La conclusion que donne Jean Laborde à son ouvrage sur l'Affaire Dominici mérite vraiment le détour ! En dépit d'une petite erreur de détail - que je me suis permis de commenter. Et j'ai fait suivre ce texte remarquable de la traduction américaine qui en a été donnée.

 

"Selon toute probabilité donc, le doute n'étant admis qu'à titre de principe, Gaston est le seul coupable. Comment se fait-il que la polémique dure encore, nombreux étant ceux qui à l'heure actuelle ne se proclament pas convaincus ?" (J. Laborde).

 

 

[…] Il peut paraître audacieux de tenter une remise en ordre d'un dossier tel que celui-ci. Quarante mois d'enquête, d'instruction et de contre-enquêtes lui ont donné des proportions démesurées. Soumis à des forces divergentes et parfois incohérentes, il éclate dans toutes les directions. Il semble n'être que poussières et brouillards. Rempli de bruit et de fureur, contenant des passages inexpliqués et peut être inexplicables, renfermant des procès verbaux où la logique la plus élémentaire semble bafouée à plaisir, il est avec le temps devenu une espèce de monstre sacré de la chronique judiciaire. Ces milliers de pages fournissent l'exemple type des dommages que peut subir la vérité lorsqu'elle est soumise aux chevalets et estrapades de la justice. Dans l'affaire Dominici, aucun étage de l'appareil judiciaire n'est resté inemployé. Ayant gravi un à un les échelons de l'escalade, elle permet chaque fois aux observateurs critiques de dénoncer les défectuosités et les faiblesses. Dans ce sens, le cas du vieux fermier de Lurs a constitué un banc d'essai pour ce moteur dont tous les hommes peuvent dépendre un jour ou l'autre. Est-il en bon état de fonctionnement ?

Cela revient à poser la question : ce dossier permet-il de découvrir le secret fondamental du drame survenu le 5 août 1952 ? Donne-t-il la bonne grille qui, plongeant à travers les couches accumulées, arrive jusqu'au solide, c'est-à-dire les faits qui se sont réellement déroulés en cette nuit-là ? En d'autres termes, que reste-t-il du mystère Dominici ?

 

Le non-lieu(1) a mis fin aux investigations. Sauf coup de théâtre, l'aveu passé par un témoin ou un coupable, les chemins de la vérité s'arrêtent sur la décision prise par le juge Carrias. La seule démarche possible est de les remonter en tentant de voir clair. Le choix s'établit entre trois hypothèses : Gaston Dominici innocent, Gaston coupable seul, Gaston coupable avec d'autres complices restés impunis.

 

D'abord les certitudes : l'assassin vient de la Grand'Terre, l'arme aussi. Sur le premier point aucune discussion ne subsiste. Les partisans les plus acharnés de l'innocence du vieillard ne le contestent pas. Les arguments ne manquent pas : la fuite de l'enfant dans une direction opposée à la ferme, l'attitude des habitants de celle-ci, leurs mensonges et principalement ceux du premier jour, tout concourt dans le même sens. Seule la famille maintient encore contre toute vraisemblance que le meurtrier vient de plus loin. On comprend cette attitude : elle est tout à l'honneur de ces hommes et de ces femmes qui n'ont jamais hésité à se compromettre pour ne pas renier la tendresse qu'ils portaient à leur père ou à leur frère, premier martyr de la cause(2).

Un seul entra en dissidence : Clovis, mais il ne fit que dire ce qu'il savait, ajoutant chaque fois qu'il fallait avoir pitié d'un vieil homme. Il subit un calvaire. Mais en face de lui ses frères et sœurs ne furent jamais méprisables, au contraire(3). Il leur était facile de se ranger à l'opinion publique et de lâcher le père condamné. Ils ne le firent pas, livrant avec une grandeur tragique un combat sans espoir. Un tel comportement mérite le respect, même si l'on est convaincu qu'il implique parfois un aveuglement volontaire.

En ce qui concerne l'arme, certains, tel le commissaire Chenevier, sont moins assurés qu'elle se trouvait à la Grand'Terre. Pourtant il paraît impossible qu'elle ait été ailleurs. La façon dont s'est passé le drame - quel qu'en soit l'auteur - montre de façon péremptoire que l'assassin devait l'avoir à sa disposition. D'ailleurs, que fait Clovis lorsque le commissaire Sébeille la lui montre le 8 août ? Il se précipite vers le hangar où il l'a aperçue un jour pour vérifier qu'il s'agit bien de la carabine. Autre témoignage, celui du docteur Morin qui avec retard, il est vrai, parle de l'arme de guerre qu'il a vue dans une remise.

Autre point fixe : les aveux de Gaston Dominici non pas tellement dans leur contenu mais dans la façon dont ils ont été passés et le renfort qu'ils reçoivent des accusations conjuguées de Clovis et de Gustave. Si l'on suit l'enchaînement par lequel les policiers sont arrivés en novembre 1953 à confondre le vieil homme, il laisse apparaître une logique irrécusable : accusations de Gustave, confirmation résignée de Clovis, effondrement de Gaston non pas au moment où il est pressé de questions mais devant le gardien Guérino.

Le cheminement même de Clovis livre peut-être l'une des clefs de l'affaire. Il commence par dire qu'il a recueilli de la bouche de son père l'aveu de sa culpabilité, il reconnaît ensuite qu'il savait dès le 8 août grâce à son frère. Réticences, demi-mensonges, Clovis n'a certes pas échappé à la règle. Mais pourquoi agit-il ainsi ? Tout simplement parce que comme son frère, il se sentira toujours gêné d'avoir connu la vérité dès le début et de l'avoir obstinément cachée à la police. Il ne risquait rien, dira-t-on, sur le plan pénal. Mais il pouvait craindre de perdre tout crédit : alors jamais l'affaire ne finirait.

L'une des phrases essentielles pour comprendre le comportement de Clovis est celle où, dans la nuit du 14 novembre, il dit à son frère "qu'il fallait bien en arriver là". Durant des mois il a caché ce qu'il savait. C'est pourquoi les accusations lancées contre lui, vengeance, règlement de comptes avec son père, sont bien dérisoires. Après s'être tu farouchement, Clovis n'a parlé qu'après Gustave. S'il a une revanche à prendre sur son père, il lui est loisible de lui nuire depuis longtemps. Il s'en abstient. Mais une fois qu'il s'est confessé, il ne revient pas en arrière, embarrassé toutefois par son long silence. Ainsi faut-il comprendre Clovis.

Y eut-il conspiration entre les deux frères ? La lecture même des procès-verbaux démontre le contraire. Si, pendant un an et demi, Gustave et Clovis ont comploté pour envoyer leur père en prison, ils ont eu tout le temps pour construire un récit, cohérent et dépourvu de contradictions. Il n'en est rien. Au fond, ils ne connaissent pas grand-chose du drame lui-même, Clovis en tout cas. Ils n'ont par exemple aucune explication du fait que le père est sorti armé dans la nuit. Pense-t-on que, s'ils se sont concertés, ils laissent cette circonstance inexpliquée ? Le croquis lui-même tracé par le greffier pour désigner l'emplacement de l'arme infirme l'idée de la conspiration : Clovis et Gustave n'en ont nul besoin au cas où ils se sont entendus auparavant.

Dès lors en tenant compte du dossier, on peut essayer de reconstituer les événements qui se sont déroulés dans la nuit du 5 août. Ce soir-là Gaston, comme tous les habitants de la Grand'Terre, est inquiet de l'éboulement. Il n'a pas une confiance illimitée dans son fils, Gustave, qui au demeurant a travaillé toute la journée à la moissonneuse chez un ami à qui il a "rendu les heures" et qui est donc très fatigué. Il décide d'aller vérifier l'état du talus : si l'on doit payer l'amende aux chemins de fer, il en subira comme tout le monde les conséquences. Au passage, il observe les Anglais. Or à ce moment Sir Jack vient de se lever : on notera qu'il avait la vessie entièrement vide, ce qui prouve qu'à une heure, au moment où il est tué, il vient juste d'uriner. Les deux hommes se querellent et Gaston, qui est probablement soûl - déclaration commune de Gustave et Yvette les 17 et 18 décembre 1953(4) - va chercher sa carabine. C'est le drame.

Gustave est réveillé par les coups de feu. Il descend affolé. C'est alors que, dans la cour ou dans la luzerne, il rencontre son père qui en quelques phrases lui raconte ce qui s'est passé. Dès lors Gustave ne va pas cesser d'opérer des va-et-vient entre les lieux du crime et la ferme. Lorsqu'il voit l'enfant sur le talus, celle-ci vit encore. Il est une heure et demie au maximum, ce qui coïncide avec les constatations médicales faites par les médecins qui procédèrent à l'autopsie. Les avocats sans doute ont préféré mettre l'accent sur les conclusions du docteur Dragon qui ne participa point à l'expertise mais examina superficiellement les cadavres. L'avis des médecins-légistes n'a-t-il pas une valeur supérieure ?

Á quelles besognes se livre Gustave ? On peut sans crainte lui attribuer la fouille de la voiture et le déplacement des corps. Nulle intention sordide dans ces gestes : Gustave n'est pas un voleur. Ce qu'il cherche, c'est par exemple l'appareil photographique. Car la veille au soir, il est fort possible que Lady Ann ou la petite Élisabeth ait pris des photos de la ferme où elles étaient accueillies. Rien de plus naturel, puisque pour la jeune fille c'est une nouveauté que de camper dans la campagne française et de découvrir des paysans chez eux. Le geste instinctif est de saisir l'appareil photo pour garder le souvenir de ces instants. Mais pour Gustave c'est un lien à couper. Déjà il a décidé que la seule tactique est de ne paraître rien savoir non seulement du drame mais de ses victimes, ne les avoir qu'entrevues et ne pas s'en être soucié. Nul besoin d'être spécialiste des enquêtes criminelles pour deviner que les policiers vont se diriger en premier lieu vers la Grand'Terre. Gustave s'attend à être soupçonné, interrogé, bousculé. Il cherche les douilles, son père lui ayant dit qu'il n'en avait ramassé que quatre. Il a peur. Ils sont, comme le dira Yvette, des "malheureux". La journée du 5 sera fatidique : elle ne peut leur apporter que ruine et infamie.

De l'aide apportée à un meurtrier qui est son père découle toute l'attitude future de Gustave. Il ment et est obligé de mentir pour sauver sa famille : jamais il ne se libérera de cet engagement du départ. Sans cesse obligé de céder sous la pression des témoignages, ceux d'Olivier, de Maillet, de Ricard, de Roger Perrin, il s'embrouille, se contredit, trébuche, jusqu'au jour où il décide froidement de nier même ce qu'il a signé, contestant même qu'il ait été interrogé à une date où il livre la vérité. Mais on peut penser que son jour de sincérité se situe comme pour Yvette le 17 décembre 1953. La preuve en est que par la suite les deux époux s'efforceront d'expliquer leurs déclarations par des pressions exercées sur eux par le juge Périès que leurs avocats ne reprendront jamais à leur compte. Elles supposeraient de la part d'un magistrat une malhonnêteté qui tient de la caricature. Or si certains oublis du magistrat peuvent être critiqués, ce n'est certainement pas sur le plan de l'intégrité. Roger Périès est, de l'avis unanime de tous ceux qui l'ont fréquenté, professionnellement un homme de scrupules. Peut-être même en a-t-il trop et dans une certaine mesure ils expliquent les défauts de son instruction. Á l'examen du dossier il apparaît que les 17 et 18 décembre il a touché du plus près la vérité profonde du drame de Lurs.

Peut-on expliquer de la même façon les mensonges de Clovis ou plutôt ses réticences, notamment à propos de l'arme ? Le rapport d'expertise sur les graisses établit une relation possible entre les fusils de Clovis et la carabine du meurtre. Il semble à peu près certain que tous les membres de la famille se sont servis à l'occasion de la Rock-Ola qui, pour chasser le sanglier, est une arme séduisante et apportant à son utilisateur ce prestige auquel sont sensibles tous les chasseurs. C'est pourquoi Clovis s'est obstiné tout au long de la procédure à nier qu'il ait un jour tiré avec cette arme. Lié par son propre mensonge, il ne peut plus le récuser par la suite sous peine de devenir l'objet de soupçons. Or, s'il est un point qui rencontre l'unanimité, c'est l'innocence de Clovis. Personne ne l'accuse, même pas son père. Mais durant l'instruction le cheminot pouvait tout craindre, s'il avouait avoir employé la Rock-Ola pour traquer le "cochon" alors qu'il avait affirmé ne l'avoir qu'aperçue dans le hangar.

Quant à Roger Perrin, il n'est pas impossible qu'il ait couché à la Grand'Terre. Le capitaine Albert l'a toujours pensé à cause de la bicyclette de Gustave retrouvée adossée contre un arbre. Mais la présence de Roger Perrin implique-t-elle sa participation au crime ? Et ses mensonges s'expliquent-ils par une complicité quelconque ? On peut imaginer que Gustave, découvrant le crime et son auteur, n'a rien de plus pressé que de réveiller le garçon, de lui mettre la bicyclette en main et de le renvoyer chez lui pour qu'il ne soit pas mêlé à l'affaire. Ainsi se trouve expliquée la présence le lendemain de la machine : Roger Perrin est revenu à la Grand'Terre grâce à elle. Ainsi sont justifiés les mille et un mensonges de cet esprit inventif. Pourquoi n'en pas faire un complice, si l'on admet qu'il a couché à la Grand'Terre ? Tout simplement, on va le voir, parce que rien n'autorise cette hypothèse, en tout cas aucun élément matériel ou psychologique.

Á cette présentation des événements s'opposent, dira-t-on, les aveux de Gaston Dominici. Il est vrai qu'ils ne correspondent pas entièrement à un tel récit. Mieux, ils sont en contradiction flagrante avec les constatations. Que valent-ils et que peut-on en retenir ?

D'abord une remarque importante que l'on n'a jamais soulignée suffisamment dans les polémiques qui ont suivi le procès. Les procès-verbaux établis les 13, 14 et 15 novembre 1953 montrent à l'évidence que Sébeille comme Périès n'ont ni dicté ni même suggéré ses déclarations à Gaston Dominici. D'une façon paradoxale on a reproché au juge comme au commissaire d'avoir soufflé au vieillard ce qu'il devait dire et d'avoir accepté de lui des affirmations parfaitement invraisemblables. Il faut tout de même choisir. Ou bien le policier et le magistrat se substituent au suspect et rédigent à sa place les procès-verbaux : alors ils s'appliquent à les faire coller avec les éléments matériels qu'ils détiennent. Ou bien ils écoutent en silence et Gaston dit ce qui lui passe par la tête. C'est probablement ce qui s'est passé.

Le grief que l'on peut faire au juge Périès est à ce moment-là d'avoir respecté à l'excès la parole du vieillard. Il a voulu lui garder son caractère "spontané", ne relevant pas l'énormité de ses propos, la scène du coït avec Lady Ann par exemple. Acceptant ce mobile invraisemblable, le magistrat s'est interdit par la suite d'établir de façon certaine le véritable, alors que Gaston l'avait sans doute livré au gardien Guérino : une bagarre imprévue et stupide, le malentendu dans la nuit. Il aurait été peut-être préférable de tenter de le faire revenir vers cette explication plus acceptable qui est sans doute la vraie.

Durant l'instruction et le procès, les avocats soulignèrent avec force que le récit de Gaston ne correspondait en rien aux épisodes du meurtre, tels qu'ils ressortent des constatations. Ils refusaient donc à la confession toute valeur probatrice. Mais deux observations sont nécessaires. La première est que jamais ou presque les aveux d'un criminel ne coïncident exactement avec la réalité, même dans les cas où sa culpabilité est établie. Un assassin est le témoin de son propre crime : pourquoi échapperait-il aux défaillances de la mémoire ou des sens frappant quiconque rapporte ce qu'il a vu ou entendu ? Le drame de Lurs s'est déroulé en quelques instants. Il a été le fruit de l'émotion, de la panique et peut-être de l'alcool. S'étonnera-t-on que Gaston Dominici n'ait gardé de ces événements que des souvenirs approximatifs ?

Il ne faut pas exclure non plus chez lui le calcul. Pourquoi choisit-il le motif "égrillard", sautant ainsi sur la proposition du commissaire Prudhomme ? Sans aucun doute pour se préparer sinon une justification du moins le mobile le plus apte à se ménager l'indulgence : c'était un "péché d'amour". Gaston Dominici est un esprit rusé et il ne faut pas être un génie de la dialectique pour penser que, même si l'on avoue, mieux vaut mêler encore le mensonge et la vérité ; on pourra toujours plaider sinon le doute, du moins l'ambiguïté. Un criminaliste italien célèbre, Altavilla, a écrit que "fréquemment l'inculpé contraint d'avouer, cherche à améliorer sa condition en greffant sur des événements vrais des circonstances fausses". Lorsque Gaston Dominici affirme n'avoir tiré qu'une balle sur Lady Ann et assommé l'enfant d'un seul coup, il est bien évident qu'il cherche à amoindrir l'acharnement qui fut le sien. En revanche, comment pouvait-il, s'il est innocent, indiquer que l'on avait tiré une balle sur Élisabeth s'enfuyant ? Les aveux de Gaston représentent donc une part de vérité. Ils ne peuvent être écartés dans leur ensemble.

Ils existent d'autant plus qu'on ne peut guère les remplacer par une autre réalité. Chose curieuse : les mêmes commentateurs qui les considèrent comme une fable sont prêts à affirmer que le vieux fermier dit la vérité à travers ses révélations de décembre 1954 après le verdict. Or, si les aveux peuvent être controversés, que dire de ces déclarations qui ne sont confirmées par aucun élément du dossier ? En fait, elles contiennent une seule nouveauté : la conversation entre Yvette et Gustave à propos des "bijoux". Mais aucun bijou appartenant aux Drummond n'a disparu, hormis une montre sans valeur. Il n'y a donc eu aucun vol et ce dialogue prêté par le condamné à son fils et à sa belle-fille ne correspond à rien. Quant à la présence de Gustave et de Roger Perrin sur les lieux du crime et à la scène à laquelle Gaston prétend avoir assisté, il l'a rétractée, assurant même que Chenevier avait rêvé. Ensuite, le commissaire le reprenant d'un ton vif, il a répondu "qu'il ne se souvenait de rien". Il est intéressant de chercher comment Gaston Dominici a eu peut-être l'idée de mettre en cause Gustave et Roger Perrin.

Il faut pour cela partir d'une hypothèse qui a été faite parfois. Durant l'instruction, pendant le procès, lorsque ses fils sont à la barre, Gaston Dominici désigne Gustave et Roger Perrin comme les meurtriers. Mais il ne va pas au bout de ses dénonciations. Il accuse sans accuser. Il prétend ne pas en savoir davantage. Position peu soutenable, lorsqu'on se souvient qu'il a été durant des années le maître despotique de la Grand'Terre, que Gustave et même Clovis ont tremblé devant lui et qu'il a toujours veillé jalousement au respect de son autorité. S'il est innocent et que Gustave ou Roger Perrin soient coupables, croit-on qu'il n'aurait pas exigé de savoir ce qui s'était passé ? Est-il possible qu'on ait refusé de le lui dire ? La réponse est évidente : s'il est innocent, il n'ignore rien de la vérité.

Se sacrifie-t-il comme parfois on l'a affirmé ? Il l'a laissé entendre à plusieurs reprises. Mais ce calcul généreux est démenti par sa propre attitude, puisque dès le début il accuse. Non seulement, il se défend en niant, mais il met en cause Gustave, se refusant cependant à préciser pourquoi et comment il sait son fils coupable. Faut-il en déduire qu'il ne peut en révéler davantage parce qu'en parlant il se perdrait lui-même ? Bref reste-t-il dans le vague parce que sa confession complète le mettrait en cause au même titre que son fils et son petit-fils ? Est-il prisonnier d'une vérité qui l'accablerait en même temps que les autres ?

Une telle analyse conduit à une situation absurde. S'il en est ainsi, pourquoi Gaston prend-il le risque de mettre en cause non seulement Gustave mais Roger Perrin ? Il n'a plus rien à perdre il est vrai, puisqu'il est condamné à mort. Mais du moment qu'il sait par avance que sa tactique est vouée à l'échec, pourquoi l'employer ? Elle tourne court et le seul résultat en est que Roger Perrin le brave en face sans que le vieil homme se révolte : s'il a quelque chose à dire contre le garçon, qu'il parle ! Et il se tait. Le débat tourne à sa confusion. L'explication est simple : il n'a aucun moyen de faire porter à Roger ou Gustave une part de responsabilité.

Il est frappant en revanche de constater que ses accusations épousent dans le fond comme dans leur chronologie l'enquête et l'instruction. Gaston Dominici s'est servi habilement de ce qu'il a lu dans le dossier et entendu pendant son procès. Gustave dans la luzerne ? C'est ce que Paul Maillet est venu dire. Roger Perrin à la Grand'Terre ? C'est ce que les avocats ont soutenu au fil des audiences. La carabine rafistolée par Clovis ? C'est le rapport sur les graisses. L'enfant portée jusqu'au talus ? C'est la querelle principale des audiences. Il ne commence à accuser Roger Perrin qu'à la fin de l'instruction, alors que l'accent est mis sur les mensonges de l'adolescent. Attentif et vigilant, Gaston Dominici construit son récit peu à peu avec les matériaux fournis par le dossier et les incidents d'audience.

Selon toute probabilité donc, le doute n'étant admis qu'à titre de principe, Gaston est le seul coupable. Comment se fait-il que la polémique dure encore, nombreux étant ceux qui à l'heure actuelle ne se proclament pas convaincus ? Convient-il ou non d'applaudir sans réserve ceux qui ont contribué à apporter une solution ? Le commissaire Sébeille et le juge Périès sont-ils à l'abri de tout reproche et le premier surtout a-t-il payé d'une disgrâce injustifiée ce qui fut en réalité une victoire ? Il a mené jusqu'au châtiment celui qui avait tué. Il a donc fait son métier, réussissant de façon éclatante dans une affaire qui passionnait l'opinion publique ; or la fin de sa carrière s'est trouvée brisée alors qu'elle aurait dû être une consécration. Sébeille fut-il donc victime d'une erreur judiciaire alors qu'il en avait évité une ?

"Un crime maladroitement commis, une enquête maladroitement menée, un procès maladroitement conduit, un accusé maladroitement jugé", a écrit un journaliste anglais, Gordon Young(5).

Conclusion sévère : est-elle fondée ? Il est facile de refaire les batailles perdues et d'envoyer aux enfers non seulement les généraux vaincus mais tous ceux qui n'ont pas eu un triomphe décisif. C'est le cas de Sébeille et de Roger Périès sans doute. Ce que l'on peut dire d'eux, c'est qu'ils ont laissé passé un certain nombre de chances qui leur auraient peut-être permis de vaincre par K.O alors qu'ils l'emportèrent aux points. Ils laissèrent l'adversaire debout. En boxe comme en justice, les combattants qui ne touchent pas le sol contestent parfois leur défaite, trouvant autour d'eux des supporters qui les encouragent à protester. L'auteur de ces lignes fut de ceux qui, le procès terminé, ne furent pas satisfaits. Avec beaucoup de ses confrères, il douta. L'enquête refaite, le dossier relu, il a changé d'avis.

Le drame des policiers et des magistrats est de n'avoir pas saisi dès le départ les chances qui s'offraient. C'est dès le premier jour le pantalon négligé par Sébeille. Dans ses souvenirs le commissaire émet un doute sur son existence. Or, l'inspecteur Girolami a reconnu qu'il l'avait vu lui-même et qu'il l'avait signalé à son chef. L'expertise du vêtement fraîchement lavé aurait peut-être fourni cet élément matériel qui fit défaut aux enquêteurs. Parmi les objets qui ne retinrent pas l'attention du commissaire figure également l'appareil photo dont la disparition aurait expliqué la fouille.

Puis Clovis tombant lourdement à genoux sur la voie ferrée à la vue de la carabine ne livre pas son secret, bien que Sébeille ait déjà déclaré que "l'arme parlerait". Á distance l'on est bien obligé de reconnaître que ce jour-là l'enquête capota : le retard de quinze mois qu'elle devait prendre part de cet instant. Début septembre, Sébeille qui tient Gustave grâce à Olivier trouve une nouvelle chance : elle lui est enlevée à la suite de l'intervention du procureur général interrompant l'interrogatoire et volant au policier une victoire possible.

Les journalistes anglais ont écrit souvent qu'en Grande-Bretagne l'affaire Dominici n'aurait connu ni les lenteurs ni ces incertitudes. Á diverses reprises ils soutinrent que les détectives de Scotland Yard n'auraient pas fait de la psychologie, mais de la vraie police. Ne mettons pas en doute la science du concret que possèdent les enquêteurs britanniques, bien que, comme à tous les hommes, il leur soit arrivé de se tromper. Les critiques des reporters ne sont pas totalement injustifiées.

Ainsi le fameux lambeau de chair découvert sur le pare-choc, dont l'origine fut si ardemment discutée lors du procès. Venait-il de la main de Sir Jack déchirée par le passage du guidon de l'arme qu'il avait empoignée ? On ne put le savoir, puisqu'il était perdu. Or, dans ses souvenirs, Sébeille révèle froidement qu'il l'a conservé à titre de souvenir sans le joindre au dossier, estimant qu'il ne pouvait fournir aucun renseignement.

De même pour la Rock-Ola : personne ne songea à rechercher pourquoi le meurtrier avait éjecté une cartouche sur deux. Sébeille et Périès estimèrent que, connaissant mal le fonctionnement, Gaston Dominici avait réarmé la carabine à chaque fois alors qu'il s'agissait d'un mécanisme automatique. Dans son livre Les erreurs judiciaires (Flammarion, 1968), René Floriot a vivement critiqué cette interprétation, soulignant que l'expert avait relevé sur les cartouches intactes de légères traces de percussion. Il s'agissait donc d'un autre incident, mais lequel ? La réponse n'est pas au dossier, puisque la question n'a pas été posée à un armurier. Il semble qu'en fait le meurtrier se soit servi de cartouches dont le calibre ne correspondait pas exactement à celui de l'arme(6), bloquant par conséquent la répétition. Mais, faute d'une expertise, il ne s'agit que d'une hypothèse.

Enfin, lors des journées de novembre 1953, convenait-il que Sébeille ne profite pas de la défaillance de Gustave s'écroulant sur son épaule ? Il était 14 h 45. Ce n'est qu'à 16 h 30 que Roger Périès enregistre la déclaration. Gustave a eu le temps de réfléchir. De même, le 14 novembre, après ses aveux, Gaston Dominici se rétracte, accusant son fils. Pourquoi ne met-on pas aussitôt en présence les deux hommes ? Dans le climat qui s'établit à cette minute, peut-être aurait-on pu opérer la plongée décisive dans ces profondeurs.

Il était nécessaire de rappeler ces échéances négligées, non dans le dessein d'accabler deux hommes qui pour le reste ont fait preuve de ténacité et de constance, mais afin de faire comprendre pourquoi l'opinion a pu se sentir déconcertée. Le commissaire et le juge se sont comportés comme des toreros qui savent amener le taureau dans l'étoffe rouge mais ne parviennent pas à le faire passer, ce qui est le but du combat. Gaston, Gustave, les autres sont restés empêtrés dans la muleta de la justice, ils l'ont secouée et déchirée, finissant cependant par mourir. Mais aucune distribution d'oreilles n'a suivi : ainsi sont sanctionnés les maestros qui ont liquidé leur taureau sans convaincre le public. La justice est parvenue à la vérité par de mauvais chemins. Seule compte à la guerre la dernière bataille : il est parfois difficile d'oublier celles qui ont été perdues entre-temps. Soit par honnêteté, soit parce qu'ils se sont égarés à travers les incroyables mensonges de la famille, Edmond Sébeille et Roger Périès ont laissé dans ce dossier d'immenses trous par lesquels s'est engouffré le vent. Malgré tout, ils sont probablement parvenus à la vérité. Convaincus d'avoir raison, ils imaginaient que leur propre conviction était transmissible. Elle le fut en ce qui concerne les jurés. Elle ne le fut pas pour l'opinion qui doute encore. L'étude sans passion d'un dossier aux proportions démentielles montre que la vertu n'a pas forcément ce pouvoir percutant que lui prêtent les optimistes. Elle est la leçon d'une terrifiante et baroque histoire. […]

[© Jean Laborde, Un matin d'été à Lurs, Robert Laffont, 1972, pp. 430-440]

 

 


Notes

(1) Ordonnance de non-lieu, prise par Pierre Carrias, juge d'Instruction au Tribunal de première Instance de Digne, le 13 novembre 1956.
(2) On peut ne pas adhérer à ce jugement par trop œcuménique...
(3) Idem.
(4) Audition de témoin au cours d'un transport de justice. Le 18 décembre mil neuf cent cinquante-trois à 14 h, devant nous, Roger Périès, juge d'instruction au tribunal de Digne, assisté de M. Barras, greffier [Yvette parle] : "il [Gustave] m'a dit qu'il avait trouvé son père dans la cour. Il ajoutait qu'il était abattu comme un homme ivre".
(5) Gordon Young (envoyé spécial du The Daily Mail), Valley of Silence, Robert Hale Limited, London, 1955, 193 p.
(6) Hypothèse parfaitement infondée !

 

 

 

Traduction américaine de ce texte

 

"It is a prodigious testament of man ; just, moving, full of modesty, but knowing ho to get to the bottom of things. I haven't read a book of this stature for many years. Close to Truman Capote no doubt, but also to the great Russians in certain insights, and also to the Steinbeck of In Dubious Battle - that is to say the greatest - in the stength and truth of its characters".
Bernard Clavel, winner of the Prix Goncourt, 1968).

 

 

[...] It may seem foolhardy to try to put any order into a dossier like this. Forty months of investigation, examination and supplementary inquiry had swelled it to mammoth proportions and subjected it to considerable strain. Filled with sound and fury, containing un explained and perhaps unexplainable passages, some of which defied even the most elementary laws of logic, it has with time become a sort of sacred monster of judicial history. These thousands of pages offer the archetype of the injuries truth may undergo when stretched on the rack of justice. In the Dominici affair every single level of the legal apparatus was at some point involved, and at each stage the critical observer could point to its defects and weaknesses. in this sense the case of the old Lurs farmer constituted a testing-bench for the engine on which all men may one day or another depend.

Which brings us to the essential question. Does the dossier reveal the basic secret of the drama ? Does a sifting through the accumulated layers bring us anywhere close to what really happened that night of August 5, 1952 ? What, in fact, remains of the Dominici mystery ?

Lacking any last-minute sensational development, a bona fide confession of guilt, the long and tortuous path ended in the decision of the magistrate Carrias The one recourse left is to retrace it in an attempt to see clearly. The choice is limited to three hypotheses :

that Gaston was innocent ;

that he alone was guilty ;

that he was guilty together with accomplices who went unpunished.

First the certainties. The murderer came from Grand'Terre, the weapon also. On the first point no doubt exists. The fiercest upholders of the old man's innocence do not dispute it. There is no lack of argument for it ; the child's flight in the opposite direction from the farm, the conduct of its inhabitants, their lies, especially those of the first day, all point the same way. Only the family still maintains against all probability that the murderer came from somewhere else.

Only one member dissented, Clovis, but he told only what he knew, each time adding that one must have pity on an old man. He suffered torment, but in opposing him his brothers and sisters were not contemptible, rather the contrary. It would have been easy for them to bow to public opinion, to abandon their father when he was found guilty. But they never did. Such behaviour deserves respect, even if it implies a wilful blindness.

So far as the weapon is concerned, some, like Superintendent Chenevier, were less sure that it came from Grand'Terre. But it seems impossible that it could have come from anywhere else. The way the crime occurred - whoever committed it - shows decisively that the murderer must have had it immediately available. Moreover, what did Clovis do when Sébeille showed it to him on August 8 ? He hurried to the shed where he had seen it one day to verify that it was in fact the same carbine. Another testimony, Dr Morin's, though given late, spoke of a military weapon he had seen in the shed.

Another unassailable point : Gaston Dominici's admissions had value, less for their content than for the circumstances in which they were made and the support they received from the joint accusations of Clovis and Gustave. The chain of events by which the police succeeded in November 1953 in confounding the old man ends in a logically unimpeachable conclusion : Gustave's accusation; Clovis's resigned confirmation; Gaston's breaking down not when being harassed with questions but when quietly alone with the gendarme Guérino.

Even the course pursued by Clovis provides something of a due. He began by saying that he had heard from his father's own lips his confession of guilt. He later admitted that he knew of it on August 8 from his brother. In his reticences, half-truths, Clovis was certainly no exception to the general Dominici rule. But why did he act like that ? Quite simply because, like his brother, he was embarrassed at having known the truth from the beginning and stubbornly concealed it from the police.

One of the keys to an understanding of Clovis's conduct is his saying to his brother, on the night of November 14, "it had to come to this". For months he had hidden what he knew. That is why the accusations hurled at him - revenge, settlement of old scores with his father - are ridiculous. Having stayed grimly silent, Clovis spoke up only after Gustave. If he had wanted to take revenge on his father, it had long been open to him to harm him. He refrained ; but once he had confessed, he never went back on it, still embarrassed by his long silence. It is in this light that Clovis must be understood.

Was there a conspiracy between the two brothers ? A reading of the records indicates the contrary. If Clovis and Gustave plotted for a year and a half to send their father to prison, they had time to make up a consistent story free of discrepancies. They didn't. Basically they didn't know much about the tragedy itself, Clovis at any rate. They had, for instance, no explanation for the fact that their father had gone out armed during the night. If they had put their heads together, would they have left this circumstance unexplained ? The sketch drawn by the clerk to indicate the weapon's location itself invalidates the idea of conspiracy; Clovis and Gustave would have had no need of it if they had previously reached an understanding.

On this basis, and with an eye on the dossier, some attempt can be made to reconstruct the events of the night of August 5. That evening Gaston, like all the inhabitants of Grand'Terre, was uneasy about the landslide. He did not have unbounded confidence in his son Gustave, who had, moreover, worked all day harvesting at a friend's whose help he was reciprocating and was therefore very tired. Gaston decided to have a look at the condition of the embankment ; if the railway company had to be indemnified he would have to pay his share like anyone else. While he was out, he saw the English campers. Sir Jack had just got up; medical evidence showed that his bladder was quite empty, which proves that at 1.0 a.m., the time he was killed, he had just urinated. The two men quarrelled and Gaston, who was probably drunk - the joint statement of Gustave and Yvette on December 17 and 18, 1953 - went to get his gun. This was the tragedy.

Gustave was awakened by shots. Alarmed, he went downstairs. It was then, in the courtyard or the lucerne field, that lie encountered his father, who told him briefly what had happened. For the next few hours Gustave continually went back and forth between the scene of the crime and the house. When he saw the child on the bank she was still alive. It was 1.30 a.m. at the latest, which coincides with the medical findings of the doctors who conducted the autopsy. The lawyers for the defence doubtless preferred the conclusion of Dr Dragon, who did not take part in the autopsy but simply examined the bodies superficially. But the opinion of the forensic experts has a higher value.

What did Gustave actually do ? It was undoubtedly he who searched the car and moved the bodies, but there was no sordid motive in this. Gustave was not a thief. What he was looking for might well have been the camera; it is very possible that the evening before Lady Drummond and Elizabeth had taken photographs 0f the farm they had visited. To the little girl, camping in the French countryside and seeing the peasants at home was a novel experience. Her instinctive response was to preserve a memento of it on film. But for Gustave it was a connection to sever. He had already decided that the only tactic was to appear to know nothing, not only of the tragedy but of its victims, to have merely glimpsed them and taken little notice. There was no need to be a specialist in criminal investigation to guess that the police would turn first to Grand'Terre. Gustave expected to be suspected, interrogated, harassed. He looked for the cartridges, his father having told him that he had picked up only four. He was afraid. They were, as Yvette was to say, 'unlucky'. The day of the 5th could bring only ruin and disgrace.

Gustave's whole future attitude stemmed from the help he gave to a murderer, who was his own father. He lied and was compelled to lie in order to save his family; he could never shake loose from his original commitment. Constantly forced to give way under the pressure of other testimony - that of Olivier, Maillet, Ricard, Roger Perrin - he became confused, contradicted himself, stumbled, until the day when he coldly decided to deny even what he had signed, to dispute even that he had been questioned on a date on which he divulged the truth. But his moment of truth did indeed fail, like Yvette's, on December 17, 1953. The proof is that subsequently the couple struggled to explain their statements by the pressure the magistrate Périès put upon them, a contention even their lawyers disregarded; it assumed a dishonesty on the magistrate's part nothing short of preposterous. For if certain oversights by the magistrate might be criticized, his integrity certainly could not be. Roger Périès was, by unanimous consent, a man of the highest professional scruples. Perhaps too much so ; to an extent this accounts for the defects in his preparation of the evidence. From an examination of the dossier it appears that on December 17 and 18 he came very near the essential truth of the Lurs tragedy.

Are Clovis's lies, or rather silences, to be explained in the same way, particularly with regard to the weapon ? The experts' report on the oils established a possible connection between Clovis's guns and the carbine used in the murder. It seems almost certain that all the members of the family had at times used the Rock-Ola, which was an attractive firearm for hunting boar and gave its user the prestige to which ah sportsmen are sensitive. This is why Clovis stubbornly denied throughout the proceedings that he had ever fired the weapon. Caught in his own lie, he could not later withdraw it for fear of arousing suspicion. Yet if there is one point on which there is unanimous agreement, it is Clovis's innocence. No one accused him, not even his father. But during the examination the linesman had everything to fear if he admitted that he had used the Rock-Ola to hunt boar after having declared that he had seen it only in the shed.

As for Roger Perrin, it is not impossible that he had slept at Grand'Terre. Captain Albert always thought so because of Gustave's bicycle found leaning against a tree. But did Roger Perrin's presence imply his participation in the crime ? And were his lies explicable by any complicity whatever ? Gustave, learning of the crime and its perpetrator, would surely hasten to rouse the boy, give him the bicycle and send him home to prevent his being involved in the affair. The bicycle's presence next day would be accounted for by Roger's returning with it, which in turn would account for his thousand and one inventive lies. As for treating him as an accomplice, if it is granted that he spent the night at Grand'Terre, no material or psychological factor justifies this hypothesis.

Now to come to Gaston Dominici's own admissions and sub missions, which to some extent contradict this reconstruction. What are they worth, and how much of them can be accepted ?

First there is an important observation to make, insufficiently emphasized in the polemics that followed the trial. The minutes of the proceedings of November 13, 14 and 15 show plainly that neither Sébeille nor Périès dictated or even suggested his statements to Gaston. Paradoxically, the magistrate and the superintendent have been reproached both with telling the old man what he should say and with accepting from him utterly improbable affirmations. But such reproaches are mutually exclusive. Either the officer and the magistrate substituted themselves for the suspect and edited the minutes as they went along, making them correspond with the material evidences they possessed, or they listened in silence and recorded whatever came into Gaston's head. This is probably what happened.

The complaint that can be made against Périès is that on this occasion he paid too much attention to the old man's words. He wanted to keep their 'spontaneous' character, not point out their enormities - the sexual encounter with Lady Drummond, for instance. By accepting this improbable motive, the magistrate effectively inhibited himself from later establishing what was in dubitably the real motive, the one that came out while Gaston was talking to Guérino: a sudden stupid row, a misunderstanding in the night. It would perhaps have been better to try to bring him back to this more acceptable explanation, which is without doubt the true one.

During the preliminary examination and the trial the lawyers stressed that Gaston's story in no way corresponded with the circum stances of the murder as revealed by the inquiries. They therefore refused to allow the confession any corroborative value. But two observations must be made. The first is that the admissions of a criminal never or hardly ever coincide exactly with reality, even in a case where his guilt is established. A murderer is the witness of his own crime; why should he be immune to those lapses of memory or of the senses which affect anyone reporting what he has seen or heard ? The Lurs affair took place within a few moments. It was the result of emotion, panic and perhaps alcohol. Is it surprising that Gaston Dominici should have retained only an approximate recollection of the events ?

There was also an element of calculation. Why should he have gone for the motive of 'lechery', responding to the suggestion of Superintendent Prudhomme, except to prepare the way, if not for a justification, at least for the motive most likely to win sympathy, a crime of passion ? Gaston Dominici had a cunning mind, and it was not necessary to be a dialectical genius to perceive that, even if one confessed, it was better to mingle truth and falsehood; one could always plead doubt, or at least ambiguity. When Gaston Dominici declared that he had fired only once at Lady Drummond and felled the child with one blow, it is obvious that he was trying to lessen the fury which had actually been unleashed. On the other hand, if he was innocent, how could he state that one bullet only had been fired at the fleeing Elizabeth ? Gaston's admissions thus represent part of the truth. They cannot be wholly disregarded.

They are all the more valid in that they cannot really be replaced by any other solid fact. It is curious that the same commentators who hold these admissions to be invention are ready to credit the old farmer with telling the truth in his disclosures of December 1954, after the verdict. For if his confessions can be disputed, what value can be placed on the later disclosures unconfirmed by anything in the dossier ? In the event they contain only one new item: the conversation between Gustave and Yvette about the 'jewels'. But no jewels belonging to the Drummonds had disappeared, apart from a watch of no value. There had been no robbery and the dialogue attributed by the condemned man to his son and daughter-in-law is unsubstantiated. As for Gustave and Roger Perrin's presence at the site of the crime and the scene Gaston claimed to have witnessed, he had retracted, even declaring that Chenevier had been dreaming. When the superintendent took him up on it, he answered that he 'didn't remember anything about it'. It is interesting to speculate how Gaston came to bring Gustave and Roger Perrin into it in the first place.

The starting-point is a premise which has been put forward from time to time. During the preliminary examination and then at the trial, when his Sons were in the box, Gaston indicated Gustave and Roger Perrin as the murderers, but without adducing any evidence; he accused without accusing, claimed to know no more. It was hardly a tenable position considering that for years he had been the despotic master of Grand'Terre, that Gustave and even Clovis were cowed by him, and that he had always jealously insisted on respect for his authority. If he was innocent and Gustave or Roger Perrin guilty, is it credible that he would not have demanded to know what had happened ? Is it possible that they would - could - have refused to tell him ? The inescapable answer is that if he himself was innocent, he was perfectly aware of the truth.

Did he sacrifice himself as has sometimes been suggested ? He hinted at it often enough. But this generous interpretation is belied by his actual conduct ; from the beginning he accused. Not only did he deny his own guilt; he implicated Gustave while refusing to say why and how he knew him to be guilty. Does this indicate that he could not elaborate because he would thereby incriminate himself ? Did he remain vague because anything more explicit would implicate him along with his son and grandson ? Was he the prisoner of a truth which would crush him in crushing others ?

eSuch an analysis is absurd. If it was so, why did Gaston risk accusing not only Gustave but Roger Perrin ? 0f course he had nothing more to lose, having been condemned to death. But from the moment he could foresee that his tactics were doomed to fail, why use them ? They fell short and the only result was that Roger defied him to his face: if he had something specific to say against the boy, let him say it. He didn't, and the argument turned against him. Again, the explanation is simple: he had no means of pinning any part of the guilt on Gustave or Roger.

But it is striking how his accusations made use of the substance as well as the chronology of the inquiry and the indictment. Gaston cunningly exploited what he read in the dossier and heard at the trial. Gustave in the field ? Paul Maillet had just said so. Roger Perrin at Grand'Terre ? It was what the lawyers maintained in the course of the hearings. The carbine patched up by Clovis ? There was the similarity between the oils. The child carried to the bank ? It was the chief dispute at the trial. He did not begin to accuse Roger Perrin until the end of the preliminary examination when stress was laid on the youth's lies. Attentive and alert, Gaston Dominici made up his story little by little from material supplied by the dossier and the events of the hearings.

In all probability, then, Gaston alone was guilty. How does it happen that controversy still continues and many still proclaim themselves unconvinced ? Should one applaud unreservedly those who helped lay the foundations for the eventual verdict ? Are Superintendent Sébeille and the magistrate Périès beyond reproach, and did the former in particular pay with unmerited disgrace for what was in reality a victory ? He brought the guilty one to punishment. He thus discharged his task and succeeded brilliantly in a case which roused public opinion to fever pitch, yet his career was broken by what should have been its culmination. Was Sébeille the victim of a judicial error when he in fact prevented one ?

'A crime clumsily committed, an inquiry clumsily pursued, a trial clumsily conducted, a defendant clumsily judged,' wrote an English journalist.

A severe verdict. It is easy to relight lost battles and consign to perdition not only beaten generals but those who missed a decisive victory. This was doubtless the case with Sébeille and Périès. Their mistake was to pass up certain opportunities which might have allowed them to deliver a knock-out blow instead of winning on points. The author of this book was among those who at the end of the trial were not satisfied. Like many of his colleagues, he had doubts. Having rechecked the inquiry, re-read the dossier, he has changed his opinion.

The tragedy of the police officer and the magistrate was not to have grasped the opportunities that were offered. There were on the first day the trousers neglected by Sébeille. In his memoirs the super intendent expresses a doubt of their existence. But Inspector Girolami surely did not invent them. An expert examination of the freshly washed garment might have supplied the material element the investigators lacked. Among other objects which escaped the superintendent's attention was the camera, whose disappearance would have explained the search of the car.

Then Clovis falling to his knees on the railway line at sight of the carbine and Sébeille not immediately realizing and pursuing the implications, although he had declared that 'the weapon would speak.' From this distance it is possible to say that on that day the investigation foundered; the fifteen-month delay it suffered began at that moment. At the beginning of September Sébeille was robbed of another chance when, having cornered Gustave thanks to Olivier, the interrogation was broken off by order of the chief prosecutor.

British journalists have often claimed that in England the Dominici case could not have suffered the same delays and uncertainties. They maintain that detectives from Scotland Yard would have got on with the police work and skipped the psychology. Their criticism are not altogether unjustified.

For instance, the famous shred of flesh found on the bumper whose origin was so vehemently argued at the trial. Did it come from Sir Jack's hand, tom off by the gunsight he had clutched ? It was impossible to say because it had been lost. Yet in his memoirs Sébeille coolly reveals that he had kept it as a souvenir, not including it in the dossier because he did not think it could provide any information.

The same applies to the Rock-Ola ; no one thought of finding out why the murderer had ejected unexpended one cartridge in two. Sébeille and Périès had deduced that Gaston Dominici, ignorant of its operation, had reloaded it each time though it functioned automatically. In his book Judicial Errors, René Floriot strongly criticized this deduction, stressing that an expert had detected on the un exploded cartridges faint traces of percussion. There had therefore been some other complication, but of what sort ? The answer is not in the dossier because the question was never put to a firearms expert. It would seem that the murderer had used cartridges whose calibre did not exactly correspond to that of the weapon, thereby blocking the automatic functioning. But in the absence of an expert check this is only hypothesis.

Finally, in November 1953, shouldn't Sébeille have taken advantage of Gustave's breakdown when he collapsed on his shoulder ? It was 2.45 p.m. On at 4.30 did Périès record the statement. Gustave had had time to reflect. Similarly, on November 14, Gaston went back on his confession and accused his son. Why were the two not at once brought face to face ? in the atmosphere of that moment it might have been possible to achieve some positive result.

It is necessary to recall these lost opportunities not to reproach two men who otherwise gave proof of unstinting dedication, but to make clear why public opinion could be so shaken. Justice arrived at the truth by doubtful means. In war the only thing that counts is the last battle, but it is sometimes hard to forget those lost before then. Whether through honesty, whether because they were misled by the family's incredible lies, Sébeille and Périès left huge holes in the dossier. Yet despite everything, they probably arrived at the truth. Convinced they were right, they imagined that their conviction was transmissible. The jurors were persuaded but public opinion was not. That is the lesson of a strange and terrible story.

[© Jean Laborde, The Dominici Affair, English translation (Milton Waldman) in 1974, by William Collins Sons & Co., Ltd.
William Morrow & Compagny, Inc, 105, Madison Avenue, New York, New York 10016, pp. 365-374
Library of Congress Catalog Card Number 74-12414]

 

 


 

 

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