Compte-rendu ô combien savoureux d'un procès pour rire... et pour réfléchir.

 

L'affaire Dominici hante toujours les esprits et aussi les prétoires : Gaston était jugé, une nouvelle fois, à Versailles le 1er février 2013. L'évènement était organisé par une association d'étudiants de la fac de Droit, Juristribune, qui, chaque année, revisite une affaire criminelle connue.

L'institution judiciaire apporte son concours à cette manifestation en mettant à disposition une salle du Tribunal de Grande Instance de la ville.

Mais de quoi s'agissait-il, exactement ? De procéder à une fidèle reconstitution du procès de Digne ? Non, et on comprend bien pourquoi. Comment reconstituer, en un après-midi, un procès d'assises qui s'est tenu en réalité du 17 au 28 novembre 1954 ? C'est évidemment impossible. D'ailleurs, sur quelle documentation s'appuyaient les "acteurs" pour rejouer l'affaire ? Sur des recherches que certains d'entre eux avaient faites, notamment sur Internet. Dès lors, on frémissait en se disant que tout ceci risquait d'être un peu léger si on décidait de le comparer à la vérité historique.

Mais il faut dire que l'objet premier de cette entreprise est à visée pédagogique. Il s'agit de montrer à de jeunes étudiants en Droit comment se déroule, dans ses grandes lignes, un procès d'assises. En puisant des éléments dans une affaire réelle, en faisant revivre quelques personnages qui l'ont sillonnée mais aussi en s'autorisant à reconsidérer la décision rendue à l'époque. Non par un vote démagogique du public comme a pu le faire Robert Hossein, mais à la suite d'une délibération d'un jury estudiantin. Tout ceci avec la solennité et le décorum qui accompagnent ces grand-messes judiciaires même si intervenaient quelques brins de fantaisie dans le choix d'accessoires accompagnant les témoins : le béret de Faustin Roure, la casquette de Clovis, la pipe de Paul Maillet.

On en venait alors à penser que l'effet produit par cette aimable assemblée ne déborderait aucunement du petit cercle constitué par les quelques dizaines d'étudiants présents. Mais c'était sous-estimer l'attirance que constituent les médias pour tout un chacun, y compris pour le monde associatif. Et c'est ainsi qu'en début de séance s'agitaient quelques journalistes invités, équipés d'appareils photos et caméras, représentants d'organes de la presse écrite ou de l'information régionale. L'affaire Dominici exerce encore un fort pouvoir d'attraction.

Le public, quant à lui, était essentiellement constitué d'étudiants en Droit qui n'ont jamais eu la réputation d'être des casseurs. Et il est vrai que cette assemblée juvénile était sage, attentive. C'était réconfortant. Quelques "seniors" adoptaient une attitude tout aussi sereine. Quant aux acteurs du procès, il s'agissait d'étudiants volontaires. Seuls les rôles du Président de la cour d'assises, de l'Avocat général et de l'avocat de la défense étaient tenus par des "chargés de TD", enseignants vacataires. Les débats pouvaient être ouverts.

Nous savons bien, nous, que l'affaire Dominici est complexe, que la matière qui la constitue est dense. C'est pourquoi nous ne sommes plus surpris lorsque quelqu'un en parle et enfile les erreurs comme des perles. Ça n'a pas manqué d'être le cas, cette fois encore, même si les grandes lignes ont été respectées.

 

Une première surprise nous attendait avec l'exposition des pièces à conviction, au nombre de deux : on y voyait un pantalon en velours noir et ... un appareil photographique ! Pantalon en velours de Gaston qui séchait dans la cour de la Grand Terre le 5 août et qui, malheureusement, n'a jamais été saisi. Appareil photo des Drummond, ignoré des enquêteurs et magistrats à cette époque, devenu objet de l'attention de Chenevier durant sa contre-enquête et dont nous savons qu'il n'a jamais été retrouvé.

Le président exposait l'affaire, faisant état de la découverte de "deux balles [sic] non percutées". Il nous disait que Sébeille et son équipe étaient arrivés à 15h30 (enfin, un qui sait), que Gaston avait accusé ses fils (on n'a pas le souvenir qu'il ait accusé Clovis de meurtre), que Gustave s'était rétracté avant son père.

Gaston nous réservait aussi quelques surprises : il commençait par nous apprendre que les Anglais étaient bien venus lui demander de l'eau ! Il nous révélait qu'il "était sorti" durant la nuit du 4 au 5 août ; que le 4 au soir, il y avait eu une petite fête à la Grand Terre. Le président lui rappelait qu'il avait accusé son petit-fils (en réalité, Gaston a laissé entendre que son petit-fils pourrait avoir été "pour quelque chose" dans l'affaire mais ne l'a pas formellement mis en cause, à la différence de Gustave qu'il a bien accusé et à plusieurs reprises) et lui demandait de dire pour quelle raison il énonçait une telle accusation. Et Gaston de répondre que "ce sont ses semelles qui ont été vues" en haut du talus. Vous savez, les traces des fameuses semelles de crêpe ! Eh bien, voici un des mystères de l'affaire qui était ainsi élucidé, ce qui allait permettre de pointer du doigt le jeune Zézé ! Mais ce n'était pas fini : Gaston admettait qu'il était bien le propriétaire de la carabine ! Au moment de son procès ? La tête nous tournait un peu : au moment de son procès, Gaston ne savait plus rien, il était resté couché toute la nuit, avait entendu des coups de feu et n'avait pas quitté ses draps ! Quant à la carabine, il ne la connaissait pas ! Tout en laissant entendre qu'elle pouvait bien venir de la Serre, la maison de Roger Perrin.

Défilaient ensuite plusieurs témoins. Ils étaient bien pâlichons ces jeunes étudiants que l'on avait du mal à entendre, d'autant que le micro placé à la barre ne fonctionnait pas. Le brave Popaul nous étonnait avec une réponse inattendue. Le président lui demandait si Gustave était un menteur. Et Popaul de répondre que non ! Alors qu'ils s'étaient violemment opposés, à plusieurs reprises, au cours de confrontations. Yvette déclarait que les Anglais étaient bien venus chercher de l'eau et que Gustave s'était levé entre 01h30 et 01h45 ! Roger Perrin nous apprenait que les empreintes des semelles de crêpe étaient bien les siennes ! Ça tombait comme à Gravelotte !

Et tout cela sous serment ! Car le président, sans mollir, faisait jurer les membres de la famille de l'accusé ! On se souvient que ce point avait fait débat lors du vrai procès : les membres de la famille ne prêtent pas serment. Maître Pollak avait demandé qu'une exception soit faite pour cette fois. La Cour, après en avoir délibéré, avait rejeté la demande des avocats de Gaston, à la grande déception de l'accusé qui aurait bien voulu voir ça !

Venait le tour de Sébeille : alors lui, il se faisait "arranger" ! Le Président, l'avocat de la défense et l'Avocat général dans une moindre mesure, lui reprochaient une enquête bâclée. Le Président insistait lourdement pour blâmer la non-recherche de traces papillaires sur la carabine sortie de l'eau. Il est technicien de l'Identité Judiciaire, le Président ? Ne parlons pas du pantalon ! La lessive du 5 août éclaboussait le Commissaire. Mais, sur ce point, les reproches n'étaient pas infondés. Et puis, on demandait à Sébeille pourquoi il avait soupçonné Gaston. La seule réponse que l'on pouvait obtenir était que Gaston lui avait dit un jour : "L'Anglaise est tombée là. Elle n'a pas souffert". Tu parles d'une solide argumentation ! Heureusement que le vrai Sébeille avait d'autres biscuits dans sa besace pour se tourner vers les Dominici, Gustave en tête, avec le témoignage Ricard.

Le même Gustave qui avait accusé son père à plusieurs reprises, suivi un peu plus tard par l'autre fils, Clovis.

Venait le moment du réquisitoire et celui de la plaidoirie. L'Avocat général se montrait clair et percutant. Il commentait particulièrement l'actuel article 304 du Code de Procédure Pénale qui impose aux jurés d'accorder le bénéfice du doute à l'accusé, s'il y a doute. L'avocat de la défense se montrait plus emprunté mais, on s'en doute, insistait sur l'absence de preuves, sur le doute (à nouveau) qui ne pouvait être écarté.

La Cour se retirait, revenait après une vingtaine de minutes et, sans surprise, déclarait l'accusé non-coupable. Gaston était acquitté. J'avais parié sur ce résultat avec de jeunes étudiants, un moment avant.

C'était un après-midi sympathique, bon enfant, et il n'était pas inutile d'y être si l'on se veut un peu cohérent dans l'intérêt que l'on porte à ce dossier. Mais il ne fallait pas se faire de grandes illusions sur ce que l'on allait apprendre de la véritable affaire Dominici. On ne s'en était pas fait, on n'a donc pas été déçu.

 

Enfin si ! On a été déçu par un petit détail : Le Président de la cour d'assises et l'Avocat Général, fins connaisseurs d'art roman dans la belle région de Provence, nous ont parlé de "Ganajobie" ! Peut-être un petit air des Gipsy Kings, échappé d'Arles la Romaine, avait-il atteint Versailles pour trotter malicieusement dans leur tête.

 

 

Ajouts médias :

 

- Article Le Figaro-Etudiant.

- Article de L'Express-Actualités