S'il est un seul reproche que ne puissent encourir les Dominici, c'est à l'évidence le manque de communication. Bien avant le règne sans partage des médias de masse, ils ont su trouver de puissants alliés pour donner corps à leurs billevesées – c'est naturellement un euphémisme.
L'édifiante histoire de "Monsieur Léon, de Corbières", en est un frappant exemple.

 

"Ce qui jette le plus de confusion dans les esprits, c'est l'emploi qu'on fait des mots. Tant qu'on n'arrivera pas à les définir clairement et à s'entendre sur leur définition, on vivra dans une confusion inextricable, au grand avantage des démagogues" (Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, 1835)

"En m'appuyant sur le dossier même de l'affaire et sur la logique, je me décide à porter à votre connaissance des faits d'une importance capitale" (Léon Dominici, Mémoire, A 58).

 

 

I. Premières apparitions de Monsieur Léon, de Corbières

 

Tout d'abord, d'où vient ce curieux titre ? Il est tiré d'un procès-verbal relatant qu'un cultivateur de Pierrerue, M. Blanc (celui-là même qui, en août 52, donnait un "coup de main" à Paul Delclitte, comme contremaître sur l'exploitation minière de Sigonce) avait fait appel à la gendarmerie de Forcalquier au printemps de l'année 1955, car il avait vu des inconnus rôder autour de sa ferme et dans les dépendances.
Enquête faite, il s'agissait de l'ineffable Llorca, flanqué du neveu de Gaston, Léon, ainsi catalogué dans le rapport au juge Carrias (cote C 36, 12 avril 1955). "Monsieur Léon, de Corbières" est alors désigné comme apiculteur, l'une des nombreuses professions qu'il a embrassées, avant de devenir le "Sherlock Holmes des Basses-Alpes", comme le nomma fort abusivement un hebdomadaire.



C'était la seconde fois que Léon faisait parler de lui : on se souvient en effet qu'il avait prononcé, devant la cour d'assises de Digne, un vigoureux plaidoyer en faveur de l'inculpé, qui était son oncle, ne craignant pas d'affirmer qu'il le considérait comme son père.
Mais en ce qui concerne le dossier, la première fois que Léon Dominici apparaît, c'est alors qu'il est interrogé par l'inspecteur Tardieu (cote D 113) à qui il explique que, cousin germain de Gustave, il est passé devant la Grand'Terre, le 4 au soir, vers vingt heures quinze – il se rendait, à moto, avec son épouse, à la fête que l'on sait, à Digne. Repassant au même endroit aux environs de vingt-trois heures quinze, de retour du Corso, il dit avoir fait remarquer à son épouse - qui confirme - que tout le monde était couché, car aucune lumière ne filtrait à travers les volets de la ferme.
Était-ce là une attestation de complaisance, comme certains l'ont pensé ? Deux mois après les faits, il est vrai que les protagonistes et leur entourage proche avaient parfaitement eu le temps de peaufiner leurs déclarations, et celle-ci venait conforter le témoignage "side-car" si cher aux habitants de la Grand'Terre. Quoi qu'il en soit, l'inspecteur Tardieu le déclare "commerçant", en partance imminente pour l'Eure, où l'attend une tâche de camionneur.

 

 

II. Bref curriculum vitae de l'impétrant

 

Pour en savoir davantage sur ce futur camionneur, on doit se reporter à un article (si exagérément élogieux qu'il en devient involontairement comique) que lui consacra un hebdomadaire parisien (Paris-Match) sous le titre "Un homme nouveau relance l'affaire de Lurs", au moment où cet homme nouveau, donc, entreprenait sa croisade pro-Gaston (parallèlement au redémarrage de la contre-enquête), ayant "secoué le barreau et la magistrature".

Né début mai 1918, Léon était fils de Jules (frère cadet de Gaston), qui disparut en 1932. Léon – qui avait alors quatorze ans - poursuivit à Manosque ses études jusqu'au baccalauréat, qu'il obtint, semble-t-il – ce qui constitue un véritable exploit pour l'époque (8 % des enfants d'une classe d'âge entraient alors en 6e, et seuls 3 % de la même classe obtenaient les deux parties du baccalauréat) – et montre qu'il n'a pas été "élevé", contrairement à ce qu'il affirma plus tard, dans la famille de son oncle - sinon, il aurait suivi le sort scolaire des neuf enfants de Gaston et de Marie, et en particulier celui de Gustave, son cadet d'un an. C'était donc, en quelque sorte, l'intellectuel de la famille qui le qualifiait d'ailleurs de "bachelier", terme évidemment approprié en la circonstance.
Le bac en poche, ayant satisfait aux épreuves d'un concours des Eaux-et-Forêts, voici notre futur camionneur nommé garde-pêche en Île de France, puis astreint au service militaire. Vers 1942, au moment de la mise en place du Service du Travail obligatoire, il quitte ses fonctions franciliennes et revient en Haute-Provence.
Il est d'abord hébergé durant deux années chez son oncle Gaston, à la Grand'Terre (donc, apparemment, autour de 42-43), avant de s'installer à Corbières (son lieu de naissance, village situé après Manosque, à environ 30 km de Lurs) comme apiculteur, tout en travaillant pour un transporteur routier marseillais.
Vers 1945, il convole en justes noces avec une jeune Hortense, de huit années sa cadette, avec qui il a deux garçons (1 mois et 7 ans en août 52), puis quitte la région – peu après la commission du crime - pour aller travailler dans l'Eure. Plus tard, il s'expatria (Canada, sauf erreur).
Bref, ce n'est pas sans raison que, dans un article de début août 1955, Le Méridional se moquait gentiment de l'instabilité professionnelle de Léon Dominici, passé du camionnage et de l'élevage des abeilles au rôle de policier…

Un autre trait de caractère de l'apprenti policier était également relevé dans le même article – trait qu'il partage d'ailleurs avec bon nombre de représentants de cette famille : il "s'en croit beaucoup" ("Lors du procès de Digne, j'ai attiré l'attention des Juges et des jurés, etc."), il a une très haute opinion de lui-même ; très suffisant, il semble dans le même temps être très insuffisant : le Méridional rapporte en effet que Léon a souhaité rencontrer (nous sommes au moment de sa quête parisienne de juillet 1955) le commissaire Gillard ; mais comme il n'était pas attendu, il a dû patienter trois heures pour être reçu trois minutes. Et il "est reparti en bombant le torse" !
Mais ce trait de caractère, l'inspecteur Tardieu avait été, sans doute, le premier à le repérer.

Avant de poursuivre, qu'on nous permette une incidente d'ordre linguistique. Dans les Instructions Officielles (enseignement du français) du 4 décembre 1972, il est question de l'opposition "entre le langage que l'enfant parle en cour de récréation - spontané, mais en même temps rudimentaire et tributaire étroitement de l'intonation, du cri, de la mimique - et le langage des livres, privé de ces auxiliaires". Il semble pourtant que cette assertion ne soit pas rigoureusement exacte, et la preuve peut en être recherchée dans nombre de procès-verbaux (on pense, au premier chef, à ceux rédigés sous la houlette du commissaire Chenevier) liés à notre Affaire.
Par définition, le procès-verbal est un document écrit, non pas oral (on tend souvent à confondre oral et verbal), le verbe exprimant le procès (l'action) : on pourrait rapprocher de procès-verbal le terme peu usité de verbatim, pour signifier que le PV doit transcrire fidèlement, par écrit, une oralité. Or, cette transcription méconnaît, c'est l'évidence, "l'intonation, le cri et la mimique".
Et pourtant, à la lecture du compte-rendu "Tardieu" (9 octobre 1952), on perçoit toute la morgue impatiente de Monsieur Léon, retardé par l'interrogatoire dans ses activités familiales, tellement plus importantes que les questions de routine de l'Inspecteur de police…


Quoi qu'il en soit, en tout cas, de la mauvaise humeur et peut-être de la mauvaise foi de l'interrogé, de sa comprenette un peu limitée aussi, comme on va le découvrir, un point cependant, ne souffre aucune contestation. Monsieur Léon, de Corbières paraît avoir tenté une démarche sincère, ignorant complètement les avantages matériels qu'elle pourrait lui rapporter : il n'a pas fait d'argent avec elle.
Fait assez singulier, dans notre Affaire, pour être fortement souligné. Enfin, il convient de noter que Monsieur Léon s'est éteint à Lille, début novembre 1993.

 

 

III. Une argumentation digne de Sherlock Holmès

 

Mais venons-en à l'argumentation de notre apiculteur-policier, ainsi qualifiée dans l'article dithyrambique dont il a été déjà question ; signalons auparavant que Le Méridional, toujours lui, ne s'en était pas laissé compter – contrairement à nombre de ses confrères parisiens, qui portaient aux nues l'enquêteur improvisé. On pouvait lire, en effet, dans ses colonnes, à la date du dix juillet 1955, "Il y a près de trois ans qu’une partie de la famille de cet assassin odieux se moque impunément de la justice de ce pays… N’en déplaise à certains, il est temps d’affirmer que la comédie a assez duré".
La "comédie" se poursuit encore de nos jours. Que nous sommes dès lors nombreux à être prêts à contresigner ces lignes, sachant ce que nous savons !

 

3.1 Quelques joyeusetés, pour commencer

 

Cependant le "Mémoire" de Léon Dominici n'est pas, au premier examen, une "comédie". Il entend prouver "par la logique" (ce substantif revient si souvent sous sa plume que cela en devient préoccupant) l'innocence de l'oncle Gaston, personnage présenté comme éminemment bucolique, "toujours affable et serviable avec les étrangers, …jouissant de la nature comme de la plus belle maîtresse" [sic].
Son travail se compose de sept textes relativement courts (cotés de A 55 à A 61), mais en tout état de cause de très inégale longueur et, surtout, ressemblant davantage à des brouillons en cours d'élaboration (d'eux d'entre eux sont d'ailleurs écrits à la main, et partiellement raturés) qu'à des documents complètement achevés.
Il convient de noter que l'énonciation, hélas, est le cadet souci de notre enquêteur de fortune, tout entier et sans doute trop attaché à sa démonstration : sa gestion des formes scripturales est cruellement défectueuse, quand elle n'est pas absente. On sent que l'ami Léon n'a que faire des marques extérieures du discours, que l'orthographe n'est pas toujours son principal souci, et que la désinvolture, il convient d'appeler les choses par leur nom, le pousse à offrir des textes incomplets, parsemés de blancs ; les destinataires, sollicités en tant que "chers lecteurs", devaient-ils s'efforcer de compléter par eux-mêmes la documentation ? Cette hypothèse n'est pas de l'ordre de l'impossible.
Ainsi lit-on dans un des textes : "Or la date de son permis de chasse [celui de Gaston] est de telle année [] et je ne me souviens pas avoir vu mon oncle chasser depuis qu'il était venu habiter à La Grand'Terre en []".
Bien, soyons lecteur discipliné autant que compatissant : le dossier nous apprend que Gaston n'avait pas renouvelé son permis après 1942 - c'est lui qui l'affirme, ne discutons pas l'exactitude de cette date. L'ami Léon, qui a eu le dossier en main, et le prouve à maintes reprises, en émaillant son plaidoyer de citations exactes (naturellement, particulièrement bien choisies), est difficilement pardonnable d'avoir laissé la date en blanc. Quant au déménagement depuis La Serre vers La Grand'Terre, il s'est effectué en 1932.
Soyons donc lecteur compatissant, mais profitons-en pour, déjà, être censeur critique : la phrase "Je ne me souviens pas avoir vu mon oncle chasser depuis qu'il était venu habiter à La Grand'Terre" est évidemment mensongère, car elle suppose que notre apiculteur a vécu durant vingt années à la ferme Dominici (de 1932 à 1952), et non, après son séjour francilien, pendant seulement deux ans, en attendant de trouver à se loger par ses propres moyens.
Cela n'a l'air de rien, mais nous permet de comprendre quels accommodements avec la vérité ce neveu de Léon s'autorise.

Toujours sur le plan de la forme, de nombreuses autres remarques pourraient être avancées : choisissons-en trois.
Tout d'abord, le détective bas-alpin imagine (comme Chenevier) un transport de la malheureuse fillette dans un vêtement de son père (un imper en plein mois d'août !) : "Pour ne point laisser de traces, il se sert de l'imperméable de Sir Jack … pour se préserver du sang de cette sanguinolente [sic !]... et de là, va dissimuler l'imperméable dans la gare de Lurs" (rappelons que la gare de Lurs avait été désaffectée en décembre 1950, et qu'elle est située à 665 mètres des lieux terribles).
Passons sur le caractère grand-guignolesque de la scène, et lisons la suite, assez croustillante. Car nous apprenons que le fameux imperméable a été découvert par un certain René Ribaud lequel, changeant brutalement de sexe, devient, une page plus loin, une Madame Renée Ribou, à laquelle vient s'adjoindre une "Madame Caille", lesquelles dames ont examiné les débris de cet imper "sous toutes ses couleurs" [re-sic]. Ah, on peut dire que Monsieur Léon, de Corbières, nous en fait voir de toutes les coutures !
On pourra donc me pardonner si j'avoue, dès à présent, que j'ai lu ce "Mémoire" entre la stupeur et l'éclat de rire – dans la mesure où l'autorisent les tragiques circonstances évoquées.

Rétablissons les faits, quand bien même il s'agit de petite histoire : à l'époque de la commission des crimes (un mois plus tard, exactement), Madame Martinet née Reine (Léocadie) Ribo, séparée de son mari, dont elle devait divorcer un an plus tard, était venue à Lurs avec un "ami", le radiesthésiste Jules Calté, qu'elle épousa d'ailleurs au moment où Paris-Match contribuait à faire connaître au monde entier notre ami Léon, le "Sherlock Holmès de Lurs"…

Par ailleurs, Léon nous parle de "la campagne de La Serre où habitait la sœur aînée de Roger Perrin". Hum. Une telle erreur (citée parmi bien d'autres) fait vraiment désordre, de la part d'un proche de la famille, et dans un document censé représenter un mémoire en défense très solidement étayé, si loué par des journalistes dont la qualité la plus insigne paraît, avec le recul, avoir été une solide inculture doublée d'une bonne dose d'obséquiosité.

Enfin, "l'homme nouveau" ne craint pas d'écrire ce qui ne lui est apparemment pas paru comme une énormité : "Il est inadmissible qu'une fillette [Elizabeth] poursuivie dans de telles conditions se mette à genoux à attendre son agresseur" (A 57, p. 5).
C'est, en effet, parfaitement inadmissible ! Où cette fillette avait-elle donc la tête ? En tout cas, manifestement, pas assez près du bonnet ! Et si elle était encore de ce monde, il est sût que nous lui flanquerions une raclée dont elle se souviendrait !

Et signalons, seulement pour mémoire, "l'autopsie formelle" du Dr Dragon, à laquelle il est fait par trois fois allusion. On se perd en conjectures sur le sens que Léon attribue d'une part à cette épithète, d'autre part à son substantif.
Naturellement, loin de nous l'idée de moquer un être qui n'aurait pas "été aux écoles". Mais s'agissant d'un individu ayant obtenu le baccalauréat dans les années trente, à une époque où ce diplôme n'était pas, comme aujourd'hui, une plaisanterie, cela est proprement inadmissible, pour reprendre une expression aimée de notre scripteur.

Et tout cela explique pourquoi, en définitive, ces textes me sont apparus, à de nombreuses reprises, du niveau de celui de Madame Cot (que j'ai commenté en souriant par ailleurs). Et ce en dépit, et peut-être même à cause, de la flagornerie si bien exercée dans l'article de Paris-Match dont il a déjà été question.
À ceci près que cette brave dame pouvait alléguer pour sa défense qu'elle n'avait pas eu la chance, contrairement à Léon, d'avoir pu accéder aux 304 pièces de fond, ni compulser les 136 cotes dites "Renseignements généraux", du premier dossier de Lurs.  En tout état de cause, la lecture de notre ami Léon a été, je le crains, assez cursive et, cela est manifeste, particulièrement sélective. Alors, quand on lit, dans l'hebdomadaire précité,qu'il a "épluché toutes les cotes du volumineux dossier", on se prend à songer qu'il lui faudra, pour emporter notre conviction, quelque chose de plus solide que "les charmes de son accent bas-alpin"...



On y suit, en effet, le nouvel héros "arpentant de son pas d'athlète les boulevards de la capitale", on le surprend, "colosse au profil de jeune premier", jouant les Johnny Weissmuller (du pauvre) à la piscine Deligny (haut lieu de la branchitude aujourd'hui disparu – sous les eaux de la Seine), on le voit enfin auprès de Me Floriot, se faisant le brillant avocat de son oncle, un avocat si convaincant (il "l'a convaincu en 90 minutes") qu'il finit par fléchir le grand pénaliste (quand on connaît le rôle de Floriot dans l'affaire de Lurs, voilà une indication qui ne laisse pas d'être inquiétante) "qui a accepté d'assurer la défense du patriarche", on le retrouve enfin sur la plus belle avenue du monde (comme on dit bêtement, quand on ne connaît rien au reste du monde), pour le bouquet final : "il remonta vers l'Étoile, qui lui sembla un monument dérisoire à côté du cabinet de Me Floriot"…

Et la boucle sera bouclée si l'on ajoute que Reymond ose appeler sans rire "contre-enquête" cette brouillonne plaisanterie médiatique du neveu Léon (Dominici innocent, p. 183).

 

3.2 Monsieur Léon, le logicien de Lurs

 

1. La bien prétentieuse requête débute par un coup de chapeau à Sébeille, policier qui a su par le passé résoudre "avec brio" diverses affaires criminelles, et qui maintenant "attend le principalat" (on cherche en vain le rapport avec la défense du condamné) ; dans ces conditions, il convient de qualifier de "faute professionnelle" le fait de n'avoir pas pu faire parler Clovis, fléchissant sous le coup de l'émotion à la vue de l'arme du crime.
Si l'on comprend bien la pensée de notre auteur, il veut signifier que puisque Sébeille désirait accéder au grade de Commissaire principal, il y serait parvenu les doigts dans le nez s'il avait réussi à confesser Clovis, mais comme il a échoué dans cette entreprise… Mais de quoi je me mêle !

Aussitôt après ces fortes paroles, c'est l'attaque bille en tête de son cousin Clovis Dominici, au sujet du même saisissement devant l'US_M1.
Il est trop facile de lui rétorquer que si Clovis avait été auteur ou complice de la tuerie, il aurait su dans quelles conditions on s'était débarrassé de l'arme, et dans quelles conditions elle avait été retrouvée par les Mobilards. Il n'aurait donc pu être "saisi" lorsque le Commissaire lui présenta l'arme.
Et si l'on ajoute que Léon tire argument du fait que Clovis est le seul de ses neuf cousins, à accabler son père, pour déclarer ce dernier innocent, on pensera peut-être que la "logique" ne trouve pas tous ses droits dans l'aventure… d'autant que c'est passer par pertes et profits les terribles accusations de Gustave !
Ou alors, il convient de constater que le commissaire Chenevier (qui avait l'ambition d'enfermer par la logique les 'menteurs' dans un réseau inextricable) et Léon n'entendaient pas ce vocable de la même façon.
Et cela permet de rappeler que, début août 1955 (au retour de sa virée parisienne, donc), Léon avait remis son "mémoire en défense"  aux responsables de la contre-enquête. Sans vouloir être méchant, on peut penser que Chenevier et Gillard ont beaucoup rigolé...

Mais le logicien de Lurs quitte aussitôt Clovis pour "s'appuyer" sur une "réflexion" de Constant faite à Gaston et à Marie, dont il précise la date : le 5 novembre 1952, l'heure : à 9 heures du matin, et même le lieu : devant la remise (la fameuse remise !) : "nous savons que les Dominici n'y sont pour rien, mais il nous faut quelqu'un, et nous le trouverons". On voit par là que ce Dominici-là sait lui aussi de qui tenir, question affabulations et mensonges !
Quoi qu'il en soit, Gaston aurait rapporté à Périès cette anecdote, le 13 février 1954 ; et Périès lui aurait répondu, "à ce moment-là, la police s'est vendue" !
On a dès lors compris de quels ragots dominiciens créés de toutes pièces pour servir et étayer sa cause, notre Sherlock Holmès entend se servir.

Il faut ajouter qu'il cite des noms n'ayant jamais fait la moindre apparition dans le dossier (ou dans l'enquête préliminaire), et rapporte donc des brèves de comptoir (si encore il ne les invente pas) comme si elles étaient plus précieuses que les procès-verbaux.
Quant au contenu de ces derniers, il en discute souvent l'authenticité, ainsi lorsqu'il met en doute le récit de Clovis narrant sa découverte de l'arme, tout en insinuant que Clovis n'avait pas de vigne : "jamais Clovis n'est venu chercher de la ficelle dans la remise…; lui a-t-on demandé pour quelle vigne elle était, cette ficelle ?"
Eh bien oui, la question a été posée, que Léon semble n'avoir pas vue, comme il a ignoré la réponse ! "Je cherchais de la ficelle pour 'attacher' une jeune vigne que j'avais plantée au quartier de La Barque du Loup" (cote D 226 – 1er décembre 1953, 17 heures).
D'ailleurs, pourquoi essayer d'argumenter, puisqu'un peu plus loin, Léon se contredit allègrement, et rapporte qu'en octobre 1953, Gaston (fils) est allé aider Clovis et sa femme à faire les vendanges...

Bref, il "s'appuie" sur tous ces "faits d'importance capitale" pour affirmer qu'il fallait un coupable "dans cette affaire, et que Sébeille a choisi mon oncle [Gaston], à défaut du vrai coupable, qu'il n'a su trouver". On mesure la profondeur d'une démonstration qui se nourrit d'absurdités.

Il est piquant de constater qu'elle a été reprise telle quelle de nos jours, par le petit-fils que l'on sait : "Il leur fallait un coupable", tel est le titre de l'article ultra-complaisant (un de plus) d'un magazine (Haute-Provence Info, 23 avril 2004) ayant donné la parole à la bru de Gaston et à deux de ses enfants (les garçons), et dans lequel on trouve cette incroyable réflexion d'Alain, que j'ai déjà rapportée par ailleurs : "Si 50 ans après on ne trouve rien, c'est qu'il reste des choses à découvrir et à explorer"…

 

2.  Le second document, plus conséquent mais toujours manuscrit, prétend aborder 16 points concourant tous – évidemment - à l'innocence du vieux fermier. On comprend aisément qu'il s'agit - comme ci-dessus - de propos impossibles à vérifier, ce qui permet à notre limier de leur accorder davantage de poids qu'à l'Évangile selon Sébeille (pour reprendre une expression de Me Pollak). Nous ne rapporterons donc que quelques-uns d'entre eux.

Ainsi du récit d'un dénommé Lombardo, de Saint-Auban, qui se trouvait un certain jour chez Clovis (le jour de l'interrogatoire à Forcalquier). Et qui aurait rapporté à Gaston Dominici les paroles suivantes, attribuées à Clovis : "Ces grands cons voulaient me faire dire que la carabine était mienne, alors que je ne l'ai jamais vue. Je le jure sur la tête de mes enfants".
Mais Lombardo, parfaitement inconnu au bataillon, a-t-il juré, lui, devant Sébeille ou Chenevier ?
Et puis, comment imaginer que Clovis, qui n'était pas tombé de la dernière pluie, allait, sa garde à vue du 12 août 1952 achevée, dévoiler devant un étranger à la famille tout ce qu'il savait - à un moment où la Police ne savait rien, ou presque ?
Quant à Rosette, l'épouse du même Clovis, elle aurait raconté – mais à qui ? - que le jour où Gustave a été condamné, son mari est arrivé à la maison en pleurant et en disant : "c'est ma faute si mon frère a été condamné"…
Vient alors le "témoignage" de la Sardine : "Ma tante me certifie que jamais elle n'est montée se coucher avant mon oncle… Ma tante me dit qu'elle n'a jamais vu son mari saoul pendant que Clovis venait le soir à la maison. Ma tante affirme qu'elle était présente lorsque son mari a prononcé la fameuse phrase, mais il a dit 'N'an fa péta' (Ils en ont fait péter) et non 'N'ai fa péta' (j'en ai fait péter)" – ce qui tend au moins à prouver que la scène a bien eu lieu, contrairement à ce que pensait Chenevier, qui en contestait l'authenticité !
Le détective rapporte aussi une autre scène qui, comme les incidents précédents (à supposer qu'ils soient authentiques) ne vient en rien soutenir la thèse qu'il est censé défendre. Gaston (fils), le matin de Noël 1953, se serait pointé chez Clovis "vers les huit heures du matin". Aurait vu une table encore totalement embarrassée. En l'accueillant, "Rosette" lui aurait parlé de la fête joyeuse commencée la veille et poursuivie jusqu'à trois heures du matin, avec comme invités Germaine et Roger Perrin, et leur fils Zézé, et même Jean Galizzi. Elle aurait ajouté que lorsque Zézé s'était aperçu de la présence de Galizzi (il lui aurait donc fallu du temps pour prendre conscience de cette présence ?), il n'aurait pas voulu manger. On se demande quel peut bien être le rapport de cette scène surréaliste avec les faits criminels.

 

Enfin, Léon fait le plus grand cas d'une photographie prise à Ganagobie, lors du lundi de Pentecôte 1953. La famille est réunie pour un pique-nique, et l'on aperçoit, c'est vrai, Clovis souriant entre son père et Gustave. Mais que prouve ce cliché ? Que Clovis pensait l'épée de Damoclès policière définitivement éloignée de la famille, dix mois après les faits ? D'ailleurs, il convient de souligner que lorsque le commissaire Gillard lui parle de cette photographie, Marie-Rose, l'épouse de Clovis, lui répond : "J'ai dit à mon mari qu'il n'aurait pas dû aller à Ganagobie. Ce n'était pas intelligent". Mais il y a mieux : le juge Périès avait déjà interrogé Clovis, le 20 mars 1954, à ce sujet, en s'étonnant : "Vous paraissiez... de fort bonne humeur, partageant la joie de toute la famille". La réponse de Clovis est nette : "Le lendemain de Pentecôte, alors qu'effectivement je savais que mon père était le meurtrier, je suis monté.... Nous avons rencontré là-haut mon père, la famille Barth, Gustave et sa femme, ma sœur Clothilde et son mari. Ils m'ont invité à prendre l'apéritif près de la fontaine, et c'est à ce moment-là qu'a été prise la photographie. Malgré ce que je savais, je ne pouvais pas refuser cette invitation. Je dois dire d'ailleurs que je n'ai pas partagé leur repas, puisque nous avons mangé... assez loin de l'endroit où ils s'étaient eux-mêmes installés". Deux jours plus tard, interrogé sur le même sujet, son épouse Marie-rose précise : "Le lundi de Pentecôte de 1953, nous sommes bien montés à Ganagobie, en compagnie du ménage M.
Là-haut, nous avons rencontré mon beau-père et une partie de sa famille. Clovis a pris l'apéritif avec eux, mais nous n'avons pas pris le repas ensemble
". Il n'y a donc pas là de quoi fouetter un chat, sinon lorsqu'on est démuni d'arguments solides.
Reste donc qu'on se perd en conjectures sur le mobile exact de ce rappel (les avocats de Gaston avaient attaché, eux aussi, un très grand intérêt à ce cliché, dans leur démarche de révision), et l'hypothèse la plus probable est que la manœuvre permettait de salir le fils aîné – et donc de minimiser la gravité de son témoignage.

 

3. Le troisième volet (enfin dactylographié) s'attaque à la reconstitution et décrète d'emblée que, bâclée, elle ne nous apprend rien. Rien que cela !
D'où la sévère leçon faite au Juge qui la dirigeait (et qu'il nomme Perrier, pour changer un peu), et de paternels conseils de méthodologie à lui administrés. Le policier corbiérain, décidément, ne doute de rien.
C'est donc le moment de rapporter ici qu'il avait, avec son comportement, indisposé jusqu'à La Marseillaise qui, par principe et pour les raisons que l'on sait, était plutôt encline à lui prêter une oreille attentive, sinon complice. Et cependant, le quotidien communiste rapporte sur un ton réprobateur, dans son édition du 9 juillet 1955, que Léon fait des déclarations sur l’innocence de la famille avec un aplomb confondant. Et qu'il va jusqu'à prétendre que 'l’audience' avait démontré que l’enquête s’était trompée sur de nombreux points ! Plus fort encore, Paris-Match nous apprend (personnellement, je l'ignorais) que la démarche tapageuse de Léon avait indisposé jusqu'aux propres avocats de Gaston, qui "trouvaient excessif  [son] désir d'innocenter toute la famille Dominici" !
Quoi qu'il en soit, pour asseoir davantage sa "démonstration", notre Léon ne craint pas de donner maintenant dans la captatio benevolentiae : "amis lecteurs", "voulez-vous me permettre, amis lecteurs", "ne croyez-vous pas, amis lecteurs", etc. Cause toujours !

Il déplore par exemple qu'on n'ait "pas tenu compte du travail [sic] du chien policier". Alors, précisons que le chien Wasch, venu de Digne, ne fut "mis en piste" qu'à dix heures, tandis que la scène des crimes avait été allègrement piétinée, depuis près de trois heures, par des myriades de crétins voyeurs (j'ai entendu le propre fils du Dr Dragon, venu le matin accompagner son père, raconter qu'à leur arrivée ils avaient été accueillis par plusieurs centaines de personnes se promenant librement - et ce fait m'a très étonné, mais c'est le récit d'un témoin) ; et le rapport gendarmesque (B 35, 31 août 1952) précise à son sujet : "il ne semble pas d'après ses réactions qu'il ait suivi uen piste sérieuse". Mais comment eût-il pu en être autrement, dans ces exécrables conditions ?

Et Léon croit triompher en soulignant que le dit chien n'a pas "bronché" en présence de Gaston et de Gustave. Le fait est avéré, certes.
Mais la mémoire de Monsieur Léon, de Corbières, semblant en panne sur ce point précis, rappelons-lui que Gaston et Gustave avaient dès le matin troqué leurs habits à l'évidence souillés pour des vêtements moins compromettants !

Cependant, la vérité oblige à dire qu'il fait mouche – au moins une fois – lorsqu'il rappelle une phrase du réquisitoire de Rozan : "la carabine est certainement à Clovis, mais quelle importance cela a-t-il ? Aucune". Aucune par rapport au crime, c'est certain…

 

4. Et si l'on en revient à la commission des faits criminels, le titre donné au quatrième volet du mémoire en défense ne laisse pas de rendre songeur : "Pourquoi malgré tout [sic] je crois que mon oncle est innocent".
Un peu comme si, dans un acte manqué, notre Léon avouait ne pas croire à ses propres balivernes.
C'est pourquoi, lorsqu'il tente de nous apitoyer sur le sort d'un pauvre vieillard innocent, privé de nourriture et sadiquement interrogé sans relâche durant deux jours, cela ne prend pas, et le lecteur demeure de marbre.
C'est pourquoi aussi on ne peut que sourire, tout au plus, lorsque, après nous avoir annoncé la révélation "de faits d'une importance capitale", il s'indigne qu'on puisse penser que son oncle avait pris la carabine pour aller à la chasse aux sangliers, du moment qu'il n'avait plus de permis de chasse depuis belle lurette ! Comme si cette absence de permis pouvait arrêter un braconnier endurci (surtout que Léon nous apprend que le vieux fusil calibre 12 était le "compagnon de toutes ses sorties") !
Et il ajoute, employant à tort une nouvelle fois une expression consacrée (mais qu'il remplace bientôt par une locution adaptée : une chose tout à fait anormale) : "Il est inadmissible [de penser] qu'un vieux chasseur comme lui soit parti à une heure du matin... avec une arme de guerre, etc."
C'est bien "inadmissible", en effet ; et c'est pourquoi la réflexion de Clovis devant la Cour d'Assises, reprise ultérieurement dans un procès-verbal, paraît contenir l'hypothèse la plus probable : interrogé par le commissaire Gillard (C 249), Clovis déclare qu'il savait bien que son père ne chassait plus depuis des années. Et il ajoute : "S'il ne l'avait pas [l'arme] en partant à l'éboulement, c'est donc qu'il est revenu la chercher".
L'importance capitale, dont la "logique" semble avoir complètement échappé à Léon, c'est que, sous le coup de la colère vraisemblablement, son oncle est retourné à la Grand'Terre se munir d'une arme, ce qui entraîne la préméditation…

Mais le sourire doit se figer lorsque, au nombre des faits d'une importance capitale, Léon affirme qu'il n'y avait "aucune flaque ou trace de sang à l'emplacement de la tête de la fillette sur le sable comme normalement on aurait dû en trouver une, si la fillette avait été tuée là".
Malheureusement pour lui, de nombreux témoignages attestent le contraire.
Contentons-nous de celui de son oncle Marcel, qui fait allusion à la "mare de sang" située à l'ancien emplacement de la tête de la fillette, mare dans laquelle il a d'ailleurs trouvé un morceau de crosse. Quant à Gaston Estève, le propre beau-frère de Marcel, il parle d'une "flaque de sang, grossièrement circulaire, d’environ 30 centimètres de diamètre". Apparemment, Léon a lu un dossier soigneusement expurgé ; sauf à penser que ces deux personnes, qu'il a forcément rencontrées au cours de sa "contre-enquête", ne lui ont pas rapporté les faits comme ils les avaient décrits devant la Police.

 

5. Quoi qu'il en soit, notre détective pense le moment venu d'interpeller directement le juge Périès (qui, en principe, avait entre temps été nommé à Marseille, et n'était plus en charge du premier dossier de Lurs) : "ne croyez-vous pas, Monsieur le Juge...".
Suivent un certain nombre de remarques sans rapport avec les éléments probants du dossier (comme au sujet des herbes foulées autour du cadavre de Lady Drummond), pour tenter de nous faire croire que Gustave n'a pas bougé le corps de Lady Drummond, ou en contradiction totale avec eux : "Le capitaine Albert n'a pas trouvé de sang dans les environs immédiats du corps [de Lady Drummond]".
Le Capitaine avait pourtant écrit, au juge Carrias (C 38), "une flaque de sang importante existait sous la poitrine [de Lady Drummond], et le sang s'était infiltré dans le sol sur une profondeur de plusieurs centimètres". Tout cela, comme dirait un auteur célèbre, sent l'amateurisme…

 

6. Notre détective-apiculteur amateur expose maintenant le cas d'Elizabeth, après avoir demandé au Dr Dragon la production de deux certificats.
La lecture de ces derniers (rigidité cadavérique, plante des pieds indemne de toute blessure) n'ajoute strictement rien aux constatations écrites le jour même de la découverte du forfait par la Gendarmerie et la Police.
Que n'avait-il couché immédiatement par écrit ses constatations, ce cher Henri Dragon, vieux praticien de campagne qui n'avait sans doute pas dû voir beaucoup de cadavres par crimes, dans sa longue carrière ?
Trois ans après les faits, ses dires ne revêtent pas la moindre valeur ajoutée.

 

7. Et voici examiné, in fine, le cas Maillet (et celui de toute sa famille), "cet homme au passé trouble... qui n'a pas été poursuivi pour détention d'armes de guerre" ! Certes, certes, mais Aimé Perrin et son Garand, comme son frère Roger (le père de Zézé) et sa "mitraillette russe" non plus, ainsi que les autres, à commencer par les Dominici eux-mêmes, Gustave et Aimé ! À trop vouloir prouver…
On pourrait ajouter qu'un seul de ces personnages avait une excuse de détention, si j'ose dire, et c'est Popaul : seul de tous, il avait été un authentique résistant (et l'explication qu'il donne, au sujet de ces Sten prises sur des camarades morts devant l'ennemi, est parfaitement "admissible").
Mais le Sherlock Holmès bas-alpin va plus loin : il affirme que Maillet possédait "deux sachets [sic] de cartouches [pour les Sten]". Comme ces munitions n'ont pas été retrouvées lors de la perquisition, qu'en a-t-il donc fait ? On voit jusqu'où peuvent aller, dès lors, les insinuations…
D'autant que Maillet est un fieffé menteur, et Léon nous en administre plusieurs preuves "logiques", dont celle-ci : "aucun [des habitants de la Grand'Terre] n'a mentionné avoir entendu de cris". Donc, cela prouve que Maillet ment lorsqu'il prétend que Gustave lui a confié : "si tu avais vu, si tu avais entendu...".
Et voulez-vous une autre démonstration, irrécusable ? Eh bien, c'est tout simplement que "Gustave est formel, il n'a jamais dit cela"…
Et Léon de conclure : "je lui fais confiance, vu que je le connais depuis mon plus jeune âge, et sentant du fait [sic] que je viens de vous prouver que lorsqu'il me disait ne pas avoir bougé les corps [des Drummond], il me disait la vérité".
Que peut-on répondre à une telle argumentation logique, qui laisse pantois ?

Toujours pour la petite hustoire, il convient ici de rappeler que cette haine des Maillet en général, et de Popaul en particulier, a connu une fin judiciaire. Angelin Araman (le mari de Clothilde) ayant devant la Cour accusé Popaul d'avoir dérobé un "charreton" appartenant à EdF (le rapport avec les faits, sur lesquels Bousquet l'interrogeait ?), accusation repise hors de l'enceinte par Léon, les deux compères furent assignés en justice par Maillet. Là, ils durent faire très piteusement machine arrière, alléguant qu'ils avaient été mal renseignés... On peut s'interroger : Léon était-il mieux renseigné sur les crimes de Lurs ?



Lors de sa plaidoirie du 28 novembre 1954, Me Pollak s'était écrié : "Il faut peut-être commencer à parler de la famille Dominici. Et les bottes sont nécessaires pour ne pas se noyer dans la boue".
Avec le "Mémoire" de Léon, nous sommes, non dans la boue bien entendu, mais dans une sacrée mélasse. Et nombre de journalistes ne se sont pas grandis, qui ont voulu, avec des hommes de loi intéressés, magnifier avec un incroyable sérieux cuistre ce tissu confus d'approximations et de contre-vérités.

Reste que notre bachelier avait pour but affiché "de sauver [son] oncle, et de laver le nom des Dominici de la tache infamante d'une condamnation à la peine capitale".
Par ses maladresses et ses grosses ficelles, ingénues ou rouées, il appert de son texte qu'il a très exactement réussi le pari inverse.

 

 

IV. Pour en finir...

 

Curieusement, la démarche si savamment orchestrée du Sherlock Holmès de Lurs semble ne pas avoir été du goût de tous. Témoin cette lettre anonyme adressée au juge  Carrias - postée à Manosque le 27 octobre 1955.
Elle vaut ce qu'elle vaut, mais après tout ni plus ni moins que les "témoignages" produits par le neveu de Gaston.
Apparemment, elle n'a fait de la part du juge Carrias aucune demande d'éclaircissement au sujet des faits évoqués (notre Sherlock n'ayant été interrogé que sur ses rapports avec Llorca).



"Monsieur,

Demandez à Léon Dominici ce qu'il faisait à la Grand'Terre la nuit de l'assassinat des Drummond ?
Était-il dans la luzerne ?
À quelle heure a-t-il regagné Corbières ?
Pourquoi a-t-il caché cela à la Police ? Pourquoi dit-il maintenant que vous le savez, que c'est faux ?
Il a eu une carabine américaine à la Libération : où est-elle ?
Pourquoi ne travaille-t-il plus à Saint-Auban ? De quoi vit-il ?
Son oncle ne l'a pas hébergé, il ment.
Apprenez ses mœurs.
Il cache la vérité et dit des mensonges. Pourquoi ?"