Brooklyn - Ici, dit une vieille Noire, notre hymne national c'est la sirène des flics". Autrefois habité par les Allemands, le quartier de Williamsburg à Brooklyn est envahi par les Noirs. C'est là que, cachés sous le métro, les policiers ont assiégé l'armurerie où quatre "serviteurs d'Allah" s'étaient retranchés.

 

 

 

I. À Brooklyn, janvier 1973

 

Quarante-sept heures de siège dans un Fort Alamo de banlieue, un mort, deux blessés, neuf otages. C'est le dimanche 21 janvier à 5 heures du soir qu'enfin un policier noir a réussi à convaincre les quatre tireurs obstinés de Brooklyn de cesser leur combat "pour la victoire et le paradis".

Le décor : une boutique d'articles de sport, 927 Broadway Avenue, juste au coin de Melrose Street. C'est tout près de là, sous les arcades vertes et souillées du métro aérien qui passe à 2, 50 mètres des fenêtres des maisons, qu'a été tournée l'extraordinaire poursuite de The French Connection.

La police avait été prévenue dès 17 h 31 le vendredi sur ses circuits vidéo. À 17 h 35, le siège commence. Aux fenêtres du premier étage apparaissent des hommes et des femmes terrorisés : les otages.

Le policier Stephen Gilroy a eu le temps de revêtir son gilet pare-balles, mais pas son casque. Une balle dans la tête. Il sera le premier Cop new-yorkais mort en service commandé en 1973 (il y en a eu cinq en 1972, et dix en 1971). On ne ramènera son corps qu'une heure plus tard : ses camarades sont littéralement cloués au sol, car les tireurs se sont maintenant retranchés au premier étage du magasin, là où l'on vend les carabines de chasse.

Pendant ce temps, étrangement, la foule des curieux ne cesse de grossir. C'est l'heure du dîner, et par familles entières, on descend, en savates, dans la rue pour voir ce qui se passe. C'est bien mieux qu'à la télé, rigole un gosse du quartier.

Avec un porte-voix, un policier réussit enfin à se faire entendre : "Arrêtez le tir, libérez un otage pour parlementer...". Un grand silence et, sous la pluie qui tombe comme un orage d'été, une grande jeune fille noire de vingt ans, Judy Maladet, coiffée à l'afro comme tout le monde dans le quartier, sort en trombe de la boutique et se jette, en pleurant, dans les bras des policiers : "Il y a des otages dans la boutique, dix ou douze, les bandits sont désespérés, ils vont tous les tuer, crie-t-elle, l'un des tireurs est blessé, il perd son sang...".

"Rendez-vous et nous soignerons votre camarade", hurle dans un haut-parleur un policier. À chaque appel, une rafale de coups de feu part de la boutique. À chaque rafale, la foule applaudit…

La nuit est tombée. Une autre ombre sort en courant du magasin : Michael Zavas, vingt et un ans, le boy-friend de July Maladet. "Ces gangsters sont décidément d'un genre particulier. Ils s'appellent entre eux n° 1, n° 2, n° 3, raconte Michael, ils ont dit qu'ils ne nous feraient pas de mal, mais ils paraissent décidés à aller jusqu'au bout...".

À cet instant la police a compris qu'elle n'a pas affaire à des gangsters classiques. Ils ont une raison qu'il faut essayer de comprendre, si l'on veut éviter une tuerie générale.

Deux prêtres baptistes arrivent en auto-chenille. Les insurgés refusent de les recevoir. "Nous sommes, s'écrient-ils, les serviteurs d'Allah le Bénéfique. À nous le paradis. Nous allons périr sous une gerbe de feu".

On veut leur envoyer des représentants des Black Moslems. Ils refusent également de les recevoir.

Enfin, vers 15 heures, le samedi, arrive le docteur Thomas Matthew, un neuro-chirurgien de quarante-huit ans, noir, et qu'on connaît comme un Monsieur Vincent dans tous les quartiers pauvres de New York. Thomas Matthew allait partir pour Washington, aux cérémonies de l'Inaugural Day, où il était l'invité personnel du président Nixon.

Il examine le blessé qui a reçu une grave blessure à l'abdomen. Il lui fait une perfusion, mais les autres refusent qu'on le transporte à l'hôpital.

Le souvenir tragique de Munich est trop proche : la police a décidé de ne pas tirer. Une autre nuit passe. Le docteur Matthew revient deux fois. Il rapporte deux lettres écrites en caractères arabes.

"Nous n'avons rien à perdre, dit l'une d'elles ; pour nous, c'est la victoire ou le paradis". Elle est signée : "Serviteurs d'Allah", et le Dr Matthew explique aux journalistes que, le lendemain, il négociera la libération des otages.

Mais entre-temps, l'un de ceux-ci, le gérant du magasin, s'est rappelé qu'au deuxième étage il y a, derrière une cloison, un escalier conduisant sur les toits. Il a demandé au n° 1 de regrouper les otages dans ce deuxième étage, afin qu'ils soient hors de portée des coups de feu des policiers. Le n° 1 a accepté.

Les neuf otages commencent alors à gratter la cloison d'agglomérés qui les sépare de la liberté.

Et soudain, un flash passe sur toutes les radios : ils sont libérés... Désormais, les trois insurgés savent qu'ils sont perdus. Le quatrième est inconscient dans une mare de sang.

C'est le policier noir William Johnson, connu pour sa compréhension, qui va négocier la reddition.

Le n° 1 Gary Earl Robinson, homme très religieux, qui, estimé dans son quartier, travaille au métro de New York, expliquera longuement que ses amis et lui font partie des Pen Sunu Muslin, une secte qui ne reconnaît pas l'autorité des Blacks Moslems. " Nous prêchons la réunification de tous les musulmans, dira-t-il. Nous ne voulons pas d'argent. Nous n'en voulons pas aux Blancs et notre secte, sunniste, admet même que les Blancs se convertissent à Allah (à la différence des Black Moslems). Nous regrettons la mort du policier. Nous voulions prendre des armes pour nous défendre".

 

Les journaux, janvier 1973

 

 

II. Septembre 2001