Conversation à bâtons rompus, qu'il n'est pas inutile de relire. Si l'ancien procureur Orsatelli n'a pas un mot pour regretter la grosse connerie qu'il commit par précipitation, retardant ainsi d'une année la résolution de l'énigme de Lurs (comme l'écrit Jean Teyssier, il a joué un rôle très important dans l'affaire Dominici, mais un rôle bien malheureux), et si sa mémoire le trahit à de nombreuses reprises (le récit des événements contient des inexactitudes), en revanche il a le mérite de mettre les points sur les "i", rappelant en particulier que "la grâce ne [peut] que suspendre une peine, mais non effacer le crime dont elle a été la sanction"

 

"C'est une honte. Il n'y a plus qu'à le décorer". (Vox populi, Peyruis).

 

C'est à Castellane, charmante sous-préfecture des Basses-Alpes, à quelque 100 km de la Grand'Terre, qu'une fois de plus nous avons repris l'affaire de Lurs, ou plus exactement, maintenant, l'affaire Dominici. Pourquoi ? Tout simplement parce que la libération de Gaston Dominici a suscité et suscite toujours les commentaires les plus divers, et puis parce que nous savions qu'à Castellane nous trouverions une haute personnalité de la magistrature qui connaît parfaitement toute l'affaire, et qui était donc en mesure de nous donner une opinion des plus qualifiée.

L'ancien procureur général M. Orsatelli, dont la haute personnalité est reconnue, est en effet Maire de Castellane. Tous ceux qui ont suivi l'affaire ont connu son rôle dans cette tragédie, un rôle très important qui, par conséquent, confère à ses déclarations une valeur dont on ne saurait nier l'importance.

C'est très simplement avec une exquise gentillesse, que nous a reçu M. Orsatelli, dans son cabinet, à la mairie de Castellane.

 

Monsieur le Procureur, pouvez-vous nous remémorer les conditions dans lesquelles Gaston Dominici a été condamné ?

- Les mensonges accumulés de Dominici et de sa famille ne laissaient aucun doute sur la participation des habitants de la Grand'Terre au triple meurtre qui avait été commis à quelques mètres de cette propriété. Quel était le coupable ? Telle était la seule question qui demandait une réponse nette et précise.

J'ai encore présentes à l'esprit les conditions dans lesquelles cette réponse est venue.

Gustave avait été vu en train de déplacer le cadavre de Mrs Drummond et, d'autre part, malgré les dénégations de toute la famille Dominici, la veille du crime la jeune Élisabeth s'était rendue à la Grand'Terre, alors que, lors du crime, elle prit la fuite vers la rivière et non vers la maison des Dominici, la seule où elle aurait pu recevoir secours et protection.

Notons qu'après le crime, deux faits étaient nettement établis : Gustave avait été contraint, sans aucune torture, de les reconnaître et, après sa déclaration, aucune explication valable de son silence n'était plus possible. Il avait alors raconté en détails les aveux de son père. Il faisait plus : il disait : "mon frère Clovis a reçu les mêmes aveux".

À ce moment-là, on se rendit auprès de Clovis qui, après certaines hésitations, reconnut que son père avait, en effet, avoué son crime. Malgré les menaces des siens et même à l'audience, Clovis devait maintenir toutes ses déclarations.

À qui fera-t-on croire que deux fils ont accusé un père innocent d'un triple meurtre dont il était responsable, et qui pouvait le conduire à l'échafaud, jetant ainsi la honte et le déshonneur sur toute sa famille ?

Mais il y a plus et mieux encore : Gaston Dominici, on le sait, fut appréhendé. Interrogé, il nia. On le transféra au Palais de justice de Digne, où, vers vingt et une heures, le commissaire Sébeille dut suspendre son interrogatoire, confiant l'inculpé à la charge du concierge et des agents de police.

Vers vingt-deux heures, on venait chercher le Commissaire, lui apprenant que Gaston Dominici avait fait des aveux à ses gardiens. Le policier se rendit immédiatement au Palais de justice où il enregistra les aveux que Gaston Dominici lui confirma en les précisant.

Vingt-quatre heures après, Dominici était conduit sur les lieux du drame. Alors que personne ne connaissait les conditions dans lesquelles avait été commis le crime, sans aucune faute, il reconstitua la scène qui le mit aux prises avec Sir Drummond. Ce dernier se trouvant en présence d'un individu armé autour de la voiture où était couchée sa femme, essaya de le désarmer.

Dominici, furieux, tira sur Sir Drummond. Les cris de Mrs Drummond risquant d'attirer l'attention des automobilistes de passage - car, ne l'oublions pas, nous sommes sur une route nationale, en pleine saison - il fallait bien faire disparaître ce témoin gênant. Mais les cris de la petite fille continuaient d'épouvanter le criminel qui fit feu sur elle. Et l'ayant manquée, il l'abattit d'un coup de crosse.

Gaston Dominici devait spontanément reconstituer la scène, et ses explications jetèrent alors un jour nouveau sur la blessure que Sir Drummond portait à la paume de la main, blessure que les médecins légistes et la justice n'avaient pu encore expliquer.

Mais la reconstitution du crime a peut-être ému le criminel, qui a compris toute la gravité des faits, et c'est pourquoi il enjamba le pont qui surplombe la voie ferrée. Fort heureusement, le juge d'instruction parvint à le retenir à temps.

Après cette reconstitution, le doute n'était plus possible ?

Oui, après ces aveux, les accusations de la famille, les nombreux mensonges qu'elle avait accumulés, la vérité éclatait enfin et l'information régulière qui devait suivre, comme la contre-enquête du commissaire Chenevier, n'ont fait que confirmer une déjà évidente culpabilité. Le jury des Basses-Alpes s'est prononcé en toute indépendance, et, dit-on, à une grosse majorité.

La révision du procès a été refusée par la Cour de cassation car jamais aucun fait nouveau pouvant mettre en doute la culpabilité du condamné n'a été établie.

Alors, où sont les preuves de l'innocence de cet homme que l'on veut innocenter malgré lui ? Suffira-t-il de trouver dans un procès un point obscur pour mettre en doute la culpabilité d'un homme que tout accable et qui a tout avoué ? Je laisse aux personnes de bonne foi le soin de conclure. Pour mon compte, je l'ai fait en mon âme et conscience.

Je n'ai rien à dire sur la grâce qui a été accordée, la grâce ne pouvant que suspendre une peine, mais non effacer le crime dont elle a été la sanction.

 

Voilà donc une opinion nette, catégorique, qui ne laisse place à aucun doute, ce doute qui est né de la libération de Gaston Dominici. Sa grâce ne peut l'absoudre d'un crime pour lequel il a été condamné.

Pour les policiers, pour les magistrats, pour les jurés, il sera toujours, jusqu'à preuve formelle du contraire, l'assassin de la famille Drummond.

 

Propos recueillis par Jean Teyssier, in Le Provençal du 21 juillet 1960

 

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