Juste avant de se rendre à la cérémonie d'ensevelissement des Drummond], "les policiers ont effectué une visite domiciliaire à la Grand'Terre, posant des questions plus précises dont les sous-entendus, à peine voilés, ont soulevé de vigoureuses protestations d'innocence de la part de MM. Dominici père et fils"
(La Marseillaise, vendredi 8 août 1952).

"M. Gaston, la tuerie… le coup dur qui vous arrive… c'est parce que vous aviez bu, non ?
- Tu dis bu, tu veux dire bourré comme une bourrique, oui !
"
(propos rapporté par Jean Teyssier - in Paroles de gardien - dialogue entre un gardien de la prison de Digne et le prévenu, un peu avant la comparution de ce dernier devant la cour d'assises).

"La justice a trop à faire avec les criminels, elle ne peut aussi poursuivre les menteurs. C'est grand dommage car, ainsi, le fiel de la haine pervertit notre société ; je pressens qu'un jour, on aura tant coutume de se détester que chacun agira pour son seul intérêt"
(Françoise Gasparri, Un crime en Provence au XVe siècle, Albin Michel, 1991, p. 79).

"Nous ne vivons pas dans le meilleur des mondes possibles, où la vérité l'emporterait toujours sur le calcul. [...] La médiatisation à outrance permet aux personnes mises en cause de se présenter systématiquement en victimes. Par un retournement mécanique, le témoin courageux finit pas apparaître comme un délateur, le policier comme un inquisiteur et le juge comme un justicier"
(Éva Joly, Notre affaire à tous, 2000, pp. 12 & 18).

 

 

On voudrait tirer un trait, mais rien à faire, les révisionnistes de tous poils et acabits ne désarment pas, répandant à l'envi leurs fables de multiplication (des pistes les plus saugrenues). Et leur aplomb remplit d'étonnement, c'est-à-dire au sens premier frappe de tonnerre, l'individu moyennement informé, et doué d'un minimum d'esprit critique.
On se souvient alors qu'à propos de l'affaire Dominici, un journaliste anglais (Gordon Young) prenant appui sur le Giono du Hussard sur le toit, avait expliqué les méandres de l'enquête et les difficultés des enquêteurs par le fait que les personnages proches du crime ne craignaient pas, ou plus, les gendarmes (la même citation a été antérieurement reprise, un peu tronquée, dans le Laborde - on la trouve dans Giono, Œuvres romanesques, IV, p. 565. Il s'agit d'un dialogue entre Angelo Pardi et sa compagne de voyage, Pauline de Théus) :

"Nous sommes tombés sur un lot de ces brigands dont on parlait.
- Non
, dit Angelo, nous sommes tombés sur de braves gens qui ne craignent plus les gendarmes".

 

Les révisionnistes veulent remettre sur le tapis, avec un culot n'ayant d'égale que leur ignorance crasse des faits, la réhabilitation de la "vieille canaille" (selon l'expression de Lachat, in Dauphiné Libéré du 18 août 1954, souvent reprise ailleurs), voire du "vieillard sans cœur, roué abject" (La Marseillaise, 16 novembre 1953). Et en sachant que leurs dissimulations et contrevérités ne leur vaudront aucun désagrément : impunité garantie. Ce n'est pas d'aujourd'hui, d'ailleurs, que la preuve est faite qu'on peut mentir impunément. Le journaliste Espinouze (in Le Provençal du jeudi 27 octobre 1955) concluait ainsi un article désabusé sur les résultats de la contre-enquête : "Faute d'autre démonstration, la contre-enquête aura fait éclater cette vérité qu'un témoin peut mentir et bafouer la justice sans craindre la moindre représaille (sic)". On mépriserait toutes ces basses manœuvres, si elles ne s'appuyaient pas, systématiquement, sur une ignoble mise en cause de personnes, aujourd'hui disparues, dont le seul tort à l'époque fut de rechercher, contre vents et marées, et parfois contre supérieurs hiérarchiques, la simple et triste vérité.

Un seul exemple, avant de commencer, de cette grossière insuffisance, doublée d'une insupportable muflerie : on sait que TF1 (dont on connaît la "fidèle" adaptation du tragique destin de Jean Moulin !) a entrepris de relancer l'Affaire : tous les journaux sont remplis de ses projets, des retards apportés au tournage, des échos concernant les premiers rushes, etc. (on sent que la politique de communication de la chaîne privée est rompue à toutes les ficelles du marketing). Le réalisateur de ce futur téléfilm se permet d'annoncer doctement : "on ne dira jamais [assez] combien l'enquête à l'époque a été bâclée… À cause d'abord des idées préconçues du commissaire Sébeille, etc. etc." (in Le Figaro, TV Magazine, n° 18 245, du 5 avril 2003, p. 10). Une enquête bâclée ? Telle n'était pas en tous cas l'opinion du journaliste ayant publié le premier ouvrage sur l'Affaire, qu'il suivit pour le compte de Nice Matin : "Le louable souci de l'erreur judiciaire n'a cessé de hanter le commissaire Sébeille. Dix fois, nous avions cru qu'il allait agir. La crainte de troquer un assassin certain contre un assassin possible, a toujours été plus forte que la sincérité profonde de sa conviction, n'en déplaise à certains chroniqueurs qui ont tenté d'affaiblir l'autorité officielle au moment où elle avait besoin de tout son crédit"(1).
Une affaire bâclée, qui a mobilisé, durant trois années, des centaines de policiers et de gendarmes, et une bonne dizaine de Commissaires (Sébeille n'étant que l'un d'eux, ne l'oublions pas) ? Une enquête bâclée ? Dont les résultats ont conduit le Directeur général de la Sûreté nationale d'alors (R. Hirsch) à inviter à Paris, avec une pompe inouïe, début décembre 1953, Sébeille et son équipe ? Peut-on imaginer un instant que le chef de toutes les polices de France aurait pris un tel risque, si ses conseillers lui avaient parlé d'une enquête bâclée ? Le divisionnaire Chenevier - dont les révisionnistes taisent, et on comprend pourquoi, le nom et le rôle dans l'Affaire, ou font le black-out le plus total sur les féroces conclusions - a écrit : "s'il est un devoir que le clan Dominici devrait rendre aux trois victimes de Lurs, c'est le silence". Apparemment, ce devoir devrait aussi s'étendre à d'autres personnages que les membres de la famille proche. Mais, pour faire vendre, qu'il est tentant de récrire l'Histoire !

Alors, sans faire le moins du monde preuve de paranoïa, il faut bien parler d'un complot. Les thèses révisionnistes qui fleurissent actuellement ne sont que la resucée des pauvres mensonges que le PC inventa en guise de contre-feu (stigmatisant alors "l'ensemble de la presse gouvernementale", ou encore "les journaux qui obéissent fidèlement à la police" - c'est-à-dire l'ensemble de la presse non-communiste, parlant, entre autres énormités - La Marseillaise, 5 septembre 1952, p. 5 - du "doute monstrueux qu'on a voulu jusqu'au dernier moment laisser planer sur une famille d'honnêtes gens"), peut-être pour éviter, entre autres, que des enquêtes approfondies ne conduisent les policiers sur le chemin des nombreuses exactions commises à la Libération sous le couvert de la Résistance (à cet égard, on ne peut manquer de songer, entre bien d'autres faits, au château de Paillerol - situé sur le territoire de Dabisse, de l'autre côté de la Durance par rapport à la Grand'Terre-, théâtre d'une tuerie-règlement de comptes à la Libération - un couple assassiné, et un Commissaire de police, dépêché sur place, ayant imprudemment déclaré - au téléphone ! - qu'il avait "logé" les assassins, froidement exécuté)(2) . Thèses que le P.C. abandonna peu à peu - il convient de le remarquer - dès lors que la culpabilité de "La Grand'Terre" ne fit plus de doute pour personne (la presse communiste commença à "virer de bord" mi-octobre 1952, s'interrogeant alors sur "l'étrange comportement du fermier de la Grand'Terre". L'attitude du P. C. peut se résumer tout simplement au changement d'opinion du maire communiste de Peyruis, M. Louis Jourdan, qui déclarait, au début de l'enquête : "Le criminel est certainement de la région, vu l'état de la carabine, mais ce ne sont certainement pas les Dominici. Si Gustave était arrêté, la moitié de la population serait en ébullition" - d'après Nice-Matin du vendredi 15 août 1952 - pour en venir à affirmer, à la veille du procès : "il n'y a que quelques fous pour croire encore à l'innocence du vieux" - même source, mardi 16 novembre 1954). D'ailleurs, il est amusant de remarquer que les revirements du P. C. firent la joie - entre autres - des journaux locaux (Le Provençal, Le Méridional) que La Marseillaise nommait naguère "presse gouvernementale", ou "journaux qui obéissent fidèlement à la police". En témoigne l'amusante charge de Gabriel Domenech contre l'Humanité, qu'on a pu lire supra...
Il faut parler de complot, puisque dans la démocratie telle que nous nous efforçons de la vivre, l'approche de la vérité s'effectue par la confrontation des thèses en présence, non par l'insulte, la haine, voire le mensonge organisé. Or, désormais, seules les tristes exhumations des jobardises inventées par le Parti communiste (ainsi de Gaston pleurant sur l'épaule d'un ami, en déclarant au journaliste communiste, "j'en ai assez, pourvu qu'ils trouvent rapidement l'assassin car je n'en peux plus". Cité pieusement par La Marseillaise, 10 août 1952) sont à la disposition de tous ; et il est piquant de constater que TF1, fleuron du capitalisme le plus débridé et de la tendance people, vole à leur secours. Tout le reste semble avoir été oublié, et même pire : effacé. Pire encore : interdit.


À cet égard, il est peut-être nécessaire de rappeler un incident qui a été conté par ailleurs, savoir la façon dont le nouveau défenseur de la thèse révisionniste, le bouillant Me Collard, interdit de parole le juge Carrias, qui n'eut plus que la ressource, avant d'être contraint au silence, de lancer ironiquement à William Reymond : "Vous êtes, Monsieur, le plus grand policier de France" (in Dominici, de l'accident aux agents secrets - le regretté juge Carrias narre aussi l'incident dans son texte de souvenirs sur l'Affaire Dominici, telle qu'il l'instruisit).
Et pour la petite histoire, mais surtout pour être complet, il convient de rappeler cet incident - méprisable et si révélateur - tel qu'il a été vécu par l'intéressé. En effet, présentant ses condoléances à la veuve du journaliste Jean Teyssier, qui venait de disparaître (janvier 1999), le juge Carrias lui écrivait : "[...] Nous nous sommes retrouvés au début de 1997, lors du débat public organisé à Digne par William Reymond, à l'occasion de la sortie de son livre. Pour m'empêcher de critiquer celui-ci, Me Collard m'avait enlevé le micro, ce qui lui avait valu la mauvaise surprise de voir Jean Teyssier se lever et, à son tour, de sa place, soutenir mon point de vue. Deux ou trois jours plus tard, votre mari reprenait contact avec moi et me proposait de travailler avec lui à la réfutation de la thèse fantaisiste de l'équipe Dominici-Reymond-Collard".

 

 

 

1. Un siècle de manipulations par l'image...

 

Oh ! Ce sera une toute petite remarque, pour commencer, remarque qui m'est inspirée par une exposition qui s'est tenue il y a trois ans ou presque, au Musée d'histoire contemporaine (à Paris). Car les images mentent (c'est le titre d'un ouvrage de Laurent Gervereau, publié au Seuil), ou en tout cas ont l'ambition d'orienter nos opinions.

Partons de la photo suivante (parue dans le magazine du "Midol", en février 2003, à l'occasion d'un reportage sur Jonny Wilkinson, "ouvreur" du XV anglais, qui a fait beaucoup de misères à ses adversaires, entre autres français, car ce joueur est, parmi d'immenses qualités, un buteur de type métronome. Bref. La photo est ainsi légendée "Phil Wilkinson observe son fils avec les yeux de la bienveillance". Or, on a beau scruter cette photo, on ne parvient pas à trouver la moindre bienveillance dans le regard (assez bovin) de Phil (à droite) pour son fils Jonny. Plus exactement, le père figure jusqu'à la caricature le "beauf", tel que Cabu l'exécute régulièrement dans un hebdomadaire satirique paraissant le mercredi. Le journaliste veut donc nous contraindre à placer de la sympathie là où elle ne figure évidemment pas ! Mais le voilà qui se trahit sans le vouloir ; la légende, en effet, continue ainsi : "Phil rêvait de jouer aux côtés de Jonny, mais aussi de Mark, son aîné de dix-neuf mois et partenaire à Newcastle. À défaut, il a vendu son cabinet d'assurances et s'occupe désormais de leurs intérêts". À la bonne heure, on comprend mieux ! Le beauf regarde sa progéniture comme un maquignon un cheval, c'est-à-dire en évaluant les picaillons qu'il va lui rapporter !

 

 

 

 

On pourrait aussi, pour la petite histoire - et parce que, paraît-il, il convient "de faire d'une pierre deux coups, en joignant l'Affaire Dominici à l'Affaire Seznec" -, examiner les deux documents suivants - qui nous éloignent certes beaucoup de notre propos. La photo de droite, publiée (je n'ai pas vérifié) dans "Nous, les Seznec", est un savant "recadrage", qui permet d'éliminer, sur la gauche de la photo, le volant de la Cadillac type 61 de 1923. Le volant est donc à droite, et non à gauche comme le laisse supposer le cliché recadré. Naturellement, pour des explications plus amples, qui n'ont rien à voir avec notre sujet, je vous laisse aller au texte auquel j'ai emprunté cette supercherie (La mystérieuse affaire Seznec, de Albert Baker et Bertrand Vilain- lesquels concluent, et je leur en laisse la responsabilité : "Guillaume Seznec était un faussaire maladroit, son petit-fils en est bien le digne héritier"). [ajout août 2008]

 

 

Photo originelle  
Photo recadrée

 

 

Poursuivons avec la photo bucolique (ci-dessous, à droite) de Sébeille discutant avec Gaston (un Gaston, à l'air passablement ennuyé, sinon inquiet). On la trouve entre les pages 48 et 49 de l'excellent ouvrage de J. Laborde, au milieu d'un cahier de photos (sur la troisième page, en haut et à droite). Elle est ainsi légendée : "Face au commissaire Sébeille, Gaston Dominici offre à celui-ci (sic) l'image du citoyen attaché à ses devoirs, etc. ". Sébeille tire sur son éternel fume-cigarettes, Gaston paraît fort soucieux, on se demande bien pourquoi, puisqu'il semble s'agir d'une aimable conversation de salon (de jardin). Cependant, si l'on observe la photo avec attention, on distingue un pied, à gauche, au bas de la photo. On comprend dès lors que pour mieux exprimer une charge émotionnelle, on a recadré la photo sur les deux "adversaires".
La photo originelle (ci-dessous, à gauche) avait paru dans Le Provençal du samedi 16 août 1952, donc prise moins de quinze jours après le triple crime. On y remarque que deux inspecteurs occupent autant de place que le couple Sébeille-Gaston, et qu'ils écrivent à l'aide d'une machine portative : car Sébeille n'est pas venu boire le coup avec Gaston, il lui fait subir un interrogatoire en bonne et due forme. D'où l'air inquiet du vieux sanglier, que la photo tronquée présentée dans le Laborde ne permet absolument pas de comprendre. [On notera en souriant que le même cliché, légendé "Sébeille et ses inspecteurs" a été publié, sans indication de provenance, le lundi 16 novembre 1953, par le quotidien communiste rival du Provençal, La Marseillaise, aux fins d'illustration d'un article intitulé "Le triomphe d'une équipe"]. Mais il existe (au moins) une autre photo de l'interrogatoire, prise vraisemblablement à la fin de l'épreuve. Elle a été publiée dans la livraison du mardi 19 août de Nice-Matin : on voit beaucoup mieux la machine à écrire - dont Sébeille, qui semble sourire, retire la feuille imprimée ; Gaston aussi apparaît détendu, et derrière lui se tient une femme, vraisemblablement sa fille aînée.

 

 

 

 

 

D'ailleurs, suis-je moi-même, à la suite de mes "sources", à l'abri de toute "manipulation" ? Eh bien non ! La preuve en est cette photo prise lors de la reconstitution, et dont je n'ai présenté que la moitié gauche (dans la partie précédente de "Questions et controverses"). Voici tout de même la photo non recadrée (photo Détective, parue dans le n° 386 - 23 novembre 1953 - de ce magazine - l'événement ayant eu lieu, rappelons-le, le 16). Outre les quatre personnages déjà repérés (Sébeille, Périès, un photographe, Gaston) on en distingue désormais deux autres : celui qui "figure" la petite Élisabeth s'enfuyant (sauf erreur de ma part, l'inspecteur Amédée), et un gendarme, présent à cet endroit pour assurer le service d'ordre).

 

 

2. Un demi-siècle de manipulations par les petites phrases...

 

À de nombreuses reprises, divers révisionnistes ont laissé entendre que le commissaire Sébeille (ou l'un de ses inspecteurs) aurait, avec insistance, demandé à Gustave d'accuser son père, car - aurait-il ajouté -  : "toi, ce sera la guillotine, ton père la prison". On peut évidemment, quand le scrupule ne vous étouffe pas, prêter n'importe quel propos à n'importe qui. Mais dans le cas présent, une telle réaction ne "colle" pas au professionnel qu'était Sébeille. En effet, le policier ne pouvait ignorer que vingt ans auparavant, un certain Dr Sarret, convaincu d'un triple crime (il avait fait disparaître ses victimes dans de l'acide sulfurique) fut condamné à mort et exécuté : il avait 73 ans. Pour rares que fussent les exécutions capitales à un âge aussi avancé, elles n'étaient donc pas impensables. Le propos appuyé mis dans la bouche de Sébeille en perd toute plausibilité.
D'autres, peut-être mieux informés, ont placé ces paroles insupportables dans la bouche de Clovis, conseillant son frère cadet. Clovis nia avec la dernière énergie. Jusqu'au facteur Francis Perrin (l'oncle de Roger), qui prétendait, début août 1955, avoir recueilli des termes identiques de la propre bouche de... Gustave(3) !

Dans le même ordre d'idées, W. Reymond avance que le juge Périès aurait dit à Alain Dominici (au cours d'une rencontre située en 1992) : "Toute la France sait que ton grand-père est innocent" (W. R., p.225). Quand on est à court d'arguments, il est évidemment commode de faire parler les morts(4). Surtout celui-là, qui avait confié que pour lui, la tentative de suicide de Gaston (durant la reconstitution du 16 novembre 1953) était une manière d'aveu de culpabilité ! Mais il y a plus. Si Périès avait cru (sur le tard) Dominici innocent, imagine-t-on vraiment qu'il aurait accepté de préfacer, à la même époque, un petit opuscule écrit par son "ami" Jean Teyssier (en 1952, correspondant occasionnel de La Marseillaise) ? De préfacer un ouvrage qui affirme clairement la culpabilité de Gaston, et d'écrire : [Teyssier relate] "les abominables et barbares forfaits qui depuis un demi-siècle ont ensanglanté ma terre d'adoption"(5) ? Oui, à qui le fera-t-on croire ? Aurait-il accepté, juge vieilli et à la retraite, de se laisser prendre en photo, pour illustrer l'ouvrage de Teyssier, à l'endroit même où il empêcha Dominici de se suicider ? Poser ces questions, c'est y répondre !

 

3. Quand Roger-Louis n'est plus là, les falsificateurs dansent...

 

Rappelons ici que Lachat, le grand reporter du Dauphiné, avait été désigné, par ses confrères, comme leur représentant permanent auprès des autorités ayant à démêler les tenants et les aboutissants de la tuerie. C'est peut-être une référence, non ? On trouvera par ailleurs ses commentaires sur l'Affaire qui nous occupe. Je rappelle qu'il s'était étranglé de colère, dans l'un de ses derniers articles, publié au lendemain de la projection, dans le cadre de l'ancienne émission "Dossiers de l'écran", du film "l'Affaire Dominici" ("L'affaire... prend un ton romanesque qui soulève l'indignation de ceux qui ont vécu pas à pas le déroulement de ce drame que certains persistent à croire mystérieux" - Le Dauphiné libéré, du 12 septembre 1980). Je suis personnellement consterné de devoir constater qu'à peine disparu, il a vu son stylo emprunté par de tels olibrius, qu'il a dû se retourner, de honte, plusieurs fois dans sa tombe, tant à cause des énormités proférées, que des providentielles omissions : pour n'en citer qu'une, pourquoi clamer ubi et orbi que Gaston a rétracté par sept fois ses aveux, si on ne mentionne pas qu'il ne s'est jamais rétracté en présence du commissaire Sébeille ?

L'article le plus stupéfiant, le plus incroyable, signé par un certain Jean-Pierre Petit (ne me dites pas que c'est l'auteur des Aventures d'Anselme Lanturlu, publiées chez Belin !) a été commis dans le Dauphiné du 28 novembre 1994, sous le titre "Le dernier combat des Dominici". Chef d'œuvre de dissimulation et de mauvaise foi ! On y lit par exemple "Gustave a été condamné à deux mois de prison avec sursis, avant de bénéficier un peu plus tard d'un non-lieu". C'est tout simplement un mensonge. Incarcéré le jeudi 16 octobre 1952, le Tave a vu, début novembre, sa demande de mise de mise en liberté provisoire rejetée par la Chambre des mises en accusation (il aurait déclaré, à l'annonce de ce rejet, "je paie toujours pour les autres") ; il comparaît devant le Tribunal de Digne le 15 novembre 1952. La sentence tombe le 20 : il est condamné, pour non-assistance à personne en péril, à deux mois de prison. Il décide alors, sur les conseils de ses avocats, de faire appel. Le verdict de la cour d'Appel d'Aix (rendu alors que Gustave a fini de purger sa peine) confirme, avec des attendus particulièrement sévères (le procureur général Lapuyade avait réclamé une aggravation de la sanction), le jugement de première instance (et condamne Gustave aux dépens, soit la somme de 5 053 francs de l'époque). Il est donc parfaitement fallacieux de parler, un demi-siècle après les faits, de non-lieu !

Le même article donne complaisamment la parole à l'ancien condamné pour non-assistance à personne en péril : "ils m'ont mis un pétard sur la table, tu n'as qu'à te tirer une balle dans la tête, comme ça on n'en parlera plus". Voilà ce qu'on est obligé de lire sans sourciller ! De la part d'un personnage ainsi dépeint par son ancien avocat, devenu avocat de son père (Me Pollak) : "la boue des Dominici, c'est Gustave-le-Lâche… c'est l'homme abject du mystère de Lurs, le sanglant dépositaire des secrets de la Grand'Terre". Voilà à quel édifiant personnage on ouvre ses colonnes. Pauvre grand Lachat, qu'ont-ils fait de ton enquête, les mesquins ?

Enfin, J-P. Petit affirme : "Rien ne prouve que la Rock-Ola ait appartenu aux Dominici". Rien, en effet. Pas même cette affirmation d'un journaliste communiste, Lucien Grimaud (1909-1993), dans le journal communiste La Marseillaise (15 novembre 1953) : "Il est établi de façon indiscutable que l'arme du crime appartenait au vieux fermier". Et je ne fais même pas appel au témoignage du Dr Morin, si développé lors de la contre-enquête. Mais justement, à propos de cette dernière, Petit la sollicite, écrivant qu'elle "recensa plusieurs centaines de points négligés par la première enquête". Plusieurs centaines ? Pourquoi pas plusieurs milliers, tant qu'on y est ? Mais là où ce journaleux montre qu'il biaise sciemment l'information qu'il délivre à ses lecteurs, c'est qu'il s'arrête en si bon chemin. Car pourquoi n'avoir pas détaillé les conclusions de la contre-enquête du commissaire Chenevier, en citant précisément celui-ci ? Parce que citer Chenevier, c'est malheureusement devoir rappeler l'indicible mépris qu'il nourrissait à l'égard de Gustave. C'est aussi devoir rappeler ce qu'il a écrit, lors de "l'élargissement" de Gaston : "Il y a désormais deux assassins en liberté" (De la Combe aux Fées à Lurs, p. 230). Et vous voyez, je pense, qui étaient ces deux assassins, selon lui ?

Mais un autre journaliste, Robert des Nauriers (c'est un pseudonyme), méritera notre attention : dans Le Figaro daté du mardi 4 août 1992, il publie un article relativement honnête, et assez correctement documenté. Cependant, in fine, faisant allusion au doute qu'ont entraîné les conclusions du commissaire Chenevier (encore lui), des Nauriers ne dit absolument rien de ces conclusions. Par conséquent, il a trop parlé, ou pas assez. En tout état de cause, il y a une certaine indélicatesse à celer les conclusions auxquelles le sous-Directeur de la Sûreté nationale avait cru pouvoir aboutir. Il eût fallu les rapporter objectivement, éventuellement pour les contester ensuite, car les commentaires sont libres, si les faits sont sacrés. Bref.
Mais cet article recèle une grossière erreur, ou plutôt une contre-vérité évidente. On lit en effet, avec stupéfaction : "Gaston a combattu l'occupant allemand les armes à la main". C'est d'abord vouloir faire de la région de Lurs un haut lieu de la Résistance, à l'instar du site du Mont Mouchet, ou encore du plateau du Vercors (entre autres lieux où s'afficha l'héroïsme de quelques-uns). Mais cela n'a jamais été : le débarquement allié en Provence eut lieu le 16 août 1944 ; le 19 août, les escouades américaines d'avant-garde, s'enfonçant comme dans du beurre, libéraient Forcalquier, Digne, et aussi Sisteron ; le 22, elles entraient dans Grenoble (et dire que les plans des Alliés prévoyaient l'arrivée à Grenoble à J + 90 !)...
Par ailleurs, on se souviendra de ce fragment de dialogue, lors de "l'interrogatoire de personnalité" de l'accusé Dominici, par le président Bousquet (Digne, jeudi 18 novembre 1954) :

- "Vous avez donc été réformé en 1906, puis en 1914, pour mauvaise dentition ?
- Ouei. Et aussi, Monsieur le Président, parce que je suis été père de neuf petits
"(6).

 

À qui fera-t-on croire que Gaston, écarté de la guerre de 14, s'était "engagé" en 1944 ? D'ailleurs, aucune personne de bonne foi ne songe à exiger de lui un brevet de résistant. D'autant que plus d'un témoignage parle de son propre fils Gustave comme d'un résistant de dernière heure, voire de son "passage tardif au maquis, en 1945" (Le Provençal, 14 octobre 1955) !

Comme si cela ne suffisait pas, deux années plus tard, le même journaliste donnait un long article (14 août 1994) au même Figaro. Sous le titre "L'ultime rebondissement" (hélas ! S'il avait, au moins, pu être bon prophète !), il commente abondamment la requête déposée par Gustave (après l'échec de celle déposée par son fils Alain). À cette occasion, il donne longuement la parole à Me Collard, nouvel avocat de la famille ("avocat à la cour, à la télé, à la radio, et sur tout support connu ou inconnu à ce jour", selon le féroce mot des Guignols de l'Info - émission du 10 décembre 1998) qui accuse pêle-mêle, avec une mauvaise foi confondante, "la détérioration des indices matériels par la Gendarmerie", ainsi que la "politisation abusive" (mais qui l'a voulue, cette politisation ?), le "narcissisme des enquêteurs" (le cher Maître s'est-il regardé dans une glace ?). Enfin, suprême rouerie, il assène : "comme l'on sait, la conduite de Gaston sous l'Occupation fut admirable" !
Eh bien, justement on ne le sait pas, et pour cause ! Voilà comment on est passé, en deux années, de l'imaginaire "combat contre l'occupant" à la "conduite admirable". Et il n'y a personne pour répondre ! Et Collard de conclure, admirablement (pour utiliser ses termes)  : "il faut que la justice apprenne à revenir sur les lieux de son crime". Que le cher Maître raconte ce qu'il veut, c'est son droit (encore que). Mais que le journaliste se contente de transcrire des propos d'une stupéfiante infidélité aux simples faits, alors il devient malhonnête à son tour, s'il est correctement informé. Cette complaisance sans aucun esprit critique n'est pas très éloignée de la collusion. Ah ! que n'a-t-il nourri la riche idée, au préalable, de s'alimenter aux sources de son grand ancien, Pierre Scize !

4. Manipulations : du commentaire à l'image...

Les pauvres trucages des révisionnistes, à quoi TF1 s'apprête (et ce sera un nouveau mauvais coup porté d'abord aux victimes de la triple tuerie) à redonner du lustre, à travers une audience dont on sait à quel point elle est colossale (en gros, la moitié de ce qu'on nomme joliment les "parts de marché" : TF1 a autant d'audience que toutes les autres chaînes réunies), pourraient laisser indifférents, s'ils se contentaient d'être des bouffonneries orchestrées par les campagnes d'une presse servile (TF1 tirant de l'oubli les anciennes thèses communistes, il faut se pincer pour s'assurer qu'on ne rêve pas) sur des "cascades de prétendues révélations" (Lachat). Mais naturellement, ils n'en restent pas là. Faute de pouvoir déboulonner l'implacable argumentaire des enquêteurs, on s'attaque donc à leurs personnes, ou on les ignore. L'immonde bête de Brecht est malheureusement à deux têtes : il y a le fascisme brun, trop connu ; mais derrière, tente de se dissimuler le fascisme rouge.

Reymond, qui cherche à discréditer systématiquement les arguments de ceux qui ne pensent pas comme lui (encore est-ce lui faire beaucoup d'honneur, que de supposer qu'il pense), en conduisant de multiples attaques ad hominem - par exemple en accusant tel journaliste d'appartenir "à la droite, parfois extrême", sait aussi emprunter de jolis raccourcis, croyant ainsi abaisser plus grand (et sans peine) que lui. Et dire que le Directeur de l'antenne de TF1, Étienne Mougeotte, croit devoir en rajouter une couche en affirmant sans rire (de quoi je me mêle !) que "la thèse de Reymond est très étayée" (in Monde Télévision du 5 avril 2003). J'ai démonté par ailleurs une partie de ses subterfuges. Je tiens ici à revenir sur ce triste penchant.
Ainsi, lit-on page 268 de son haineux libelle : "alors que le juge Périès vient de signifier la mise en accusation de Gaston, Paul Maillet, présent sur les lieux, et le commissaire Sébeille, tombent dans les bras l'un de l'autre... et se font la bise (il ajoute en note : la scène est d'autant plus gênante pour le Commissaire qu'elle se déroule sous les flashes des photographes)". Bien. On comprend ainsi qu'il met en scène la collusion, pour sa thèse évidente, de ces deux "poisseux" personnages (le flic et l'indic). Il aurait pu d'ailleurs ajouter que cette péripétie a eu pour témoins deux cents personnes (environ), dont cent journalistes (car, on l'a compris, elle s'est déroulée à la fin de la reconstitution de mi-novembre 1953). Journalistes qui firent de l'incident une autre relation que notre "premier policier de France", mais passons. Observons plutôt la photo suivante :

 

 

 

Elle est ainsi légendée (Détective n° 386 du 23 novembre 1953, p. 6) : "Le commissaire divisionnaire Harzic (à gauche) et le commissaire principal Constant félicitent le commissaire Edmond Sébeille (de dos). A droite, M. Paul Maillet". On sait que le truculent Paul Maillet n'était pas étouffé par la timidité : il s'immisçait partout, était à l'aise partout, dans le prétoire, interviewé par Orson Welles, ou encore assistant à la fameuse reconstitution. Il se trouvait donc près des policiers responsables de l'enquête, au moment des accolades. Il a seulement participé, avec son culot ou sa naïveté, comme vous voudrez, à la distribution. Il m'étonnerait qu'à cet instant de particulière émotion (pour lui), Sébeille ait songé au caractère incongru que pouvait constituer le fait de se laisser "faire la bise" par un témoin. Voilà toute l'affaire. À vous de juger, comme dit l'autre... [Paul Maillet, certes, n'avait rien à faire à cet endroit - mais il y avait tant d'autres curieux ! Il explique le fait ainsi : "quand il m'a vu, Sébeille m'a dit, mais qu'est-ce que vous foutez ici ? - Je suis venu vous avertir de bien surveiller le Vieux, car s'il est coupable, vous pouvez être certain qu'il va essayer de se suicider. Ce qui n'a pas manqué, commente l'ancien cheminot].

 

5. Manipulations : réduire au silence

 

Il ne fait pas de doute qu'on doit nommer manipulation le fait de n'entendre à l'envi que les thèses révisionnistes, sans aucune contrepartie. Et sur tous les médias. Nous ne vivons pourtant pas, que diable, sous un régime de type fascisant ! Comment le public, déjà si volontiers passif, pourrait-il se forger une opinion personnelle ? Un exemple frappant de cette réduction au silence nous a récemment été offert par le comportement de nombre de journalistes lors de la publication de l'ouvrage de Reymond. Alors que, rappelons-le, la presse et les journalistes se prétendent libres - ce qui est un fait considérablement aggravant.

La presse a donc fait grand cas de la parution, en 1997, du pitoyable et nauséabond factum de Reymond. À cette occasion d'ailleurs, "Théo" (JM Théolleyre) du Monde a donné une nouvelle fois la mesure de ses stupéfiants retournements de veste ce qui, avec les louvoiements qu'il a négociés durant l'enquête et le procès, suffisent à le disqualifier à jamais : il n'a pas satisfait, à mes yeux du moins, à l'élémentaire honnêteté intellectuelle. Rendant compte, dans Le Monde du 23 janvier 1997, de l'ouvrage de Reymond, il écrit en effet, sans aller, tout de même, jusqu'à l'approbation totale, mais avec beaucoup de sympathie : "il ne faut pas demander à M. Reymond les vertus de l'historien ni la distance de l'observateur". Mais que doit-on, alors, exiger de lui ? Aucun esprit critique n'imprègne ce compte-rendu : il met sur le compte de la "passion" l'ignoble mise en cause du Commissaire (mais aussi des Chenevier et autres Gillard), qu'il qualifie pudiquement de "frémissements polémiques" ; c'est, tout bonnement, lamentable(7).

Naturellement, le dénommé Petit n'a pas été en reste, dans le Dauphiné (du 23 janvier 1997) : "l'argumentation du jeune journaliste-historien, constamment étayée par des sources documentaires… possède une cohérence qui ne pourra que troubler le lecteur". Pitoyable !

Pour citer un autre exemple, La Croix (1er mars 1997) a consacré deux pleines pages à cet ouvrage (c'est assez dire qu'on a allongé la sauce). Là encore, assez de sympathie, après un "certes, l'auteur manie davantage le pamphlet que l'ouvrage historique". Rien, par exemple, sur les insupportables accusations lancées par l'auteur. Tout cela peut se résumer d'un mot : c'est de la pure malhonnêteté en action.

Mais il y a plus : au même moment que la parution de "Les assassins retrouvés...", des éditions sans grands moyens financiers(8) ont publié une "brochure" (selon le mot de La Croix) consacrée à la même affaire. Certes, contrairement à la plupart des autres médias (qui ont passé le fait sous silence) la Croix, au moins, a consacré un court entrefilet à cet ouvrage collectif ; un tout petit encadré, inséré au milieu des deux pleines pages auxquelles je viens de faire allusion. C'est évidemment mieux que rien, mieux que d'avoir escamoté complètement cette parution, comme la quasi-totalité des autres médias. Mais posons la question : est-il honnête de consacrer toute une double page à un scribouillard "free-lance" (certes dopé par une maison d'édition à la politique de promotion dynamique sinon agressive) et de signaler en trois lignes la parution, à la même époque, d'un ouvrage collectif (faisant calmement le tour des thèses et des antithèses) auquel avait participé le juge de la seconde instruction, ce qui n'est tout de même pas rien ? Est-ce parce que les défuntes éditions de Provence n'avaient pas les moyens financiers, ni sans doute les "appuis" des éditions Flammarion, dont le "battage médiatique" à la sortie de la compilation de Reymond a été signalé ici ou là ? Qu'on nous permette en tout cas une incidente concernant ce quotidien catholique qui prétend, avec un brin de superbe, proposer chaque jour une information honnête, décryptée et engagée. Une information qui sépare l’essentiel de l’accessoire pour donner des nouvelles qui ont du sens. Une information qui assume ses choix, qui prend parti pour la dignité de tout homme, pour le dialogue et le débat. Une information qui résiste à l’emballement médiatique. L'exemple que nous venons de donner montre que La Croix est bien loin du compte...

Quoi qu'il en soit, le citoyen désireux de s'informer de façon contradictoire sur cette affaire Dominici, que des personnes intéressées ont compliquée à loisir, et dont les journaux reparlent régulièrement, ne peut absolument pas faire aboutir sa quête : la fameuse "brochure" (Dominici, de l'accident aux agents secrets), qui n'est même pas répertoriée à la TGB de Tolbiac (ce qui est un comble et une honte - note du 8 juillet 04 : un lecteur me signale que la brochure, rééditée par Cheminements, figure désormais à la TGB), est épuisée et, pour l'instant, absolument introuvable.
Et on peut désormais comprendre pourquoi le regretté juge Carrias a décidé, pour lui conférer une audience correcte, de mettre en ligne sa contribution personnelle à la brochure collective [en revanche, on pourra noter que le quotidien "La Provence", dans son édition du 6 août 1997, donne la parole au juge Carrias, et traite les deux ouvrages à peu près de la même façon].

 

6. Un complot ?

 

Il ne s'agit naturellement pas du "complot" fantasmé par Reymond (Sébeille, Chenevier, Périès et consorts obéissant à la raison d'État)...
Le terme n'est pas exagéré, si l'on considère l'acharnement des révisionnistes à travestir la vérité, à salir ceux qui l'ont, au prix d'une ténacité exemplaire, lentement fait émerger. Il nous paraît incontestable que nous sommes en présence, sinon d'un complot, du moins des remugles d'un passé, pas si lointain qu'il y paraît. Il n'est pas inopportun de rappeler ici que le Parti communiste, si puissant à la Libération (les violentes grèves d'août 1953, par exemple, fomentées par la CGT, et reproduisant celles de 1947, seraient absolument impensables au jour d'aujourd'hui), entreprit dès 1946 de noyauter toutes les administrations (police comprise) - noyautage dont les conséquences se font sentir jusqu'à nos jours, quand bien même l'influence électorale de ce mouvement est réduite à néant, ou peu s'en faut. Ce n'est pas insulter les membres de ce Parti que de rappeler ici qu'au moment même où éclata l'Affaire de Lurs, un vaste effort de remise en ordre était conduit à travers le pays - et qu'il ne s'agissait nullement, en dépit des cris d'orfraie poussés par les intéressés, d'une quelconque chasse aux sorcières, mais d'un souci de rétablir un État impartial (autant que faire se peut). Il n'est pas inopportun de rappeler, entre autres exemples, qu'à la mi-août 1952, onze policiers toulonnais furent déplacés ou "neutralisés", ou encore que le propre fils de Maurice Thorez, instituteur, fut écroué à la Santé (le 22 août) pour atteinte à la sûreté intérieure de l'État. Je veux seulement signifier par là que la puissance souterraine des staliniens a pu tirer de nombreux fils, sans occuper le devant de la scène. Il est par exemple troublant de songer que le vol d'électricité (certes péché véniel), dont s'était rendu coupable l'ancien secrétaire de cellule du Parti communiste, n'a jamais été rappelé ultérieurement ; et cependant, il eût été facile, pour les avocats de Gaston - tous membres, il est vrai, ou à tout le moins sympathisants, du P. C. - de désarçonner Paul Maillet durant sa déposition, pour tenter d'en affaiblir la portée. C'eût été, en quelque sorte, de bonne guerre. Mais non, le fait n'a plus refait surface : parce qu'il s'agissait d'une attitude courante ?

De même, il paraît étrange que le "mur du silence", à l'origine dressé en guise de barrage par les militants du P. C. pour faire écran devant la Grand'Terre, n'ait pas été plus explicitement dénoncé(9). Ce mur du silence dressé puis encouragé par le P.C.F., sur lequel ironisait, à bon compte, le quotidien communiste La Marseillaise (du 10 octobre 1952), rappelant que l'expression avait été inventée par un hebdomadaire parisien. À lire la presse de l'époque, on n'éprouve nullement l'impression qu'il s'était agi d'une fiction créée de toutes pièces par des anti-communistes primaires. Et cependant, le commissaire principal Constant évoquera, durant sa déposition (20 novembre 54), ce mur comme étant une "pure plaisanterie". Quant à Sébeille, interrogé sur le même fait (22 novembre 1954), il estimera, quant à lui, que l'ambiance hostile dans laquelle il avait évolué était née, d'une part, du fait que les journalistes suivaient partout les enquêteurs, et d'autre part d'une peur des représailles (mais de la part de qui ?) ressentie par ceux qui auraient eu des choses à dire (10). Bref, ce point pourtant capital - des obstacles sciemment dressés devant l'action de la Justice - passa, lui aussi, par pertes et profits.

Enfin, puisque Reymond se gausse du sort réservé à Sébeille, il convient de rappeler le devenir de ceux qui se sont occupés de cette affaire. Sébeille d'abord, soutenu du bout des lèvres par ses supérieurs, puis carrément lâché par eux, mais "récupéré" au dernier moment, lors de son "triomphe" de novembre 1953. Puis oublié et relégué dans un obscur Commissariat de quartier. Fernand Constant ensuite, qui abandonna peu après, autant que je le sache, la police "active", pour se consacrer à l'enseignement, et finit lui aussi dans l'oubli. Dans l'oubli, comme Chenevier lui-même, beaucoup plus élevé dans la hiérarchie policière que les deux précédents. Et dont l'enquête aboutit, en gros, à corroborer la précédente : "L'assassin [...] est incontestablement de la Grand'Terre". Il ne semble pas avoir fait, avant son départ en retraite, l'objet de quelque promotion que ce soit. Avaient-ils, les uns et les autres, déplu ? Et à qui ? S'ils avaient déplu, ce n'est certainement pas en essayant de dissimuler le prétendu secret d'État que Reymond invente de toutes pièces, et contre toute vraisemblance ! Il y eut donc peut-être, quelque part, un chef d'orchestre souterrain qui se prit à nourrir, à l'encontre de ces hommes de bonne volonté, qui n'avaient pas su "aller chercher ailleurs", une haine inextinguible.

Mais non, cela est inexact et cessons d'écouter puis de copier les balivernes des complotistes : la réalité, comme souvent, est infiniment plus simple - terre à terre. De longue date, les Autorités policières et plus encore les Magistrats locaux se plaignaient de l'état d'indolence du SRPJ marseillais, et pointaient du doigt la responsabilité de son chef, Harzic. Or, les carences constatées, la "torpeur de la brigade de police judiciaire", peu encline à s'attaquer de front à la criminalité qui se développait, n'étaient plus de mise : il était devenu nécessaire de frapper un grand coup, de donner plus exactement un coup de balai. C'est en août 1958 que les décisions furent prises. Ainsi le chef de service (Harzig) fut-il muté à Paris, malgré ses protestations, car, à un an de sa retraite, il considérait (sans doute à juste titre) sa mutation comme une sanction. Il fut aussitôt remplacé par le commissaire Camard.
Comme il était normal, Constant et Sébeille (et leurs collègues), depuis si longtemps affectés au SRPJ de Marseille, devaient aussi envisager leur mutation.
Or, ni l'un ni l'autre ne voulurent quitter la région. Certes les postes offerts - Bordeaux, Limoges, Toulouse, Strasbourg et Lille - n'avaient pas de quoi enchanter nos Provençaux. Cependant, le commissaire Malaterre accepta sa mutation pour Toulouse, et le commissaire Col son départ pour Limoges - lui n'était en poste que depuis huit années, mais il était subordonné à Constant à qui l'opposait une incompatibilité d'humeur.

Restaient donc Constant et Sébeille. Sauf erreur, on proposa à Constant, qui était depuis 13 ans à Marseille, le poste de Commissaire divisionnaire, chef du service de Nice (ou à Montpellier - où Sébeille avait débuté, en 1930). Il déclina la proposition car, disaient les mauvaises langues, il était trop préoccupé par la propriété familiale, dont il s'occupait de près, - aujourd'hui tenue par son fils et ses petits-enfants (et dans laquelle, sauf erreur encore, le juge Carrias conduisit les fameuses confrontations entre le Tave et Constant/Sébeille). Il refusa donc, préférant alors terminer sa carrière à Marseille, comme substitut du Procureur de la République, remplissant ainsi les fonctions du ministère public au sein du Tribunal de police.
Ne restait plus que le cas Sébeille, depuis 45 à Marseille. C'était, selon l'appréciation de ses chefs, "un très bon fonctionnaire, connaissant à fond la police judiciaire et obtenant d'excellents résultats". C'était aussi un homme qui, de plus, avait été un authentique et discret résistant, comme agent de liaison du Front national (celui de la Résistance, pas celui d'aujourd'hui). Un policier qui avait reçu (avec Ranchin et Culioli) les plus vives félicitations officielles de la part d'Air-France, après avoir fait montre d'un dévouement exemplaire lors du crash (42 morts) du Paris-Saïgon, le 1er septembre 53 (il ne faisait pas que plancher sur la Grand'Terre !). Mais son ancienneté comme Commissaire était relativement médiocre. Aussi, et ce ne fut pas une sanction, il ne pouvait que prétendre à la direction d'un commissariat de quartier. Ce qu'il fit. Et en définitive, ni Constant, ni lui, ne quittèrent Marseille !

Tout cela est bien sombre, bien triste, bien nauséeux. Et pourtant, pour revenir à notre point de départ, c'est-à-dire la "fiction" (quel beau mot ! Et qui dit tout !) que TF1 est en train de mettre en boîte, une petite lueur, inattendue, est apparue. Dans le texte (Le Figaro-TV) que je citais. Il s'agit d'une réaction de Michel Blanc, l'acteur qui, justement, incarne Sébeille. Les déclarations de Michel Blanc (vous souvenez-vous de son Monsieur Hire ?) tranchent singulièrement, par leur souci de la mesure et de l'honnêteté intellectuelle, avec les outrances des autres personnes interrogées (le petit-fils de Gaston Dominici, qui n'hésitait pas à proclamer, en 1994 - Dauphiné libéré du 20 août :  "nous irons en Cour européenne, s'il le faut", avance maintenant qu'il est en droit de demander réparation !) : ainsi, cet acteur n'annonce-t-il pas qu'il a "beaucoup lu" sur cette affaire (je serais personnellement assez curieux de savoir ce qu'il a lu, puisque tout est épuisé et inaccessible), et qu'il a "bien aimé" le texte que le juge Carrias a mis en ligne ? Une fleur bleue sur un océan de mauvaise foi.

Tout n'est peut-être pas parfaitement clair dans cette tragédie. Mais jamais, je dis bien jamais, on ne pourra retourner en deçà de ce qu'écrivit de façon solennelle, et en manière de mea culpa, le journaliste communiste que La Marseillaise avait envoyé suivre le procès : "Oui, avec Me Pollak, nous admettons - et là, les preuves existent - qu'il ne faut pas aller chercher ailleurs que dans la famille Dominici. Mais nous aurions voulu savoir le rôle de chacun des membres de cette famille, - de cette cohorte, comme disait Me Charrier - divisée en deux clans dont la haine [de l'un] n'a d'égale que la haine de l'autre".

 

 

Notes

(1) J.-P. Ollivier, Le massacre de Lurs, janvier 1953, p. 122.
(2) Les P.J. de Nice/Marseille mirent le paquet pour retrouver l'assassin de l'un des leurs, qui plus est chef de la 18e brigade mobile à Nice (en réalité, la résolution de l'affaire fut surtout le fait d'un brillant policier, l'inspecteur Fernand Constant, dont le nom ne nous est pas inconnu !). Elles aboutirent à découvrir que le commanditaire de l'assassinat du Commissaire n'était autre que... l'un de ses anciens subordonnés (Inspecteur de police de 28 ans au moment des faits), un certain Guy Lamontre, membre zélé du parti communiste et, disait-on, ancien membre du maquis rouge de Lurs (Sigonce). Lamontre fut condamné par les Assises des Basses-Alpes à cinq ans de détention en septembre 1951 (pour établir une comparaison, on rappellera que juste avant l'Affaire de Lurs, vint, en novembre 1954, devant la cour d'assises des Basses-Alpes, une affaire d'inceste : l'agriculteur incriminé, qui s'était servi de sa fille de dix-huit ans, écopa de dix années de détention). Mais Lamontre refusa toujours de donner le nom des tueurs. Il se murmurait à l'époque, évidemment sans preuves, que Gustave faisait partie du commando. On imagine en tout cas les complicités de tous ordres qui ont permis ce forfait - en particulier au sein des PTT d'alors.
Petite remarque adjacente : on n'accordera, jusqu'à plus ample informé, que peu de crédit à la radiesthésie. Et pourtant, il faut rapporter que début octobre 1952, un radiesthésiste ayant 'travaillé' sur une photo de la carabine (!) affirma qu'elle provenait du château de Paillerol (entendez : qu'elle avait servi dans la perpétration du massacre) ; le même indiqua que l'assassin se trouvait dans un cercle de 1 640 (!) mètres autour du point où fut retrouvée l'arme ; et qu'il se déplaçait, à l'intérieur de ce cercle, sans se cacher, et vaquant à ses occupations... Troublant...
(3) Pour couper définitivement le coup à ce "canard", qui vient de loin on va le voir, le président Bousquet demanda en pleine audience à Me Pollak s'il était à l'origine du bruit "les policiers m'ont dit toi on ne te fera rien, à Gustave on lui coupera la tête". Avec véhémence, l'avocat protesta que non (16 novembre 1954, après-midi).
(4) Le juge Roger Périès est décédé à Marseille, le 3 juin 1994 - il avait 78 ans.
(5)In Jean Teyssier, Affaires criminelles en Haute-Provence, du crime de Valensole à l'Affaire Dominici, éditions Cheminements, rue Raveil, La Motte d'Aigues, 1993, 191 pages.
(6) Ce qui n'est pas rigoureusement exact. En 1906, Gaston et Marie n'avaient eu que deux "petits". En 1914, six.
(7) Mais, une fois n'est pas coutume, on lui pardonnera. Le titre de la notice nécrologique que Le Monde a publiée au décès du commissaire Sébeille (non signée, mais on peut raisonnablement l'attribuer à "Théo") fait allusion à Sébeille, "L'Hercule Poirot de l'affaire Dominici". La notice parle d'un "policier de qualité". Pour qui connaît un peu l'œuvre d'Agatha Christie, c'est un sacré (si bien tardif) hommage.
(8) Éditions de Provence, 04510, Malmoisson.
(9) Sous la signature de P. Drouin, Le Monde du 5 septembre 1952 écrivait : "Depuis qu'on a retiré l'arme du crime de la Durance, rien n'est venu efficacement aider le travail des policiers. Ils semblent n'avoir aucune prise sur les hommes qu'ils questionnent. Des témoignages arrivent sur le tard, flous, timides. Dès le début, Gustave Dominici est apparu réticent, comme son père, sa femme, ses frères, son beau-père".
(10) Après avoir constaté, dans son rapport du 1er septembre 1952, que le 8 août, on comptait 74 journalistes de diverses nationalités, présents sur les lieux, le commissaire Harzic écrit :
"Avides de nouvelles, désireux de se concurrencer, ils [les journalistes] n'ont laissé aucun répit aux enquêteurs dont ils surveillaient les moindres mouvements. Ils ont obligé les policiers à user de stratagèmes pour leur échapper, absorbant ainsi une partie de leur attention.
Voulant connaître tous les témoignages, ils ont essayé de prévoir les intentions des enquêteurs pour les devancer, se livrant à de véritables enquêtes parallèles. Sans tact, sans discernement, ils interrogeaient à nouveau les témoins entendus, publiant leur identité et le détail de leurs propos, ce qui entre autres inconvénients, a permis au meurtrier d'être parfaitement renseigné sur la marche de l'enquête.
Cette activité pouvait initialement révéler de leur part un désir légitime d'information. Mais, rapidement, en l'absence de résultats sensationnels, ils se sont crus autorisés à intéresser leur public par des commentaires, par l'énoncé d'hypothèses plus ou moins fantaisistes, et ils ont créé de toutes pièces une controverse au sujet de Gustave Dominici. Jamais on n'avait assisté à un pareil déchaînement de la presse qui, non seulement a gêné l'enquête, mais a troublé les esprits.
Les enquêteurs, littéralement harcelés par les journalistes, étaient d'autre part en butte à une foule énorme de curieux qui, aujourd'hui encore, vont par centaines visiter l'emplacement de la tragédie, ce qui nécessite la mise en place d'un service d'ordre par les gendarmes.
Je vous ai déjà signalé la prise en tutelle du témoin principal Gustave Dominici par les dirigeants communistes locaux et leurs correspondants de presse. Ce qui a empêché les enquêteurs d'agir à leur aise, malgré leur souci de passer outre aux contingences extérieures.
Toute cette atmosphère a une conséquence que je tiens à souligner : les témoins ont de la répugnance à se faire connaître, certains qu'ils sont de voir donner à leur personne et à leurs déclarations une tapageuse publicité. Or, le crime a été commis dans un endroit presque désert, dans une contrée où la densité de population est très faible".