des gendarmes. Mais hélas, avant l'arrivée des gendarmes, il n'y avait personne sur les lieux – si l'on en croit le capitaine Albert (contredit, il est vrai, par le journaliste Jean Teyssier). Que reste-t-il, dès lors, du vol énoncé comme mobile ? Et si vol il y a eu, n'a-t-il pas eu plutôt, pour mobile a posteriori, la destruction de preuves – ce qui désignerait ipso facto l'identité des voleurs ?
D'autre part, le Rapport s'attarde longuement sur la fameuse scène des aveux, après boire, de Gaston à son fils Clovis, et c'est pour en nier l'existence (p. 92), mais le raisonnement qui accompagne la démonstration apparaît bien spécieux. Et cependant, la réalité de cette conversation est à nouveau niée à deux reprises (pp. 147 et 151) : … "notre conviction [que cette scène] est inventée [par Clovis]". Mais revenant à nouveau sur ce fait, qui décidément semble les accaparer, nos Parisiens rapportent (p. 173) une indication de Gaston (fils) : sa mère (la "Sardine") lui avait relaté l'incident, le lendemain ou le surlendemain, en changeant seulement le "j'en ai tué trois" en "ils en ont tué trois" (PV 6, décembre 1954). Augusta rapporte d'ailleurs la même scène (p. 183, allusion au PV 4, décembre 1954). Et cela prouve indubitablement, au moins, que la scène a effectivement eu lieu ! Dès lors, la façon dont les Commissaires parisiens "démontrent" que Clovis n'a jamais entendu les confidences de son père ("es iou", etc), non seulement n'entraîne pas l'adhésion parce qu'elle semble très téléphonée, mais bien davantage encore assoit fermement le contraire de la conviction qu'ils entendaient faire partager !

Un troisième exemple concernera un élément de la reconstitution, dont on a vu antérieurement combien le Rapport l'a brocardée. On peut en effet lire, p. 27, "Le juge a noté dans son procès-verbal que l'endroit où Gaston Dominici dit avoir "possédé" Lady Drummond se situe à 5 mètres environ de l'avant de la voiture Hillman, soit entre le capot et le mûrier. Le corps a pourtant été retrouvé à une certaine distance de cet endroit". Le texte ajoute (p. 45), : [Le corps] "de Lady Drummond était placé à cinq mètres environ du côté gauche de la voiture".
Mais comment peut-on demander à un vieillard, qui de plus ment effrontément à ce moment-là, de se "souvenir" avec une précision chirurgicale d'une scène qui s'est déroulée dans un temps fulgurant, et en pleine nuit ? Et nos deux Commissaires passent aussi complètement sous silence le fait avéré que le Tave est venu tout chambouler, et qu'en particulier il a déplacé la malheureuse femme en la tirant par les pieds, et même en la retournant !

Enfin, à propos du croquis concernant l'emplacement de la carabine (pp. 194-195) – croquis tracé par le greffier M. Barras, et non par Clovis, comme l'a mensongèrement, et avec quel aplomb, rapporté Gustave – le Rapport insinue que Gaston n'a pas désigné la même étagère que ses fils, faisant dès lors l'impasse sur l'incident du flash (des flashes, plus exactement) ayant fait tchi. Et dissertant à perte de vue sur la question de l'étagère inférieure ou supérieure, il en tire argument pour asséner qu'il y a eu "simulacre de reconstitution". Mais pour le lecteur d'aujourd'hui, quel simulacre de démonstration !
Car le texte insiste sur le risque qu'il y avait qu'un visiteur quelconque, ou pourquoi pas un gendarme, découvrît l'arme ; et il note à cet égard que les gendarmes (alertés par un cambriolage malhabile à la Grand'Terre) avaient déjà saisi des armes de guerre en 1948 ; mais il oublie opportunément de rappeler que cette saisie ne provenait pas d'une visite domiciliaire opérée par les militaires ! Comme le rapporte Aimé Dominici (Cote 424/2), les trois armes de guerre détenues à la Grand'Terre (un Mauser, une Sten et un pistolet 6, 35) avaient été apportées "spontanément" à Forcalquier !
Notons au passage que le Rapport n'entraîne pas davantage l'adhésion lorsque, après avoir soigneusement résumé (pp. 202-203) les "variations" des deux frères (Clovis et Gustave) au sujet de la carabine, il en vient à nier que cette arme ait pu appartenir à Gaston (p. 215). Pour ne rien dire de la sollicitation abusive (p. 209) du rapport d'expertise effectué sur les différentes graisses (retrouvées sur l'arme du crime et sur d'autres armes de chasse saisies pour l'occasion, rapport dans lequel nos Parisiens feignent de trouver une suite d'affirmations péremptoires, en lieu et place de constatations infiniment prudentes, et non décisives.

 

4.2 - Un minutieux travail d'approfondissement

 

De très nombreux exemples du travail de fourmi exécuté lors de la seconde enquête pourraient être relevés, nous nous contenterons d'en relater quelques-uns. Mais, chemin faisant, nous ne nous interdirons pas de faire allusion à des recherches ultérieures, le rapport ayant été remis mi-février 1956, tandis que c'est jusqu'à mi-juillet 1956, que les investigations se poursuivirent.

 

4.2.1 La lettre anonyme à Sébeille

 

Postée à Sisteron, le 25 août 1952, elle est intégralement recopiée dans le Rapport (p. 52) :

"Monsieur le Commissaire,

Vous avez une tâche dure à prouver qui est l'assassin de Lurs. Enfin, si ce n'est pas lui, vous pouvez toujours voir Cauzier et Estève à Peyruis. Ils avaient chacun une arme à répétition [sic]. Je me décide seulement aujourd'hui à vous écrire puisque je suis un ami de Dominici et j'espérais qu'il parle… Voilà pourquoi je ne voulais pas le trahir, mais puisqu'il ne parle pas, je peux vous dire moi qu'entre onze heures trente et minuit, le jour du crime, Dominici était encore debout car je passais à ce moment à bicyclette devant sa ferme. Qui était l'homme qui était avec lui près de la ferme ? Lui seul peut vous le dire".



Les deux Commissaires utilisèrent la presse pour tenter d'entrer en contact avec l'auteur de cette lettre. Sans résultat : il demeure, à jamais, anonyme.

 

4.2.2. La carabine

 

Reprenons tout d'abord, ici, un paragraphe déjà utilisé dans une autre partie, peut-être pour souligner l'inanité de ceux – les complotistes et autres tenants de l'innocence – qui osent prétendre qu'il s'agissait d'une arme bien entretenue et en parfait état :

"Cette carabine était en mauvais état, démunie de bretelle et de garde-main supérieur, rafistolée avec un collier en aluminium muni d'une vis avec écrou pour maintenir le canon plaqué sur le fût. Un fil de fer, genre élément de câble de frein de bicyclette, reliait l'anneau grenadière, dont une partie était manquante, à un des trous de la bague. [...] L'état de cette carabine, la façon dont elle avait été remise en état, indiquaient assez qu'elle devait appartenir à un paysan de la région… Tout indiquait que cette carabine avait bien été la propriété d'une personne de la région de Lurs, et la déclaration du graveur ambulant Chauve Joseph … allait en apporter la confirmation" (pp. 48, 53-55).


Mais ajoutons que le Rapport s'appuie, pour faire de Gustave le propriétaire de l'arme, sur différents témoignages successifs du Docteur Morin, qui ne laissent pas d'être troublants, tout en instillant une bonne dose de scepticisme chez le lecteur, car de plus en plus précis tandis que le temps s'avance – que les faits s'éloignent, plus exactement (pp. 220-223). On s'interroge, dès lors, sur le fait que les Commissaires parisiens sont beaucoup moins critiques, vis-à-vis de ce témoin, que s'agissant de Faustin Roure, comme on va le voir.

 

4.2.3 L'éboulement

 

En liaison étroite avec le juge Carrias, qui se déplace beaucoup sur le terrain, les Parisiens montrent que si le phénomène de l'éboulement (et donc, le souci causé aux habitants de la Grand'Terre) a bien été pris en considération par la première enquête, son importance n'a pas été suffisamment étudiée, et de plus largement minimisée par les acteurs. C'est ainsi que nos Commissaires opposent les souvenirs d'Albert Bourgue à ceux de son chef, Faustin Roure, sans qu'on puisse déterminer qui de l'employé ou du chef-poseur dit la vérité – possède la mémoire la plus fidèle. Une heure de travail à cinq hommes, dit le premier. Un quart d'heure, dit le second. En tout cas, 15 cm de terre sur le ballast, et jusqu'à un mètre dans le fossé, et ce sur une largeur de près de dix mètres, ce qui n'est tout de même pas rien. "De l'ensemble des témoignages recueillis, il résulte que le volume de terre détachée du talus était important, puisque la voie était recouverte sur une dizaine de mètres, que des troncs d'arbres morts avaient été entraînés et qu'un acacia déraciné par le glissement était retenu par ses branches aux fils électriques" (p. 74). Le propos des Commissaires est donc simple : faire reconnaître à Faustin Roure qu'il a donné des ordres de surveillance au fils Dominici, et par là obliger Gustave à reconnaître qu'il a effectué, au cours de la nuit tragique, de nombreuses allées et venues. Mais ici encore, leurs efforts n'aboutissent guère.

 

4.2.4 La mémoire rafraîchie de Faustin

 

Déjà sur la sellette à propos de l'éboulement, Faustin est aussi sous le regard suspicieux de Chenevier-Gillard au sujet de la bouteille de vin, prise ou non au passage à La Serre – pour dire les choses plus clairement, les Commissaires soupçonnent Faustin d'avoir fait un "témoignage de faveur" pour Zézé (pour asseoir l'affirmation de l'adolescent d'avoir passé la nuit tragique à La Serre). Dans ce but, ils vont jusqu'à lui opposer les témoignages de ses ouvriers ! Or, il se trouve que les souvenirs de Roger Drac, de Marcel Boyer, de Clovis, et d'Albert Bourgue, déjà cité, ne corroborent en rien les dires de Faustin (sur le problème : qui se chargeait d'apporter du vin sur le chantier, où ce vin était-il acheté). Bien davantage, et c'est tout de même ahurissant, la propre épouse (!) de Faustin contredit son époux ! Tous ces éléments semblent donner du poids aux soupçons des policiers (pp. 121 sq.). Mais ils ne poussent pas plus loin leur avantage, concluant seulement avec humour : "contrairement à ce que nous avons l'habitude de voir, c'est l'éloignement des faits qui a rafraîchi la mémoire de Roure" ! (p. 122).

 

4.2.5 L'affaire du(es) pantalon(s)

 

On se souvient que l'Inspecteur-chauffeur Girolami avait trouvé curieuse, en plein après-midi, la présence, devant la Grand'Terre, d'un pantalon encore très mouillé séchant sur l'étendoir. On se souvient aussi du fait que Gaston et Gustave s'étaient renvoyé la balle, à propos de l'appartenance de ce pantalon. On se souvient surtout de la bourde monumentale de Sébeille, disant sèchement à son subordonné, "Laissez tomber, occupez-vous d'autre chose !"… Après avoir noté, au sujet de cette "omission particulièrement malheureuse", qu'il "n'est pas de notre fait que cet indice n'ait pas été sauvegardé ni exploité en son temps" (p. 243), les Commissaires déploient des efforts considérables, pour aller plus loin. Et leur démonstration apparaît convaincante, d'autant qu'un opportun appel aux souvenirs de M. Degrave, alors jeune sous-préfet de Forcalquier (présent dès le matin sur les lieux), indique qu'un second pantalon séchait, accroché à la fenêtre de la chambre de Gustave. Sur ce point le témoignage du Capitaine Albert est capital, lui qui rapporte qu'ayant parlé de ce pantalon à Yvette, venue à Forcalquier au moment de l'interrogatoire de son mari (le mercredi 3 septembre 1952, de 8 h. à 21 h., celui qui fut malencontreusement arrêté par Orsatelli), il s'était vu répondre : "j'avais bien le droit de laver un pantalon de mon mari !" Mais l'histoire ne s'arrête pas là, et Chenevier confronta les deux personnes, la bru Dominici niant fortement avoir tenu de tels propos.

"Dites que je suis un menteur !" répliqua le militaire, excédé.
"Ça ! fut la réponse foudroyante d'Yvette (PV 424/126).

On peut supposer que le sang du Capitaine ne fit qu'un tour. Si de lointains souvenirs de classe lui sont alors venus à la mémoire, il a pu dire in petto, avec Molière et le Tartuffe :

À cette audace étrange
J'ai peine à me tenir et la main me démange…

Quant à l'époux d'Yvette, il nia avec la dernière énergie qu'un ou des pantalons aient pu être mis à sécher au cours de l'après-midi du 5 août, et il prit même la chose avec humour, narguant Chenevier : "si ce pantalon était si important, il fallait le saisir". Là encore, on peut supposer que le bouillant Chenevier se récita les mêmes vers… Peut-être davantage, si lui connaissait son Tartuffe par cœur, lui vint-il en mémoire une autre citation, précédant à peine l'autre :

"Et pouvoir, à plaisir, sur ce mufle assener
Le plus grand coup de poing qui se puisse donner"…

Ainsi, le Rapport assemble sur ce sujet tout un faisceau de présomptions… mais ce ne sont que des présomptions. Dès lors, on éprouve de la difficulté à suivre les rédacteurs dans leurs conclusions : "l'insistance de ces gens  à nier ce fait [le pantalon qui séchait] démontre bien que cette opération a été entreprise pour une raison majeure : parce que le pantalon était taché du sang des victimes" (p. 242. Souligné par nous). Car, tout de même, une question préalable se pose : comment les habitants de la Grand'Terre auraient-ils pu être à ce point inconscients, qu'ils aient exposé, aux yeux de tous, des preuves décisives de leurs forfaits ? Qu'ils aient commis une telle imprudence paraît a priori inimaginable, et c'est pourquoi nous reviendrons in fine sur cette question de lessive.
Enfin, on notera ici que les Commissaires ferment au moins une porte, celle de la prétendue culotte d'Élisabeth découverte sur le ballast, d'ailleurs assez loin de la ferme : ayant fait fouiller le carton des pièces à conviction, ils retrouvent la pièce de linge intime – marquée à son chiffre – que la malheureuse enfant avait portée la veille. Exit, par conséquent, de toutes les fumeuses et/ou parfaitement malhonnêtes élucubrations publiées ultérieurement sur ce point : les conclusions des premiers enquêteurs n'auraient même jamais dû être suspectées.

 

4.2.6 Les deux morceaux de crosse

 

Cet élément n'est pas précisément renseigné dans le Rapport, mais il mérite qu'on s'y arrête, tant il révèle le caractère minutieux des investigations poursuivies au cours de la seconde enquête. On sait qu'une polémique était née des déclarations de Gaston, ayant indiqué qu'il avait ramassé, au moment de l'enlèvement du cadavre d'Élisabeth, un morceau de crosse, qu'il avait remis à un gendarme. La première enquête avait mis du temps à démontrer le caractère mensonger des allégations du vieux fermier, l'éclat de crosse ayant été découvert, en réalité, par l'un des fossoyeurs, au moment où le corps était soulevé de terre. On doit à la seconde enquête la révélation, inattendue, qu'un second morceau de crosse était resté collé dans la mare de sang ! Cet élément découle de la déposition d'un fils Dominici, Marcel (celui-là même qui avait déclaré sans ambages : "Clovis est un brave saligaud" - PV 7 du 22 décembre 54), racontant que, venu tard rôder sur les lieux, après l'enlèvement des corps, en compagnie de son beau-frère, il avait eu l'attention attirée par un éclat de crosse, qu'il avait pris, et remis "à un policier". D'où la demande de Carrias auprès du commissaire Harzig, afin que lui soit adressé un "trombinoscope" comportant les photos de tous les policiers présents cette après-midi-là (Antoine Culioli, César Girolami, Lucien Tardieu, Edmond Sébeille, Christian Pelat et François Loosens - du service de l'Identité, Pierrot Amédée - Inspecteur-Chauffeur - et Henri Ranchin). C'est en vain que ce document fut présenté à Marcel Dominici, qui ne reconnut personne. Et l'histoire du second morceau de crosse s'est ainsi achevée, sans qu'il ait été possible d'inscrire une quelconque certitude sous les affirmations de Marcel, ni de reconstituer l'éventuel trajet de ce morceau de bois… qui semble pourtant apparaître, sur une photo consacrée à l'arme du crime !

 

4.3 Les familles Dominici dans le concasseur Chenevier

 

Mais le plat de résistance du Rapport, c'est évidemment le passage de tous les membres de la famille Dominici, proches ou lointains, à la moulinette Chenevier. À lire les PV dressés lors de la seconde enquête, on s'était d'ailleurs rendu compte que la méthode Chenevier n'avait rien à voir avec la faconde marseillaise de Sébeille ! Mais, pour autant, fit-elle montre de davantage d'efficacité ?

 

4.3.1 Le Tave et son épouse

 

À tout seigneur tout honneur, il faut évidemment commencer par évoquer le cas Gustave, personnage qui, on l'a vu, a plus que tout autre été tenu sur la sellette, comme en témoigne le nombre de pages que l'examen de son attitude occupe dans le Rapport.
En particulier, les incessants revirements de Gustave sont examinés à la loupe : selon le raisonnement des nouveaux enquêteurs, ses pirouettes lui sont uniquement dictées par le souci de sauvegarder sa peau, en fonction des éléments nouveaux apportés par certains témoins (Paul Maillet, au premier chef). Admirant au passage la tactique utilisée, le Rapport indique : "il n'est pas inutile à ce sujet de remarquer avec quelle aisance Gustave Dominici a su proportionner la 'parade' à l'attaque" (p. 85). Mais il n'y a là que brillantes constructions de l'esprit, dont le Tave n'a que faire.
Car Chenevier a beau mettre sous les yeux de son suspect ses premières déclarations (le 5 août, à huit heures du matin, au gendarme Romanet - cf. B 8 GN 11/R, pp. 6-7), de même que la liste de tout ce qu'il a reconnu à Digne :


- il avait entendu des cris, après les coups de feu ;
- le motocycliste Olivier avait raison contre lui ;
- les Anglaises étaient venues à la ferme dans la soirée du 4 août [rappelons que Gaston avait témoigné, pour sa part, avoir vu les Drummond déjà en place, lorsqu'il était rentré avec son troupeau, vers 19 heures trente] ;
- au moment du 5 août, il s'était levé non pas à 5 h 30, mais à 4 heures, et s'était rendu à l'éboulement ;
- que pour ce faire, il n'avait pas emprunté la route nationale, mais avait "coupé" à travers le champ de luzerne ;
- que peu après sept heures, il était retourné au campement, retirant, entre autres méfaits, la couverture placée sur le corps (alors parallèle à la voiture) de Lady Drummond ;
- qu'il s'était dissimulé dans le ravin, à l'approche du piéton Ricard ;
- qu'il avait retourné le cadavre de l'infortunée Lady, puis l'avait déplacé, pour s'assurer qu'il n'y avait pas de munitions provenant de la ferme.

Tout cela en vain, car le fermier de la Grand'Terre, sans doute très bien conseillé, a décidé de tout nier, dorénavant, en bloc (comme son épouse, d'ailleurs), et même de mettre en cause l'honnêteté des policiers, et celle du Directeur d'enquête ! Dès lors, tous les aveux antérieurs n'ont plus cours, ils n'ont même jamais existé, et le Tave feint de s'étonner, lorsqu'on les lui rapporte : il ne s'est jamais exprimé dans ce sens. Il va même jusqu'à prétendre que s'il attendait au bord de la route, c'était pour le cas où les occupants de l'auto se seraient enfuis sans demander leur reste !
C'est pourquoi le Commissaire chargé de la sous-direction des Affaires criminelles a beau se démener, il est le seul à s'exprimer, comme par exemple dans ce procès-verbal (cote C 136) en date du 10 août 1955, incroyablement long (pas moins de quarante pages) ! Et lorsqu'à la fin de cette cote, on lit : "Ne croyez surtout pas que notre enquête va s'arrêter là. Malgré vos mensonges qui sont pour nous ahurissants - nous voulons parler de ceux que vous nous avez faits tout au long de cette audition - nous pensons, et nous espérons bien le prouver un jour, que si vous n'êtes pas l'auteur principal de ce triple crime, vous en avez été le complice", alors on se dit que si le policier se met à "espérer bien", c'est que la cause est définitivement perdue… D'autant que, s'étant ainsi exprimé, le voilà qui va casser la graine avec le "complice", comme l'ont rapporté les journaux de l'époque, et comme cela figure, d'ailleurs, dans un procès-verbal !

Mais le Rapport ne manque pas, d'un autre côté, de s'intéresser au jeune couple de la Grand'Terre. Et c'est en mettant en avant les contradictions entre les témoignages du Tave et de l'Yvette, que les Commissaires estiment pouvoir progresser vers la vérité.
Ainsi, ils nous rappellent (p. 226), la première déclaration d'Yvette à la Gendarmerie (cote B 35, le 13 août 1952) : "Le 4 août, en soupant vers 21 heures, mon mari m'a dit qu'il y avait des campeurs au bout de notre vigne...".  Et ils la comparent aux dires de Gustave, un an plus tard (12 novembre 53, 442/3) : "à mon arrivée à la maison [sous-entendu : lorsque je suis rentré de mon après-midi de travail chez les Girard], ma femme m'a dit qu'il y avait des campeurs anglais au bout du champ ... et qu'une femme et une fillette étaient venues chercher de l'eau à la maison". Outre que nous savons avec certitude le mensonge d'Yvette (en effet, à supposer que les Drummond ne soient pas venus chercher de l'eau, elle avait du moins accompagné son mari, son bébé au bras, lorsqu'il était allé pelleter l'éboulement, et n'avait donc pu manquer de constater l'installation du campement), nous pouvons nous interroger sur l'insistance de la jeune mère à nier ce fait. Et l'on ne peut qu'acquiescer à la féroce conclusion du Rapport (p. 229) : "on peut déduire de tout cela que si l'on dissimule maintenant avec autant d'acharnement la venue des Anglaises à la ferme, c'est que l'on ne veut pas qu'il soit établi qu'Élisabeth Drummond, seule rescapée du crime par coups de feu, ait reconnu le ou les meurtriers, ce qui est la raison de son horrible exécution". Ce qui nous renvoie à une remarque de Gaston faite au commissaire Sébeille : "j'ai assommé la fillette, pour ne pas qu'elle parle" (P. V. 442/8 bis, cote D 210, page 3).
Enfin, les Commissaires relèvent des contradictions entre Nervi (le boucher qui, au matin du 5 août, avait conduit la bru de Gaston à Forcalquier) et Yvette, laquelle avait déclaré à son chauffeur improvisé, que les occupants de la ferme n'avaient "rien entendu". Là encore, le commentaire est cinglant : "En niant en bloc trop de choses établies, elle [Yvette] ne peut espérer convaincre quiconque de l'innocence de son beau-père, dont elle sait parfaitement que la condamnation est définitive, et n'a jamais cherché pendant toute la durée de l'enquête qu'à sauver son mari en adoptant une attitude semblable à la sienne" (pp. 168 sq.)

 

4.3.2 Clovis

 

Le cas Clovis est peut-être encore plus intéressant que celui du cadet. Le Rapport tente de démontrer que toute la stratégie de l'ouvrier-poseur a consisté à sauver Gustave, et on peut avancer que, sur ce point précis, la démonstration paraît sans failles. Ce qui entraîne qu'on obtient ainsi un portrait très contrasté : sans aller jusqu'à reprendre Hésiode qui, en sa Théogonie, fait allusion au "rusé Chronos, aux pensers fourbes, le plus terrible de tous qui, du jour même de sa naissance, prit en haine son père" (et dans cette perspective, Ouranos serait Gaston…), on est contraint de constater que ce témoin capital, et courageux jusqu'à la mort, n'était pas aussi transparent qu'on eût pu le croire. Si, en effet, on peut penser que la prétendue haine du père n'a rien à voir avec sa conduite, laquelle en tout cas n'était pas dictée par le dépit, à propos de la fameuse terre de l'Iscle (sans doute convoitée mais non obtenue), en revanche plusieurs déclarations et louvoiements du fils aîné donnent tout de même à penser, et le Rapport apporte à ce sujet des éléments de réponse.
Ainsi de ce qui eut lieu pendant l'incarcération de Gustave. Sur interpellation, Clovis prétendit, le 13 novembre 1953 (442/7) avoir couché "pendant un mois, un mois et demi" à la Grand'Terre, sur demande de son père (ce qui, soit dit en passant, écarte d'emblée l'idée de haine, réciproque ou pas). Or, le Rapport établit qu'il n'y allait qu'un jour sur deux, en alternance avec son beau-frère Clément Caillat (l'époux d'Augusta, qui demeurait à Sainte-Tulle).
Par ailleurs, toujours à Digne, et le lendemain de la déposition qu'on vient de lire (le 14 novembre 1953 à 0 h 45), Clovis déclare au juge Périès : "Il [son père] a employé le mot de carabine, mais je pensais à ce moment-là qu'il s'agissait du fusil Gras transformé dont il se servait pour aller à la chasse au sanglier".
Or, fait-on remarquer (p. 142), "on ne comprend pas pour quelle raison il [Clovis] avait pensé au fusil Gras puisqu'il s'était effondré en reconnaissant, bien avant les confidences de son père, la carabine dont il avait constaté la disparition. Au surplus, il n'ignorait pas que cette carabine qu'on lui avait présentée était l'arme du crime. Enfin, nous savons par Aimé Dominici que ce fusil Gras n'a jamais été en service" (PV 424/4, page 5). En effet, le témoignage capital d'Aimé avait auparavant attesté la dangerosité du fusil Gras transformé qui, pour cette raison, n'avait jamais été utilisé ! Ce qui démontre ipso facto le mensonge flagrant de Clovis, qu'on s'explique difficilement, pas davantage que lorsque, ayant nié par deux fois connaître cette carabine, "il a déclaré qu'il allait dire maintenant toute la vérité" (Rapport, p. 90)...

Mais arrivé à ce point, il est nécessaire de relever une contradiction interne dans ce texte, qui n'a peut-être pas été relu avec suffisamment d'attention, puisqu'auparavant (page 11), on avait pu trouver "Il est anormal de prendre une telle arme [l'US-M1] pour tirer la nuit le blaireau ou quelque gibier, alors qu'il [Gaston] disposait d'un fusil de chasse"…
Quoi qu'il en soit, si justice est faite à propos de la haine supposée de Clovis pour son père, dont le sujet serait une terre convoitée par le fils (alors que l'origine du ressentiment est en partie la conduite grossière de Gaston à l'égard de sa bru…), il n'en reste pas moins que, sur la question d'une phrase prononcée par Clovis ("tant vaut un vieux qui aille en prison, plutôt qu'un jeune innocent"), les nombreux efforts des Commissaires semblent aboutir, et que leur conclusion apparaît parfaitement recevable : non seulement, peut-être, à propos de la "collusion manifeste" (p. 94) entre Clovis et Gustave, mais encore et surtout, comme on l'a dit en commençant, sur l'intelligence de l'aîné tout entière tournée vers la protection du cadet – on sait par ailleurs comment le Tave a remercié Clovis… Mentionnons cependant que sur ce point, la lecture du procureur Sabatier - sur laquelle on reviendra longuement infra - a été beaucoup plus sévère que la nôtre : "S'il apparaît bien que Clovis Dominici a continué à mentir après ses accusations de novembre 1953, il est… difficile de parler de collusion entre les deux frères qui s'opposent sur de nombreux points et s'injurient lorsqu'on les confronte. Rien, en tout cas, ne permet de dire que leurs mensonges communs tendent à cacher la culpabilité de Gustave".

 

4.3.3 L'enfantouillasse

 

Et venons-en à l'adolescent que les journalistes avaient nommé le roi des menteurs. Notons tout d'abord un fait curieux : alors que le Rapport n'insiste pas sur l'âge réel de Zézé ("Roger Perrin, âgé de 16 ans au moment des faits" – page 109 – en fait, près de seize ans et demi : 16a:05m:08j), ils précisent sans nécessité aucune celui de son jeune cousin Alain, à propos du soi-disant goûter que la grand-mère Barth devait faire prendre au bébé, car sa mère Yvette "n'avait rien de prêt à la maison" : "né le 7 octobre 1951, son fils n'avait pas dix mois" (p. 164). On nous apprend seulement (en rappelant la première audition conduite par le commissaire Constant, le 23 septembre 1952 - cote 387/69) que Zézé est né à la Grand'Terre, "où il a passé la plus grande partie de son enfance". Ce qui donne, déjà, une idée fort précise et de sa familiarité avec les lieux, et de sa proximité avec les habitants de la ferme.
L'habileté du Rapport, à son sujet, est de lister ses déclarations successives, ce qui n'est pas sans donner le tournis au lecteur. Les Commissaires parlent d'ailleurs d'un "comportement insolite" (p. 114). Néanmoins, comme ils le font observer, cet adolescent au comportement insolite a cependant permis d'établir des faits qu'ils tiennent pour incontestables :

- venue à la Grand'Terre, le 4 au soir, d'Élisabeth et de sa mère "quelques instants après leur arrivée" sur le terre-plein. Selon Zézé, rapportant les propos d'Yvette (7 mai 53, cote 387/151), les Anglais seraient arrivés vers 19 heures, 19 h 30, et les dames seraient venues "un peu plus tard" chercher de l'eau (p. 225. Rappelons que, aux dires de Gaston, les Drummond étaient en place dès 19 h 30) ;
- dérogation aux habitudes, avec le départ très matinal (03;30) de Gaston, et le lever plus matinal (vers 03;45) de Gustave ;
- présence à la Grand'Terre des époux Barth (parents d'Yvette), le 5 au matin ;

Tous éléments qui, il faut le remarquer, s'ils peuvent corroborer l'hypothèse de la nuit passée par Zézé à la Grand'Terre, n'en apportent cependant pas la preuve définitive.
Quoi qu'il en soit, le Rapport observe finement que Zézé ne ment que lorsqu'il est question de son éventuelle implication ; et dès lors, on peut comprendre l'acharnement des policiers parisiens à retracer son rôle exact "dans l'exécution du forfait" (p. 120). Mais là encore, malgré tous les efforts déployés, l'enquête n'aboutit pas ; et la remarque suivante fera sourire ceux qui sont attachés à la qualité de l'administration de la preuve : "de l'ensemble des témoignages recueillis, il apparaît que l'intéressé [Zézé] a effectivement pu se trouver à la Grand'Terre dans la nuit du crime" (p. 127 – Souligné par nous)… On comprend pourquoi la conclusion est de la même eau : "L'attitude de Roger Perrin face à son oncle Gustave, à sa tante Yvette et à son grand-père, laisse à penser que, même s'il a porté l'enfant, il s'estime à l'abri de toute poursuite, car il n'a personnellement ni tiré, ni porté de coups" p. 258).
On comprend que le procureur Sabatier, comme le juge Carrias, n'aient pas eu trop de mal à renverser ce genre de construction intellectuelle, même si Chenevier ne cache pas sa stupéfaction d'avoir entendu le commis boucher s'adresser avec la plus extrême vulgarité à son grand-père, le traitant de "vieux con", le sommant de parler, et le menaçant de parler à sa suite...

 

4.3.4 La désolation d'Aimé et de Mauricette

 

Le Rapport analyse longuement et avec une remarquable perspicacité l'étrange comportement - pour ne pas dire le complet désarroi – de deux jeunes innocents, le couple formé par Aimé Dominici et Mauricette Girard (qui présente la particularité d'être à la fois la tante et la belle-soeur d'Yvette). Mariés depuis un an et demi (à Lurs, le 2 décembre 1950), les jeunes gens ont quitté la Grand'Terre le 24 janvier 1951 et se sont "placés" à Eygalières : le couple est donc parfaitement étranger à la commission du forfait. Mais apprenant le lendemain, par les journaux, le massacre des Drummond (à l'époque l'information ne circulait pas, comme aujourd'hui, à la vitesse de l'éclair !), Aimé et Mauricette ont une réaction d'épouvante telle que les Commissaires parisiens en tirent la conclusion, qui apparaît quelque peu hâtive, que le neuvième et dernier enfant de Gaston et de Marie (âgé de trente ans, au moment des crimes) connaissait l'existence de la carabine - ce qu'il a toujours nié devant les enquêteurs (p. 175), et soupçonnait l'implication de la Grand'Terre dans la tuerie. Rappelons au moins qu'Aimé fut un témoin très important, qui a entre autres apporté la preuve que le fusil Gras n'ayant jamais servi, Clovis ne pouvait imaginer que son père l'avait utilisé (p. 178) !

 

4.3.5 Conclusion

 

Au terme d'un long cheminement, et de raisonnements qui nous ont parfois paru assez spécieux, les Commissaires risquent de subtiles remarques, par exemple sur la connivence des habitants de la Grand'Terre, à propos de l'histoire du side-car (p. 158). Ils analysent ce cas en opposant le témoignage écrit de Ode Arnaud face aux contradictions des occupants de la Grand'Terre – pour ne rien dire de la déclaration de Mauricette Girard, épouse Dominici (selon elle, Gaston aurait entendu arriver... Gustave et Francis Perrin !). Et concluent qu'il s'agit d'une invention "pour prouver que tous les habitants de la ferme étaient couchés à 23 h 30 le 4 août 1952" (p. 237). Ils ont alors beau jeu de dénoncer avec humour les "fausses notes dans l'orchestration des témoignages", montrant par là qu'en dépit de toutes les dénégations et autres allusions mensongères pour dérouter les enquêteurs, les Dominici et leurs proches n'ont pas toujours réussi à accorder leurs violons (pp. 228-229)... Et ils vont jusqu'à parler de "l'entêtement stupide" d'un témoin (Augusta Caillat), "inaccessible à la logique" (pp. 183-184) : comme si cela était un fait nouveau…
Ils ajoutent même, à propos de l'un de ces singuliers témoins, "nous avons fait observer à ...  qu'il donnait l'impression d'avoir mal retenu sa leçon. En sa présence, nous avons mentionné dans le procès-verbal de sa déposition, son visible embarras". Ils insistent aussi, mais sans en avoir l'air, sur le climat étouffant qui devait régner à la Grand'Terre (d'ailleurs, Gustave, on s'en souvient, s'en était plaint auprès du juge Périès !) en faisant remarquer que l'aînée du couple Gaston-Marie (Ida, épouse Balmonet), vivant éloignée de Lurs (en Savoie) était la seule des enfants à admettre une possible implication de La Grand'Terre dans la commission des crimes.

Ils abattent alors leurs cartes, posant un principe qui apparaît éminemment contestable : "il est difficile de concevoir que le vieillard ait pu commettre le triple crime sans assistance" (p. 260). C'est pourquoi ils accordent le plus grand crédit à l'interrogatoire qu'ils avaient conduit aux Baumettes, lors de l'enquête "officieuse" :


"nous pensons qu'une partie de la vérité est exprimée dans le procès-verbal du 20 décembre 1954. C'est parce qu'il était amené à retracer son propre rôle que le condamné s'est tu. Ce jour-là, Gaston Dominici croyait suffisant d'engager la responsabilité de Gustave et de Roger Perrin pour faire admettre son innocence. Depuis, il s'est rendu compte - car la famille s'acharnait à le lui expliquer - que notre enquête ne devait pas le tirer d'affaire, mais au contraire tendre à prouver qu'il y avait au moins un complice. C'est la raison pour laquelle il a rétracté ses déclarations concernant ce qu'il avait vu lui-même, pour ne s'en tenir qu'à ce qu'il prétend avoir entendu, évitant de cette façon une mise en cause personnelle trop précise".


Auparavant, ils n'avaient pas manqué de souligner :


"À l'encontre de Gustave qui voudrait faire croire à l'existence d'un meurtrier étranger à la Grand'Terre, Gaston Dominici n'a jamais envisagé cette hypothèse ; il n'a même parlé que de Gustave comme auteur du crime, alors qu'il n'a jamais mis en cause Clovis qui, lui, a toujours maintenu ses accusations, ni Paul Maillet, pourtant à l'origine des ennuis de la famille et de sa condamnation... […] Il faut constater également que s'il dénonce la présence de Roger Perrin à la Grand'Terre et même sur les lieux dans la nuit du crime, il ne lui reproche pas d'être : "l'auteur du coup". Gaston Dominici n'a donc accusé depuis novembre 1953, et n'accuse encore, que son fils Gustave" ( p. 253).


Ils assoient donc leur conviction dans les termes suivants :


"La collusion maladroite de certains membres de cette famille (en particulier Mauricette Dominici et la femme du condamné) n'apporte aucun élément susceptible de dégager la responsabilité de Gustave. Au contraire, leurs déclarations démontrent bien que tout a été tenté pour le sauver, et celles de Clovis n'ont eu qu'un but : assurer la sauvegarde de Gustave au détriment de Gaston Dominici, puisqu'il fallait bien que le criminel soit à la Grand'Terre". (p. 256).




Hélas, au terme d'une étude aussi remarquablement fouillée, ils nous paraissent se décrédibiliser totalement lorsqu'ils évoquent le sort de l'enfant Drummond : "Ce n'est pas parce qu'aucune trace de sang n'a été relevée entre le campement et le ravin qu'elle [Élisabeth] n'a pas été transportée après ses blessures. Elle a très bien pu être roulée dans une couverture ou un vêtement quelconque - et nous pensons à la gabardine retrouvée dans la gare désaffectée" (p. 259. Souligné par nous). Comment, en effet, l'authentique résistant (un temps "pensionnaire" à Neuengamme) Chenevier, a-t-il pu accorder foi aux balivernes, pour ne pas dire aux mensonges de Reine Ribo, "chevalier du pendule" pour reprendre l'expression du commissaire Constant, et dont il ne pouvait ignorer qu'elle avait été condamnée à mort pour faits de collaboration ? Elle qui, dès le 28 août 1952, avait annoncé, avec son acolyte et amant J. Calté, autre fin limier, au Procureur de Digne, "un proche départ de l'assassin à l'étranger"… Une pareille bourde nous paraît indigne de tout le travail sérieux que rapporte le long mémoire des deux Commissaires parisiens. Assez insensée et grave pour ébranler sinon discréditer tout leur édifice si péniblement élaboré.

En tout état de cause, comment un tel Rapport, dans lequel foisonnent les "nous pensons... nous sommes persuadés... nous estimons...  l'impression nous est donnée, etc." pouvait-il prétendre être supérieur au précédent dossier établi pour la Cour d'assises ?