[Lurs : 64 ans, déjà !] Les jurés (récusés) du procès Dominici : "S'ils mentent, c'est qu'ils ne sont pas innocents".

 

Le texte qu'on va lire était précédé d'un "chapeau" accompagnant une photographie des membres du jury (photo qui parut aussi, à l'époque, dans "Paris-Match") :
"Voici les jurés qui jugent Dominici. L'un d'eux a failli faire casser le procès en s'écriant : "Celui-là, il exagère". Il était indigné par Me Charles-Alfred, un des avocats de Dominici.
De gauche à droite : Marcel Aillaud, cultivateur ; Émile Auzet, cultivateur ; Denis Alliaud, cultivateur ; Auguste Girard, cultivateur ; Jules Ventre, boucher ; Louis Allincourt, propriétaire, et Tellemond Sube, cultivateur".

 

 

Ils étaient vingt-quatre habitants des Basses-Alpes, désignés pour participer au tirage au sort du jury de la cour d'assises de Digne.
Neuf siègent aujourd'hui au procès Dominici : sept titulaires et deux suppléants. Parmi les quinze autres, trois avaient été désignés par le sort, mais avaient été récusés par la défense.

Ce sont MM. Ernest Carréard, 53 ans, berger à Valernes ; Laurent Cartier, commerçant à Manosque ; et Mlle Anaïs Garcin, hôtelière à Valensole.

Trois autres avaient été récusés par l'accusation : M. Urbain Laugier, 65 ans, hôtelier à Malijai ; Maxime Sube, 46 ans, employé à l'EDF, Pierrerue ; Maurice Girord, 51 ans, cultivateur à Montfort.
Tous les quinze ont accepté de donner leur opinion qui est sans doute fort proche de celle du jury. Voici ce qu'ils ont déclaré à notre enquêteur :

 

 

Henri-Joseph Bonnefant [né au Lauzet le 17 avril 1923], 41 ans, épicier-charcutier au Lauzet, non tiré au sort : "le père Dominici est un dur, un homme solide et sournois. Trop de mensonges chez les Dominici prouvent qu'ils cachent quelque chose. L'un d'eux est coupable. Si on arrive à en avoir la preuve, il faut châtier sans faiblesse".

Joseph-Félicien Savornin [né à Seyne, le 2 février 1909], 49 ans, laitier à Chardavon, non tiré au sort : "Le père Dominici ment sans arrêt. Il n'y a rien de vrai dans ce qu'il dit. C'est un dur et un primitif, mais il sait ce qu'il veut. Ce sont ses mensonges qui le feront sans doute condamner".

Constant-René Frison, 56 ans [né à Les Dourbes, le 15 mars 1898], cultivateur à Gaubert, non tiré au sort : "Après trois jours d'audience, j'ai ma conviction. C'est quelqu'un de la famille. Ils sont tous dans le coup. Lui, c'est un dur... Il doit être d'origine italienne, et ces gens-là deviennent facilement des assassins. Si c'est lui, pas de pitié".

Urbain Laugier, 65 ans, hôtelier à Malijai. Récusé par l'accusation. Il connaissait les Dominici. Il y a quarante ans environ, il a même été assez lié avec Gaston. "Il y a doute. On n'a pas encore de preuves, mais il y a trop de mensonges dans cette affaire. Pourquoi le vieux Dominici ment-il ? Là est tout le problème. Ce qu'il faut, c'est que le coupable soit puni".

Marius Raynaud, 44 ans, jardinier à Digne, non tiré au sort. "C'est toute la famille Dominici qui devrait être au banc des accusés. C'est sûrement quelqu'un d'entre eux qui a fait le coup. C'est l'opinion de beaucoup. Il faut qu'ils soient punis durement parce que c'est une déchéance pour les Basses-Alpes".

Ernest-Louis Corréard, 53 ans [né à Valernes, le 24 septembre 1901], berger à Valernes ; Récusé par la défense. "Je ne sais pas pourquoi j'ai été récusé, je n'ai jamais connu les Dominici. J'attends la preuve formelle pour me prononcer. Il y a encore du doute, mais si on sait réellement qui est le coupable, il doit être puni sans pitié. Je demande que justice soit faite".

Jean Pelestor, 54 ans, peintre à Digne. Non tiré au sort. "J'ai déjà été juré cinq fois et jusqu'à présent, je suis bien embarrassé. On attend le coup de théâtre qui transforme les présomptions en preuves éclatantes. En tout cas, pas de pitié pour le coupable".

Maxime-Félicien Sube, 46 ans [né à Pierrerue, le 24 avril 1912], employé EDF à Pierrerue. Récusé par l'accusation. Sa profession l'a conduit à se rendre quelquefois chez les Dominici. Pierrerue est très proche de la ferme des parents d'Yvette, femme de Gustave. "Tous ces gens-là mentent trop, et ça finit par vous troubler... Pourtant, s'ils mentent, c'est qu'ils ne sont pas innocents...".

Laurent-Joseph Carretier, 68 ans [né à Mâne, le 5 août 1885], commerçant à Manosque. Récusé par la défense. M. Carretier a été propriétaire d'un bar à Forcalquier. Les Dominici étaient ses clients. Il pense qu'il a été récusé parce qu'on a voulu faire juger Dominici uniquement par des cultivateurs. "Dominici est un homme dur, mais trop rusé, il se souvient quand ça l'arrange et il oublie quand ça l'accable. En tout cas, le coupable est dans la famille, et il faut le châtier sans pitié".

Maurice-Élie Giraud, 51 ans [né à Montfort, le 7 juillet 1903], cultivateur à Montfort. Récusé par l'accusation. Il connaissait un peu les Dominici. "Ils sont coupables parce qu'ils mentent trop. Mais qui ? Le vieux ? Gustave ? Clovis ? Ou le petit Perrin ? Celle qui les mène tous, c'est Yvette. Quand, à la fin des débats, on connaîtra le coupable et ses complices, il faudra les punir sans pitié".

Gabriel-Léon Brunet, 63 ans [né à Château-Arnoux, le 12 mars 1892], menuisier à Château-Arnoux. Non tiré au sort. "Heureusement que je ne siège pas, cette histoire ne m'intéresse pas, je n'en ai aucune idée".

Raymond-Urbain Laurin, 45 ans [né à Aix-en-Provence le 12 août 1909], apiculteur à Riez, non tiré au sort. Assiste à toutes les séances et se passionne pour le procès. Il attend le verdict pour donner son opinion.

Anaïs-Marie Garcin [née à Valensole le 4 septembre 1898], femme d'affaires et hôtelière à Valensole. Récusée par la défense. C'est une coutume de récuser les femmes dans une affaire dont un enfant est la victime. Mlle Garcin, comme M. Laurin, est passionnée par les débats judiciaires, qu'elle continue à suivre. Elle serait sans pitié pour le coupable.

Émile-Arthur Atger, 69 ans [né à Bourges (Cher), le 16 janvier 1885], châtelain à Gréoux-les-Bains, ancien officier, malade, n'a pu se présenter à l'audience. Il suit le procès en lisant les journaux. "Comme tout le monde, je trouve qu'il y a encore trop de confusion, trop de mensonges. Je suis bas-alpin, et pour l'honneur des Basses-Alpes, j'espère que le coupable sera châtié sans pitié".

Antonin Amen, 54 ans [né à Conques (Aude), le 28 juin 1900], comptable à Digne. Non tiré au sort. M. Amen connaît l'affaire à fond, et il a assisté aux trois premières séances du procès. Il a jugé Dominici : "un dur, un sournois, un rusé. Pas assez intelligent pour comprendre que ses mensonges, mis au jour, le perdront. Déjà, les jurés pensent qu'il est coupable, mais ils attendent que leur conviction soit étayée par une preuve formelle : un aveu, une confrontation. si les jurés ont cette preuve, ils le condamneront à mort sans hésiter... Ils n'oublieront pas non plus qu'il est italien. Dans l'affaire qui a précédé, à Digne, le procès Dominici, un autre Italien, Barata*, qui avait abusé de sa fille, ailleurs aurait eu trois ans de prison ; ici, il a été condamné au maximum : dix ans de réclusion. Gaston Dominici risque bien d'être condamné à mort. Son âge ne le sauvera pas. Il n'a pas tenu compte de l'âge de la fillette lorsqu'il l'a frappée, comme il l'a avoué".

* [Félix Baratta, 48 ans au moment de sa condamnation, qui abusait depuis trois ans de sa fille - âgée de 18 ans en 52].

 

 

© Gaston Servent, in France-Dimanche n° 431, semaine du 28 novembre au 4 décembre 1954, p. 13

 


 

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