Mon cher Gilbert, toi qui as le Net en horreur, tu vois tu vas y devenir célèbre ! Euh, lectrices et lecteurs, Gilbert je le tutoie, c'est mon prédécesseur à l'École Normale - ça fait un bail -, et puis quand je parle grec, non seulement il comprend mais encore il repère l'origine de mes citations... alors je le tutoie !

Mais ce qui m'étonne, Gilbert, c'est que tu aies si peu insisté sur Béthune, justement, et sur l'horrible traitement fasciste - il n'y a pas d'autre mot possible - infligé à la courageuse Corinne Krajevski, qui aurait mérité qu'on l'épaulât réellement et surtout vigoureusement, ainsi que sur l'incroyable soutien que la section socialiste de Béthune - on a envie de dire : Section... Halte ! - a apporté au mois d'avril 1995 au dénommé Mellick (lequel, peines purgées, vient d'écrire sa part de vérité sur les événements de Béthune, ce qui est proprement incroyable et va sans doute t'obliger à écrire à nouveau, Gilbert, à propos de ses Excès de vitesse !). On croit rêver mais non, c'est la réalité, et donc c'est un cauchemar. Et Le Pen n'a rien à voir là-dedans. Quoi qu'il en soit Gilbert, après cinq ans ta prose est malheureusement toujours autant d'actualité...

 

Comment prendre au sérieux la volonté affichée de stigmatiser la « droite extrême » quand on voit au premier rang des « républicains », l’invective à la bouche, des hommes qui ont des comptes à rendre à la justice ou, même, qui ont été condamnés ? Suffit-il, dans ce pays, de dire « non » à Le Pen pour avoir une légitimité politique ? Quelques slogans antiracistes bien assenés, quelques lieux communs sur la solidarité ; est-ce que cela constitue l’alpha et l’oméga de la moralité publique ?

Bien sûr que non ! Un danger aussi grave que l’exclusion menace la démocratie : la corruption défait plus lentement mais plus sûrement le lien social, le pacte politique qui sont censés fonder la République. S’il est juste de s’inquiéter du vote Front national, il le serait donc tout autant de s’étonner du bon score obtenu par des candidats mis en examen, voire condamnés dans des affaires qui, de Cannes à Béthune, mettent gravement en cause leur sens du bien public (...). Par quelle aberration en vient-on à admettre, sans discussion, que le fait d’absoudre par une réélection la corruption passive ou active, avec tout ce qu'elle implique, est moins dangereux pour la démocratie qu'un vote d’extrême droite dont on sait très bien, par ailleurs, qu'il trouve en partie sa motivation dans une protestation contre les pratiques, fort peu « démocratiques », d’une classe politique, toutes familles confondues, engluée dans les « affaires » ?

 

Le « mauvais » électeur de Toulon ou de Marignane, qui a mal voté, est montré du doigt. Mais le libre citoyen de Cannes qui redonne souverainement son écharpe de maire à un Mouillot est exonéré de tout péché républicain, cependant qu'à Vitrolles un Tapie joue au professeur de morale sous les applaudissements des gens bien-pensants.

Quand les citoyens perdent ainsi jusqu'au sentiment de leur propre dignité, quand leur faculté de juger est aussi gravement menacée, la démocratie est bien malade.

 

 

©  Gilbert Record, Saint-Ismier, Isère. In Courrier des Lecteurs du Monde, 9-10 juillet 1995

 

 

Évidemment, je vais encore me faire mal voir, mais je trouve que le texte suivant, lui, n'est guère digne, et que le tien, Gilbert, le dépasse de cent coudées... et bien davantage encore. Il est pourtant écrit par quelqu'un de "supérieur", pas par un "primaire" comme nous, mais bon... En plus, je le trouve d'une écœurante démagogie, d'un simplisme infantile... Et ça se dit supérieur.

 

Provence du déshonneur...

Une fois de plus, notre région se retrouve sous les feux de l'actualité, et mobilise les médias du monde entier pour un record dont elle se serait bien passé. Elle est la seule, en effet, à donner quatre postes de maires au parti de la haine, du mépris et du libéralisme le plus caricatural. Les historiens nous diront peut-être un jour* comment il s'est trouvé 58 065 électeurs à Nice, 26 879 à Toulon, 5 489 à Marignane et 4 268 à Orange pour donner leurs voix au Front National [...].

Les démagogues les plus simplistes ont gagné. Ravivant des sentiments de peur et d'hostilité, ils ont su mobiliser sur la xénophobie, le refus de l'autre dans ses différences et ses richesses, le culte de la France aux Français qui a déjà, à plusieurs reprises, ravagé notre histoire [...].

Les partis politiques classiques sont responsables de n'avoir pas su proposer aux électeurs un projet à la hauteur des défis de notre temps, en remplaçant le combat des idées pour celui des mandats, ou en flirtant trop longtemps avec les extrémistes de la simplification. Ils n'ont pas voulu, de droite ou de gauche, pour des raisons incompréhensibles, bâtir le pacte républicain qui s'imposait en pareille circonstance. Ils ont préféré le risque de l'indignité attendue à celui de la défaite redoutée.

Le mouvement associatif est responsable de n'avoir pas su proposer à ses adhérents autre chose que des revendications permanentes pour des adhérents introuvables. Les intellectuels sont responsables d'être restés sans mot au moment même où ils auraient dû s'exprimer. Les enseignants sont responsables de ne plus apprendre le sens des valeurs à leurs élèves ou à leurs étudiants. Les Églises sont responsables de leurs silences ou de leur modestie.

Les urbanistes sont responsables d'avoir confondu l'habitat avec le logement, les économistes la croissance avec l'emploi, les sociologues l'action sociale avec l'insertion, les banquiers la spéculation avec la gestion des patrimoines, les entrepreneurs le profit avec l'intérêt général. L'administration est responsable de n'avoir pas su transformer ses pratiques pour considérer les administrés comme des citoyens et non pas comme des numéros, les collectivités locales sont responsables de n'avoir pas su entendre les cris des déshérités.

Nous sommes tous responsables du malheur qui s'abat aujourd'hui sur Nice, Toulon, Marignane et Orange".

 

©  Ph. L., Maître de conférences à la Faculté des Sciences économiques de l'Université de la Méditerranée (ouf !), in Courrier des Lecteurs de La Provence, 17 juillet 1995


* Mais je vais te le dire tout de suite, espèce de faux-cul. Tu n'as jamais entendu dire que Le Pen "faisait" 0, 74 % des voix sous Giscard ? Que Rocard a démissionné dès lors que Mitterrand a rétabli la proportionnelle, 1° pour tâcher de sauver les meubles de son camp ; 2° pour flanquer Le Pen dans les jambes de la droite modérée, afin d'empêcher cette dernière de retrouver le "pouvoir" ? Voilà le beau résultat de ses manigances !

 


 


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