C'était une autre époque, apparemment ! Deux subjonctifs dans la même dictée du Brevet des Collèges ! Et l'un, temps passé, voix passive, qui plus est ! Je doute que nos récents bacheliers, qui avaient vivement protesté à cause de mots inconnus (d'eux) dans un énoncé, se seraient sortis avec honneur de cette épreuve... Que voulez-vous, comme le proclament nos distingués sociologues, le niveau monte...

 

 

I. DICTÉE

 

La chaise du pauvre

 

Pendant quelques années, il y eut près de mon père une chaise vide qui disparut lorsque la famille se dispersa. C'était la place dite de l'ange, celle du pauvre, celle du visiteur inattendu qu'on se doit de recevoir avec le faste, le don, la générosité de l'accueil. Cette chaise, je ne me souviens pas qu'elle ait jamais été occupée ; aucun visiteur ne vint nous surprendre pour que je puisse vérifier si sa signification était autre que rituelle. Mais elle enchantait mon imagination. C'est moi qui en esprit y faisais asseoir fantômes et anges avec qui je conversais, secrètement, tant qu'on ne me rappelait pas à l'ordre parce que j'en oubliais de manger. Comme tous les enfants, je détestais manger.Et plus que tout, je détestais qu'on m'y forçât. Je parlais avec le visiteur imaginaire de tout ce que je n'osais pas dire aux miens.

 

Jean Daniel, Le Refuge et la Source.

 

 

II. Texte

 

[C'est le jour de la rentrée scolaire, vers 1920, dans un lycée parisien.
Le narrateur, qui entre en classe de troisième, attend avec impatience son meilleur ami, Philippe Robin, dont il a été séparé pendant les grandes vacances, qu'il a lui-même passées à Aiguesbelles, près de Nîmes, dans la ferme de ses grands-parents]

Enfin j'aperçus Philippe qui accourait vers moi.
Comme il avait changé ! Je ne pus retenir une exclamation en le considérant de près. Son teint était hâlé : on lui voyait un duvet doré sur les joues ; et quand il riait, ses fossettes se creusaient profondément, laissant ensuite de petites lignes sur la peau.
— Hein ! dit-il fièrement, je me suis bien bruni au soleil. C'est à Arcachon où j'ai passé le mois de septembre avec mon oncle Marc, comme je te l'ai écrit. Toute la journée, pêche ou chasse en mer. Quelquefois nous partions à quatre heures du matin et nous rentrions à la nuit... Et une chasse pas commode, mon vieux ! des courlis... Il n'y a pas d'oiseaux plus prudents ni plus difficiles à tirer. C'est mon oncle qui me l'a dit. Il n'en a tué que quatre pendant la saison, et pourtant il a tout le temps des prix au Tir aux pigeons.
Je n'avais jamais tenu un fusil. Chasser ne m'attirait nullement. Je connaissais un peu l'oncle de Philippe. C'était un homme d'une trentaine d'années, bien découplé, à grosses moustaches rousses, dont la poignée de main était brutale.
Philippe s'interrompit et me demanda distraitement :
— Et toi ? Tu es rentré hier ?... Tu as passé de bonnes vacances ?
— Oh ! dis-je, j'adore Aiguesbelles. Chaque année je m'y plais davantage.
— Eh bien, moi aussi, jamais je ne me suis autant amusé que pendant ces deux mois, surtout à Arcachon.
Il reprit son récit. Il me rapporta l'incident d'une barque échouée, me décrivit des régates à voile auxquelles il avait pris part. Il parlait sans s'occuper de moi et sur un ton fanfaron. J'eus le souvenir d'une grosse déception que j'avais éprouvée, étant enfant, un jour qu'un ami que j'avais été voir avait joué tout seul en ma présence, lançant des balles très haut et les rattrapant. Tandis que Philippe résumait cette vie folle et heureuse où je n'avais eu aucune place, où tout m'était étranger, son visage était devenu rouge de plaisir. Et cela me fut si désagréable, cette bouffée de sang, cela me parut la preuve d'une infidélité si profonde que je détournai la tête. Le regard tombé sur le cailloutis poussiéreux de la cour, je me rappelai avec tristesse que depuis des semaines je songeais aux délices du moment où je me retrouverais avec lui... Et j'eus le pressentiment que nous allions cesser d'être amis.

 

Jacques De Lacretelle, Silbermann.

 

III. Questions (15 points)

 

1. Grammaire (5 points)

 

1. Nature et fonction de :

 a) chasser (ne m'attirait nullement) (0,5 point).

b) dont (la poignée de main) (0,5 point).

c) étranger (tout m'était étranger) (0,5 point).

 

2. Mettez au discours indirect : Philippe me demanda :
"— [...] Tu es rentré hier ?... Tu as passé de bonnes vacances ?" (1,5 point).

 

3. "Il n'en a tué que quatre, pendant la saison, et pourtant il a tout le temps des prix au Tir aux pigeons".

a) Remplacez la proposition en italique par une proposition subordonnée de sens équivalent (1 point).

b) Précisez la nature et la fonction de la proposition subordonnée obtenue (1 point).

 

2. Vocabulaire (5 points)

 

1. Que pourrait-on écrire (en tenant compte du contexte) au lieu des six termes en italique ? (Ne proposer qu'une solution à chaque fois). (3 points).



a) En le considérant (ligne 3).
c) Il a des prix (ligne 13).
e) Déception (ligne 29).
b) Hâlé (ligne 3).
d) Fanfaron (ligne 28).
f) Éprouvée (ligne 29).

 

2.
a) Expliquez la formation et le sens du mot "pressentiment" (1 point).
b) Donnez deux autres noms formés avec le même préfixe (1 point).

 

3. Compréhension du texte (5 points)

 

1. Expliquez — en vous appuyant sur le texte — les raisons de la déception et de la tristesse du narrateur retrouvant son ami. (3 points).

2. Faites le portrait physique et moral de Philippe, d'après les éléments fournis par le texte. (2 points).

 

4. Rédaction : Traitez un sujet au choix (15 points)

 

Sujet d'imagination
Composez un récit mettant en scène un fanfaron, jeune ou adulte.

 

Sujet de réflexion
Êtes-vous toujours satisfait de vos vacances ?
Dites, en évitant de les raconter, ce que sont ou ce que seraient pour vous des vacances réussies.

 

 

IV. Propositions de corrections

 

[Nous devons ces conseils de méthode à Mme F. Villard, Professeur au collège de Dourdan]

 

DICTÉE


• Le faste : déploiement de luxe et de magnificence.
• Je ne me souviens pas qu'elle ait jamais été occupée : subjonctif passé passif ; le subjonctif est commandé par la principale à la forme négative.
• Rituelle : symbolique.
• C'est moi qui y faisais : sujet "qui" mis pour "moi", 1e personne du singulier.
• Je détestais qu'on m'y forçât : subjonctif dans une subordonnée conjonctive objet dépendant d'un verbe de sentiment ; imparfait, car le verbe de la principale est à un temps du passé.

 

QUESTIONS

 

Grammaire


1. a) Verbe à l'infinitif ; sujet de "attirait"
b) Pronom relatif, ayant pour antécédent "homme", complément du nom "poignée de main".
c) Adjectif qualificatif, attribut du pronom sujet "tout".


2. Philippe me demanda si j'étais rentré la veille et si j'avais passé de bonnes vacances.


3. a) Il n'en a tué que quatre, pendant la saison, bien qu'il ait tout le temps des prix...
b) Proposition subordonnée conjonctive, complément circonstanciel de concession ou d'opposition de la principale.

 

Vocabulaire


1. a) En l'examinant, en l'observant ;
b) bronzé, bruni ;
c) il remporte, il gagne ;
d) prétentieux, vantard, hâbleur ;
e) déconvenue, désillusion ;
f) ressentie.


2. a) Préfixe pré- (= avant, valeur d'anticipation) ; radical "sentiment".
b) Prévoyance, prévention, préposition...

 

Compréhension du texte


I. Le narrateur est déçu par le discours que lui tient Philippe. Celui-ci, égoïstement, l'entretient de sujets qui l'indiffèrent. Non seulement le narrateur ne partage en rien l'enthousiasme de Philippe ("une vie... où tout m'était étranger"), mais encore il ressent cet enthousiasme comme une "infidélité", comme la preuve qu'il n'a eu aucune place dans la vie de cet ami durant l'été ("une vie folle et heureuse où je n'avais eu aucune place").


2. Portrait physique : Philippe est un tout jeune homme ("duvet doré sur les joues") qui éclate de santé ("teint hâlé") et de vie ("il rit, il rougit de plaisir").


Portrait moral : un jeune homme actif (chasse, pêche, régates), qui aime la vie au grand air (activités de grand air). Il aime les défis (les régates, la chasse aux courlis parce qu'elle est difficile) et admire ceux qui ont des succès (son oncle). Dans l'enthousiasme de ses souvenirs de vacances, il ne voit pas la déception de son ami. Il est donc assez imbu de lui-même et peu sentimental par rapport au narrateur. Il se situe dans l'action.

 

RÉDACTION

1er sujet
Type de sujet : reprise d'un certain type de personnage dans une situation différente.
Fanfaron : prétentieux, vantard.


Quelques possibilités :
— le fanfaron qui éblouit son auditoire ;
— le fanfaron qui échoue (il lasse son auditoire ou on se moque de lui) ;
— le fanfaron qui, tout en éblouissant une partie de son auditoire, n'échappe pas au regard critique des autres.

Mêler récit et discours.


Récit : notations de gestes, mimiques des auditeurs.
Discours : le fanfaron est le seul à parler, seulement interrompu par des questions. Il emploie sans cesse le "je", ne manifestant aucune attention aux autres.

2e sujet
Tout est dans le sujet. Il faut éviter le point de vue narratif et analyser les raisons pour lesquelles on considère que certaines vacances sont mieux réussies que d'autres.
"Qu'attendez-vous de vos vacances ?", telle est en fait la question. Vous devez répondre à la première personne.

 

© Brevet des Collèges 1988, Français (Académie de Caen et Amérique du Nord), Bordas, éd.

 


 

Propositions de correction soumises aux droits d'auteur - Réservées à un usage privé ou éducatif.

 

 

 

Jeu
ludique...
"Juin 2022. Nombre de candidats aux bacs pros ont protesté contre la difficulté - selon eux - de leur épreuve de français, déplorant l'utilisation d'un mot inconnu dans l'énoncé de l'un des exercices. Il s'agit de l'exercice d'écriture comptant pour la moitié des points autour de la question : "Selon vous, le jeu est-il toujours ludique ?". Sur les réseaux sociaux, de nombreux candidats se sont plaints de ne pas avoir compris le sens du mot "ludique". "C'est fou comme un mot peut te faire perdre dix points", écrit l'un d'entre eux sur Twitter. "Sur ma copie, j'ai écrit 'je ne connais pas le sens de ludique'", témoigne un autre sur le même réseau social. Beaucoup disent avoir fait un hors sujet, pensant que "ludique" était synonyme de "dangereux", ou encore de "rentable"... Interrogé, un professeur précise que s'il ne s'agit pas, certes, d'un mot dont "un élève de 17 ans se sert au quotidien", en revanche la bonne compréhension du texte contenant ce mot, où se retrouvaient de nombreux indices, permettait tout à fait de répondre à la question posée...
Mais ne faut-il pas plutôt s'interroger sur le vocabulaire possédé par nos bacheliers actuels ?" [Les journaux].