II. Le téléfilm de Boutron-Reymond (octobre 2003)

 

 

fiction polémique

 

 

"L'ensemble de ce qu'on a appelé le cinéma politique répond exactement aux mêmes canons [moralisme-immoralisme] : il s'agit de prendre un événement réel, de le traduire dans un scénario qui ne soucie guère de la vérité historique, de séparer d'une manière radicale les bons des méchants et de présenter l'œuvre au public comme un acte 'courageux et de dénonciation'.
Voyez caisse : les rendements financiers des films politiques de ce type sont à tout coup considérables" (Georges Suffert, Les intellectuels en chaise longue, Plon, 1974, p. 116)

 

[Annoncé à sons de trompe à tous les carrefours, le téléfilm de Boutron, tiré de l'enquête (sic) de Reymond, recueillit avant même d'être tourné les dithyrambes des habituels cireurs de pompes et, peut-être fallait-il s'y attendre, l'enthousiasme de certains élus bas-alpins, oubliant les faits et l'un de leurs grands prédécesseurs, Me Claude Delorme (qui était élu socialiste, lui aussi, mais oui mais oui ! Député socialiste, et puis Maire de Forcalquier de 1965 à 1983). Car trop, c'est trop. Ne pouvait-on pas lire, en effet, dans le journal municipal de Digne (le propre père de Reymond fut longtemps archiviste communal de la ville de Digne, ceci expliquant peut-être cela), des lignes enthousiastes sur Reymond, porté aux nues avec une flagornerie et un toupet stupéfiants ? Sur "le sens de la dignité" (sic) des Dominici ? Reymond lui-même à qui, évidemment, la parole fut longuement donnée, n'y évoquait-il pas les "obligations" de la justice française, entendez son "devoir" de réhabiliter le vieil assassin ? N'y avait-il pas une reproduction "en exclusivité" de quelques lignes de l'incroyable torchon "Lettre ouverte pour la révision", qualifié de "document pour l'histoire" ? Le document pour l'histoire, en l'occurrence, c'est ce savoureux bulletin municipal n° 41 (mai-juin 2003) qui fera carrière, c'est sûr, au palmarès des courbettes mystificatrices. Par bonheur, quelques feuilles françaises, fort rares (Ouest-France), sauvèrent l'honneur de la profession. Mais laissons-les de côté pour nous apercevoir, dans un premier temps, que la perfide Albion ne s'en laissa guère compter ; avant, dans un second temps, de nous essayer à dresser un catalogue plus ou moins exhaustif de toutes les invraisemblances, inventions et grossièretés du téléfilm désormais qualifié de scélérat.]

 

 

II.1. Qui a tué Sir Jack et sa famille ? Sûrement pas le KGB.

 

(John Lichfield correspondant parisien à Paris de L'Indépendant, quotidien britannique - publié le 11 octobre 2003)

 

 

Un meurtre mystérieux, qui a envenimé les relations entre la Grande-Bretagne et la France voici un demi-siècle, va connaître la semaine prochaine une réactivation à la télévision française, dans un sens qui probablement provoquera à nouveau de la colère dans les deux pays.

Au mois d'août 1952, le sauvage massacre d'une famille britannique - Sir Jack et Lady Anne Drummond et leur fillette de 10 ans, Elizabeth - sur leur lieu de campement en Provence septentrionale, a été l'un des très célèbres faits divers des années d'après-guerre. Gaston Dominici, un fermier de 77 ans, fut reconnu coupable du meurtre des parents et du matraquage à mort de l'enfant, mais fut gracié par le Président Charles de Gaulle en 1960.

Un téléfilm en deux parties, qui sera diffusé en prime time sur la chaîne française la plus populaire ce lundi et la semaine suivante, soutient que les Drummond ont été exécutés par un commando armé par le KGB, le service secret soviétique.

L'intrigue de ce téléfilm s'appuie sur un livre publié il y a six ans - et depuis largement considéré comme un tissu d'absurdités - qui a prétendu de façon catégorique que Sir Jack était un scientifique engagé dans les services secrets britanniques.

Comme le livre, le téléfilm allègue que les Drummond ont été éliminés par une équipe de criminels allemands, engagée par le KGB dans le cadre d'une action de la Guerre froide pour éliminer des scientifiques Occidentaux majeurs. Or, Sir Jack était un nutritionniste travaillant sur les façons de combattre l'empoisonnement délibéré des stocks de nourriture. Le téléfilm, L'Affaire Dominici, tourné avec des acteurs français importants - il a coûté de 4 millions d'euro (2,8 millions de livres) - persiste à mettre en avant que le fermier septuagénaire a été la victime d'un camouflage du gouvernement français.

Aucun autre mobile concernant les meurtres n'est suggérée, alors même que Gaston Dominici a par deux fois [en fait, c'est beaucoup plus que cela !] reconnu être l'assassin, et a été accusé par deux de ses propres fils d'être le coupable.

Les auteurs de ce téléfilm insistent pour qu'on le considère comme une contribution sérieuse au débat qui a cours en France sur la culpabilité de Dominici. Sur leur site Web, ils invitent les téléspectateurs qui sont convaincus par la version des faits tels qu'ils les présentent dans leur téléfilm à signer une pétition lancée par le petit-fils de Dominici demandant que son grand-père soit lavé de toute implication dans la tuerie du 5 août 1952.

Des critiques français de télévision, qui ont pu voir en avance le téléfilm, ont protesté : pour eux, TF1 a exploité des événements réels en les torturant afin d'inventer un divertissement de prime-time, combiné pour flatter l'engouement actuel en faveur des théories du complot. Télérama, un magazine de télévision, s'est plaint que le téléfilm soit rempli "de raccourcis et d'extrapolations" au service d'une théorie "douteuse".

Pour donner du poids à cette interprétation, qui entend faire sensation, de l'assassinat des Drummond, la chaîne TF1 a aidé un documentariste respecté, Jean-Charles Deniau, à enquêter sur l'Affaire. Son film, qui passera sur une autre chaîne de télévision française le mois prochain, emprunte une voie opposée. Il traite avec mépris la théorie de KGB et met l'accent sur les défauts du livre sur lequel s'appuie le téléfilm ("Dominici, non coupable" par William Reymond.

Les auteurs du documentaire se sont donné la peine de vérifier dans les archives du KGB et en interrogeant d'anciens officiers de ce service, ce que Reymond n'a pas fait. Les sources consultées et les enregistrements effectués à Moscou ont établi que les services de sécurité soviétiques n'avaient jamais entendu parler de Jack Drummond.

Dominici a été à l'origine accusé d'être l'auteur des meurtres par deux de ses fils. L'un d'entre eux, Gustave, a d'abord fait avertir les autorités à propos des meurtres, et a admis qu'il avait déplacé les corps des Drummond avant l'arrivée de la police. Gustave a aussi reconnu qu'Elizabeth Drummond était toujours vivante lorsqu'il la découvrit. Plus tard, il fut condamné à une courte peine de prison pour n'avoir pas porté secours à l'enfant, ou appelé un médecin.

Gustave et son frère Clovis ont rapporté que leur père avait tué les touristes après que Sir Jack Drummond, 65 ans, l'avait surpris près de leur campement, l'accusant d'être un voleur ou un voyeur. Dominici finit par avouer, mais prétendit que Lady Drummond, qui était âgée de 45 ans, avait consenti à faire l'amour avec lui et que son mari les avait surpris. Plus tard, il est revenu sur ses aveux, mais a été reconnu coupable et condamné à mort.

Depuis sa prison, il accusa son fils Gustave d'être le vrai meurtrier. Une nouvelle enquête judiciaire aboutit à la conclusion que Dominici était vraisemblablement coupable, mais la sentence fut commuée en emprisonnement à vie. Il fut gracié - mais pas blanchi - par De Gaulle en 1960, et mourut en 1965. Il s'était réconcilié avec Gustave, mais pas avec Clovis qui maintint jusqu'à la tombe que son père était un meurtrier.

 

 

II.2. Erreurs/Mensonges in Dominici/Boutron/Reymond/Serrault.

 

"Rien n'a été inventé, jure le réalisateur Pierre Boutron. Nous n'avons pas pris de liberté par rapport à l'histoire, nous avons été très rigoureux par rapport à la façon dont les choses se sont passées. Ce n'est pas une fiction" (in La Voix du Nord du 21 octobre 2003).

 

Les lieux de tournage ne correspondent absolument pas à la situation de la Grand'Terre par rapport à la voie de chemin de fer. Mais c'est un détail. Quant à "l'accent pointu" des acteurs principaux, mieux vaut ne pas en parler. Pas plus que du phrasé de Serrault, qui appuie malencontreusement sur chaque fin de mot. Et si l'on rencontre, au cours de la lecture, pléthore de points d'exclamation, on voudra bien les entendre comme autant de points d'indignation (pour parler comme Queneau), tant le cynisme affiché par cette fiction qui n'en est pas une (selon ses auteurs) soulève le cœur. D'ailleurs, ce faisant, nous nous sommes contenté d'imiter la manière de procéder des rédacteurs du "Rapport Chenevier" qui ont usé de ce système, comme par exemple, lorsqu'ils rapportent que le Tave serait resté durant deux heures, le 5 août 52 au matin, à faire le guet "pour surveiller de loin les lieux et relever le numéro de la voiture automobile en station depuis la veille au soir auprès du mûrier, dans le cas où elle serait partie" !!!
Et dire que cette fiction a été tournée "avec le soutien de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur" ! Dire qu'elle a le front d'afficher qu'elle s'appuie sur une "enquête" de W. Reymond, devenu pour la circonstance "conseiller à l'écriture" !
Notons cependant que, comme on l'a annoncé précédemment, on ne trouvera ici qu'une sorte d'inventaire linéaire (certes, incomplet) des grossières énormités charriées par ce téléfilm, dont le succès fut fabuleux, tout simplement parce que le bon public ne connaissait rien au dessous des cartes. Un inventaire, donc, à l'intention des Béotiens complètement et sciemment déboussolés, pour les aider à retrouver le nord dans cette affaire. Car nous avons en d'autres lieux de ce site, tenté de méditer sur le mensonge organisé des aigrefins assoiffés d'argent. Ou sur l'impudence inouïe de certains "héritiers", n'hésitant pas à clamer : "nous avons le droit de demander réparation" (A. Dominici, in TV Magazine 6-13 avril 2003, p. 10). Car il appert, à l'évidence, que ce sont les douze millions de téléspectateurs abusés qui auraient le droit d'exiger réparation : car, pour reprendre une expression que j'ai lue récemment dans un quotidien (à propos d'un autre problème) : "quel écart entre la réalité et ce discours saturé de mauvais poncifs chargés d'en occulter le piètre contenu" !

 

 

II.2.1. Première partie.

 

1. Ce n'est pas Yvette qui avait oublié de fermer la vanne. ["Gustave dans l'après-midi avait arrosé la luzerne. Il était parti en oubliant d'enlever l'eau. L'eau avait fait un éboulement. Je m'en suis rendu compte en rentrant avec les bêtes [vers sept heures ou sept heures et demie, vient-il de dire]. J'ai crié à la maman d'aller arrêter l'eau. Je ne sais si c'est elle qui y est allée, ou bien si c'est Yvette". - C 79, Gaston au juge Batigne]

2. "Préviens ton frère (à la SNCF) de venir réparer ça". Ce n'est évidemment pas Gaston qui a donné des ordres à ce sujet, mais le brigadier Roure qui est venu avec son équipe en fin d'après-midi ["Dans l'après-midi, avec quatre ou cinq hommes, j'ai fini de dégager la terre sur le ballast, et ce travail a pu nous demander cinq minutes environ". C 83, Déclaration du brigadier poseur F. Roure au commissaire Chenevier. Ajoutons que ce temps de "cinq minutes environ" a été formellement contesté par l'un des adjoints de Roure (A. Bourgue, déclaration au commissaire Gillard, C 116) qui l'a estimé, à cinq ouvriers, à près d'une heure].

3. Gustave est montré pleurant après avoir "découvert" le corps d'Élisabeth, et à peine capable de s'adresser à Olivier !

4. Gaston trouve immédiatement le morceau de crosse (on sait qu'il s'agit en réalité de Robert Eyroux, réquisitionné pour l'enlèvement des cadavres : il a aperçu le morceau de crosse au moment où la petite Elizabeth était emportée. ["M. Eyroux Robert a relaté de façon formelle qu'il avait trouvé lui-même l'éclat de crosse à une dizaine de centimètres de la tête de la fillette, et au moment où il a enlevé celle-ci pour l'emmener à l'hôpital de Forcalquier" C 401, rapport dit Chenevier, p. 57].

On sait aussi - par la contre-enquête - que beaucoup plus tard dans la soirée, un fils de Gaston (Marcel, qui "visitait" alors les "lieux" en compagnie de son beau-frère Estève) a remarqué au même emplacement un autre morceau de crosse, qu'il pense avoir remis à un des policiers présents ; malheureusement, l'affaire s'est arrêtée là, faute de pouvoir retrouver la personne ayant réceptionné cet autre éclat de crosse. Et mentionnons, sans nous y arrêter, le coup des gendarmes retrouvant l'arme du crime dès le matin !!!

5. Sébeille arrive : "le commissaire Sébeille ? Encore lui ?". Or, Sébeille n'avait jamais, auparavant, porté ses pas de policier à cet endroit.

6. Naturellement, on nous donne à voir un commissaire Sébeille qui s'est trompé de route ! Qui arrive donc en retard, avec... ses valises sur le toit de la Traction !!!

7. À peine est-il arrivé, le voilà qui connaît Dominici !

8. Un seul gendarme est présent à ce moment-là sur les lieux. Sébeille ne le salue même pas.

9. Les corps sont déjà enlevés, lorsque Sébeille arrive.

10. À peine dix minutes après son arrivée, Sébeille improvise une conférence de presse pour les journalistes présents !

11. Tout le monde est contre Sébeille, y compris… son "fidèle Ranchin" !

12. Sébeille manifeste un incroyable mépris des agriculteurs, des gendarmes, et même du Maire.

13. Lukas Fabre, le journaliste vedette du téléfilm (incarnation de Reymond soi-même) déclare qu'il a empêché Sébeille, "la dernière fois, de faire une belle connerie" !!! Naturellement, il serait bien en peine de dire quand et où se situe cette "dernière fois" !

14. Sébeille entre dans la Grand'Terre sans frapper.

15. Gaston l'appelle immédiatement "le petit Sébeille". Rappelons qu'il étaient strictement de la même taille ! Mais dans le téléfilm, Gaston domine le Commissaire de la tête et des épaules...

16. Sébeille ne boit que de l'eau [ce détail est en réalité vrai pour le juge Périès], et c'est un sujet de moquerie.

17. La ferme semble avoir grandi, depuis 1952 : 18 hectares !

18. Gaston appelle maintenant Sébeille "Mon grand"…

19. Et comme si le trait n'était pas assez appuyé, il ajoute, méprisant : "viens boire un petit coup d'eau".

20. Zézé et sa mère arrivent. Aussitôt, Gaston explique : "ils ne viennent plus ici, parce que chez moi c'est pas un hôtel de passe".

21. Outre que Sébeille est un piètre policier, un buveur d'eau, etc., c'est un trouillard : il faut voir ses yeux effrayés lorsque Gaston tue une vipère devant lui [Je me demande d'ailleurs, et je me rends bien compte que c'est hors sujet, si ce ne sont pas plutôt les habitants de la Grand'Terre qui sont tous, y compris la Sardine, des vipères !]

22. Sébeille est maintenant montré méprisant Ranchin [lui, son plus fidèle collaborateur !]

23. Sébeille dit avoir affaire à un "paysan retardé", alors que c'est Chenevier qui s'est exprimé (à peu près) ainsi. [Bien au contraire, Sébeille déclare à propos de Gustave qu'il "a un visage assez ouvert qui reflète la physionomie du paysan évolué" - D 188].

24. "L'un disparaît, l'autre sort de l'ombre". Fabre emprunte ici, sans le dire, à Giono.

25. Sébeille se permet de tenir une nouvelle conférence de presse en plein "Campo Santo", alors que la cérémonie d'ensevelissement des Drummond n'est même pas achevée ! Et le voilà lisant le "journal intime" des Drummond !!!

26. On vient de retrouver le calepin de Drummond [invention du Sunday Times anglais, bu ici comme du petit lait, évidemment].

27. Il faudrait parler longuement du personnage ami de la famille Drummond : invention particulièrement louche ! S'agit-il de Marrian ? Non, encore un personnage conçu pour les besoins de la cause !

28. Sébeille ne sait pas parler normalement : il faut qu'il crie, en tout cas qu'il élève la voix en toutes circonstances ; c'est un être bourré de complexes d'infériorité.

29. Sir Jack Drummond descendait toujours dans les meilleurs hôtels (cela n'est pas avéré, bien loin de là, mais permet d'insinuer : que diable est-il venu faire dans ce lieu perdu ?). On insiste sur sa "fortune", on veut nous faire avaler qu'il était très riche ["Le jeudi 31 juillet 1952, entre 18 heures et 18 heures 30, j'ai réceptionné à l'hôtel la famille Drummond... Ils ont demandé une chambre bon marché à un lit, dans laquelle nous avons placé un divan pour la fillette. La famille Drummond n'a monté que près peu de bagages" - D 111, déclaration de Jeannine Roland, fille des propriétaires de l'hôtel, à l'inspecteur R. Picq].

30. Chantage exercé par Sébeille sur Gustave : "tu signes et tu vas récolter tes abricots" [Cet argument sera repris par Me Collard, insinuant qu'on empêchait les Dominici de procéder à leurs récoltes].

31. Sébeille est de plus en plus montré comme méprisable : même la "petite" du bar s'y met !

32. "On annonce de la pluie, c'est mauvais pour tes récoltes" ! dit-il.

33. Habilement, la confrontation avec le motocycliste Olivier est escamotée [il est vrai qu'elle est particulièrement gênante, pour les tenants de l'innocence !]

34. Le tir de barrage contre Clovis commence pratiquement dès le début : on le montre comme individu jaloux de son père.

35. Un fusil américain, dit Sébeille [en plus, il n'y connaît rien !]

36. Il faut remarquer la façon dont Clovis tombe à genoux - et la comparer par exemple avec la vision des faits par le réalisateur Claude Aubert - dans le film dont Gabin est la vedette.

37. "Ceux de la Police, on sait de quel côté ils étaient" énonce Clovis. Maintenant, on essaie d'assimiler "la Police" à "la Collaboration", et d'y opposer la pure "Résistance" - dont naturellement les Dominici furent les héros aussi magnifiques qu'anonymes…

38. Non seulement, donc, Sébeille est chargé d'un passé de Collaboration, mais encore, dit Lukas Fabre, sorte de Monsieur-je-sais-tout, "Sébeille va au plus facile" [sous-entendu : sans creuser d'autres pistes].

39. Dès lors, comment s'étonner de ce que dit Gaston de lui : "je me suis bien foutu de sa bobine" ? Mais il convient d'ajouter que le Patriarche va traiter Lukas Fabre de "farfelu", et c'est peut-être la seule réplique du téléfilm ayant un sens...

40. Ainsi, peu à peu, comme dans un système de vases communicants, Sébeille est enfoncé tandis que Gaston est magnifié. Comment s'étonner, dès lors, qu'il prenne le rôle du policier, puisque c'est lui qui va mettre le journaliste Fabre sur la voie !

41. Fabre sans aucune tache, lui, puisqu'il est présenté comme étant le fils de deux journalistes gaullistes ayant travaillé à Londres ! Et la boucle est ainsi bouclée : les anciens Collabos d'un côté, les anciens Résistants de l'autre ! Il prétend que Sébeille "a des ordres", que ses confrères obtus sont aux ordres, eux aussi. Il se retrouve tout seul contre tous. D'ailleurs, n'est-il pas, à un moment, frappé et dépouillé ? Et on voudrait nous faire croire que la manipulation n'est pas dans la fiction ?

42. De plus, Sébeille est dépeint comme machiavélique : "je vais les dresser les uns contre les autres".

43. Et le voilà qui interroge dès le début de l'enquête, Zézé. ! [Sauf erreur, le premier interrogatoire du jeune garçon de ferme - on nous dit, mais c'était inexact à l'époque, qu'il est garçon-boucher - a été conduit par le commissaire Constant, le 23 septembre 1953 (cote D 86)]

44. Il est véritablement honteux de constater qu'on ose nous présenter un Paul Maillet menotté, ce qui bien évidemment est un pur mensonge. Est-ce pour tenter de le placer au même rang que les prochains accusés ?

45. Maillet qui, en "garde à vue" [alors qu'il n'a jamais été que témoin], se met immédiatement à table..

46. On aperçoit le commissaire Constant, dont le rôle est totalement effacé (c'est pourtant lui qui a fait redémarrer l'enquête).

47. Et voilà que la Cosette des Misérables est appelée en renfort…

48. Vision du troupeau de Gaston. C'est le moment de se souvenir de ce jugement porté, une semaine après la diffusion du téléfilm, dans Le Monde Télévision : "même les chèvres en font trop" !

49. Le cambriolage des affaires personnelles de Lukas Fabre. Épisode évidemment inventé, mais qui permet d'attirer la sympathie sur le jeune redresseur de torts…

50. Une foule considérable se presse au procès de Gustave… À comparer avec les photos d'archives…

51. L'énoncé du verdict est diffusé par haut-parleur (on confond habilement avec le réquisitoire contre Gaston, deux années plus tard).

52. Le médecin légiste est formel : Élisabeth est morte sur le coup… ["Étant donné l'importance du traumatisme... il me paraît probable que la survie n'a pas excédé une heure après que les blessures ont été produites" - D 121, déclaration du Dr Nalin (un des deux praticiens ayant autopsié les membres de la famille Drummond) à l'inspecteur R. Picq, à propos d'Elisabeth].

53. Gaston conduit Sébeille dans la montée de Ganagobie…

54. Sébeille suggère à Gaston de se dénoncer à la place de Gustave…

55. Le faux-journal est une invention de Sébeille pour amuser les foules (dixit Yvette).

56. Gaston veut se suicider sur la voie ferrée.

57. Une foule de journalistes attend Gustave à sa sortie de prison…

58. "On m'appelle maintenant 'La Sardine'", dixit l'épouse de Gaston. Ah bon ? Maintenant seulement ?

59. "Qui c'est, qui te monte la tête contre ton père ?", dit-elle.

60. Le départ de Sébeille [arrêt de l'interrogatoire ordonné par Orsatelli] est inversé par rapport à l'arrestation de Gustave.

61. Mais c'est un faux départ ! Harzig somme Sébeille de réussir, ou l'affaire lui sera retirée.

62. Et voici la reconstitution ! Avec Clovis et Gaston !

63. Sébeille rapporte la fameuse phrase, "J'en ai fait péter trois", et Clovis rétorque, "il ment, je n'ai jamais dit ça" ! [Dans les procès-verbaux, il le dit à trois ou quatre reprises, au moins].

64. "Paul, viens boire un coup !"

65. "Ils ont parlé, mes fils !" tonne Gaston, dans la cour de sa ferme -alors qu'il a appris le fait au Tribunal, durant sa garde à vue.

66. Sébeille vient attraper Gaston par le bras, lorsque l'inculpé arrive entre deux gendarmes.

67. On nous montre une arme réparée par la Gendarmerie, alors qu'elle l'a été par la Police mobile.

68. On revient sur la "jalousie" de Clovis, en le montrant qui se dispute avec son père à propos d'une donation de terre [ce point a fait l'objet de minutieuses vérifications, négatives, lors de la contre-enquête].

 

 

II.2.2. Deuxième partie.

 


1. Sébeille fait entendre à Gaston les "confessions" enregistrées au magnétophone de Gustave et de son frère aîné !!! Un magnétophone dans la police marseillaise, en 1952 ! Un magnétophone qui n'était pas encore fabriqué, à l'époque !!!

2. "Tu rigolais moins, cet été, sous le cagnard, à la Grand'Terre", lui dit Gaston, narquois.

3. Gustave dit qu'il a déplacé les trois corps.

4. "Gustave a parlé sous la contrainte" fait remarquer Gaston. Et dire que, d'après Giono, il ne disposait que d'une poignée de mots…

5. Gaston se plaint ensuite : "J'ai rien mangé depuis hier soir". L'antienne bien connue !

6. "Toi, tu es vieux, tu risques beaucoup moins", lui répond Sébeille, qui attend ses aveux.

7. Puis le voilà qui harangue une trentaine de journalistes : "Je vous remercie d'avoir répondu à ma convocation" (sic). Il s'agit d'assister à la désignation, par les deux frères, de l'emplacement où était entreposée la carabine !!!

8. Mise en scène ? Non, manipulation ! remarque Lukas Fabre à propos de cette séquence.

9. Gustave et Clovis désignent donc l'emplacement sous les yeux d'une nuée de journalistes !


10. Yvette est présente, lors de cette scène, ce qui est particulièrement incroyable (mais que faisait donc le juge Périès ?).


11. Gustave et Clovis désignent l'emplacement, l'un devant l'autre. ["Je ne m'explique pas comment mon doigt, d'après la photo, peut désigner l'étagère du dessous, ce qu'a fait également Gustave, bien qu'il n'était pas dans la remise lorsque j'ai désigné l'étagère" (Clovis Dominici au commissaire Chenevier, cote 424/29, 17 octobre 1955)].

Et Sébeille mène la danse, comme si le juge d'instruction n'existait pas.


12. Mais voici venu le soir terrible ! Selon Sébeille, Guérino est du pays ! Gaston l'a connu en culottes courtes !! [rappelons que Victor Guérino était né à Draguignan, le 23 décembre 1922].


13. Le même Sébeille donne des consignes précises à Guérino.


14. Et Guérino, seul avec Gaston, lui rappelle que lorsqu'il était enfant, il venait jouer à la Grand'Terre !!!


15. Gaston lui répond qu'il ne peut rien avaler (lui qui a mangé de si bon appétit, dans la réalité ! "Mme Giraud est arrivée avec le repas… Il s'est mis à manger aussitôt, ce qui m'a surpris car deux heures auparavant il m'avait dit qu'il n'avait point d'appétit" - D 217).


16. Ce que dit ensuite Gaston, par rapport à la scène réelle (telle qu'elle est rapportée contradictoirement en D 230) est totalement faux.


17. Sébeille, dans une posture destinée à le ridiculiser, souffle toutes les questions à poser, en étant dissimulé derrière la porte (dans la réalité, il était à ce moment-là en train de dîner à l'hôtel Julia).


18. Ainsi, il lance à Guérino : Suggérez l'accident !


19. Et Gaston de demander à Guérino de l'aider à "préciser" l'accident !


20. L'ensemble de la scène, totalement inventé, est d'un ridicule achevé. Gaston objecte par exemple : "pourquoi on m'aurait attaqué ?"


21. Guérino veut alors aller prévenir Sébeille !


22. Puis il suggère le mobile "paillard" (en réalité intervenu beaucoup plus tard, lors de l'entrée en scène du commissaire Prudhomme).


23. Gaston est enfin prêt à "raconter", "Si c'est la condition pour que les petits aillent pas à l'Assistance…" !!!


24. Et il toise Sébeille : "Tu me donnes le dégoût", lui dit il, ajoutant,  "Je vais t'en donner, de la paillardise !"


25. Quant à la radio, elle nous apprend que "Après une nuit complète d'interrogatoire", etc. etc.


26. Entendant cela, voilà que la Sardine s'enfuit en pleurant…


27. Gustave, lui, raconte à Yvette : "ils m'ont menacé, j'ai pas eu le temps de lire le papier" !!!


28. Alors, la jeune femme se met à lui faire du chantage : si son mari ne se rétracte pas, elle le quitte en emmenant ses gosses (elle qui, à la Grand'Terre, devant Périès, avait fait des aveux tellement circonstanciés !)…


29. Et Clovis, à nouveau, dans un bref affrontement avec Gustave, se révèle jaloux de son père.


30. Et la Sardine, revenue vers la maison, qui lui crache dessus !!!


31. Cependant que devant la ferme se déroule une manifestation bruyante, banderoles à l'appui ("Assassins !...") !!!


32. Lors de la scène suivante, nous voilà transportés au café de Peyruis, Q. G. du journaliste Fabre. Et ce dernier "tuyaute" Me Pollak, qui vient d'arriver !!! Mais où sont donc passés les trois autres avocats de Gaston ?


33. Et c'est alors le récit du "mystérieux" périple des Drummond en France. Il est de la plus haute fantaisie. De plus, Fabre se laisse emporter par son élan : il nous parle des Marriansss, imitant involontairement les moutonsss de Topaze…


34. Fabre salit aussi Drummond, en tant qu'agent secret. Il nous présente ce dernier à Domrémy, là où un inconnu lui fait miroiter la perspective d'un renseignement juteux à Lurs (près de 700 km pour recueillir UN renseignement !!!).


35. On apprend tout de même, avec stupeur, que l'usine chimique Péchiney de Saint-Auban est "spécialisée dans la conservation des aliments" !!!


36. Et aussi que le campement des Drummond empiétait de 2, 50 mètres sur les terres de Gaston, ce qui est parfaitement inexact - mais secondaire, à côté de l'énormité précédente.


37. À propos de la reconstitution, qui s'annonce, Lukas, ultra-lucide, affirme doctement : "Ce sera une mascarade". Ce qui nous est montré en est une, en effet !


38. La reconstitution a lieu devant les deux fils mis en cause, Gustave et Clovis : et c'est encore Sébeille qui en dirige l'essentiel, devant un juge particulièrement en retrait.


39. L'avocat de Gaston assiste à la reconstitution ! Et Gaston, bien évidemment, ne peut se déplacer sans sa canne ! Lui qui va bientôt, dans la réalité, se mettre à courir comme un lapin !…


40. Mais voilà, cette séquence pourtant authentique, et qu'on pourrait qualifier d'anthologie, on oubliera de nous la montrer… En lieu et place, on nous donne abondamment à voir ce pauvre Gaston qui boitille.


41. Lorsque enfin Périès intervient, c'est pour permettre à Gaston de se mettre en valeur, et de jouer sur les mots, ici à propos de "montrez-nous où vous l'avez possédée".


42. Mais c'est aussi pour sortir une énormité : "Il s'agit d'un viol", annonce-t-il !!!


43. Puis, sans coup férir, pour en ajouter une nouvelle : "Vous avez insulté Drummond, vous l'avez dit dans votre déposition" !!!


44. Sébeille lance alors à Gaston, à propos d'Elizabeth : "Vous m'avez dit qu'elle était debout"  - rappelons qu'une reconstitution est dirigée par un juge instructeur, et que les policiers présents se taisent - sauf si on leur demande expressément d'intervenir.


45. Quoi qu'il en soit, on a droit à nouveau au refrain : "Vingt-quatre heures sans boire et sans manger" !!!


46. Puis aux menaces à peine voilées de Sébeille à l'endroit de Gaston : "Fais comme dans ta déposition, si tu ne veux pas que ça tourne mal pour le reste de ta famille".


47.  Naturellement, après la reconstitution, lorsqu'il est emmené par les gendarmes, Gaston proteste : "Je suis innocent". ["La reconstitution terminée... Dominici a déclaré qu'il maintenait ses déclaration faites à titre de témoin, qu'il avait agi dans un moment de folie, et que lorsqu'il avait quitté la ferme, il était saoul" (Rapport Chenevier, p. 27)]


48. C'est alors la photo du triomphe, avec les traits fielleux à l'endroit de Sébeille : il se recoiffe (si l'on peut dire) dans le rétroviseur, fait venir Paul Maillet à ses côtés, lui donne un souvenir, et fait de même envers Périès !!!


49. Et voilà le moment venu d'introduire un dénommé Chapel, journaliste [Jacques Chapus. Quel effort d'imagination, pour trouver un pseudonyme transparent !] "Un chef d'œuvre de racolage", lui dit Fabre, à propos de la reconstitution. Mais n'est-ce pas plutôt l'ensemble de ce téléfilm, qui constitue un sommet de racolage mensonger ? Le téléspectateur moyennement informé doit commencer à se poser la question.


50. Et revoilà l'ami anglais des Drummond (aperçu lors de l'enterrement). Cette fois, il se trouve aux côtés de Gillard !


51. Gillard annonce : "Sébeille est un très mauvais policier" !!!


52. Cet ami anglais met Fabre au courant du "fameux" plan de récupération des savants nazis, le "Paperclip".


53. Il possède aussi, c'est plus qu'incroyable, les photos des bijoux soi-disant volés aux Drummond ! Entre autres documents…


54. Puis il décerne un brevet d'excellence à notre journaliste omniscient : "Vous êtes un très bon journaliste, Monsieur Fabre". Et nous possédons ainsi le pendant positif de la phrase assassine prêtée un peu auparavant à Gillard !


55. Passons quelques mois, et nous voici au procès : le commissaire Sébeille est le premier témoin à s'exprimer !!!


56. Gaston domine véritablement les débats, qu'il dirige, en fait ; et naturellement, il ridiculise atrocement Sébeille !


57. À la barre, Sébeille lit sa déposition (ce qui est totalement interdit dans un prétoire) !!!


58. Et sa déposition  est diffusée par haut-parleurs à l'extérieur du Palais !


59. Gaston et Clovis sont appelés à la barre en même temps (leur présence simultanée a bien eu lieu, mais pas du tout dans le contexte qui nous est rapporté). Et on nous fait grâce des autres témoins de la famille…


60.  "Menteur, bandit !" s'écrie Gaston (quand Clovis rappelle la fameuse phrase : "j'en ai fait péter trois").


61. Clovis montre à nouveau sa jalousie, à la barre cette fois ("le fils préféré").


62. Pendant ce temps, au dehors, les Marrian sont insultés, voire suspectés par Fabre, en public !!! Présentés sous un jour très défavorable, ils doivent battre en retraite !


63. Preuve nous est donnée de l'immense importance du journaliste Lukas Fabre : le commissaire Gillard demande à le rencontrer !!! Et naturellement, la rencontre a lieu devant la borne kilométrique 32.


64. Pendant la discussion des deux hommes, on se rend compte que Gillard ne connaît rien à l'affaire, et on l'entend affirmer : "Drummond arrive à dix-sept heures" !!! (Comme l'on sait, il était encore à Digne, avec les siens, à la charlottade, à cette heure-là…).


65. Nous avons alors droit aux énormités de Fabre, comme la page arrachée du calepin de Sir Drummond (qualifié d'espion à la retraite), retrouvée dans une poubelle anglaise !!!


66. Lorsque Gillard lui demande quelles sont les motivations de son action, Fabre répond fièrement qu'il se démène pour défendre l'honneur de sa profession !!!


67. Nous voici à nouveau transportés au Palais : on en profite pour ridiculiser le procureur général Rozan, qui se rend aux toilettes pour y déclamer son réquisitoire !!!


68. Quant à Fabre, qui ne perd pas une occasion d'accuser tous azimuts, il dénonce en Chapel  un ancien "Vert-de-gris" !!! Cette fois, les bornes sont à nouveau franchies : ce n'est plus la goujaterie dont on s'est abondamment servi envers ceux qui osent s'en tenir aux faits, il s'agit vraiment de scélératesse. Les tenants de l'innocence sont d'anciens résistants (ou leurs rejetons), les autres sont des collaborateurs non repentis, sinon d'anciens nazis !!!


69. "Il n'y a aucune preuve matérielle dans un sens, ou dans l'autre", fait-on dire à ce pauvre Chapel. Cette assertion (d'ailleurs absolument erronée), c'est Giono qui l'a écrite.


70. Cependant que dans le prétoire, l'interrogatoire de personnalité (de l'accusé) vient après la déposition de Sébeille et de Clovis/Gustave !!!


71. Gaston se fait applaudir à plusieurs reprises, il met le public dans sa poche, avec ses bons mots, qui fusent comme dans une émission des Grosses têtes. Naturellement, on a droit au coup de l'allée/j'y suis été…. [L'échange suivant (20 décembre 1954), entre le commissaire Chenevier et Gaston, montre au contraire que ce dernier maîtrisait parfaitement les notions d'aller et de venir : Chenevier : "d'où venaient-ils ?
Gaston : je ne sais pas s'ils allaient ou s'ils venaient... Ils venaient du campement des Anglais... Ils sont allés du côté du ravin"]


72. Pendant une interruption, dans la prison, Gaston se fait faire la lecture (un passage des Misérables). Le gardien de prison, qui tient l'ouvrage en main, ne sait pas lire ! Il ânonne avec beaucoup de difficulté…


73. Cependant que Clovis boit avant d'aller déposer à nouveau. Il va déposer contre son père, pour une histoire d'héritage ! À la barre, on le présente (avec une barbe de trois jours) comme un être pitoyable autant qu'ivrogne.


74. Gustave prétend que c'est Clovis qui l'a renseigné, et les deux frères se renvoient la balle…


75. En fait, on fait jouer à Clovis, dans ce téléfilm, le rôle lamentable qui a été, dans la réalité, celui de Gustave… C'est la même personnalité veule, ivrognerie en moins.


76. D'ailleurs, ce que lui dit le Président, en fait lors du vrai procès il l'a dit à Gustave.


77. Gaston, à nouveau dans sa cellule, connaît par cœur son Victor Hugo, se souvient des numéros exacts de ses pages "préférées", sait continuer de mémoire une lecture qu'on lui a commencée ! "Le premier me dit : Où allez-vous ? Vous êtes mort depuis longtemps". [Il s'agit d'un texte authentique tiré des Misérables, qui rapporte un rêve de Jean Valjean (Première partie, livre 7, chapitre 4, intitulé "Formes que prend la souffrance pendant le sommeil". Mais le texte originel dit en réalité : "Alors le premier que j'avais vu et questionné en entrant dans la ville me dit : Où allez-vous ? Est-ce que vous ne savez pas que vous êtes mort depuis longtemps ?"


78. Pendant le réquisitoire de l'avocat général, Clovis s'en va picoler, tandis que Pollak est absent : au restaurant, il prépare sa plaidoirie tout en mangeant !!!


79. Alors, Fabre vient lui faire la leçon à propos des savants assassinés sur l'ordre des Soviétiques !!! Il lui "apprend" que Drummond est tombé dans un piège tendu par les gens de l'Est. Et il accuse, in fine, l'avocat de ne pas connaître son dossier [lors du procès, les journalistes avaient noté que Pollak possédait à fond son dossier].


80. Aussitôt après, nous nous retrouvons à la sortie du tribunal, après la plaidoirie, donc. Et Gustave passe une "branlée" à Pollak, lui reprochant la façon dont l'avocat a orienté son argumentaire [Ce reproche a été, à l'origine, l'œuvre d'Yvette. Dans son ouvrage de souvenirs, Pollak admet que le crime ne pouvait avoir pour auteur qu'un habitant ou un familier de la Grand'Terre].


81. Lors de l'énoncé du verdict, peut-être galvanisé par la remontée de bretelles de Gustave, Pollak se lance dans une envolée vengeresse parfaitement imaginaire.


82. Pendant qu'il tient ses propos enflammés, violons et regards humides pour que Margot se mette à pleurer, et tendres échanges silencieux entre le condamné et la Sardine…


83. Passons sur la foule hurlant sa colère (non contre le verdict, mais contre l'assassin d'enfant) à la sortie du condamné, qui s'en va vers Marseille, étonné de ne pas être reconduit à la Grand'Terre...


84. À la Grand'Terre, justement, Fabre et sa copine provisoire sont venus prononcer des paroles de réconfort, et leur parlent d'une pétition qui est en train de circuler !!! Extra-lucides, ils prononcent le terme de contre-enquête…


85. Pendant ce temps, aux Baumettes, c'est vraiment le Grand Guignol, avec la scène du condamné en proie à une crise qu'on devine, à la précipitation des infirmiers, être particulièrement grave… Ainsi peut-on faire accepter au bon public que, désormais, Gaston se retrouvera à l'infirmerie, en chambre particulière, comme coq en pâte [ce qui avait particulièrement indigné le commissaire Chenevier]…


86. Puis interviennent Chenevier et Gillard, pour la fameuse contre-enquête. L'acteur jouant Chenevier est aussi ressemblant avec son modèle que Michel Blanc avec Sébeille…


87. Mais curieusement, on n'entend rien des questions posées par les policiers parisiens, et donc des réponses apportées : et pourtant, la mise en cause précise de Gustave et de Zézé aurait pu ne pas être inintéressante…


88. En tout cas, Fabre est encore là, il a donc ses entrées aux Baumettes, tout autant qu'un policier exécutant une commission rogatoire. C'est pourquoi il se permet de faire la leçon à Chenevier aussi, et comme Gillard glisse qu'ils sont là tous deux pour revoir "une enquête scandaleusement menée" (on chercherait en vain une telle appréciation dans le très long - près de 300 pages - et explicite rapport Chenevier), Fabre rétorque au Commissaire Divisionnaire : "vous êtes là pour redorer le blason de la police". Habile manière d'invalider, par avance, les conclusions auxquelles parviendront les policiers parisiens !


89. C'est d'ailleurs ce que leur reproche Fabre : "vous changez la forme sans changer le fond"… Ben oui, puisqu'on ne peut pas changer la vérité des faits…


90. Sur ce, les policiers s'éclipsent (Gillard a discrètement donné rendez-vous à Fabre, auparavant !), et le journaliste omniscient demeure auprès du condamné, avec Yvette. Laquelle bru apporte à Gaston un livre "que Gustave a commandé". Comme de bien on pense, il s'agit d'une édition des Misérables : mais l'œil averti reconnaîtra sous la reliure un exemplaire emprunté à une bibliothèque municipale voisine… Cette fois, c'est Fabre qui fait la lecture (la mort de Jean Valjean), et on a droit aux larmes de Gaston, et à ses tendres souvenirs concernant l'enfance de Clovis, et sa maladresse émouvante…


91. Et comme si l'on n'avait pas compris, pas saisi l'allusion et le contraste, c'est Gaston qui rapporte ce qu'il a entendu : maintenant, Clovis boit et titube en quittant les bistrots. Ah, remords, quand tu nous tiens !


92. Voix off de Fabre. Malgré le rapport Chenevier, "le procès n'a pas été révisé". Comme si le dit rapport avait pour ambition de "réviser" un procès ! Quelle méconnaissance du monde de la justice ! Et Fabre oublie opportunément de parler, fût-ce brièvement du contenu de ce rapport. On peut comprendre pourquoi !


93. Comme on l'a vu plus haut, le commissaire Gillard a donné rendez-vous à Fabre. Il arrive en retard au rendez-vous, permettant ainsi à notre détective de fouiller la chambre de son hôte, et d'y jeter un œil rapide sur le fameux rapport Bartkowski (ce qui lui servira, plus tard, pour en citer des tonnes ! Sacré lecteur, en effet, qui a dû intensément suivre un programme d'entraînement perceptif !).


94. Le voici donc surpris en pleine lecture par Gillard, à qui il reproche d'être "de mèche avec la DST". Gillard lui répond qu'en effet, c'est bien Bartkowski qui dit le vrai (sur les crime de Lurs) dans sa confession : et il brûle, devant Fabre estomaqué, le rapport soi-disant compromettant ! Par bonheur, comme le spectateur peut le lire, il s'agit d'un exemplaire portant le tampon "COPIE" : on respire, vraiment… Et le Commissaire d'expliquer qu'il agit en fonction des "intérêts supérieurs" de la Nation, parce que, "ce que les Soviétiques ont fait à la Grand'Terre, nous l'avons fait chez eux" (on imagine quelques modestes agents secrets français, franchissant sans encombre le rideau de fer !), et qu'en définitive, "la vérité, c'est un battement de porte agité par un courant d'air". Fermez le ban. Autrement dit, Gillard était un lâche doublé d'un fourbe et d'un menteur. Disons un salaud cynique.

Rien que cela.


95. À nouveau, Fabre aux Baumettes, annonçant à Gaston qu'il a été sacrifié à la Raison d'État. Puis, sur l'invite de Gaston à lire un passage des Misérables, il se met en réalité à lui dévoiler le contenu d'un article sur Bartkowski : soit la fin grand-guignolesque de "Les assassins retrouvés", dont il y a de fort nombreuses années, j'ai raconté ici ce qu'on en pouvait penser…


96. Cette exposition des faits reymondienne, qui n'en finit d'ailleurs pas, nous donne à voir le commando s'approchant à pas de loup du campement, retrouvé au millimètre près (grâce à des coordonnées GPS, sans doute, ce pourrait être un anachronisme du même acabit que le coup du magnétophone).


97. Et tandis qu'on entend Ann dire : "il est temps d'aller nous coucher, il se fait tard", Sir Jack proteste : "moi, je dois demeurer éveillé encore". Las, l'US-M1 (sortie de la remise Dominici) l'empêche d'achever ses propos. Et voilà le couple abattu sans autres bruits que celui des détonations de l'arme.


98. Quant à la fillette, primitivement blottie contre sa mère, et couverte du sang maternel, elle est estourbie d'un coup de crosse, d'un seul ("Gaston Dominici a dit à Prudhomme qu'il avait assommé la fillette alors qu'elle s'enfuyait", D 230).


99. Sir Jack est alors transporté, on ne sait pourquoi, de l'autre côté de la route - alors même qu'une lumière apparaît à la Grand'Terre, et qu'il serait temps de déguerpir.


100.  Quant à la fillette, elle subit le même sort, mais dans un sens opposé : on a le temps de remarquer qu'elle n'est pas en tenue de nuit (pyjama), mais en robe courte… ["à quinze mètres de la sortie du pont, dans la pente sur la rivière, nous remarquons le cadavre d'une fillette vêtue d'un pyjama bleu-ciel…" - D 4]


101. On revient à notre affaire, et à peine apprend-on le geste du Président Coty (commutation de la peine) que Sébeille surgit à point nommé, fume-cigarette Dénicotéa au bec, chez le condamné, pour exhaler sa haine et son dépit, ce qui nous vaut une autre répartie savoureuse de Gaston : "tu les as butés/non c'est toi qui es buté", mais surtout une incroyable scène d'étranglement, Sébeille soudain saisi d'un accès de folie furieuse - un gardien de prison venant rapidement au secours du condamné, à moitié étranglé, en mettant sans ménagement le Commissaire à la porte lequel, dans la bousculade, laisse échapper sa précieuse médaille de la Légion d'Honneur, qu'il avait imprudemment acquise avant même de figurer au Journal Officiel !!!


102. On reverra d'ailleurs une dernière fois Sébeille, mais pour l'instant Lukas Fabre nous fait part de son audacieux projet : obtenir la libération du condamné, en plaidant devant la France en sa faveur, par l'intermédiaire de Cinq Colonnes à la Une ! Incroyable retournement, ou culot, comme on voudra, des scénaristes ! Dans la réalité, c'est Jacques Chapus qui est à l'origine de cette idée, le Chapel Vert-de-gris du téléfilm !!!


103. Et Fabre, grand seigneur, de s'adresser à Gaston : "j'ai fait venir la télévision". Un Gaston fort habilement vieilli pour la circonstance, et de plus l'imitation du Cinq Colonnes originel est bien réalisée, la voix off de Fabre remplaçant celle de Pierre Desgraupes… tandis que coulent les larmes des premiers téléspectateurs.


104. Et voilà Gaston sortant titubant tout seul des Baumettes, non sous l'effet de l'alcool comme son fils aîné, mais courbé par le poids des ans et de l'injustice. Non tout seul, en réalité : Pollak vient à sa rencontre, se charge de sa modeste valise, et l'accompagne jusqu'à la voiture où l'attendent Yvette et Gustave, puis s'éclipse.


105. Où on va ? interroge Gaston ; à la Grand'Terre, lui est-il répondu. Mais non, mais non, il était assigné à résidence bien loin de là…


106. Et ce qui est incroyable, c'est que Sébeille, écumant de rage, observe de loin l'arrivée du Patriarche chez lui, avant de disparaître à toute allure au volant de sa Traction… enfin, de la Traction de la Police !!! La farce grimaçante, mêlée à la volonté de nuire, se poursuit donc jusqu'au bout.


107. Tout le monde est là, jusqu'à Zézé (le jeune acteur de Effroyables jardins), tandis que Gaston serre longuement la Sardine dans ses bras !!! [Témoignage du gardien Guérino : "Il m'a confié qu'il avait toujours été malheureux. Il m'a indiqué que le jour de ses noces il avait pleuré toute la journée. Il ne s'était, disait-il, jamais entendu avec sa femme" (le samedi 14 novembre 1953, vers 19 heures - cote 217). Et Gaston soi-même au juge Périès, le 15 novembre 1953, à 11 h 15 - cote D 212) : "J'espère que vous avez compris. Il y a vingt ans que je ne m'entends plus avec ma femme. Je suis trop vieux pour divorcer. J'ai là l'occasion de m'enlever du milieu, je ne la laisse pas échapper".] 


108. Et le téléfilm se clôt sur le bon grand-père allant promener les "biquettes" (aux fameuses cornes démesurées), tandis qu'en voix-off, Fabre ne manque pas d'énoncer un nouveau mensonge, l'ouverture des archives soviétiques et la confirmation subséquente de l'exactitude de la confession de Bartkowski, et le regret que le procès ne soit toujours pas révisé…


109. Là, faites-moi confiance, Fabre peut attendre longtemps encore.

 

 

III. L'affaire Dominici, pièce de théâtre de R. Hossein (juin 2010)

 

S'agissant de la pièce du théâtre hosseinien (hosseiniste) que je n'ai moi-même pas vue (du moins en entier), je me permets d'effectuer un emprunt sur un site ami, qu'on pourra atteindre sous ce lien.
J'y ai en effet découvert la critique "à chaud", postée le 30 juin 2010 par un dénommé "Professeur" Gorenflo (anagramme imparfaite de Léonore, ou de Gonfler, ou encore allusion émue à Jacques de Gorenflo, ce regretté Picard - 1646 - 1650 ?) qui semble assez toucher sa bille, comme on dit, sur cette affaire et dont les interventions sont tout le contraire de la force brute qui lui sert de picto (un taureau magnifique, mort sans doute dans l'après-midi). Donc, merci à lui.




"Une première réaction, à chaud.

Bien entendu, Gaston est déclaré innocent à une écrasante majorité. Le contraire eût été surprenant, car Maître Pollak a bien su dire et répéter qu'il n'y avait pas de preuves matérielles dans l'affaire et qu'on ne pouvait donc condamner quelqu'un sur cette base. D'autant que l'avocat général a bien insisté (ainsi que l'avocat de la partie civile) sur le fait qu'il fallait envoyer Gaston se faire couper la tête.

Qui, en 2010, se sentirait capable d'envoyer un homme se faire guillotiner ? Peu de gens, les temps ont changé, Badinter est passé par là et on voit bien que les esprits ne sont plus les mêmes. Qui plus est, il n'y a pas de preuve. Alors le spectateur qui tient lieu de jury, même si tout cela est une sorte de jeu, ne veut pas se dire qu'il est un salaud : il est un être plein de compréhension, de mesure, de bonté. Il vote l'innocence, il est content de lui, tout le monde est content de soi, à la fin de la représentation, les acteurs applaudissent le public. Nous sommes au pays des Bisounours.

Il faut dire aussi que ce n'est pas en moins de deux heures de temps que l'on peut avoir une idée précise de l'affaire. Donc, tout ceci n'est pas une surprise.


Pour le reste, je dois dire que je m'attendais à pire. Il y a eu quelques moments de vérité dans notre théâtre. Au moins deux qui sont importants, me semble-t-il :

- Clovis apparaît comme le protecteur de Gustave

- Maître Pollak dit clairement, dans sa plaidoirie, que "la vérité se trouve dans le clan Dominici". Merci, Maître ! Exeunt les anciens résistants FTP et autre commando venu du froid !!!!!!  Au moins, ce soir, tout n'aura pas été perdu.

Et je me demande comment Alain Dominici arrive à se satisfaire de ce qui a été suggéré tout au long de la pièce (il avait l'air d'être content lorsqu'il avait été interviewé au mois de Mai)
Car, si on a décidé de nous peindre un Gaston innocent, on a drôlement regardé du côté de son père Gustave et de son cousin Roger Perrin.

Cela dit, des contre-vérités ont été aussi avancées :

- Le carnet de voyage de Mme Drummond : non, celui d'Elizabeth. C'est un petit détail mais tout de même.
- "Yvette m'a dit ce que je devais dire aux gendarmes" (Zézé). Ma mémoire me fait peut-être défaut, mais je ne crois pas avoir lu cela.
- "Des carabines, il en est tombé des centaines pendant la guerre" (Paul Maillet). Même remarque que ci-dessus.
- Paul Maillet aurait été le premier suspect de Sébeille. Faux ! Le premier et principal suspect de Sébeille, c'était Gustave.
- Clovis cherche à prendre la fuite devant Gustave au moment de la confrontation. D'où vient ceci ?  Personne, à ma connaissance, n'a jamais raconté une chose pareille.

Enfin, pour impressionner favorablement le jury, on n'a pas oublié de faire pleurer dans les chaumières en jouant sur les émotions :

- On empêche la pauvre Marie de toucher la main de son mari, lui-même effondré. Quelle bande de salauds, ces magistrats ! Au demeurant, j'ai bien aimé le jeu de l'actrice qui tient le rôle de Marie Dominici.
- Ce pauvre Gaston, il fait pitié à tout le monde, on le voudrait pour grand-père. On oublie de dire comment il était perçu par ses contemporains.
- Les deux fils Gustave et Clovis sont deux salopards (ce dernier présenté comme haineux, voire sauvage et dangereux !). Quant à Roger Perrin, il chercherait à recevoir des tartes dans la figure qu'il ne s'y prendrait pas autrement.

Tout ceci relève d'une sorte de manipulation, mais bien plus fine que celle que l'on peut voir dans le film tourné avec Jean Gabin. Ne parlons pas de celui dans lequel a joué Michel Serrault.

Quant au dénouement (l'acquittement) il faut croire que Robert Hossein avait peu de doutes puisque l'affaire terminée, Gaston prend la parole et s'adresse au public. "Je vous remercie de votre confiance".
Y a-t-il eu un discours préparé pour le cas où le public aurait voté la culpabilité ? Je suis presque sûr que non".