"Avec ce téléfilm, nous apportons notre pierre au processus de révision que nous souhaitons, au côté de la famille Dominici". (Takis Candilis, Directeur de la fiction, TF1).

"Nous jetons un pavé dans la mare. Le débat va pouvoir se rouvrir". (Étienne Mougeotte, Directeur-adjoint de TF1).

 

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Avec le toupet qui le caractérise (car ce ne peut être, malheureusement, de la naïveté), Alain Dominici n'a pas hésité à déclarer que le peuple français avait déjà acquitté son grand-père (mais pas son père, soit dit en passant...). Et la fine équipe de TF1 n'a pas hésité, de son côté, à proclamer que l'entreprise systématique de désinformation que constitua le téléfilm que nous savons, était un moyen de parvenir à la proclamation de l'innocence de Gaston Dominici. Quelques trop rares journaux ont relevé l'incroyable manœuvre médiatique engagée dans cet objectif, qui d'ailleurs semble avoir fait long feu, en dépit des énormes moyens matériels engagés.

Mais revenons à la parole verbale du type méthode Coué, qui tient pour réalisée une conviction qu'on prétend dénuée de toute arrière-pensée. Un retour en arrière s'impose, car décidément tous ces personnages comptent sur l'affaiblissement de la mémoire collective. En arrière, soit au moment de l'élargissement du "plus vieux condamné de France", acte dû au pouvoir régalien du Président de la République d'alors. Notons en passant que le Président actuel a accompli un acte similaire en graciant, en 1998, le condamné Omar Raddad (que la Cour de cassation, en lui refusant en 2002 un second procès, a reconnu définitivement coupable, ne l'oublions pas). Condamné à dix-huit années de prison pour assassinat, cet ancien jardinier aura en définitive accompli moins d'un quart de sa peine ! Et pendant qu'on en est là, pourquoi ne pas se rafraîchir la mémoire au sujet des propos tenus à l'encontre de la Défense de Raddad, dont les arguments avancés furent qualifiés de «salmigondis d'expertises privées aux affirmations approximatives, contradictoires ou erronées mais toujours péremptoires», ou encore de «diversions, fantasmes, approximations, effets de manche, manœuvres odieuses». Ce qui fait penser, en souriant, aux "arguments évidents" de Me Collard...
Là encore, rien de nouveau sous le soleil ! Mais revenons à Gaston.


On sait, par les confidences de Jacques Chapus, quelle fut dans l'entreprise l'action de Madame de Gaulle, comment cette mesure de grâce a été préparée, quelles précautions ont été prises (la diffusion préalable d'un reportage destiné à apitoyer le bon populo). Ce qu'on sait moins, ou ce qu'on a largement oublié, ce furent les réactions dans le pays, et notamment dans les Basses-Alpes, département où l'on était somme toute assez bien placé pour parler du triple crime, du procès, et de la remise de peine. Et le gouvernement s'inquiétait beaucoup des éventuels remous, dans l'opinion publique, entraînés par la mesure prise par le général de Gaulle. La meilleure preuve en est qu'il réclamait régulièrement des informations auprès du Préfet du département (lettres du 15 et 22 juillet 1960), lequel faisait donner ses Renseignements généraux et interrogeait aussitôt (le 16, comme on l'a vu) les Maires alentour. Nous nous sommes intéressé supra aux opinions publiques locales, telles que rapportées par les Maires interrogés. Dès le lendemain de la mesure de grâce, une première "information" remonta vers Paris :

 

Libération de Gaston Dominici, le 15 juillet 1960

Gaston DOMINICI, libéré des Baumettes le 14 juillet 1960. est arrivé ce jour 15 juillet 1960, dans la matinée, à la "Grand'Terre" venant de Sainte-Tulle. Il était accompagné de sa femme, de son fils Gustave et de sa belle-fille. Il en est reparti ce même jour vers dix-huit heures.
La venue des Dominici a causé quelques perturbations aux abords de la "Grand'Terre", où ont afflué de nombreux automobilistes (journalistes et curieux).
Gustave DOMINICI a indiqué qu'ils ne séjourneraient pas à la "Grand'Terre", où ils étaient venus passer la journée.
Par ailleurs, Gustave DOMINICI a signalé que son père âgé avait décidé de vendre la "Grand'Terre" pour aller habiter définitivement chez sa fille Madame Caillat à Sainte-Tulle.

Aucun incident ne s'est produit

 

Une semaine plus tard, nouvelle remontée d'information :

 

Libération de Gaston Dominici, le 22 juillet 1960

 

DOMINICI Gaston est actuellement à Montfort (Basses-Alpes) chez sa fille Dominici, Clothilde, épouse Araman.
Il a l'intention de rester dans cette localité, s'il trouve un logement.
Il a, en outre, l'intention de vendre la ferme de "La Grand'Terre", à Lurs, où il ne désire plus aller habiter.
La libération de Gaston Dominici est très mal appréciée dans la circonscription. Beaucoup estiment que cette libération est une injure non seulement à la mémoire des malheureuses victimes, mais aussi à la justice.
Cette opinion, les gens l'ont manifestée depuis son arrivée dans la circonscription.
Personne n'approuve cette décision, et en particulier sa venue dans les Basses-Alpes.
Toutefois, aucune réaction violente (manifestation, rassemblement) de la part de la population n'est actuellement à craindre ou à prévoir.

 

La population était loin d'avoir accueilli le condamné élargi avec des cris de joie, c'est le moins qu'on puisse dire. Mais poursuivons en rapportant un incident bien oublié : quinze jours après l'annonce de la remise de peine, un curieux fait venait aux oreilles des Autorités bas-alpines, qui en rendaient aussitôt compte à Paris.

Une imposante gerbe avait été déposée, le 2 août 1960, sur la tombe des Drummond. Elle portait l'inscription : "Avec les excuses de la France". Par bonheur, si l'on peut dire, les mêmes Autorités avaient appris une nouvelle rassurante à communiquer au Ministre de l'Intérieur : "La gerbe a probablement été exposée le 2 août. Les caractères étant sur papier, l'inscription n'est pas restée visible plus de vingt-quatre heures".

Et l'informateur ajoutait : "Le chèque aurait été important (la fleuriste ne veut pas donner le nom du magasin de Paris qui lui a passé commande). Personne n'a été informé.
"Pèlerinage" habituel de nombreux Anglais aux environs du 2 août. Il est difficile de dire si les visites ont été plus nombreuses que l'an dernier, et de distinguer entre ceux qui sont venus pour les Drummond et les touristes venus visiter le cimetière
".

 


Le Préfet des Basses-Alpes pouvait donc écrire une troisième lettre, au Ministre de l'Intérieur, le 8 août 1960 :

 

J'ai l'honneur, comme suite à mes précédents rapports, de vous rendre compte de l'évolution de la situation en ce qui concerne l'affaire DOMINICI.

 

- Je vous avais signalé, lors de l'annonce de la mesure de grâce prise en faveur de ce condamné, l'émotion générale ressentie dans le département des Basses-Alpes (mon rapport du 15 juillet).

- Après quelques jours, cette émotion a fait place à un sentiment général de malaise, l'opinion publique estimant que la mesure prise ne pouvait s'expliquer que par des circonstances de fait échappant à sa connaissance.

La presse régionale et nationale, qui a présenté avec complaisance Gaston Dominici sous les aspects d'un vieillard valide, a incontestablement entretenu, si on excepte tel article isolé, une certaine équivoque sur la nature de la "libération" intervenue (mon rapport du 22 juillet).

- Il semble qu'à présent, trois semaines après le retour de DOMINICI dans les Basses-Alpes, l'intérêt de l'opinion publique locale se soit pour partie, et au moins provisoirement, détourné de cette affaire.

Les derniers articles de presse, dont ci-joint quelques extraits, sont à cet égard significatifs.

L'anniversaire du triple crime de Lurs n'a donné lieu qu'à un communiqué dépourvu de passion, émanant de l'A.F.P. et publié, dans des termes presque identiques, par des quotidiens de tendance très diverse (Le Méridional : tendance M.R.P. ; Le Provençal : tendance S.F.I.O. ; La Marseillaise : COM.).

La tombe de la famille Drummond, au cimetière de Forcalquier, a été fleurie, pour la circonstance, comme elle l'est périodiquement.

La gerbe déposée le 5 août sur cette tombe, portant l'inscription "AVEC LES EXCUSES DE LA FRANCE", avait été exécutée par un fleuriste de Forcalquier, sur commande d'un fleuriste parisien, agissant pour une personne désirant garder l'anonymat.

D'autre part, de petits groupes de touristes, pour partie de nationalité britannique, continuent de stationner habituellement, sur la R.N. 96, au niveau de "La Grand'Terre", sur le territoire de la commune de Lurs.

Cette démarche, où se mêlent des sentiments de curiosité et de piété, est effectuée beaucoup plus fréquemment depuis la libération de Gaston DOMINICI.

Au contraire, le comportement assez effacé de celui-ci, depuis qu'il a pris résidence auprès de sa fille, Mme Araman, dans le petit village de Montfort, a contribué à éviter jusqu'à présent tout incident dans cette localité.

Le village de Montfort, s'il n'est situé qu'à 25 kms environ de Lurs, est desservi par une petite route départementale qui part de la R.N. 96, et s'arrête à Montfort. Cette localité, à peu près ignorée par les estivants et les touristes, est donc à l'écart de toute circulation.

L'état de santé physique et mental de Gaston DOMINICI paraît d'ailleurs, selon des témoignages directs, assez différent de celui décrit par les journalistes, et mieux correspondre à son grand âge.

J'estime que l'annonce d'une mesure d'interdiction de séjour, qui pourrait intervenir à son encontre, sera accueillie avec faveur et soulagement par l'opinion publique. Toutefois, la mesure de grâce intervenue le 14 juillet dernier, restera mal comprise d'une opinion profondément troublée par une décision qu'elle analyse volontiers comme un désaveu implicite du verdict du jury criminel ayant condamné DOMINICI.

 

 

Oui, il est bon de rafraîchir la mémoire de certains, de temps à autre !