C'est à la suite de l'agression subie en plein Paris, dans l'après-midi du jeudi 30 avril par Eric Zemmour, que j'ai décidé de la mise en ligne qui va suivre. D'autant qu'en fin d'après-midi de ce même jeudi, le journaliste du Figaro a imperturbablement tenu, à 19 heures, sa place dans l'émission Face à l’info, sur CNews. Et que ses compagnons de plateau étaient parfaitement ignorants du violent incident dont leur camarade venait d'être la victime. À cet égard, il est piquant de noter que cette mésaventure a finalement été rendue publique... par l'agresseur lui-même, tellement fier de son exploit.
Sans faire de mauvais esprit, notons au passage que ce menaçant citoyen, le dénommé Mehdi K. , domicilié à Orléans, circulait en voiture en plein Paris : comme l'on sait, Orléans se trouvant à un kilomètre de la capitale, l'individu qui était sans doute dûment muni de son Attestation de déplacement dérogatoire, était dès lors parfaitement en règle avec la loi d'état d'urgence sanitaire...
Je me dois immédiatement d'ajouter qu'un second incident est venu conforter mon intention : je veux parler des "suites" de l’attaque au couteau à Romans-sur-Isère (qui a fait 2 morts et 5 blessés) perpétrée le 4 avril dernier. En effet, le bâtonnier de la Drôme, Me Chauvin, avait tenu, à la suite de cette attaque, des propos "indignes" (s'il faut en croire quelques-uns de ses confrères) à l'encontre de l'auteur "présumé" de ces crimes, le soudanais Abdallah A. Et les choses se sont à ce point envenimées que Me Chauvin a présenté sa démission du bâtonnat, le 21 avril dernier.
Rappelons brièvement les faits. Le désormais ex-bâtonnier, qui n'est pas un perdreau de l'année puisqu'il approche de la soixantaine, a dû soigneusement peser ses mots et leur impact lorsqu'il a écrit (sur un forum privé) que le présumé assassin pouvait "crever où il veut", mais que, pour autant, il ne désignerait aucun avocat d’office (dans le cadre de l'aide juridictionnelle) pour le défendre. De tels propos, certes fort imprudents car tellement éloignés du politiquement correct qui domine en maître le débat public, entraînèrent une vive réaction de nombre de ses confrères - y compris de plusieurs prédécesseurs de Me Chauvin dans le bâtonnat. On pouvait en effet lire, dans une revue juridique - qualifiée de "torchon" par Me Chauvin - une "Tribune" s'achevant ainsi : "Cet homme-là, Abdallah Ahmed-Osman, est l’un des nôtres. Il nous ressemble. Nous sommes faits de la même chair, des mêmes os et le même sang que le vôtre coule dans ses veines. C’est notre frère". Certes, l'inébranlable irénisme exprimé dans cette riposte à l'ex-bâtonnier a convaincu ce dernier qu'il ne pouvait continuer à représenter sa profession. D'où l'annonce de sa démission, avec cette conclusion bien sentie : "Ce qui me choque, c'est que ces gens [ses propres confrères] qui s'érigent en grands moralisateurs sur les réseaux sociaux, ne se rendent pas compte des conneries qu'ils disent. Essayer de remplacer le nom du terroriste par Staline ou Hitler, appelez-les «mon frère», et dites-moi ce que vous en pensez ? Jolie famille ! C'est la leur, pas la mienne. Je considère qu'en écrivant de tels propos, on crache sur les familles et les victimes. Notre profession se discrédite, je ne pouvais plus en être l’un de ses représentants".
Cet incident interne au barreau valentinois paraît, en effet, devoir être rapproché - toutes proportions gardées, naturellement - de l'agression dont a été victime le polémiste du Figaro qui, lui aussi, ne mâche pas ses mots à l'endroit des terroristes islamistes (pourquoi se priver de ces termes, utilisés par Jospin à Ramallah, voici très exactement vingt ans, sous une pluie de pierres ?) et de leurs nombreux soutiens - les idiots utiles - au sein de l'establishment français.
C'est, qu'on le veuille ou non, le vieux débat initié au moins dès 1996 par Le Choc des civilisations, dû à la plume d'un professeur à Harvard, l'Américain Samuel Huntington - débat régulièrement alimenté de nos jours par tous ceux qui ont étudié de près la fulgurante expansion musulmane depuis l'Hégire. On peut mentionner, à cet égard, L'étrange suicide de l'Europe : Immigration, identité, Islam, de Douglas Murray (2017), et encore La Ruée vers l'Europe, de Stephen Smith (2018). Et on terminera sur cette réflexion de Jacques Julliard (dans Marianne, mi-septembre 2018), haute conscience du journalisme, qui a toujours été classé "à gauche" : "Une des grandes questions posées par l'immigration est celle du nombre... Si vous recevez un soir un voyageur pour le dîner et le coucher, et qu'au matin il déclare que décidément il va s'installer définitivement chez vous en faisant venir sa femme, ses cousins et ses amis du village, chacun comprend qu'il s'agit désormais d'un problème d'une autre nature que celui des lois de l'hospitalité".

 

 

"La France se meurt, la France est morte.
Nos élites politiques, économiques, administratives, médiatiques, intellectuelles, artistiques crachent sur sa tombe et piétinent son cadavre fumant. Elles en tirent gratification sociale et financière. Toutes observent, goguenardes et faussement affectées, la France qu’on abat"

É. Zemmour

 

I. Du cul de Lucette à Lily Blanche-neige qui aimait tant la liberté

 

Mais venons-en, enfin, au texte de Zemmour, que j'extrais de son ouvrage paru en 2014, Le suicide français - sous-titré "les quarante années qui ont défait le France". L'économie de l'ouvrage, en effet, s'effectue de manière chronologique. Pour chaque année, l'auteur expose et commente un ou parfois plusieurs faits historiques ayant contribué selon lui à cet abaissement de la France que son propos est de dénoncer. Ce volume, formidablement nourri de multiples lectures, et qui révèle de plus une prodigieuse culture personnelle, couvre la période 1970-2003. Il s'ouvre sur la disparition du général de Gaulle (9 novembre 1970, "La mort du père de la nation") et s'achève sur le "Narcisse flamboyant", Dominique de Villepin, et son discours devant le Conseil de sécurité de l’ONU (14 février 2003, "Le képi de De Gaulle sur la tête d’Aristide Briand"). Mentionnons que des éditions ultérieures ont permis à l'auteur de faire figurer quelques années supplémentaires [2005-2007].

Avant "Lily", qui sera infra l'objet de la réflexion critique de Zemmour, Pierre Perret était surtout connu - sinon uniquement - comme l'auteur rigolard de chansons fort lestes, pour ne pas dire franchement grivoises. Ainsi, en 1971, avait-il donné à savourer Le cul de Lucette, dont on pressent d'entrée le caractère hautement intellectuel et moral :


Mon préféré c'est celui de Lucette
C'est le paradis en chemisette
C'est un cul classé de grand seigneur
C'est vraiment lui le cul de mon cœur

Au détour de cette pantalonnade, les habituels censeurs de la bien-pensance droitdel'hommiste autant qu'altermondialiste auraient pu diriger leurs féroces diatribes sur deux vers a priori d'une joviale innocence :


J'ai vu les culs des moukères
Qui ont besoin d'une moustiquaire

mais qui, si l'on veut bien y réfléchir, sentent très fort la dérive raciste. Car pourquoi les "tronçons" des mouquères, seraient-ils les seuls à attirer la convoitise des culicidae, sinon pour des raisons de manque d'hygiène ?

Et avant de nous intéresser rapidement à "Lily", allons-y d'une référence culturelle, à laquelle Perret n'a certainement pas songé. Mais quand on lit :


Mon préféré c'est celui de Lucette
Le seul qui ait des senteurs de violette
Quand je le vois pas d'une semaine je pleure
C'est vraiment lui le cul de mon cœur

comment ne pas songer au tristement fameux Sonnet du trou du cul, de Verlaine (ou de Rimbaud, ou des deux compères) :


Obscur et froncé comme un œillet violet
Il respire, humblement tapi parmi la mousse...


Nous irons vite, s'agissant de "Lily", pour ne pas trop anticiper sur l'étude d'Eric Z. ; mais trois remarques au moins s'imposent, s'agissant d'une chanson qui se veut engagée et protestataire : peut-elle pour autant s'asseoir délibérément sur l'élémentaire vérité ? En effet, lorsqu'on entend :


Dans un bateau plein d'émigrés
Qui venaient tous de leur plein gré
Vider les poubelles à Paris

comment ne pas s'indigner d'un démagogique renversement de situation ? Les "émigrés" seraient donc forcés - par les méchants Occidentaux, cela va sans dire - d'abandonner leur pays ? Et peut-on ignorer que les éboueurs, contrairement à ce qui est largement répandu, exercent un métier très correctement rémunéré ?

Lamentablement démagogique aussi, la remarque concernant la musique - au-delà de Debussy !


Mais pour Debussy en revanche
Il faut deux noires pour une blanche

Enfin, l'attitude prétendûment observée par les racistes Blancs :


Mais la belle-famille lui dit nous
Ne sommes pas racistes pour deux sous
Mais on veut pas de ça chez nous

devrait être mise en parallèle avec la façon peu fraternelle - c'est un euphémisme - dont les "émigrés" de l'Afrique sub-saharienne sont reçus en Algérie (par exemple)...

Ces quelques remarques faites, laissons enfin la parole à l'auteur du Suicide français...

 

 

 

 

II. 1977 - Lily

 

Il avait des années durant hésité, tergiversé, retravaillé. Cette chanson, ce n’était pas son genre ; il avait peur de se fourvoyer, de se ridiculiser.

Pierre Perret avait jusque-là connu un immense succès populaire avec des gauloiseries paillardes et innocentes à la fois : "Les jolies colonies de vacances" (1966), "Tonton Cristobal" (1967), "Le Zizi" (1974), etc. En matière de femmes, cette "Lily" était fort éloignée du "cul de Lucette" qu’il vantait il y a peu :


On la trouvait plutôt jolie, Lily
Elle arrivait des Somalies, Lily
Dans un bateau plein d’émigrés
Qui venaient tous de leur plein gré
Vider les poubelles à Paris
.

Un Molière qui écrirait les tragédies de Racine ; un Charlie Chaplin qui se prendrait pour Bergman. Il était si peu sûr de lui – et la maison de disques aussi – qu’il se contenta de glisser cette chanson en une discrète face B d’un 45-tours. Le succès fut pourtant éclatant. Les programmateurs de radio la plébiscitèrent ; les critiques s’enthousiasmèrent. Le public suivit, même si Perret ne retrouva pas ses ventes du "Zizi"…

La chanson avait tout pour devenir un standard de ce "politiquement correct" à la française qui s’ébauchait au cours de ces années 1970. L’immigrée était charmante et dévouée ; elle aimait la France et, dans sa lointaine Somalie, avait appris à faire rimer "tous égaux" avec Voltaire et Hugo. Elle avait voyagé, Lily, aux États-Unis, Lily, les bus interdits aux Noirs et Angela Davis, avant de découvrir attristée que les Français n’étaient pas plus accueillants que ces racistes d’Américains :


Elle rêvait de fraternité, Lily
Un hôtelier rue Secrétan
Lui a précisé en arrivant
Qu’on ne recevait que des Blancs
.

Des journalistes se précipitèrent dans le XIXe arrondissement de Paris pour chercher – et dénoncer – l’odieux hôtelier. Qui n’existait pas, bien entendu.

Cette chanson n’appartenait plus à son auteur.

Perret chanta cette comptine au moment même où l’immigration changeait de nature ; où on ne venait plus à Paris vider les poubelles mais rejoindre un père, un mari, ou un frère. Après avoir fait venir les immigrés au lieu d’investir dans des machines plus modernes, comme leurs homologues japonais, le patronat français acheva la destruction de la classe ouvrière nationale par le regroupement familial. L’immigration de travail était arrêtée et devenait marginale ; ce fut le moment où elle se transformait en thème de chanson ou de récit. On avait besoin de faire croire à la population que rien n’avait changé, que l’immigration était toujours utile au pays, alors que le chômage de masse avait commencé son irrésistible ascension, et qu’un nombre croissant d’immigrés le subissait ; à la même époque, Coluche plaisantait sur la fermeture des frontières : "Ne vous inquiétez pas, vous n’allez pas être obligés de travailler tout de suite".

Un rideau de fumée idéologique avait été descendu pour dissimuler la nouvelle réalité. Une machine à culpabiliser était mise en branle pour celer la révolution démographique qui s’annonçait.

Avec "Lily", la mise en accusation du peuple français est du même ordre que celle du film Dupont Lajoie ; mais là où Yves Boisset cogne, Perret culpabilise. Boisset, c’est papa qui ordonne au petit d’aller rendre visite à grand-mère ; Perret, c’est maman qui susurre : "Si tu ne vas pas voir grand-mère, elle sera malheureuse". L’hétérogénéité ethnique portera sur le devant de la scène les questions religieuses et culturelles au détriment des problèmes sociaux. Les années 1980, celles de l’antiracisme et du grand virage libéral concomitant, nous ouvraient les bras. Mais Pierre Perret est loin de tout cela : il parle avec son cœur ; à l’instar de la plupart des artistes, il est l’"idiot utile" du capitalisme et de l’antiracisme d’État qui se met alors en place.

Sa chanson reflète un air du temps que les chanteurs, acteurs, écrivains, cinéastes, etc. respirent sans s’en rendre compte. Dans le même disque que "Lily", on peut écouter "Les enfants foutez-leur la paix", une ode à la spontanéité enfantine, à l’enfant roi, qui popularise la révolution en cours dans les méthodes pédagogiques.

Avec "Lily", Perret abandonne ingénument ce populo qui l’a fait roi ; il se met aux côtés des censeurs bourgeois de gauche, cette caste qui domine son milieu professionnel, et le regardait jusqu’alors avec un mépris condescendant. C’est le geste d’allégeance d’un homme humilié à une "élite" par laquelle il veut à tout prix se faire adouber : il lui donne ce qu’elle exige, la tête de ce peuple français qui l’adule, et à qui il tend le miroir déformant d’une populace raciste et xénophobe.

Sa chanson sera étudiée en classe et, consécration suprême, donnée en sujet du baccalauréat. Perret croira avoir rejoint son maître vénéré : Georges Brassens ; mais l’ancien anarchiste n’a pas été remplacé ; celui qui se rêve son héritier sert la machine à culpabiliser les Français ; et à propager cette haine de soi qui tétanise le peuple et le tient coi, silencieux et passif.

 

© Éric Zemmour, in Le suicide français, Albin-Michel, 2014.

 


 

 

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Le Suicide
français
"La France ressemble à ces immeubles anciens, à la façade intacte, car elle est classée monument historique, mais où les intérieurs ont été mis sens dessus dessous pour se conformer aux goûts modernes et au souci des promoteurs de rentabiliser le moindre espace.
De loin, rien n’a changé, la rue a fière allure ; mais de près, tout est dévasté : rien n’est plus « dans son jus », comme disent les spécialistes. Tout est intact ; seule l’âme du lieu s’est envolée".