Certes, on ne pourra pas décerner au commissaire Gillard le brevet de plume d'or (ce qui le rapproche de son ancien patron, le commissaire Chenevier : tous deux ayant l'écriture assez laborieuse), mais son récit des ramifications mafieuses qu'il eut à détruire, avec au beau milieu le sieur Algelvin (qui a eu le tort de se faire prendre, la main dans le sac de farine...) mérite d'être sauvé de l'oubli.
Comme quoi, après l'Affaire Dominici, pour laquelle il a travaillé solidement (mais sans résultats), Gillard a connu une autre vie, et des truands plus chevronnés, et qui n'étaient pas de rencontre...

 

"Comme tout le monde j'ai vu Jacques Angelvin à la télévision. Lorsque par bonheur il m'arrive d'être à la maison vers midi et demie, je regarde l'émission "Paris­Club". Jacques Angelvin, présentateur de starlettes, de vedettes de la scène et de l'écran, est un grand garçon désinvolte, dans le genre beau gosse un peu sur le retour. Il plaît par son aisance et sa bonne humeur. Sans doute a-t-il le visage un peu mou, un peu bouffi des noctambules qui passent plus de temps dans les bars qu'au grand air ou dans leur lit, mais ça fait partie des exigences de son métier".

Ch. Gillard

 

Ce matin du vendredi 19 janvier 1962, j'ai jeté un coup d'œil par la fenêtre pour constater sans surprise que le ciel fait augurer d'une froide et grise journée. Je suis en train de me raser. Une bonne odeur de café vient de la cuisine où ma femme prépare le petit déjeuner. Je l'entends qui m'appelle :

- Charles, viens vite, quelque chose à la radio qui t'intéresse !

Les joues barbouillées de savon, j'arrive juste à temps pour saisir au vol la dernière phrase du speaker :

"La drogue était cachée dans la voiture de Jacques Angelvin. Nous pensons être en mesure de vous donner d'autres détails dans notre prochain bulletin d'information".

Du regard, j'interroge ma femme :

- Oui, me dit-elle, il paraît que les Américains ont arrêté Angelvin à New York. II transportait de l'héroïne dans sa voiture. Il y avait avec lui un type dont le nom finit en a. J'ai cru comprendre quelque chose comme Caggia... Attends... ce serait plutôt Caglia... Est-ce que ça te dit quelque chose?

- Ça ne serait pas plutôt François Scaglia, par hasard ?

- Oui ... maintenant que tu le dis ... c'est bien ce nom-là qui a été prononcé.

François Scaglia dit "Petit François", je le connais. J'ai déjà eu affaire à lui au temps où j'étais le second du commissaire Chenevier à la répression du banditisme.

C'est un marseillais "monté" à Paris. Il n'a pas tellement d'envergure, mais il est décidé à s'imposer. Qu'il se soit encore fourré dans un mauvais coup n'est pas pour m'étonner. Mais Jacques Angelvin ... Alors ça, je n'en reviens pas ...

Comme tout le monde j'ai vu Jacques Angelvin à la télévision. Lorsque par bonheur il m'arrive d'être à la maison vers midi et demie, je regarde l'émission "Paris­Club". Jacques Angelvin, présentateur de starlettes, de vedettes de la scène et de l'écran, est un grand garçon désinvolte, dans le genre beau gosse un peu sur le retour. Il plaît par son aisance et sa bonne humeur. Sans doute a-t-il le visage un peu mou, un peu bouffi des noctambules qui passent plus de temps dans les bars qu'au grand air ou dans leur lit, mais ça fait partie des exigences de son métier. À ma connaissance, il n'a jamais été mêlé de près ni de loin à une affaire de drogue ou à quoi que ce soit de répréhensible.

Autant que je sache, c'est une personnalité de ce qu'on est convenu d'appeler le Tout-Paris. Il fait partie de ceux que l'on cite aux générales, aux cocktails, dans les hôtels de Deauville, de Cannes ou de Megève. Je ne vois pas ce qu'il peut avoir de commun avec Scaglia dont le passé et les fréquentations montmartroises ou marseillaises sont des moins recommandables.

Comment deux hommes en apparence aussi différents ont-ils pu graviter dans le même univers ?

Tout en me posant ces questions, je m'habille en vitesse et sans perdre de temps je file rue des Saussaies. 

À peine arrivé, je consulte les messages de la nuit : rien sur Angelvin. J'appelle les officiers de police. Comme moi ils ont entendu la radio, mais n'en savent pas davantage. Même chose pour Hugues arrivé sur ces entrefaites.

Je décroche le téléphone et j'appelle le district­-supervisor du Bureau des Narcotiques à Rome. Il a nom Cussak. Il est d'origine irlandaise. C'est un homme froid, plutôt compassé, à l'opposé de mon ami Charlie Siragusa auquel il a succédé. Nos relations sont courtoises, mais moins amicales qu'avec Charlie. Elles se bornent aux questions de service. Sur ce terrain très limité, nous nous entendons parfaitement. Notre règle commune est l'efficacité. Nous savons que nos intérêts sont liés. Je compte sur lui comme il peut compter sur moi.

Dès qu'il est sur la ligne, je lui demande :

- Avez-vous reçu quelque chose des États-Unis sur cette affaire Angelvin ?

- Rien encore ; je n'en connais que ce qu'en dit la presse du matin. Mais vous-même par qui avez-vous été mis au courant ?

- Comme vous... la radio et les journaux... Puis-je vous demander de me refiler des tuyaux dès que vous en aurez ?

- O. K. Dès que je sais quelque chose, je vous fais signe. Vers le milieu de l'après-midi, le standard m'annonce Rome :

- Allô, Gillard ? J'ai appris quelques petites choses qui vont vous être utiles... Jacques Angelvin a embarqué au Havre sur l'United States, le 6 janvier à 3 heures du matin, avec sa voiture une Buick immatriculée 18 L V75. On a trouvé sur lui un carnet avec cette mention, il la date du 5 janvier : hôtel de la Poste, Rouen.

"François Scaglia, arrivé avant lui en avion, l'attendait avec un autre Français, un nommé Jean Pallet. Autre chose : Angelvin et Scaglia prétendent qu'ils ne se connaissaient pas avant de se rencontrer à New York... À vous de savoir s'ils disent la vérité... Ça me paraît une bonne base de départ, non ?"

Je remercie et je raccroche. Les choses ne vont pas traîner. Dès le 20 janvier, le procureur de la République requiert l'ouverture d'une information, qui est confiée au juge Roussel, successeur de M. Golety décédé. Le magistrat délivre une commission rogatoire à la Sûreté nationale et à la préfecture de Police. Tandis que l'enquête se poursuit à New York, la nôtre peut commencer.

Le 24 janvier, coup de téléphone de Levergeois :

- Patron, je suis à Rouen. Jacques Angelvin a bien passé quelques heures, le 5, à l'hôtel de la Poste, mais à première vue il y a quelque chose qui ne colle pas. D'après les fiches il était accompagné, non de Scaglia, mais d'un certain Systermans Yves, né à Nantes le 23 mai 1928.

- Allô, Levergeois ? Vous dites Yves Systermans ? Voulez-vous épeler ?

J'écris sous la dictée. Dans la soirée, je suis avisé par mon frère, officier de police à Nantes que j'ai mis à contribution, que le seul Systermans prénommé Yves, figurant sur les registres de l'état civil, est né le 23 mai 1933 et non en 1928.

Ces deux dates qui ne coïncident pas, voilà qui me met déjà la puce à l'oreille. Est-ce que par hasard... mais un flic ne doit pas supposer, il doit avoir une certitude.

Je dis à mon frère :

- Tu ne saurais pas où il perche ce Systermans ?

- En principe, il doit être à Paris. Tu pourrais voir à cette adresse...

Je la note et j'y dépêche dare-dare un de mes collaborateurs. Quand il revient, il est rayonnant :

- L'adresse est la bonne. L'homme que j'ai vu ne peut être celui qui est descendu avec Angelvin à l'hôtel de la Poste. On lui a volé son passeport au mois de décembre 1956 dans une agence de voyage rue Vavin, où il prenait un billet pour une station de sports d'hiver.

Conclusion : quelqu'un utilise le passeport volé et mon petit doigt me confirme que ce quelqu'un pourrait bien être Scaglia.

Levergeois reçoit mission de montrer la photo de "Petit François" au personnel de l'hôtel.

- Le reconnaissez-vous? demande-t-il.

- Si on le reconnaît ? Et comment ! C'est M. Systermans !

De son côté un mécanicien, qu'il avait appelé pour dépanner la Buick, se souvient qu'Angelvin lui a demandé la direction de Pont-Audemer. Il s'est étonné :

- Si vous allez au Havre, ce n'est pas par la route directe.

- Je sais, mais après avoir fait le détour nous rejoindrons par le pont de Tancarville.

Qu'allaient faire les deux voyageurs à Pont-Audemer ? Aujourd'hui encore, je me pose la question. La seule réponse plausible est celle-ci : ils devaient disposer d'un relais où la drogue aura été chargée dans les caches qui, elles, ont dû être aménagées à Paris.

La collusion Angelvin-Scaglia, étant on ne peut plus établie, j'en informe immédiatement New York, qui en retour multiplie les messages sur les progrès de ses investigations.

La préfecture de Police, elle aussi, apporte de l'eau à mon moulin.

La mère de "Petit François" qui vit à Marseille est propriétaire à Saint-Ouen d'un café en gérance. Après avoir fait quelques difficultés, le patron avoue qu'Angelvin a téléphoné à plusieurs reprises depuis le mois de décembre 1961 et qu'il est venu deux fois.

Une perquisition au domicile du présentateur de la T. V. - un studio qui a tout d'une garçonnière - 24 boulevard de Latour-Maubourg, est plus révélatrice encore.

Comme tous ceux qui ne se fient pas trop à leur mémoire, Angelvin note tout dans des agendas ou des carnets.

En 1958, il a appelé François à ORNANO ... (numéro du café de Saint-Ouen). En 1959 il a téléphoné à "Petit François" dans un établissement très connu des Champs-Élysées. En 1960, il l'a demandé à TRINITÉ ... Ce numéro est celui d'un bar, rue de la Rochefoucauld. Les affaires qu'on y traite ne sont pas de celles qu'on débat sur la place publique. Scaglia y tient ses assises. Angelvin s'y est pointé plusieurs fois.

À la date du 11 octobre 1961, l'agenda mentionne enfin une visite que ce dernier a faite à Saint-Ouen.

Si je ne m'abuse, Scaglia a dû se servir souvent du passeport volé et maquillé. Nous allons nous en assurer en consultant le fichier des garnis (où aboutissent toutes les fiches d'hôtels). Nous trouvons le dernier domicile du faux Systermans. C'est un meublé sur la Butte Montmartre. Le 1er novembre 1961, "Petit François" y a loué une chambre qu'il occupait avec sa maîtresse. Celle-ci a fait ses valises, elle est partie sans laisser d'adresse le jour même où l'affaire de New York a paru "à la une" des journaux.

L'hôtelière identifie immédiatement Scaglia dans un jeu de photos qui lui sont présentées. De chez elle, il a téléphoné au studio d'Angelvin le 15 et le 22 décembre. Ce qui est plus important c'est qu'il l'a également appelé le 4 janvier, veille du départ pour le Havre, via Rouen et Pont-Audemer.

Ainsi Scaglia a accompagné son convoyeur jusqu'au port. C'est dans l'ordre des choses. Responsable de la marchandise, il a surveillé les opérations jusqu'à leur phase finale. Il devait être d'autant plus inquiet qu'il avait affaire à un débutant. À aucun moment il ne s'est montré sur le quai d'embarquement. Ayant fait l'objet de bulletins de recherche, il courait le risque d'être reconnu et de faire échouer l'entreprise. De loin il a assisté au chargement de la Buick. Il a dû pousser un soupir de soulagement quand Angelvin est monté à bord.

Celui-ci, en revanche, jouait sur le velours. Il était l'homme idéal pour la tâche qu'on lui avait assignée. Sa popularité était le meilleur atout de ceux pour le compte de qui Scaglia - simple employé - l'avait recruté.

Angelvin faisait partie de ces passagers de marque à qui l'on songe plus à demander un autographe que leurs papiers. Si même on avait eu la curiosité de connaître la raison de son voyage, l'explication était aisée :

- Longue tournée aux États-Unis et au Canada à la recherche de talents nouveaux.

Ce qui, du même coup, aurait justifié la présence de la voiture.

Quand il s'est présenté à la gare maritime dans cette soirée du 5 janvier, un des policiers de service l'a remarqué :

- Il semblait très préoccupé par l'embarquement de ses bagages et surtout de son auto, a-t-il dit à Levergeois. Bien que le départ du paquebot ait été retardé jusqu'à 3 heures du matin, à aucun moment il n'a quitté le quai.

"De même, il a attendu le dernier moment pour satisfaire au contrôle de son passeport. On s'en est étonné. Il a répondu :

- Je n'ai pas l'habitude de passer les frontières. Je ne savais pas que les formalités de douane et de police étaient obligatoires.

Cette explication a paru convaincante. Aujourd'hui je comprends ce qui le tracassait. Il est évident que si un autre que lui avait eu un tel comportement, il n'aurait pas manqué d'attirer nos soupçons. Mais Jacques Angelvin... Pensez donc... Qui aurait pu se douter...

- Ne vous cherchez donc pas d'excuse. Hier c'était un ambassadeur, aujourd'hui c'est une vedette de la T. V. La vie vous réserve de ces surprises..." avait conclu Levergeois philosophe.

À son retour à Paris, mon excellent collaborateur devait administrer une preuve supplémentaire de la présence de Scaglia et Angelvin à l'hôtel de Rouen. L'addition du repas qu'ils y avaient pris (un potage, douze escargots, une sole, un plat de viande accompagné de champignons, deux tartes et une bouteille de vin) avait été porté au compte dont l'homme de la T. V. était crédité au Diners Club, sous le numéro 68 UF14 483.

En revanche, Scaglia avait financé le passage à bord de l'United States. Cette précision figurait sur une des pages du carnet saisi sur Angelvin à New York. Photocopie de cette page m'avait été adressée. J'y ai lu :

"Systermans Cpt (comptabilité) voyage aller France 39 800 New York 300 dollars. Retour France..." Un blanc à la suite des deux derniers mots. Et pour cause... le voyage retour avait été remis sine die.

J'en arrive à la partie américaine de l'enquête reconstituée au moyen d'innombrables messages, lettres, coups de téléphone que j'ai reçus.

Lorsque Jacques Angelvin avait débarqué à New York le 10 janvier, il y était effectivement attendu par François Scaglia et Jean Pallet. Scaglia avait pris l'avion à Orly de façon à précéder son commissionnaire. Même topo qu'au Havre avant de partir : il devait s'assurer de l'arrivée à bon port de la marchandise.

Ni lui, ni Pallet ne s'étaient aperçus qu'ils avaient été suivis. Cette filature avait été décidée le matin même à la suite d'un contact que Pallet avait eu avec Pasquale Fucca, dit Paddy.

Ce personnage était le neveu d'un trafiquant notoire et on le soupçonnait fort de s'occuper activement des affaires de son oncle, que certains démêlés avec la justice avaient contraint de prendre une retraite anticipée dans un lieu tenu secret.

Ce 10 janvier, dans la matinée, Fucca qui ne pouvait faire un pas sans avoir plusieurs agents du Bureau des narcotiques à ses trousses, avait quitté son domicile 1224, 67e Rue Bay-Bridge à Brooklyn au volant de sa Buick.

Il s'était arrêté devant l'hôtel Roosevelt. Il avait fait signe à un homme qui attendait sur le trottoir. L'homme était monté dans la voiture. Elle l'avait laissé dans la 48e Rue. À pied il avait gagné l'hôtel Edison, 228 West 47 Street.

L'ayant vu prendre une clé au tableau et disparaître dans l'ascenseur, son suiveur s'était fait connaître du réceptionniste. Il avait exhibé son insigne :

- Qui est ce client qui vient de monter ?

- Un Français. Il s'appelle Jean Pallet.

- Il est descendu chez vous ?

- Oui, chambre 909.

- Discrétion absolue. Compris ?

- Pas besoin de me faire un dessin.

Quelques instants plus tard, Jean Pallet rejoint dans le hall de l'hôtel Victoria, 7e Avenue, François Scaglia qui s'est inscrit sous le nom de Barbier. Les deux Français déjeunent dans un restaurant de Broadway. À 16 h 30 ils se séparent. Deux heures plus tard, ils sont de nouveau réunis à l'hôtel Edison.

Ils en sortent ensemble. et vont tout droit au quai où le United State vient d'accoster.

Par une température inférieure à zéro degré, ils assistent au débarquement des passagers et des voitures. Ils resteront encore une heure sur l'appontement balayé par une bise glaciale après que Scaglia soit allé vérifier, à 22 heures, que toutes les voitures ont bien été déchargées et que tous les passagers ont bien quitté le bord.

Décidément inséparables - ceci a l'avantage de faciliter la filature - ils vont dîner au Maisonnette Bar, installé dans l'hôtel Saint-Régis. Une heure plus tard, on les perd devant les ascenseurs du Waldorf Astoria. On ne tarde pas à les retrouver devant deux verres de whisky au Bull et Bear, bar du célèbre hôtel. À deux heures du matin, ils sont dans leur lit.

Le lendemain ils font du lèche-vitrines dans New York comme d'innocents touristes.

La nuit va être plus animée. À minuit Pasquale Fucca, toujours au volant de sa Buick stoppe à l'angle de la 45e Rue et de Madison Avenue. Sans qu'aucun mot soit échangé, trois hommes - Scaglia, Pallet et Georges Viais, un autre Français dont c'est la première apparition - prennent place dans la voiture. Pallet porte une serviette de couleur bleue. Pendant une dizaine de minutes on tourne autour d'un pâté de maisons. À l'abri des oreilles indiscrètes, la conversation doit être animée. Quand la Buick s'arrête à nouveau, Pallet descend le premier. Il a les mains vides. Scaglia qui le suit cache quelque chose sous son manteau qu'il a plié sur son bras.

Le dernier message parvenu cette nuit-là à la direction de la police signale que Georges Viais a été "logé" : il occupe la chambre 1437 à l'Abbey Hotel 151 West, 51e Rue.

Dans la soirée du lendemain - vendredi 12 - les évènements prennent une tournure inquiétante. Fucca et ses amis ont découvert qu'ils étaient suivis. À 20 heures la "filoche" - comme on dit en terme de métier - change d'allure. Elle devient soudain endiablée.

Fucca a pris à son bord Scaglia et Viais à l'endroit habituel angle de la 45e Rue et de Madison Avenue. Pendant une heure, il va circuler autour de Manhattan. Il regarde sans cesse dans son rétroviseur. Les autres ne sont pas moins attentifs, souvent ils se retournent pour voir ce qui se passe derrière eux. Fucca repère le premier une voiture de police dans la 24e Rue. Il s'arrête pile en double file. Ses deux compagnons descendent, piquent un sprint, se perdent dans la foule qui se presse sur le trottoir. Tandis que Fucca va passer le reste de la nuit dans un club, 137 Henri Street, Scaglia et Viais vont se livrer à un gymkhana effréné. Une bouche de métro s'ouvre devant eux. Ils dévalent l'escalier, sautent dans la première rame qui se présente. Quand ils émergent à l'air libre, ils bondissent dans un taxi. Ils l'abandonnent à la prochaine station, en prennent un autre, replongent dans le métro, font tant et si bien que la piste doit être abandonnée.

La matinée du samedi ne s'annonce pas sous de meilleurs auspices. C'est en vain que l'on guette Scaglia et Viais. Ils ne se montrent pas. De guerre lasse, on se renseigne dans les hôtels où ils sont descendus. Même son de cloche au Victoria et à l'Abbey : les chambres ont été libérées sur un coup de téléphone. La consigne passée aux deux réceptionnistes est la même :

- Faites descendre les bagages. On passera les prendre et vous payer.

Fucca, lui, ne joue pas les hommes invisibles, mais il a pris la précaution de changer de voiture. Il a remplacé la Buick devenue trop voyante par une Cadillac bleue, immatriculée 4D 4471. Elle appartient à Nick Travato, son associé dans l'exploitation d'un modeste restaurant de Brooklyn.

Le lendemain et le surlendemain ne sont pas pour calmer de légitimes appréhensions. Pendant ces deux jours, il ne se passe rien sinon que Pasquale Fucca a fait, le lundi soir, une visite-éclair dans un immeuble de la 45e Rue qui possède un garage en sous-sol. Retourné chez lui, il en est ressorti à minuit au volant d'une Oldsmobile. Au volant de la Cadillac qu'il a récupérée, son associé le suit comme son ombre. Le but de la manœuvre est évident : il s'agit de décourager les poursuivants en rendant leur tâche impossible.

Le mardi 16, l'effectif policier est renforcé. Il faut à tout prix savoir qui est le passager que Scaglia et Pallet ont vu débarquer de l'United States. La nature du produit qu'il a introduit à New York ne fait aucun doute : du moment que Fucca est dans le circuit, il ne peut s'agir que d'héroïne. Il convient de la trouver avant qu'elle ne soit livrée aux revendeurs.

Dans la matinée Fucca est perdu dans Manhattan. Les agents qui planquent jour et nuit devant le garage souterrain (le garage Anthony's) le voient arriver vers 21 heures. Il pénètre dans le sous-sol. Quand il reparaît sur le trottoir, Viais est avec lui. Tous deux se séparent à l'angle de la 82e Rue.

Le lendemain, le restaurateur de Brooklyn effectue plusieurs déplacements dans l'East end de Manhattan. Comme il ne cesse de regarder dans son rétroviseur, on renonce à le filer.

Lorsque se lève sur New York l'aube frileuse du jeudi 18 janvier, nul ne pourrait se douter au Bureau des narcotiques que la journée décisive est arrivée. Les prémices pourtant sont plus favorables. À 9 heures Scaglia et Viais sont repérés. Ils arpentent le trottoir devant le garage Anthony's.

À 9 h 30, arrivée de Fucca. Dès qu'il l'aperçoit, Viais descend la rampe donnant accès au parking. Il émerge quelques instants plus tard, porteur d'une lourde valise bleue - à première vue elle doit peser une quarantaine de kilos. Scaglia l'escorte à pied. À l'angle de la 82e Rue et de York Avenue, Viais pose la valise à ses pieds. Malgré le froid vif, il transpire. Un quart d'heure plus tard la Buick de Fucca s'arrête devant les deux hommes ; on charge la valise puis Scaglia revient seul au garage.

Une Buick noire est arrêtée (elle est immatriculée 18LU75), le moteur tourne. Au volant le conducteur est crispé. Il lance alentour des regards inquiets. Enfin Scaglia paraît. L'autre lui fait signe de se presser, se penche pour ouvrir la portière. Dès que "Petit François" est assis, la voiture démarre. Elle est interceptée un bloc de maisons plus loin. Au chauffeur, on demande ses papiers. Il les tend. C'est Jacques Angelvin.

Pendant ce temps, Pasquale Fucca est retourné à son domicile. Il y a pris sa femme et une inconnue - sans doute une amie de celle-ci. Il les a déposées en cours de route, puis il est allé chez sa mère, 7e Rue à Brooklyn. On l'a vu entrer avec la valise bleue. Il ne l'a plus quand il est interpellé à la sortie.

Dès lors, les événements vont se précipiter. Des équipes sont désignées pour perquisitionner simultanément en plusieurs endroits. Il s'agit de faire vite avant que l'alerte puisse être donnée.

Voici le détail des opérations :

1 ° Dans la cave des parents de Fucca, on trouve la valise bleue. Elle est vide. Dans un faux plafond, dont le plâtre est trop récent pour être honnête, sept petites pochettes marrons et trente sachets contenant au total 24,5 livres d'héroïne voisinent avec une mitraillette allemande, un long rifle, un fusil de chasse, des sachets vides où adhère encore de la poudre blanche et une balance.

2° Au 1171 Bryant Street dans le Bronx, chez Anthony Fucca, alias Crazy Horse, frère aîné de Pasquale, ce sont deux pistolets qui sont découverts.

3° Au 1224, 67e Rue à Brooklyn (domicile de Pasquale) deux autres pistolets sont dissimulés dans une trappe.

4° Au 1462, 66e Rue (toujours à Brooklyn), résidence de Nick Travato, on saisit 6 kilos d'héroïne.

Sont mis en état d'arrestation par le juge Hulsen, du tribunal criminel : Pasquale, Joseph, Anthony Fucca et François Scaglia. Jean Pallet et Viais ont réussi à disparaître.

C'est devant un autre magistrat, le juge Rinaldi, qu'est déféré Jacques Angelvin. On décide de le maintenir à la disposition de la justice en attendant de connaître le rôle qu'il a joué dans l'affaire.

- Jusqu'à plus ample informé, lui dit-on, vous êtes considéré comme témoin principal. Votre caution est fixée à 100 000 dollars.

Le lendemain les experts, qui ont démonté pièce par pièce la Buick 18LU75, déposent un rapport accablant. Sous les ailes avant il y avait deux caches pouvant contenir chacune 30 kilos d'héroïne. Pour les pratiquer, on avait découpé dans la tôle deux carrés de 10 x 15 ; la tôle avait été ressoudée, puis après réception de la marchandise remplacée par du mastic que l'on vend dans les drogueries sous le nom de "dum dum". Dans chacun des orifices subsistaient des traces de la drogue qu'on y avait dissimulée.

De témoin principal Angelvin est devenu inculpé. Sa défense est maladroite.

- Si ma voiture a servi à transporter de l'héroïne, dit-il, c'est à mon insu. Je l'ai achetée à Paris au mois de novembre dernier. Je m'en suis servi pour aller dans ma famille à Fréjus. Elle est restée longtemps dehors sans surveillance. C'est là, où alors plus tard devant mon domicile parisien, qu'elle a dû être trafiquée.

Invité à s'expliquer sur ses relations avec Scaglia, il répond :

- Je ne l'avais jamais vu avant de venir à New York. Nous nous sommes rencontrés tout à fait par hasard. Deux fois nous nous sommes vus au bar du Waldorf Astoria où je suis descendu. Nous étions convenus de nous retrouver le 18 janvier au 45 East End Avenue.

- Pourquoi précisément à cet endroit ?

- Je voulais prendre des photos des rues bordant l'East River Drive.

- Pourquoi avez-vous fait la traversée avec votre voiture ?

- Pour des raisons de commodité, de change aussi. J'étais trop limité en dollars pour envisager d'en louer une aux États-Unis.

À la prison Kings' County, à Brooklyn, Jacques Angelvin revient à de meilleurs sentiments. Le 23 janvier il fait savoir qu'il est "disposé à collaborer". Il réclame l'assistance d'un avocat et reconnaît qu'il fréquente Scaglia depuis plusieurs années.

Sa franchise ne va plus loin. Il maintient que s'il a introduit de la drogue à New York, c'est à son corps défendant.

- Quel a été le sujet de vos entretiens avec François Scaglia ?

- Il s'agissait d'une affaire très personnelle. Je lui avais demandé de surveiller un Français dont le fils a essayé de faire chanter une strip-teaseuse à laquelle je m'intéresse.

Interrogé par l'inspecteur Pera, du Bureau des narcotiques, Scaglia ne se montrera ni plus sincère, ni plus bavard.

- J'ai quitté Paris par le vol d'Air France le 7 janvier. Je suis arrivé le même jour à Montréal. J'y ai passé la nuit au Queen Elizabeth Hotel sous le nom de François Barbier.

- Pourquoi cette fausse identité ?

- Ça ne vous regarde pas.

- L'explication de cette étape à Montréal ?

- J'ai toujours eu envie d'acheter un bar dans cette ville.

- Alors pourquoi êtes-vous venu à New York ?

- Pour me changer les idées avant de poursuivre mes recherches au Canada où je m'apprêtais à retourner.

Scaglia refuse de dire pourquoi il a abandonné sa chambre d'hôtel qu'il a réglée au moyen d'un chèque télégraphique.

- En partant de là, où êtes-vous allé ?

- Chez une femme.

- Nous aimerions vérifier...

- Je suis au regret, mais je ne vous donnerai m son nom, ni son adresse.

- Pourtant elle n'a rien à redouter.

- Possible, mais vous ne saurez rien.

Il nie avoir rencontré qui que ce soit hormis Angelvin pendant son séjour à New York.

- J'ai connu Angelvin à Paris, mais c'est tout à fait fortuitement que nous nous sommes rencontrés ici.

- Comment osez-vous dire cela alors que vous étiez à l'arrivée de l'United States et que Pallet vous a accompagné ?

- Pallet ? Connais pas ... Pour le reste je ne sais ni quand ni comment Angelvin a débarqué.

- Votre passeport au nom de Systermans - deuxième fausse identité - a été délivré à Paris le 22 novembre 1961. Celui d'Angelvin est daté de la veille...

- Nous n'y sommes pour rien. C'est une simple coïncidence.

Scaglia refuse de répondre aux questions concernant sa résidence et ses activités en France.

- Mais, note l'inspecteur Pera, j'ai pu me rendre compte qu'il ne se fait pas d'illusions sur ce qui l'attend. D'Anthony et de Joseph Fucca, on ne pourra rien tirer. Il leur est d'autant plus facile de se réfugier derrière le vœu du silence que leur frère Pasquale prend tout à son compte.

- Il est exact, dit-il que je me suis servi tantôt de l'une, tantôt de l'autre de mes voitures pour véhiculer de l'héroïne. J'en fais le trafic. Puisque vous le savez, je ne vois pas pourquoi je chercherais à le nier... La drogue et les armes que vous avez saisies chez mes parents et chez mon associé m'appartenaient. Quant à ces Français dont vous me parlez, j'affirme ne pas les avoir connus...

Non plus qu'Angelvin, ni Scaglia, il n'indiquera la provenance des stupéfiants. En dépit des recherches effectuées tant chez nous qu'aux États-Unis, le point capital n'a jamais pu être établi.

C'est au mois de novembre 1961 qu'un "informateur" avait signalé à l'attention du Bureau des narcotiques Pascale Fucca, lequel, comme tous les italo-américains de son acabit, entretenait en Europe des relations utiles à son commerce clandestin. L'informateur avait fait savoir que, depuis plusieurs mois, Fucca recevait des sommes pouvant atteindre jusqu'à 25 000 dollars des mains de deux trafiquants notoires, comme lui d'origine sicilienne.

De la même source on avait appris qu'il s'absentait chaque mois pendant deux ou trois jours. Il se rendait à un endroit tenu secret et qui l'est resté, malgré toutes les filatures. On suppose qu'il allait y retrouver son oncle que son éloignement n'empêchait pas de donner ses directives. C'était bien le véritable cerveau du gang de Brooklyn.

La couverture de Pasquale, c'était le modeste restaurant qu'il possédait en association à l'enseigne de la« Barbara's Luncheonette », 118 Bushivick Avenue.

"Trois cabines téléphoniques y sont installées" avait précisé l'informateur. "Chaque soir à la même heure - 23 heures - Fucca ferme boutique. Il met un chapeau et son manteau et va s'enfermer dans une des cabines. Il s'assied et attend une communication. Aussitôt qu'il l'a reçue, il s'en va au volant d'une de ses autos. Ces autos sont au nombre de deux : une Oldsmobile bleue décapotable et une Buick bleue et blanche. Elles sont garées au sous-sol de l'immeuble où Pasquale et sa femme occupent un luxueux logement. Non seulement toute la famille est au courant du trafic de la drogue, mais encore elle y participe. C'est ainsi qu'Anthony ne travaille qu'occasionnellement et toujours pour les besoins de la cause en qualité de débardeur au quai 37 de la Mexican Line, 37 East River. Il y a fait embaucher son oncle quand il est sorti de prison".

Débardeurs... les quais... l'East River... les paquebots... l'esprit de clan aidant, toutes les conditions sont réunies pour assurer le succès d'une entreprise criminelle ayant des ramifications en Europe, dans les principales villes des États-Unis et au Canada, sans parler de certains pays d'Amérique latine.

Malgré tout ce que l'on savait sur lui, Pasquale Fucca avait toujours réussi à déjouer toutes les ruses, tous les pièges.

Au mois de novembre, la police canadienne signale qu'une livraison de 90 kilos d'héroïne devrait prochainement franchir la frontière. La surveillance se resserre autour de Pasquale qui pourrait en être le destinataire. Le samedi 18 novembre à l'heure fatidique de la fermeture de son restaurant, il reçoit la visite d'un grossiste qui opère à Chicago. Les deux hommes discutent un moment, puis chacun s'en va de son côté : Fucca va chercher un paquet dans un immeuble de la 7e Rue. Plus tard on le voit pénétrer dans l'hôtel Roosevelt qui offre cette particularité de communiquer avec la grande Central Station d'où partent les trains pour Chicago.

Quand il revient, le paquet a disparu. Où l'échange s'est-il fait ? Dans l'hôtel, sur le quai? Une chose est certaine, le colis a pris le chemin des paradis artificiels.

Le lendemain soir, Pasquale est une fois de plus appelé au téléphone. La communication est brève. De nouveau il se rend au n° 245 de la 7e Rue. Un guetteur posté dans l'escalier le voit passer la porte de l'appartement n° 1. Il n'y reste que quelques instants. On le suit. Dans la 42e Rue, il arrête son Oldsmobile et va s'asseoir sur le siège avant d'une voiture en stationnement. Le conducteur est au volant. Courte conversation. Un nouveau tour de passe-passe est si rapidement exécuté qu'on n'a pas eu le temps de voir qui avait remis à l'autre un paquet.

Pourquoi dans les deux cas les agents fédéraux ne sont-ils pas intervenus ? Pour la raison bien simple que priorité absolue était donnée à la découverte de l'endroit où pouvait être cachés les 90 kilos d'héroïne annoncés au Canada. Une intervention intempestive et tout espoir d'y parvenir devait être abandonné. Sans doute la police n'est-elle pas arrivée à ses fins, mais la chance valait la peine d'être courue.

Le 29 novembre, on signale que Fucca va faire une nouvelle escapade de trois jours.

Enfin, l'occasion se présente de connaître le lieu de ses mystérieux rendez-vous. Hélas ! il faut vite déchanter. Une fois de plus, le téléphone sonne dans la luncheonette. Une voix demeurée anonyme lance cet avertissement :

Pasquale ne vient pas. Par ici, ça sent drôlement le brûlé et ça fourmille de monde. On te fera signe en temps voulu.

On peut à peu près localiser l'appel. Il a dû être donné d'une cabine publique de Rochester. Aux approches de cette ville, on avait trouvé le cadavre calciné d'Albert Agacci, un truand que la justice expéditive du "milieu" avait condamné.

Empêché de quitter New York, Fucca y fait preuve d'une grande activité. On le surprend au Pick Slip Inn, dans le bas de Manhattan, en grande conversation avec les trafiquants. Une nuit il stoppe son Oldsmobile près des quais de l'East River. La bise est coupante comme de la glace, il s'approche d'une Buick marron à l'arrêt. Quelque chose doit lui donner l'éveil, les deux voitures s'éloignent vers la rue Jefferson où on les perd de vue.

On a pu toutefois relever le numéro (45 477) de la Buick. Elle est immatriculée à Québec. La police canadienne câble le lendemain qu'elle est la propriété d'un français nommé Maurice Mésanger, domicilié à Montréal, qui, pour l'heure, pourrait se trouver à Marseille.

New York me demande de vérifier. Je réponds par le message suivant :

"Mésanger est arrivé à Cherbourg avec sa femme et sa fille le 18 septembre par le Queen Mary. Avec sa voiture, il s'est rendu chez son frère cultivateur dans le Midi. Il est reparti le 28 octobre à destination de Montréal à bord du paquebot Ivemia, après un bref séjour à Nice. Sa Buick pouvait donc se trouver à New York à la date que vous avez indiquée".

Après l'arrestation d'Angelvin, on m'a fait parvenir la photocopie de notes relevées sur son carnet. Rédigées dans un style elliptique, elles sont inintelligibles pour un étranger. Je rétablis le texte et je télégraphie :

"Voilà ce qu'a écrit Angelvin à la date du 17 janvier : J'ai la note de la première semaine à l'hôtel : 228,71 dollars = 114 000 francs. Je vais aller payer. C'est toujours ça de fait. Je pense avoir de l'argent demain ou alors au Canada. Le billet d'avion va coûter 67 dollars".

Je souligne au passage que les dépenses dont il est fait état correspondent aux 300 dollars remis par Scaglia et je continue :

À la date du jeudi, jour de son arrestation, Angelvin a écrit : Je viens de faire les valises, mais je dois en acheter une autre pour laisser les affaires ici jusqu'à demain soir. En principe - je touche du bois - le soir je suis au Queen Elizabeth à Montréal".

 J'ajoute, et ceci est de mon cru :

"Sans insister sur la nécessité où Angelvin se trouve d'acheter une valise pour laisser ses affaires à New York, vous remarquerez que ses considérations se rapportent à quelque chose qui lui faisait courir un risque. En France "toucher du bois" est un geste que font les superstitieux - parfois aussi ceux qui se défendent - pour conjurer un éventuel mauvais sort".

Le 5 février 1962, par l'intermédiaire de l'agent Waters du district 2, l'attorney du tribunal de Kings County me réclame l'identification et l'audition des précédents propriétaires de la Buick 18LU75. Il voudrait aussi avoir des renseignements sur Georges Viais et Jean Pallet.

Je réponds :

"La voiture d'Angelvin lui a été vendue 2 800 000 francs dans un garage du quai de Grenelle. La transaction a été faite pour le compte d'une espagnole qui réside à Montevideo. J'ignore l'adresse et vous laisse le soin de poursuivre l'enquête en Uruguay.

Je vous informe que les Canadiens nous ont déjà consultés au sujet de Jean Pallet. Nous avons répondu qu'il n'était pas recherché en France.

En 1956, il a écrit à sa mairie de naissance en donnant une adresse à Montréal.

Les recherches effectuées auprès de sa sœur, ne nous ont pas permis d'en apprendre davantage.

Enfin, nous avons identifié deux Viais en France, mais rien n'indique qu'aucun d'eux soit l'homme que nous recherchons".

Le 2 avril, un agent de New York a émis l'opinion que Georges Viais ne faisait qu'un avec Maurice Mésanger.

En conclusion, je dirai que dans cette affaire qui a eu un retentissement mondial, surtout en raison de la personnalité de Jacques Angelvin, celui-ci a été le complice conscient mais occasionnel de Scaglia.

C'est vraisemblablement au "Petit François" qu'avait été remise la drogue qu'Angelvin a consenti à convoyer en échange d'une substantielle rémunération.

Ces deux hommes n'ont apporté aucune note originale dans leur façon de procéder. Scaglia accompagne la marchandise jusqu'au port d'embarquement, puis il est revenu à Paris prendre l'avion de New York. C'est ainsi qu'ont toujours agi les trafiquants internationaux. En précédant son convoyeur à New York, il donnait le temps à ses correspondants américains de prendre leurs dispositions.

Les inculpés ont été condamnés aux peines de prison suivantes :

Pasquale Fucca, de cinq à dix ans ; Joseph a six mois ; Nick Travato de deux ans et demi à cinq ans ; François Scaglia de onze à vingt-deux ans ; Jacques Angelvin de trois à six ans.

Libéré avant l'expiration de son temps, en raison de sa bonne conduite, l'ancien présentateur de la télévision est revenu en France en 1967.

Jean Pallet et Georges Viais n'ont jamais été retrouvés.

Enfin, Anthony Fucca n'a pas bénéficié longtemps de la liberté que lui avait accordée le juge de Bronx County. Quelques jours à peine après avoir bénéficié de cette mesure de faveur, il est tombé dans une souricière. Des agents du Bureau des narcotiques l'avaient suivi dans sa cave sans qu'il s'en doute le 6 février. Ils l'avaient vu se pencher sut un landau. À l'intérieur, on avait camouflé une valise. Elle contenait 33 des 40 kilos d'héroïne embarqués au Havre sous les ailes de la Buick d'Angelvin.

Le 30 novembre 1962, Anthony Fucca a été condamné par la Cour suprême de Bronx à une peine de sept ans et demi à douze ans d'emprisonnement.

 

© Charles Gillard, in Échec aux rois de la drogue, Buchet/Chastel, 1970, chapitre XI.

 

 

 


 

 

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