Pour commémorer les septante années qui nous séparent du triple crime de Lurs, j'ai souhaité mettre en relief un écrit bien oublié, voire même passé quasiment inaperçu, lors de sa publication. En effet, j'éprouve une tendresse certaine teintée d'indulgence pour mon estimée collègue Marie Fougeron, qui s'est battue bec et ongles en faveur du vieux sanglier de Lurs - sacrée naïve que cette institutrice de Pégomas ! Mais si elle s'est trompée tout du long, c'est aussi et surtout qu'on l'a trompée, elle qui croyait à la bonté intrinsèque de l'âme humaine, et qui s'est servie de ses propres deniers (ses plaquettes ont été imprimées à compte d'auteur) sans jamais chercher à retirer quelque avantage que ce soit pour elle : suivez mon regard, le fait est assez inhabituel pour être souligné, que dis-je magnifié.
Et c'est pourquoi, alors qu'il faudrait rectifier les erreurs (je ne dis pas contre-vérités) proférées à chaque ligne, je commenterai très peu son écrit - puisque je l'ai déjà fait, il y a pas mal de temps, dans la Bibliographie. Au fait, les trois principaux "mis en cause" sont : Antoine Llorca (1913-1997), Roger Salvatelli, dit "Jujube" (1928-1999) et André Roux (1934-1972).

 

"Doutera-t-on de la véracité du récit ? De cette accablante déposition ? Je crois difficile d'en douter"

Marie Fougeron [Rions un peu...]

 

 

[Le texte porte en sous-titre : Pour la libération d'un innocent, Gaston Dominici]

 

 

PREMIÈRE PARTIE : En marge de la déposition d'Antoine Llorca

 

J'avais déjà entendu parler de l'arrivée en scène d'Antoine Llorca, nouveau témoin dans l'affaire de Lurs, mais je n'avais pas encore lu sa déposition, publiée dans le n° 28 [mai 1956] de "Jours de France". Ce n'est qu'en cette mi-janvier 1956 que le hasard (qui n'est jamais qu'un enchaînement de circonstances) me l'a fait découvrir. Et bien que le magazine ait déjà été jauni par le soleil et le temps, l'intérêt du témoignage qu'il renferme n'a pas vieilli.

J'ai sous les yeux ce texte sincère et naïvement écrit, et plus je le lis, plus j'ai le sentiment que c'est là, dans ce journal de batteuse - d'une batteuse qui se déplace dans les parages de Lurs et à l'heure du crime de Lurs - que se cache le secret de l'énigme.

À travers son récit sec comme un canevas, mais précis, abondant en détails significatifs, marqué d'un sceau d'authenticité par son style d'ouvrier (riche en mots d'argot et en incorrections grammaticales, néanmoins clair et vivant) Antoine Llorca nous emmène, du 29 juillet au 7 août, aux environs de Forcalquier, dans le sillage de la batteuse de M. S... et de son équipe de travailleurs.

Or, dans cette équipe, deux hommes ne tardent pas à prendre un relief inquiétant et à faire figure de larrons et de mauvais sujets.

Llorca, qui n'est point de la région et qui a été embauché occasionnellement à Apt, se verra attribuer une tâche en commun avec ces deux hommes, qu'il appelle les "deux jeunes", en établissant toutefois une différence d'âge entre eux qui lui fera désigner l'aîné par "le plus vieux" ou "le vieux".

Donc, pendant une semaine, du 30 juillet au 7 août 1952, Llorca vit, travaille, mange, dort dans la société de ces hommes et bien malgré lui, il est le témoin de leurs faits et gestes, le témoin de leur conduite et des écarts de cette conduite, le témoin de leurs éclipses et notamment de l'éclipse nocturne du 4 au 5, qui va être une charge terrible, comme il sera témoin de leur retour plein d'indices révélateurs qui permettent de tout supposer.

Mais n'anticipons pas et suivons Llorca, en dégageant de son récit ce qui étaye la conviction qu'il s'est faite que "les deux jeunes" partis sur les bords de la Durance le soir du 4 août y ont accompli une action sanglante qui ne peut être que le crime de Lurs.

Tout d'abord observons les deux suspects de Llorca jusqu'au 4.

Llorca, au moment de s'embaucher, avait acheté à Apt une savonnette Cadum et des timbres-poste qu'il avait mis dans sa valise.

Après sa première demi-journée de travail, voulant recommencer sa hâtive toilette de l'aube, il cherche son savon Cadum, il ne le trouve plus et s'aperçoit qu'on a fouillé dans sa valise.

Plus tard, le 5 août, à l'endroit où les deux suspects se seront lavés, il. retrouvera un bout de papier portant le mot Cadum.

À table, il s'aperçoit que la poche du "plus vieux" devient une réserve de tranches de jambon.

Enfin, il surprend ce même "plus vieux" fouillant la veste du patron de la ferme, quelques heures après avoir essuyé un refus de Llorca à une demande d'argent.

Remarquons que cet incident met en opposition la nature de Llorca et celle de ces deux compagnons. Car la malhonnêteté du plus vieux indigne Llorca :

"C'est salaud ce que tu fais là, s'écrie-t-il, s'il venait à manquer quelque chose, on serait tous doutés".

La même différence s'affirme dans la manière dont et l'un et l'autre s'attribuent un chapeau pour protéger leurs cheveux et leur visage de la balle qui vole ou du soleil dévorant. Le "plus vieux" s'est désinvoltement approprié le chapeau du fils du patron (fils ou gendre). Llorca, lui, ne prend pas, mais demande un vieux chapeau parce qu'avec son béret "la chaleur est assommante".

Ainsi, dès les premiers jours, nous pouvons déjà être convaincus que ces deux ouvriers de batteuse ne sont pas des prix d'honnêteté.

Sont-ils au moins des travailleurs ? Donnent-ils bien leur journée à qui les emploie, ou se dérobent-ils à leur tâche autant qu'ils le peuvent ? Sont-ils tout à leur batteuse ou ne semblent-ils pas "embauchés" en même temps dans quelque action clandestine qui les intéresse bien davantage ?

Il apparaît nettement à travers le récit de Llorca, que ces deux ouvriers mènent un jeu secret. Ils font bande à part, s'éclipsent, découchent, abandonnent même le copieux repas de la batteuse. À quoi donc le sacrifient-ils ?

Vraisemblablement au besoin qu'ils ont de s'entretenir secrètement, d'aller rôder ou marauder, ou élaborer quelque audacieux projet ?

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Enfin c'est le 4 août, le jour qui précède la nuit du crime que le témoignage de Llorca devient le plus important et je lui passe la parole :

"Le 4 août 1952, on est parti pour la ferme avant P... et on a placé la batteuse et mis au travail. Ça devait être 10 h. 30 environ. Je me suis aperçu que le "plus vieux" n'était pas avec nous et s'était absenté. Il est arrivé au moins à midi et demie environ. J'avais une drôle de colère quand il a monté sur la gerbière pour me remplacer. Je lui ai dit : "D'où tu viens ? Je vais le dire au patron".
Le plus jeune, d'un air méchant, m'a répondu : "ESSAIE DE LE DIRE AU PATRON !". J'ai riposté : "OUI, JE VAIS LUI DIRE" et j'ai descendu de la gerbière pour aller trouver le patron. Mais je n'ai pas tenu compte que celui-ci me suivait et d'un coup, une pluie de coups de poing s'est abattue sur moi. Le patron était là et nous a séparés. Je ne l'ai pas frappé, mais moi j'en ai reçu une bonne trempée. J'avais la lèvre d'en haut qui saignait. Le patron m'a donné tort à moi et il m'a dit "TU NE VOIS PAS QUE C'EST DES ENFANTS ?". Et il m'a dit : "ALLEZ, MONTE FAIRE PASSER DES GERBES". En même temps, il a dit au "plus vieux" : "VA-T-EN À P..., TU DIRAS À TON PATRON QU'ON NE VA PAS DÎNER CHEZ LUI, ON FINIRA TROP TARD ICI". Il s'est pas fait dire deux fois et à son retour, j'ai pu me reposer un peu, mais j'en avais peur de ces deux drôles".

Ainsi, voilà un incident qui nous révèle un autre trait de caractère de nos suspects. Le jeune, sinon le vieux, est coléreux et brutal. Il a frappé Llorca jusqu'au sang. Remarquons en outre qu'il a pris fait et cause pour son camarade, puisque ce n'était pas l'absence du jeune mais celle du vieux que Llorca menaçait de révéler. Or, pourquoi s'est-il ainsi enflammé de colère alors qu'il n'était pas en cause ? Croira-t-on que c'est par amitié et par esprit chevaleresque ? C'est bien plutôt, il me semble, parce que connaissant le motif d'absence de son ami, il a pris peur. Cette malencontreuse dénonciation n'allait-elle pas mettre à jour leurs secrets agissements et faire tout échouer ?

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Au reste, la suite des événements va nous confirmer dans l'idée que ces deux ouvriers trament quelque chose.

Reprenons le récit de Llorca. Il nous conduit au dernier déplacement de la batteuse, à la ferme de P...

"Au repas du dîner, il y avait des rumeurs mauvaises, ils n'ont pas resté à table longtemps. Après dîner, on est parti à la ferme P... par un chemin qui fait le grand tour des terres et eux deux ont passé à travers les champs et à notre arrivée, ils n'étaient pas là... mais au moment où j'allais mettre le cric pour tendre la grosse courroie, j'ai vu le plus jeune à une porte du poulailler".

Llorca les appelle et ils viennent tous les deux. Mais voici que pour calmer sa soif, Llorca demande au plus vieux — qui connaît déjà cette ferme — de lui indiquer où se trouve la pompe. Or, au lieu de répondre, cette phrase a pour effet de le faire retourner en vitesse vers le poulailler.

Alors Llorca le suit et voici :

"Je l'ai suivi et à mon arrivée à la porte, j'ai vu qu'il a caché derrière le mur d'une autre pièce à côté, la CARABINE, car j'ai vu LA CROSSE dans le bas de ses pantalons. Mais comme le matin, j'avais reçu une dérouillée par le plus jeune, j'ai rien dit. Il y avait la pompe et une bouteille de vin et un verre sur la fenêtre, mes oeils se sont portés sur un chiffon plein de graisse, une tenaille et un tournevis. Je n'ai pas fait cas de rien. J'ai sorti et je me suis assis à l'ombre et fumé une cigarette".

On ne peut lire cette dernière révélation capitale, sans penser à la fameuse carabine du procès Dominici.

Or, cette carabine, vue par Llorca, juste au matin du 4 août et qu'il, appelle d'ailleurs "la carabine", est-elle celle qui, moins de 24 heures après, va donner trois fois la mort à Lurs, disparaître dans la Durance, en sortir pour témoigner et devenir cette "arme du crime" autour de laquelle tourne le procès ?

La question se pose et ne doit pas être évitée. Tout d'abord revenons au texte de Llorca. La carabine n'est pas une hallucination du témoin, car elle explique parfaitement les faits et gestes du "plus vieux".

En effet, quand Llorca demande où est la pompe, le vieux sait que la pompe est près du poulailler d'où il sortait, il y a un instant. Il n'a garde de renseigner Llorca, mais à l'idée que celui-ci va tout de même s'y rendre, il prend peur et a souci de le devancer sur ces lieux. Pourquoi ?

Si Llorca ne l'avait pas suivi promptement et ne l'avait pas surpris dissimulant une carabine qui, avant de disparaître, a laissé entrevoir sa crosse, nous ne comprendrions rien à ce rapide retour vers le poulailler. Mais la carabine explique tout. Elle avait été laissée en évidence. Il ne fallait pas que Llorca la voit [sic], que Llorca devine à quoi tous deux étaient occupés dans le poulailler avant l'arrivée des autres travailleurs.

La demande de Llorca provoque le réflexe prudent : courir cacher l'objet compromettant. Quand Llorca arrive... c'est fait. Il ne soupçonne pas que "les oeils" de Llorca se sont portés sur la crosse qui dépassait au bas de ses pantalons ; que "les oeils" de Llorca ont noté aussi le chiffon plein de graisse, les tenailles et le tournevis qui ont dû servir au nettoyage ou au raccommodage de l'engin. Car Llorca, comme il le dit, se souvenant "de la dérouillée" du matin "ne fait cas de rien", et sa soif calmée, s'en va tranquillement à l'ombre pour fumer une cigarette.

Mais une carabine est là, tombée entre les mains des deux drôles. D'où peut-elle venir ?

Puisqu'ils ont déjà vagabondé, ne l'auraient-ils pas recrutée au cours de leurs vagabondages et portée à la ferme où ils savaient aller sous peu ? Comment l'ont-ils recrutée ? Empruntée ? Volée ?

En tous cas, si cette carabine n'est pas encore l'arme du crime, elle a tout l'air d'être l'arme d'un complot ; l'arme qui doit favoriser quelque mauvais dessein.

Ce qui se passe ensuite, vient d'ailleurs confirmer ce que Llorca a vu et prouve bien qu'il n'a pas été victime de son imagination, car voici :

"Je me suis remis au travail. Après le goûter, environ vers 7 heures du soir, j'ai entendu le plus jeune qui disait au plus vieux : "SI ON ALLAIT L'ESSAYER LÀ-BAS DANS LE RUISSEAU". Il a répondu : "Non, ça fait du bruit encore et même avec avec le bruit du tracteur, on l'entendrait".

Comment encore ne pas penser à la carabine du procès, maniée par un homme qui ne connaissait pas son arme.

Mais suivons toujours le récit de Llorca :

"Ils n'y sont pas allés. La nuit est venue et le plus vieux m'a dit : "ON VA PRENDRE UN BAIN DANS LA DURANCE ET PUIS ON VA VOIR LES POUPÉES". Je lui ai répondu : "PROFITEZ-EN BIEN VOUS QUI ÊTES JEUNES HOMMES, MOI JE SUIS MARIÉ". Il était déjà nuit. Le patron arrête la batteuse. Ils ont planté la fourche et partis. Nous sommes allés nous mettre à table. Le fermier de P... a dit à M. S... : "MAIS IL ME SEMBLE QU'IL EN MANQUE". On avait déjà commencé à manger. M. S... m'a dit : "OÙ ILS SONT LES DEUX AUTRES ?" J'ai répondu : "ILS SONT ALLÉS SE BAIGNER DANS LA DURANCE". Celui qui s'occupe à la batteuse de remplir les sacs a dit "IL Y A DES RATS QUI SE PROMÈNENT LA NUIT". On a fini de souper et je suis été me coucher comme d'habitude, à l'aire".

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Et c'est la nuit du 4 août.

Où est la carabine vue par Llorca ?

Au début de cette nuit sinistre, est-elle sortie du coin où elle se cachait ? L'heure de l'essayer, pour de bon, est-elle venue ? "Les deux", en partant, sont-ils passés la prendre et l'ont-ils emportée vers la Durance ? Est-ce celle-ci qui éclatera dans quelques heures sous le ciel de Lurs ? Est-ce cette crosse, entrevue par Llorca, qui s'abattra sauvagement sur le front de la petite Elizabeth ?

On a peur d'avancer des choses pareilles ! Mais à propos des Dominici, on a bien osé les avancer et sur des indices moindres. On a bien osé changer l'hypothèse en accusation et l'accusation en condamnation à mort.

Alors... quand un témoignage est apporté où tout s'enchaîne et se tient, on aurait peur de l'examiner, peur d'envisager une autre hypothèse qui peut sauver un innocent ? Ne parlons pas encore de coupables, mais n'y a-t-il pas, là, matière à présomptions ?

N'y a-t-il pas deux rôdeurs de la nuit du 4 qu'il est aussi légitime de soumettre à des interrogatoires que les membres de la famille Dominici, contre lesquels il n'y avait d'autres présomptions que d'être les voisins des campeurs, ce qui n'en est pas.

Nous n'avons garde d'accuser, mais nous étudions le récit de Llorca et nous sommes obligés de reconnaître que nous assistons à la préparation secrète de quelque chose où une carabine entre en jeu.

Si Llorca est sincère, et tout dit qu'il l'est, il y avait au matin du 4 août, dans une ferme peu éloignée de Lurs, deux hommes qui cachaient une carabine, qui avaient dû la fourbir, qui avaient eu envie de l'essayer, qui n'ont pas osé de peur que son bruit ne soit pas couvert par celui du tracteur. Au soir de ce 4 août, ces deux hommes dédaignent le repas de la batteuse, déclarent qu'ils vont prendre un bain à la Durance (et voir les poupées) et disparaissent jusqu'au lendemain.

La nuit de ces deux hommes, nous ne la connaissons pas, mais puisqu'ils n'ont pas couché à. la ferme qui les emploie, ils ont été des rôdeurs dans la nuit du 4 au 5 et des rôdeurs, propriétaires d'une carabine qu'ils brûlaient d'essayer.

Quand le matin du 5 août révèle un triple assassinat aux bords de La Durance, il est naturel de suspecter les rôdeurs. Quand les détails atroces du meurtre révèlent à la fois une brute et un novice ayant usé d'une arme dont il ignorait le maniement, quand, par surcroît, deux témoins ont aperçu, l'un deux hommes en short, l'autre : deux jeunes gens dans les parages de l'auto, on ne peut s'empêcher de voir que tout cadre avec le récit de Llorca et qu'une enquête s'impose, dans une voie inexploitée par le commissaire Sébeille.

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Mais si les lendemains du crime n'apportaient rien de nouveau dans le comportement des deux suspects, on pourrait abandonner cette piste.

Car je n'imagine pas des criminels qui n'apporteraient pas avec eux comme un relent de l'abomination où ils auraient plongé ; des criminels qui ne seraient pas énervés ou abattus, pleins d'anxiété et d'agitation mal contenues ; prêts à se lever et à quitter la place pour un mot dont ils prendraient ombrage et où ils croiraient voir une allusion, un soupçon. Bref, je n'imagine pas des criminels parvenant à enterrer leur crime en eux-mêmes et n'ayant pas à se débattre avec les suites de ce crime. Car, une fois accompli, il ne se séparera pas de celui qui l'a fait. On peut en laver le sang sur ses mains, ses habits, son corps, le sortira-t-on de sa pensée, de sa mémoire... et l'empêchera-t-on d'engendrer, de proliférer ? Car, après le crime de la tentation, vient le crime de la sécurité qui porte à vouloir supprimer le témoin ou même les enquêteurs clairvoyants.

Or, ces lendemains du crime, cherchons, si, dans le récit de Llorca, il y en a une trace.

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Le 5 août se lève. A la ferme de P... pour tous ceux qui ont dormi tranquillement sur leur travail de batteuse, c'est une aube comme les autres. On ignore ce qui s'est passé à Lurs.

Mais il en est deux qui doivent le savoir, les deux absents. Et, en effet, vers 7 h. 30, ils arriveront et en apporteront la nouvelle. Mais reprenons le récit de Llorca :

"Le lendemain matin, c'est celui qui s'occupe de remplir les sacs qui m'a réveillé. C'était le 5 août 1952. Comme les autres jours, un peu avant la levée du soleil, la batteuse est en marche et le patron s'est vite aperçu que les deux jeunes n'étaient pas là. Il m'a demandé : "ILS NE SONT PAS ARRIVÉS ?". J'ai répondu : "JE NE SAIS PAS, MOI JE LES AI PAS VUS."

"Et vers 7 h. 30 environ, je les ai vus arrivés. Alors, j'ai appelé le patron qui leur a dit, d'un air pas content : "ALLEZ OU VOUS VOUDREZ, MAIS À L'HEURE IL FAUT ÊTRE AU TRAVAIL". Ils ont répondu : "ON A TUÉ, LÀ-BAS, À LA DURANCE ET DEPUIS CINQ HEURES, LES GENDARMES NOUS TIENNENT POUR NOUS FAIRE PARLER". Le patron a répondu : "JE LE DEMANDERAI AUX GENDARMES, SI C'EST BIEN VRAI ÇA". Et ils se sont mis au travail. Vers 8 heures et demie, le patron arrête la batteuse pour aller déjeuner et on est allé se laver les mains. Le plus jeune était devant moi et à la sortie du poulailler, il s'est épousseté les mains et avec le pied il a jeté de la terre sur son short tout taché de sang qui était dans un coin, et il a compris qu'il était trop en vue. Sur le moment, j'ai pensé qu'il s'agissait d'avoir saigné du nez, mais quand je me suis mis à table, je n'ai pas pu me retenir de faire du genou à mon camarade de chaque côté de moi, en disant : "QUELLE ODEUR ON SENT, ÇA ME SOULÈVE L'ESTOMAC". Et tout d'un coup, les deux jeunes gens se sont levés de table et sortis dehors. On a pu manger quelques bouchées. Nous étions tous tristes et muets. Cette odeur avait passé un peu quand ils ont eu sortis".

Ainsi ce jeune, parti la veille se laver à la Durance, en est revenu avec un short taché de sang. Jeté en hâte dans un coin du poulailler (leur vestiaire sans doute) ce short sanglant a inquiété son propriétaire comme une pièce trop visible et compromettante qu'il n'avait pas assez dissimulée et vite, en espérant ne pas être vu, il a envoyé de la terre avec son pied pour couvrir le sang.

Mais ce sang est-il seulement sur le short qu'il a dépouillé ? Non, il semble attaché à sa personne. Car "cette odeur qui soulève l'estomac" dont parle Llorca, ne serait-ce pas celle du sang, celle d'un charnier, celle des cadavres ?

Et d'où vient qu'ils se lèvent, aussitôt que l'odeur étrange a été signalée ? D'où vient que leur présence cause un malaise général : "On a pu manger quelques bouchées. Nous étions tous tristes et muets".

N'apportent-ils pas même comme une malédiction sur cette journée de batteuse ? Car le patron coule deux bielles de son tracteur et fait réclamer le mécanicien. M. S... ne mangera pas et se trouvera mal... On lui fera une infusion avant d'aller se coucher.

Se doute-t-il donc de quelque chose ? Comme Llorca, et sans oser le dire, il a peut-être fait, lui aussi, des remarques et il demanderait peut-être volontiers : "Où étiez-vous cette nuit ? Pouvez-vous jurer que vous êtes étrangers à ce qui s'est passé au bord de la Durance ?"

Mais M. S... ne cherchera pas une dangereuse certitude. N'est-ce point l'affaire des enquêteurs ? Et Dieu veuille qu'ils tournent ailleurs que là.

Quant à Llorca, il est comme contraint par la vie à poursuivre ses observations. Il ne peut se défendre non plus d'une terrible curiosité. Il veut savoir, par exemple, lequel des deux traînait avec lui l'étrange odeur... et il écrit :

"Vers 7 heures environ du soir (le 6) le plus jeune a eu une crise nerveuse. On aurait dit QU'IL ALLAIT DEVENIR FOU. LES GERBES VOLAIENT UN PEU PARTOUT. Il a fallu arrêter la batteuse. Lui, son état moral avait changé beaucoup. C'était lui, hier, 5 août, j'avais cherché à savoir des deux qui c'était, qui sentait cette odeur, et j'avais remarqué qu'il avait des petits caillots de sang dans les cheveux, derrière l’oreille gauche".

Ainsi, l'un d'eux est signé d'un certain sang. Quel sang ? Dans la nuit du 4 au 5, la région de Forcalquier ne compte aucun autre crime que celui de Lurs. On n'y pas noté davantage quelque rixe sanglante. D'où vient ce sang qui marque le plus jeune ? Est-ce le sien propre ou le stigmate d'une victime et le débarbouillage incomplet après... le massacre ?

Nous venons surtout de voir le comportement du jeune, passons au comportement du vieux.

Ce dernier, qui a déjà eu plusieurs fois à souffrir de la gênante arrivée de Llorca, va être enclin à le considérer plus que jamais comme le témoin gênant et redoutable.

Deux coupables, auprès de lui, se demanderaient : "A-t-il deviné ? S'il devine, agirait-il ? Nous dénoncerait-il ? Convient-il de l'intimider, de le menacer ? Mais le menacer, c'est devancer son accusation et peut-être même son soupçon, c'est s'avouer coupables ?"

Dans cette angoissante incertitude sur ce qui se passe dans l'esprit du témoin, "le vieux" ne peut que le suivre, l'épier et c'est ce qu'il fait.

Llorca se sent l'objet d'une surveillance inquiète et haineuse, écoutons-le :

"J'ai pris ma serviette et un bout de savon et me suis dirigé vers le ruisseau. Le plus vieux m'a suivi. J'ai fait ma toilette et me suis assis sur un rouleau, pas loin du poulailler. Le vieux ne me quittait pas d'une semelle. Il s'est assis un peu plus bas à 4 ou 5 mètres de moi. Les autres étaient autour du tracteur quand tout en fumant ma cigarette, mes oeils se sont portés à la vue d'un chargeur vide et je lui ai montré : "TIENS, LES MAQUISARDS ONT PASSÉ PAR LÀ IL N'Y A PAS LONGTEMPS". Il s'est levé, a ramassé le chargeur et l'a jeté derrière les ronces, derrière le poulailler".

Voilà donc encore une pièce compromettante qu'on a hâte de faire disparaître.

La journée du 5 août finie, les deux demandent leur salaire, ne soupent pas et partent.

Des coupables, en effet, auraient hâte d'être seuls, entre complices. Ils auraient peur d'avoir à se mêler aux conversations d'un repas où le sujet qui s'impose est l'actualité du pays, le gros événement de la région.

...N'empêche que dans la nuit, ils reviennent. Les âmes en peine ne sentent de sécurité nulle part. Le problème de leur sécurité les absorbe et ils croient le résoudre dans l'étouffement de celui qui sait. Alors des velléités meurtrières se font jour contre celui qui est supposé détenir leur secret. Nous allons en voir la trace dans le récit de Llorca :

"Je suis été me coucher à côté de mes camarades. Mais j'avais tellement été surveillé par le plus vieux que j'avais peur même au côté de mes camarades. J'ai fait une prière et Dieu me disait de ne pas m'endormir. Et vers 2 heures environ du matin du 6 août, il y a eu comme une étincelle, comme un éclair qui m'a fait ouvrir les oeils. J'ai regardé dans l'obscurité, je ne vois rien. J'ai attendu au moins un quart d'heure. Après, j'ai entendu craquer le foin au côté de moi, puis, d'un coup, le vent de la respiration, et en même temps une main qui tâtonnait sur ma couverture, une autre a frôlé mon front. D'un coup brusque, poussant un cri, je me suis couvert. Mes mains ont senti la main du monstre qui restait prise dans la couverture. J'ai eu la force de donner avec mon pied un coup à mon camarade. Je les ai vus sortir à la porte tous les deux et ils ne sont plus revenus".

Cette intervention nocturne, comme on le voit, a été interprétée par Llorca comme une velléité meurtrière. à son égard. Il dit bien "la main du monstre"... Qu'il se soit trompé, c'est admissible. Pourtant les deux mauvais coucheurs se sont bien approchés comme des malfaiteurs hésitants au bord d'un nouveau coup. Si Llorca n'avait pas été réveillé, que se serait-il passé ? L'intervalle entre l'éclair qui a ouvert les yeux du dormeur (et qui était sans doute l'étincelle d'une allumette d'un briquet ou d'une lampe électrique) et l'instant où le foin craqua près de lui, ne fut-il pas lourd d'une sombre tentation à laquelle ils n'ont heureusement pas cédé. En tous cas, ils ne revenaient pas pour dormir, puisqu'ils repartent. Que venaient-ils donc faire ? Tâter la couverture et le front du dormeur ? Ce geste avait bien une raison d'être.

D'ailleurs, lorsque la nuit suivante ramènera les sinistres pensées, les pressentiments et les craintes, Llorca sera à nouveau sur le qui-vive :

"Si la dernière nuit, ils t'ont manqué, gare si je m'endors". Ils n'en voulaient rien qu'à moi seul. La nuit du 6 au 7, j'avais décidé de ne pas me coucher. Heureusement pour moi et je les ai entendus. Ils sont venus, mais je ne les ai pas laissé rentrer. Je leur ai dit : "SI VOUS VOULEZ VOUS COUCHER, COUCHEZ-VOUS À CÔTÉ DE LA PORTE" et ils l'ont fait et ILS ONT PARLÉ À VOIX BASSE UN BON MOMENT, PUIS SONT PARTIS."

Enfin, le 7 août, on touche à la fin de cette batteuse tragique et le départ semble très vivement désiré par tous. Mais voilà que sur la route, nous voyons encore apparaître une pièce qui rappelle un détail du fameux procès.

"Les Drummond avaient-ils un seau de toile ?" a-t-on entendu dire, maintes et maintes fois, au cours des enquêtes. On avait posé la question, il me semble, à leurs amis de Villefranche. Ce seau qui aurait dû être retrouvé dans leur voiture y manquait. Or, un seau de toile est un ustensile ménager qui fait vraisemblablement partie de l'équipement des campeurs. N'a-t-on pas dit même qu'Elizabeth avait dû aller à la ferme avec ledit seau ? Or, écoutons Llorca, contant la dernière phase de leur déplacement :

"Le tracteur fumait comme une locomotive. Le chauffeur a dit : "On a rien pour aller chercher de l'eau". Et c'est là que le plus vieux, que je crois qu'il s'appelle "Zé" de faux nom, a sorti de son sac UN SEAU DE TOILE qui a servi pour mettre de l'eau au tracteur."

Après la carabine, le short sanglant, le chargeur vide, voilà donc maintenant cette nouvelle pièce : le seau de toile...nbsp;?

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Et maintenant, recueillons, parmi les gens de la batteuse, d'autres paroles qui viennent corroborer les soupçons de Llorca, et prouver qu'il n'a pas dû être le seul à avoir échafaudé l'hypothèse du crime sur les mêmes suspects. C'est toujours son récit que je cite :

"On a repris la route pour Manosque, puis emprunté la grande route qui va à Apt. On s'est arrêté à une ferme à peu près 8 ou 15 kilomètres de Manosque. Le patron a dit : "Je ne sais pas si je commence, car le tracteur risque de tomber en panne". Alors c'était autour de l'aire que l'on attendait une décision du patron. Celui-ci, M. S... père, s'est approché des deux jeunes gens et leur a dit : "VOUS AVEZ FAIT DES BÊTISES L'AUTRE SOIR". Le plus vieux a répondu : "ON A RIEN FAIT, RIEN". Le patron : "VOUS AVEZ FAIT DU PROPRE !" Il avait les yeux pleins de larmes en prononçant ces paroles".

Donc, l'esprit de Llorca n'est pas le seul à faire un silencieux chemin dans la voie des soupçons, mais c'est de lui surtout que les jeunes prennent ombrage comme s'ils pressentaient qu'il est le seul susceptible de parler, de s'ériger en témoin. Et, une fois de plus, Llorca va sentir sa vie en danger. M. S... père est retourné à son tracteur. Llorca après avoir été boire à la ferme, revient vers l'aire :

"Là, j'ai vu le plus vieux, Zé, qui posait un gros sac bourré derrière la ferme. Je me suis approché et je lui ai dit "Tu as fait la malle ? Tu as espoir que ça dure longtemps le travail ? Le patron, lui, dit que c'est fini". Il ne m'a pas répondu et a cherché dans le sac À SORTIR UN RASOIR, dont, je crois bien, le manche était blanc. Il l'a repassé dans sa main, il l'a plié, l'a glissé dans sa poche et aux mouvements de ses lèvres, il a dit : "IL EST POUR TOI CELUI-LÀ". Un froid de glace m'a parcouru et je me suis décidé à partir".

Llorca, on le voit, craint d'être la quatrième victime de Lurs. Moralement, il semble qu'il y en a aussi une cinquième, car au moment de son départ, pour la seconde fois, il verra défaillir M. S... le patron de la batteuse. Voici son récit :

"Je suis été à la ferme, j'ai demandé s'il n'y avait pas un car pour Apt. On m'a dit : "il y en a un dans un quart d'heure. Le patron est venu. Je lui ai demandé de l'argent et je lui ai dit : "Vous me téléphonerez pour reprendre quand vous aurez réparé le tracteur". Il a eu juste la force de dire au chef : "Donne-lui 500 francs". Je lui ai pris des mains. En même temps, M. S... EST TOMBÉ PAR TERRE, BLANC COMME UN LINGE. J'ai entendu le klaxon du car, j'ai sorti et fait signe. J'ai monté dans le car. Je partais pour Apt".

Ainsi se termine l'odyssée de Llorca, embauché pour les batteuses et mêlé, par aventure, au drame d'une chaude nuit d'août qui bouleversa la région et mit du sang humain sur le pain du battage. Doutera-t-on de la véracité du récit ? Je crois difficile d'en douter. Antoine Llorca n'est pas un lettré. Il n'aurait pu inventer — s'il ne l'avait vécu — ce récit circonstancié et parfaitement cohérent. Et pourquoi l'aurait-il inventé ? Pour s'attirer des ennuis ? S'exposer à la vengeance de ceux qu'il mettait en cause ? Se placer en une fâcheuse position à l'égard de la Justice qu'il craint, qui est ombrageuse et n'aime pas qu'on attaque "la chose jugée" ? Se taire était bien plus tentant et la preuve c'est qu'il a cédé d'abord à cette tentation. Mais se taire était aussi une lâcheté et un suicide moral. Il a fini par le sentir et s'est alors imposé la tâche de traduire ce qu'il savait, donnant le dernier mot à sa conscience et non à sa peur. S'il l'a fait bien tardivement, il donne l'excuse d'avoir cru que d'autres, comme lui, ayant eu des soupçons, parleraient. Et ces autres plus instruits, plus éminents, lui paraissaient mieux qualifiés pour parler et se faire entendre :

"J'ai toujours dit qu'il y aura quelqu'un de plus intelligent que moi qui dira quelque chose. PUIS JAMAIS, JAMAIS RIEN. Puis j'ai tout oublié et je ne voulais pas entendre parler de rien".
Jusqu'au jeudi 25 novembre 1954, que j'avais pris le journal : "LE MIDI LIBRE" pour chercher une place à la campagne. Et sur ce journal, j'ai lu tout ce procès qui m'a donné à réfléchir. Puis le lendemain j'étais très énervé, puis de plus en plus et le dimanche je me décidai d'aller à Marseille, mais je n'avais plus d'argent... Enfin, j'ai eu 1.000 fr. pour aller à Marseille. Le 1er décembre 1954, j'étais au bureau du commissaire Sébeille, à 9 h. 30, mais je ne me souvenais plus de rien. J'ai dit ce que j'ai pu savoir, depuis je suis là à attendre une convocation. Jamais rien, rien, rien".

En résumé, nous voyons que lorsque les Dominici commençaient à monter leur calvaire sur des soupçons conçus par le commissaire Sébeille et que son autorité rendait accablants, ailleurs, dans une autre ferme, des soupçons différents prenaient corps dans un pauvre ouvrier qui n'avait pas, pour les imposer, l'autorité d'un commissaire réputé, mais qui avait le droit et le devoir de les traduire, de les livrer et qui a fini par le comprendre et par le faire.

De leur côté, si les patrons de la batteuse ou d'autres ont partagé les soupçons de Llorca, pourquoi n'ont-ils pas parlé ? Sans doute se sont-ils trouvé aussi des excuses. Des soupçons, se seront-ils dit, ne sont ni des documents, ni des preuves. Et peut-être ces soupçons se sont-ils dissous dans le courant d'une opinion contraire clamée par toute la presse. Ou, avec le temps, ils se sont endormis sous la vague des préoccupations personnelles.

C'est ainsi que se tue le germe de la vérité. Mais la vérité peut être mise de côté, ce qui prend alors sa place et se donne pour elle n'aura jamais bien bonne figure. La comédie perce, la contre-façon se décèle, les artifices apparaissent, on parle, tout bas, de "simulacre", on évoque, dans l'histoire, certaines "parodies de justice".

L'inquiétude et le Doute ont alors de courageux disciples. La vérité travaille certaines âmes et prend un jour sa revanche.

En sera-t-il de même dans l'affaire Dominici ? Qu'en raison de leur voisinage avec le lieu du drame, les Dominici aient été interrogés, qu'en raison de leur non-assistance à personne en danger, ils aient été inquiétés, condamnés sous ce chef, fort bien !

Mais on a passé vite de l'enquête à l'accusation monstrueuse, sans qu'on saisisse les raisons, les éléments de cette évolution.

Et si, après la condamnation, on a bien voulu ordonner une nouvelle enquête, il est malheureusement apparu qu'elle tournait dans le même orbe et on l'a intitulée d'ailleurs : "Recherche des complices de Dominici" comme si la culpabilité de Dominici restait prouvée et comme s'il s'agissait d’inquiéter ceux qui prendraient trop haut sa défense.

Mais les complices d'un innocent ne seraient logiquement que d'autres innocents, assez malheureux pour avoir déplu et porté ombrage à qui voudrait accréditer une erreur judiciaire, ou reculerait devant le devoir de la démasquer.

Bref, si, à la première enquête, le témoignage d'Antoine Llorca a fait défaut (ce qui excuserait partiellement l'erreur judiciaire), à la seconde enquête, il s'est produit, et il convient de s'apercevoir de son importance.

Cette accablante déposition fait surgir deux autres suspects si dignes d'attention que Dominici, à mon sens, ne serait déjà plus — pour les plus acharnés à le croire coupable — qu'un suspect secondaire.

En effet, quelqu'un a-t-il pu affirmer que le vieux Dominici n'a pas dormi à la Grand-Terre du 4 au 5 ?

— Non !

Par contre, Llorca atteste que deux hommes qui auraient dû dormir près de lui cette nuit-là s'en sont allés à la Durance, pour ne rentrer que le lendemain à 7 h. 30, l'un marqué de sang accroché à ses cheveux, ayant à dissimuler un short plein de sang et apportant avec lui une odeur repoussante et ne cessant pas de créer comme une atmosphère d'oppression et de drame.

Ce témoignage surgi, après le procès, n'est-il pas l'élément nouveau qui peut faire casser le premier jugement ?

Où ira-t-on si la poursuite du crime conduit au crime contre l'innocent qui couvre les criminels ?

C'est un peuple tout entier, qui se baigne alors dans le sang des victimes et en ajoute.

Antoine Llorca termine par ces paroles touchantes :

"Mon cœur a été blessé gravement par ces mots : condamner à mort un innocent. Cette blessure ne pourra se guérir que par une nouvelle enquête".

Mon cœur, plus blessé encore, exige davantage et je dis :

"Cette blessure ne pourra se guérir qu'en voyant ANNULER LES EFFETS DE L'ANCIENNE ENQUÊTE."

Chaque jour d'internement d'un innocent nous fait tous inhumains et coupables.

Au nom de la déposition de Llorca, que je trouve sincère, sérieuse, remarquable, il me semble pouvoir et devoir demander la libération de Gaston Dominici.

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P.S. — 1) À la déposition de Llorca, "Jours de France" avait joint le fac-similé d'un extrait des journaux du 5 août 1952 et on y lisait :

— DEUX HOMMES EN SHORT —
"Rejoints sur les lieux par les inspecteurs de la 9e brigade de police mobile, les gendarmes s'efforcent actuellement de reconstituer les circonstances du triple assassinat. Le chauffeur d'un camion automobile passant vers 23 heures sur la route, a déclaré avoir aperçu "DEUX HOMMES EN SHORT" qui rôdaient non loin de l'automobile".

Un peu plus loin, un autre extrait de "France-Soir" mentionne :

"Un automobiliste de Manosque, M. Paconi, déclarait, il y a 7 jours, avoir aperçu, en revenant des fêtes de Digne, aux environs de 3 heures du matin et distingué sur le bord de la route, dans le virage précédant la Grand-Terre, LA SILHOUETTE DE DEUX JEUNES GENS SE CACHANT CHACUN D'UN CÔTÉ DE LA ROUTE. Ainsi, on pourrait supposer que l'affreux massacre de la famille Drummond a été l’œuvre d'une personne, mais qu'un guetteur était là, surveillant la besogne et capable d'avertir le meurtrier au moindre danger".

Je rappelle que Panayotou, qu'on voudrait faire passer pour faux témoin ou témoin fantaisiste, a également affirmé avoir vu deux hommes.

P.S. — 2) J'ai négligé de signaler dans le récit de Llorca, la mention des 2 bouteilles que les 2 compères ont rapporté de leur randonnée nocturne et qu'ils ont bues et cassées, savoir : une bouteille de Byrrh, et une autre, dit Llorca, qui sentait le cacao.

Puisqu'ils manquaient d'argent, comment s'étaient-ils procuré ces douceurs ? On pense à l'auto bien approvisionnée des Drummond où deux bouteilles de ce genre pouvaient se rencontrer.

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Et maintenant, dirons-nous que le célèbre diététicien anglais portait peut-être dans son destin de mourir au temps où l'on bat le blé et prépare le pain nouveau.

...Que la petite Elizabeth, symbole de l'innocence crucifiée, a peut-être marqué de son sang le pain des batteuses, parce que le pain est le symbole du Christ ou de l'innocence crucifiée ?

Dirons-nous que le procès de Digne, s'il a fait non la lumière, mais une victime expiatoire couvrant la vérité, doit nous rappeler le Christ immolé pour couvrir les crimes de la terre, ou plus exactement pour couvrir ceux qui pensent que le salut consiste à faire payer un autre pour soi. (Je livre à l'appréciation des justes une telle conception du salut !)

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Contre la peine de mort

 

En commentant le témoignage de Llorca, je souhaite moins amener la découverte des assassins de Lurs qu'empêcher l'erreur judiciaire dont Gaston Dominici serait la victime. Et en voulant empêcher une première erreur judiciaire, il faut craindre d'en faire commettre une seconde.

Je commente le témoignage de Llorca, mais je me défends de conclure. Or, si je crains de conclure quand je me trouve en face d'un témoignage très important, créant de graves présomptions, en face d'un témoignage qui apparaît profondément désintéressé, sincère et lucide, combien donc je me serais interdit de conclure, dans le cas Dominici où rien ne fut démontré... que la facilité avec laquelle on excite les passions d'un peuple dont on a endormi l'esprit critique et l'esprit de vérité.

Nous savions déjà ce qu'était une campagne de diffamation. Elles fleurissent en abondance dans les périodes de guerre et d'après-guerre. Or, le procès Dominici a pris immédiatement l'allure d'une campagne diffamatrice. Est-ce donc là la justice ?

Ainsi, il n'est pas besoin de démontrer (ce qui n'est peut-être pas démontrable) que les hommes mis en cause par Llorca sont les coupables pour faire sentir l'iniquité de détenir plus longtemps le vieux Dominici. Seznec est mort en criant son innocence et après avoir passé sa vie au bagne, cette innocence a été reconnue après sa mort, mais il a été, lui, frustré de sa réhabilitation. La leçon devrait servir, qu'il n'en soit pas encore de même. Un témoignage s'est fait jour, capable de déplacer la suspicion, qu'elle se déplace.

La vérité n'est pas toujours du domaine de la démonstration mathématique. Dans ce cas, elle peut ne point s'appeler certitude, mais doute ou conviction.

Or, on ne condamne pas sur des témoignages douteux et contradictoires comme on l'a fait dans le cas Dominici et en laissant dans l'ombre un témoignage sérieux, probant, sincère, qui situerait ailleurs le crime et crée des convictions contraires.

Le dernier témoignage doit prévaloir parce qu'il ouvre une piste inexplorée et jette un doute de plus, sur une piste rebattue qui s'avérait peu sûre (pour ne rien dire de plus).

Le libre aveu des suspects de Llorca, corroborant toutes les présomptions accumulées contre eux, éliminerait les derniers doutes, mais on ne peut que le souhaiter en reconnaissant qu'au cas où il se produirait, ce libre aveu mériterait certains égards.

On devrait essayer de l'obtenir en confrontant par exemple les nouveaux prévenus avec la victime morale du drame, la grand-mère d'Elizabeth, à qui la vérité est due.

En face de celle qui survit pour être leur justicière devant Dieu, les assassins auraient peut-être un peu plus le sentiment de leur déchéance et de ce qui leur reste à faire pour le salut de leur âme.

Pour faciliter une telle confrontation, il me semble que le nouvel acte de ce procès pourrait alors se situer en Angleterre. C'est là que la vérité est due. En outre, un libre aveu serait facilité par le fait qu'en ce pays la peine de mort a été abolie. Je reconnais d'ailleurs que cet état de choses enlèverait de la valeur à l'aveu des coupables. Il est plus courageux d'avouer sous la menace du couperet et ce courage constitue, à mon sens, une circonstance atténuante postérieure au crime. Mais, d'autre part, en facilitant l'aveu, on donne une chance de plus à la vérité de se faire jour.

Et au nom de cette vérité — que le spectre de la guillotine contribue à enterrer — on ne peut qu'approuver la suppression de la peine de mort et souhaiter son abolition là où elle existe encore. Sans l'effrayante vision de l'échafaud, certains criminels, dévorés de remords, y céderaient, la peur les retient.

D'autres, en proie à la terreur du châtiment suprême, en viennent à un second crime sur les témoins véridiques susceptibles de parler. Enfin, le crime n'est ni banni, ni honni, quand il est permis à tout un peuple (aveugle justicier) de s'y livrer tout entier sous la forme d'une exécution capitale qui porte à faux.

Et il serait bon d'apprendre, à ceux qui envoient si facilement des innocents sur l'échafaud, et qui n'en sont pas moins pour le maintien de la peine de mort, qu'en ce cas, c'est à eux qu'elle doit d'abord être appliquée, puisqu'ils sont redevables de tout le sang innocent qu'ils ont versé. Et rien ne sert de crier qu'il n'y pas d'erreur judiciaire quand elle existe. Ne fut-elle qu'un secret entre le coupable qui se tait lâchement, l'innocent condamné qui crie en vain son innocence et Dieu qu'on trahit et méconnait, c'est assez pour qu'il y ait un compte suspendu sur tous ceux qui ont été aveuglés ou qui ont voulu l'être.

Au reste, pour illustrer cette plaidoirie contre la peine de mort et m'appuyer sur un chrétien parlant à des chrétiens, je renvoie à l'image du Révérend John Stone du n° 58 de Jours de France. On y verra que le prédicateur prêchant en chaire contre la peine de mort n'a pas craint, pour impressionner son auditoire, de se présenter à lui la corde au cou.

Et cette corde, sur son surplis blanc, en fait comme l'image ressuscitée d'un des six bourgeois de Calais. Or, eût-on approuvé l'exécution des 6 otages de Calais qui s'élevaient, par leur sacrifice, à la hauteur de l’Évangile ? Non ! Et grâce à l'intervention de Philippine de Hainaut, ils ne furent pas exécutés. La pitié fit fléchir une barbare justice.

Ainsi la pitié prévient le crime qui se décore du nom de justice. Mais c'est elle aussi qui peut, mieux que la guillotine, vaincre le crime dit crime.

 


 

===> Quelques réflexions, en manière de commentaire du commentaire...

 

Naturellement, je ne suis pas le seul - et de loin, et c'est tant mieux - à me souvenir avec piété, avec quelques autres, des suppliciés de Lurs. Car les media s'en sont donné à cœur-joie, si je puis m'exprimer ainsi en la circonstance, multipliant comme à l'envi tous les poncifs qui se peuvent imaginer : du moment que "ça" fait vendre. Mais point trop n'en faut, et je vais me permettre de dire : halte là !
En effet, il s'est - évidemment - trouvé une "journaliste" [BFM DICI] pour tendre son micro ô combien complaisant ("où est-ce qu'on trouve la force et le courage de défendre, soixante-dix ans après, etc. etc."), à l'inévitable petit-fils. Et ce qu'on a entendu avec stupeur (pour ne pas dire indignation), tout du long d'un discours assez incohérent il faut bien le constater, ne relevait pas du poncif au sujet de ce qui s'est passé le cinq août 1952, mais bien de la pure affabulation : en fait, du mensonge éhonté. Et ce de la part d'un individu qui prétend posséder tout ce qui s'est écrit sur l'Affaire (qui peut vraiment dire cela ?), et qui après toutes les lectures qu'il a pu lire (sic), nous sort, entre autres joyeusetés : "Il faut se plonger dans le dossier... il faut savoir que mon grand-père a été accusé de viol avec préméditation (répété trois fois), et c'est là-dessus qu'il a été condamné à mort... on a bafoué la mémoire de cette Lady... on a fabriqué un coupable, parce qu'il fallait un coupable, etc. etc."
Puisque cet individu a le culot de faire référence au dossier, on lui demandera qui a réellement bafoué la mémoire de Lady Drummond, sinon son grand-père, lui qui, avec un affreux cynisme, le 15 novembre 1953, à 11 h 15, a osé déclarer au juge d'instruction Périès : "C'est un grand malheur qui m'est [souligné par moi] arrivé..... De derrière le mûrier, j'ai regardé se déshabiller cette femme. Soudain, j'ai été pris de l'envie de la "baiser"... je lui ai envoyé la main à la "fraise" [sic, a noté le greffier Barras]... je n'ai pas hésité, j'ai sorti ma "queue", etc. etc." [PV Périès-Gaston, D 212]. Ajoutons, cela va sans dire, mais cela va mieux en le disant, que Gaston est inculpé d'Assassinats et de Vol - pas de viol (avec ou sans préméditation), bien évidemment.
Il y a fort longtemps, le Commissaire de la contre-enquête avait averti : le mieux et le minimum que les Dominici aient à faire, c'est de la fermer. Il n'a pas été entendu, hélas.
Et puis, last but not least, figurez-vous : il m'est revenu en mémoire une réflexion due à un miraculé, rescapé de la tragédie de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015 ("J'étais blessé pourtant, assez immobile et la tête baignant probablement déjà dans assez de sang pour que le tueur, en s'approchant, n'ait pas jugé nécessaire de m'achever"). Dans un livre poignant, où il raconté sa lente et douloureuse résurrection (Le Lambeau), Philippe Lançon parle en effet de "la dernière et la plus efficace des machines à décerveler par l'actualité, BFM".
Fermez le ban.

 

Marie (Charlotte Lucienne) Fougeron, institutrice à Pégomas : c'est ainsi que se présente systématiquement notre vaillante "défenseuse" du sanglier de Lurs (et, accessoirement, d'autres condamnés, car pour elle, les condamnés sont innocents, forcément innocents(1).

Née en 1898 dans le département de la Creuse, de parents instituteurs, elle a fait carrière dans les Alpes maritimes, et s'est éteinte à Grasse, en 1994(2). Lorsqu'elle rédige son mémoire-commentaire de la "déposition" de Llorca sur Jours de France, elle jouit donc depuis trois années d'une retraite méritée, et peut consacrer tout son temps aux causes qu'elle juge dignes de son intérêt.

Cette indécrottable naïve ne se rend même pas compte que lorsqu'elle parle de "cette accablante déposition", un des sens du qualifiant qu'elle utilise semble lui échapper complétement. Car cette déposition est accablante, en effet. Mais pas du tout comme elle l'entend. Notre Marie "accable" Llorca de louanges ô combien imméritées, puisque formulées sans le moindre esprit critique. Et quand bien même on ne va pas couvrir d'opprobres son protégé de l'heure, ce qu'il ne mérite tout de même pas, il est bon de rappeler que ce "terrassier" (c'est ainsi qu'il se présente !) âgé de trente-neuf ans au moment des faits qu'il rapporte et dénonce(3) a remué ciel et terre pour faire entendre sa version, et que n'ayant pas eu suffisamment à son gré l'oreille des Autorités, qu'il a pourtant fait ch. sans aucune vergogne(4), il s'est adressé au magazine que l'on sait, mais a surtout - enfin - trouvé une oreille complaisante auprès de "Monsieur Léon, de Corbières".

Et c'est parce que le propriétaire de la ferme Pinet a trouvé surprenantes pour ne pas dire suspectes les allées et venues des deux compères sur son territoire, jusqu'à en avertir les gendarmes, que l'affaire Llorca a vraiment démarré, le juge Carrias mettant le paquet pour que la vérité trouve enfin son compte. Ce qui a eu pour première conséquence de déranger des témoins de bonne foi, solides agriculteurs bas-alpins qui n'avaient guère de temps à perdre, en plein été, à contrer les élucubrations d'un ouvrier dont ils se souvenaient à peine : embauché en cours de route et parti avant la fin de la campagne de battage.

Donc, le récit de Llorca est accablant : il l'est d'abord dans la forme affreusement cacographique - ce que relève à peine notre institutrice énamourée. Mais Llorca, qui a peu fréquenté les bancs de l'école est parfaitement excusable sur ce point. Surtout si l'on compare sa prose à ce que nous a donné à admirer le professeur agrégé de philosophie à Marseille, René Chiche, s'agissant  d'une copie du bac général, dont on pourrait sans hésitation qualifier l'auteur de parfait illettré, après quinze années de scolarité (comme le professent à l'envi de distingués sociologues, le niveau monte). Bref, passons sur ce point. Car le récit est également accablant sur le fond.

Lorsque Mademoiselle Fougeron écrit : "Doutera-t-on de la véracité du récit ? Je crois difficile d'en douter", elle ne se doute pas qu'au moment où elle écrit, le récit de Llorca a déjà été confronté à la réalité, c'est-à-dire aux autres acteurs de la péripétie de la batteuse de Monsieur Seignon. Et que ce qu'il en est ressorti est véritablement accablant pour son protégé. Elle ajoute même : "De leur côté, si les patrons de la batteuse ou d'autres ont partagé les soupçons de Llorca, pourquoi n'ont-ils pas parlé ?", ce qui est particulièrement cocasse lorsqu'on prend connaissance de l'indignation non feinte des mis en cause - pour ne rien dire de la "sortie" de la vigoureuse épouse de l'un des fermiers (Dame Germaine Blanc, épouse Gaston Lucrèce), qui confrontée à Llorca, le met littéralement K.O.

J'ajoute que "les patrons de la batteuse ou d'autres" ont vertement défendu leurs ouvriers : Gaston Lucrèce (ferme Pinet) déclare avoir employé durant six années "Jujube", qui lui a donné toute satisfaction ; quant au patron de la batteuse (Robert Seignon), il juge les deux jeunes gens mis en cause bien meilleurs ouvriers que Llorca, et bien plus honnêtes que lui ! Bien davantage encore, confronté à Llorca, devant le juge Carrias, le 20 juin 1955, il hausse le ton (c'est du moins ce que note le greffier Barras) : "Il est inadmissible de mettre en cause deux braves jeunes gens dans un journal qui couvre toute la France, toute l'Europe".

La messe est donc dite, et que Marie repose en paix, elle a fait tout ce qu'elle pouvait, sans jamais rien attendre en retour. Les conclusions des autorités judiciaires de Digne, que voici, seront donc les nôtres.

"De façon plus ou moins consciente, Llorca bâtit autour de menus faits réels tout un système tendant à incriminer deux compagnons de travail avec qui il avait eu quelques difficultés. Outre les erreurs de lieux et de dates qui ont été relevées dans ses déclarations, il est en contradiction avec son employeur, notamment, à qui il prête des propos et même des pensées, que celui-ci dénie".

... Après la Gendarmerie, le Juge d'Instruction s'est livré à des investigations approfondies au sujet de ce témoignage tardif, et ces recherches leur ont permis d'établir qu'il n'existe aucun lien entre les faits révélés par Llorca et l'Affaire de Lurs... En fait, les révélations de Llorca ont perdu tout intérêt à la suite des vérifications faites par le Juge d'Instruction, et elles ne sauraient servir de base à une requête en révision" (Procureur Sabatier, Digne, 12 juillet 1957).

Et c'est pourquoi, alors que les portes ont été fermées à double tour (il y a même eu un travail de recherche, sur un relevé cadastral du quartier du Pinet, des différentes allées et venues - supposées ou réelles ! - du sieur Llorca), l'insistance du personnel politique en place apparaît plus que suspecte, ce que le révèle la lettre (1er août 1957) du Procureur général à son adjoint de Digne : "Monsieur le Garde des Sceaux a pris connaissance de votre rapport de mai 1957 concernant la requête en révision formée par Me Bottaï en faveur de Gaston Dominici. En vous renvoyant cette requête, je vous prie de bien vouloir, de la part de M. le Garde des Sceaux, me remettre un rapport circonstancié sur le témoignage Llorca et sur les éléments qui ont permis, aux termes du rapport du 25 juin 1955, d'en établir l'inanité...".

Le Garde des Sceaux, qui n'avait sans doute rien de plus urgent à traiter, s'est donc intéressé en personne aux propos incohérents d'un débile léger (qu'on me pardonne d'en être resté à Alfred Binet et à son compère Théodore Simon, il faut appeler un chat un chat) : mais quel monde !

Et puis j'y songe; in fine : j'allais omettre un point vraisemblablement capital : il se trouve que le propriétaire de la ferme Pinet (Pierrerue), dont Gaston Lucrèce était fermier au moment des faits "Llorca" (il a quitté cette ferme en septembre 1953) n'était autre que le Docteur Girard, de Digne, bien connu des "dominiciens", pour avoir contresigné les trois rapports d'autopsie que l'on sait ; n'y a-t-il pas là une piste oubliée, une piste capitale que les complotistes, reymondiens et autres experts, armés de leur sagacité proverbiale, auraient dû explorer ? Mais non, je persifle. On m'accordera que c'était tentant...

Notes

(1) À cet égard, notons au passage que lorsqu'elle va jusqu'à écrire, "Seznec est mort en criant son innocence et après avoir passé sa vie au bagne, cette innocence a été reconnue après sa mort, mais il a été, lui, frustré de sa réhabilitation", elle prend, là aussi, ses désirs pour la réalité, qu'elle travestit jusqu'au mensonge.
(2) On sait que, comme les anciens curés, les instituteurs d'antan battaient tous les records de longévité.
(3) Il est piquant de noter que les deux ouvriers agricoles qui eurent l'heur de lui déplaire, avaient respectivement, "le plus vieux" 24 ans, et le cadet 17 ans.
(4) Après Marseille, en décembre 54 (et le compte-rendu du Procureur de Digne en est particulièrement éloquent : "On peut d'abord se demander pourquoi Llorca a révélé aussi tardivement des faits qui ont à ses yeux aujourd'hui une telle importance. Il déclare qu'il aurait préféré que ces révélations fussent faites par d'autres. Il est toutefois exact qu'il s'est rendu à Marseille, au début de décembre 1954 ; il fut reçu par l'Inspecteur Ranchin, auquel il tint des propos à peu près incohérents"), il est allé un an plus tard déverser ses insanités auprès des Gendarmeries de Forcalquier et d'Avignon ; en avril 56, on le retrouve devant le chef de la Sûreté urbaine de Nîmes !).

 

 


 

 

DEUXIÈME PARTIE : Comment j'ai pris contact avec le témoin Antoine Llorca

 

 

À suivre 

 

© Marie Fougeron, in Commentaire sur la déposition d'Antoine Llorca dans l'Affaire de Lurs, 1956, Imprimerie Devaye, Cannes

 


 

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