Suite 2 de Horresco referens (Pour en finir...)

 

 

À la mémoire de la petite Élisabeth Drummond (1942-1952), dont le soleil s'est couché avant la fin du jour

 

 

 

 

 

"Prétendre que l'affaire de Lurs n'est pas maintenant absolument claire, dépasse l'entendement et décourage toute discussion. Quelles que puissent être les clameurs ou les manœuvres (inspirées) de la tribu Dominici, il demeure de façon définitive un ensemble de faits déterminés, sûrs, prouvés, contre lesquels l'imprécision toute relative de quelques à-côtés de l'affaire ne peut strictement rien".
(Roger-Louis Lachat, in Le Dauphiné libéré du 19 novembre 1953).

"Lorsque le commissaire Sébeille en arrive au massacre de la petite fille, qu'il détaille selon ce que Dominici lui a avoué, l'attitude du vieux se modifie. Il semble que ses yeux s'enfoncent profondément dans les orbites. Lentement, on le voit osciller d'avant en arrière. Lentement... et puis moins lentement, et puis plus vite... C'est un spectacle extraordinaire. Gaston Dominici subit visiblement un choc nerveux. Il n'extériorisera pas autrement que par ce balancement insupportable, douloureux, commun à qui souffre physiquement. Le rappel de la mort de la petite Élisabeth a provoqué en lui quelque chose que ne saurait faire naître le récit de la mort des parents Drummond.
Que faut-il inférer de cela ? Le pire ? Nous n'osons le dire. Nous ne nous le permettons pas. Il n'y a là, encore une fois, qu'une impression, mais profonde".
(Madeleine Jacob, À vous de juger, pp. 66-67).

 

 

5. La béatification de Gaston

 

Dans le même mouvement qui voue aux gémonies les enquêteurs (au premier rang desquels, naturellement, Edmond Sébeille), Reymond s'emploie à nous asséner l'innocence angélique des Dominici (et, naturellement, celle de Gaston en particulier ; ô l'involontaire comique - grinçant - quand il nous confie que l'assassin "verse quelques larmes" en recouvrant le corps de la fillette [WR p. 35] !) : opérant un curieux renversement des valeurs, il agit en sorte de les faire passer pour des victimes de l'acharnement flicard(1).
Alors qu'il eût été plus simple, et absolument conforme à la vérité, de dire : "Gaston fut un être (certes un peu rugueux, un peu rustre) entièrement voué au travail, qui l'a occupé toute sa vie. Et au soir de cette existence laborieuse et digne, un coup de sang malencontreux a tout flanqué par terre". Mais non, emporté par sa fougue juvénile, notre auteur va trop loin, et ses justifications verbeuses finissent par s'écrouler toutes seules.

Avec un sérieux d'un comique irrésistible, il rapporte comme argent comptant l'échange suivant (Me Floriot allant visiter Dominici dans sa prison) : "vous pensez bien que je n'ai pas pu faire une chose pareille", dit Gaston à Floriot ; et il m'a paru sincère, ajoute sans rire le célèbre avocat [rapporté d'après Paris Presse du 29 juillet 1955. WR p. 184]… Sincère, et naturellement apprécié de tous : "il a obtenu l'estime de ses pairs, étant élu dix-huit ans d'affilée conseiller municipal de Ganagobie" [WR p. 22]. Le lecteur curieux se renseignera sur le nombre de foyers de cette vaste commune, et sur le nombre minimal que doit compter un Conseil municipal. Il en tirera la conclusion que, estimé ou pas, tout chef de famille ganagobien devait faire partie du Conseil de Ganagobie !

Reymond nous apprend aussi que Gaston "a fait le choix de la Résistance" [WR p. 25]. Ah bon ? Mais n'est-ce pas un peu facile ? Qu'a-t-il très exactement fait, le futur massacreur d'Élisabeth Drummond, POUR la Résistance ? Personne n'a jamais été capable de le dire clairement et indiscutablement. Quand on songe que Gaston ne fut même pas "pris" en 14 (pour mauvaise "denture" !)… On ajoutera que son propre fils Gustave n'avait été qu'un résistant de la dernière heure, selon le chef du maquis local (J. Meckert, p. 92). De la dernière heure, c'est à dire d'août 1944, nous apprend Gordon Young. D'ailleurs, bon prince, Gaston soi-même a précisé, lors de son procès, le jour même de cette entrée : ses fils Gustave et Aimé sont entrés dans la Résistance… le 25 août (le lendemain du jour où Bastide était sur le toit). C'était bien la onzième heure quarante-cinq, en effet !

Nous décrivant les bucoliques propriétaires de la Grand'Terre, Reymond note deux attitudes sonnant parfaitement faux : profitant du clair de lune, Gaston a regardé sa montre, il est formel, les coups de feu, c'est à une heure dix [WR p. 48]. Quant à sa tendre épouse (la chère Sardine), la voilà ayant entendu "deux ou trois voix étrangères" le 4 août au soir, à 19 heures 15, en allant fermer la vanne du canal d'arrosage [WR p. 43] : c'est fou ce que ces fermiers d'antan avaient l'œil rivé sur leurs montres !

Le cas échéant, pour étayer sa thèse, Reymond n'hésite pas devant l'affabulation. Ainsi, chacun connaît l'histoire du morceau de crosse retrouvé sous la tête d'Élisabeth. Et de l'odieux mensonge de Gaston à ce sujet. Eh bien, Reymond ne ménage plus ses effets, et partage la poire en deux. Lui a vu DEUX morceaux de crosse [WR p. 116]. Ainsi la morale est sauve, et tout le monde a dit la vérité. Grotesque.
De même, rappelant la reconstitution, il n'hésite pas à écrire : "Encadré par le commissaire Sébeille et le juge Périès, le vieil homme effectue la totalité du trajet lourdement appuyé sur sa canne..." [WR p. 211]. Eh bien, regardez-les tous trois quitter la Grand'Terre (Gaston vient de montrer à ceux qui l'encadrent la place exacte de la carabine - que Sébeille tient à la main), par exemple sur la dernière page du Dauphiné Libéré du mardi 17 novembre 1953. Voyez vous-mêmes si le vieil homme est "lourdement appuyé" sur sa canne ! On pourrait d'ailleurs ajouter ici le témoignage du Commissaire en personne : "Rusé comme pas un, il possédait les dons de comédien souvent innés chez les Italiens […]. Quel roublard ! Quand il se trouvait en ma présence, il ne marchait jamais sans sa canne. Mais dès que j'avais le dos tourné, il fallait voir comme il redevenait alerte et ingambe !" (E. Sébeille, p. 111).

Enfin, Reymond insiste sur un incontestable acte de courage de Gaston, qui avait 47 ans lorsqu'il obtint une "médaille de reconnaissance et de dévouement" pour avoir contribué à faire arrêter un malfaiteur. Et de nous donner à lire une lettre inédite de son héros (datée du 9 décembre 1924), dans laquelle on trouve un détail qui fait froid dans le dos : "mon fusil coupé d'une balle au milieu des canons … j'ai cassé la crosse sur sa tête" [WR p. 23. Souligné par nous]. À trop vouloir prouver…

Il convient donc, une fois encore, de rappeler certains faits pour ramener un peu de sérénité objective dans cette affaire obscurcie à plaisir. Le premier est un simple constat, éminemment incroyable, mais malheureusement vrai. Il a été souligné, en particulier, par l'avocat de la partie civile, Me Delorme : alors que le plus vil des criminels trouve toujours pour sa défense au moins un témoin à décharge, Gaston n'a connu que des témoignages à charge (si l'on excepte les membres de sa famille), et ce malgré les efforts déployés par sa cohorte d'avocats, dont on sait combien elle s'est démenée. Cela devrait déjà donner à penser, n'est-ce pas ?
D'autant plus qu'un incident rapporté par la presse fournit une bonne idée de la mentalité du personnage : "...Gaston Dominici... s'est bien rendu compte du soupçon qui pesait sur sa famille, et il a contre-attaqué, bien décidé à ne pas faciliter la tâche des policiers. Alors que Sébeille lui proposait un entretien en a parte, il a refusé et s'est attiré un public nombreux avec les journalistes et les curieux qui se trouvaient dans la cour de la ferme. Nettement, il jouait la comédie, s'assurant d'un coup d'œil complice que tout le monde l'écoutait, avant de lancer une réplique définitive. Mieux, lorsque le Commissaire lui posait une question d'une voix basse, il le défiait et la répétait à très haute voix et répondait de même.
Les policiers sont à plaindre dans des cas semblables, et M. Sébeille a si bien compris qu'il n'apprendrait rien de cette façon, qu'il abandonna la partie après un quart d'heure de cette joute. Et, lorsqu'il le quitta, le vieux Dominici se tourna vers le journaliste qui se trouvait le plus près de lui et lui dit, en clignant de l'œil et en relevant son pouce : "Tu as vu ?
".
Cet incident, narré dans Nice-Matin, a eu lieu deux jours seulement après la tuerie. C'est assez souligner l'incroyable ignominie de l'assassin. Ajoutons qu'on frémit en lisant la signature du journaliste, dont la "couverture" de l'affaire est d'une rare honnêteté intellectuelle, et d'une confondante acuité perspicace : Georges Reymond. Serait-il le grand-père, le grand-oncle du "bon jeune homme" ? Si tel était le cas, bon sang aurait su mentir !

Cette attitude innommable est, curieusement, propre à nombre d'assassins (qu'on songe aux crimes du Grand-Bornand). Et me revient en mémoire une affaire beaucoup plus proche de nous (milieu des années soixante). Un jeune homme de vingt et un ans avait, un samedi après-midi, entraîné une adolescente de quinze ans dans les bois et, devant sa résistance, l'avait étranglée avant de la violer. Puis, l'ayant déshabillée, il se débarrassa des vêtements de l'infortunée, et jeta son cadavre dans un fossé.  Ensuite, il retourna chez lui, et passa joyeusement avec des amis le reste de la nuit... Aujourd'hui, tandis que sa victime se promène éternellement dans les vertes prairies du Seigneur, lui, depuis longtemps débarrassé de sa "dette à la société", coule des jours heureux et s'affaire, sur Copains D'avant, à retrouver ses ex-camarades de classe...

 

6. L'apothéose romanesque

 

 

Après avoir exposé (trop longuement) des documents plus accablants les uns que les autres (pour son poulain), W. Reymond commence imperturbablement sa dernière partie en énonçant doctement : "Gaston Dominici n'est pas coupable du triple crime de Lurs. Il ne s'agit pas d'une supposition ou d'un cas d'école (Reymond connaît-il le sens exact de cette expression ?), mais d'une certitude" [WR p. 201]…
Ce bon jeune homme prend vraiment ses lecteurs pour des imbéciles (restons poli). À moins que, banal corbeau, il ne se prenne lui-même pour un aigle.
Ayant fort justement écrit, un peu plus haut [WR p. 115], "Une opinion n'étant pas une preuve", on se demande pourquoi il ne s'emploie pas à seulement tirer toutes les conséquences de ce sage précepte.

Déjà éminent spécialiste de la chasse, de la balistique, des armes légères de guerre et de la médecine légale, il faut le voir pour le croire, notre nouveau Pic de la Mirandole, utiliser la plus subtile science météorologique, pour expliquer ce qui a poussé Gaston Dominici, le matin du crime, à conduire ses chèvres dans la direction opposée à celle qu'il empruntait d'habitude [WR p. 54] ; ce n'était pas du tout, comme l'ont prétendu de mauvais esprits, pour tourner le dos aux lieux du carnage, mais à cause d'un "petit vent sud-nord"...(2)
Et il faut le voir ensuite, sorte de Fregoli de l'enquête, endosser l'habit de maître-chien, pour dénoncer l'incurie des gendarmes n'ayant su profiter de la piste suivie par Wasch. Oui, il faut le lire pour le croire, lui le spécialiste de la propagation des sons, expliquant pourquoi on n'a pas su localiser les coups de feu depuis la Grand'Terre [WR p. 49], alors qu'ils furent correctement perçus à des distances dix fois supérieures... Tout est affaire de météorologie, vous dis-je !

Et voici notre Reymond-la-Science qui, sans s'attarder plus qu'il ne faut à l'acoustique, se découvre spécialiste de la nutrition, cependant que sa cible, si l'on ose dire (car à l'entendre, Sir Drummond n'était pas tout net, oh que non !), est bombardée spécialiste de la guerre bactériologique [WR p. 289] et pourquoi pas, tant qu'on y est, "chasseur de cerveaux nazis" [WR p. 302]  !

On comprend ainsi qu'on a affaire à une sorte de reprise, sous le mode de la farce, du fameux Espion, lève-toi, avec la réapparition, quarante ans après les faits, d'une famille-sosie, voyageant dans une voiture-sosie : à ce sujet, on citera, entre bien d'autres,  J. Meckert (p. 153) : les vérifications minutieuses de la police réduisent à néant [cette hypothèse]. Et on apprend que le voyage des Drummond n'était nullement d'agrément (Me Delorme, qui apprendra aux jurés que l'itinéraire avait été établi par l'Office français du tourisme, et modifié par l'automobile-Club de Londres, est évidemment un menteur de plus). Une des preuves, n'est-elle pas qu'ils n'ont pas mangé, annonce sentencieusement Reymond : d'ailleurs, ils n'étaient pas venus manger, ils ont stoïquement attendu plus de cinq heures, sans se reposer ni se restaurer, un rendez-vous fatal ; car la mallette de camping, retrouvée dans les affaires, contenait un matériel de pique-nique propre et rangé [WR p. 319]. Il ne vient pas à l'idée de notre détective qu'Élisabeth et sa mère ont pu aller laver ce matériel dans la rivière toute proche. Et que contraindre une fillette, cinq heures durant, à une pénible et rébarbative attente, relève de l'impossibilité la plus absolue…

Le lieu même du crime devient suspect, puisqu'il est "situé à 97 km de Marseille et à 41 km de Digne" [WR p. 321]  ! En effet, on se demande par quel aveuglement obtus les enquêteurs n'ont pas été frappés par un indice aussi lumineux ! Et, de plus, à un jet d'arbalète de l'usine chimique de Saint-Auban ! Hein, dites-moi un peu, pourquoi Lady Drummond a-t-elle arrêté la voiture à 20 heures ? Pour faire plaisir à sa fille, qui souhaitait passer une nuit à la belle étoile ? Vous n'y êtes pas du tout, c'est parce qu'elle était arrivée à un point nodal situé à 97 km, etc.… et à 10 km de Saint-Auban. Génial, non ?

Enfin Bartkowski vint. Certes, on pourrait s'arrêter à ce qu'en a dit le commissaire Gillard, chargé d'aller l'interroger en 1952 (avant l'arrestation de Gaston), concluant qu'il s'agissait d'un mystificateur ("ses déclarations étaient apparues totalement fantaisistes", note Le Dauphiné Libéré du 17 juin 1954, revenant sur l'incident)  ; ou encore à l'opinion du Juge de la seconde instruction, Pierre Carrias, qui parle d'un petit mariolle frappé par les circonstances du crime, telles que ressassées dans tous les journaux, en France comme à l'étranger, et qui songe à en tirer parti ; bref, un Llorca, un Panayotou(3), etc. Ou, si l'on préfère, l'affabulation de Bartkowski revêt la fiabilité de l'ivrogne Robert Martel s'accusant du crime en plein Nice !
Mais vous n'y êtes pas du tout. Et Reymond, avec le sérieux cuistre qu'on lui connaît maintenant, d'appeler ces couillonnades des "aveux incontestables" [WR p. 330]. Ajoutons que le commissaire Gillard a été approché par notre auteur, en 1995, dans la maison de retraite où il terminait sa vie. Tout en demeurant très ferme sur ses positions (pro-Chenevier), Gillard a défendu l'enquête de Sébeille [WR p. 227]. Dès lors, puisqu'il persiste et signe, son attitude ne peut être que très suspecte, et il a donc reçu des instructions. Comme tous les autres !

À ce propos, je vous laisse aller voir la manipulation du témoignage du commissaire Gillard, telle que démontée par le juge Pierre Carrias : démonstration lumineuse, effectuée de main de professionnel. Et pendant que j'en suis au Juge de la seconde instruction, je veux rappeler ici un incident révélateur. Pierre Carrias raconte en effet comment, au cours d'une causerie sur l'affaire, le micro lui fut littéralement arraché des mains par un zélateur de l'équipe Dominici. Sans doute pour éviter qu'il ne s'étranglât, à son âge… C'est en tout cas là, pour le moins un comportement fâcheux, pour ne pas dire facho, à Digne ! Tant qu'ils y étaient, pourquoi ne pas lui avoir aussi administré une bonne dose d'huile de ricin ? Les choses eussent été plus claires…

Mais revenons à nos espions. Il faut donc les voir débouler [WR pp. 336-337], ces (je n'ose écrire : ses) quatre tueurs composant une équipe européenne, l'Allemand déjà cité, chauffeur au moment du crime, le Grec, détenteur d'un fusil mitrailleur allemand, le Suisse, d'une U.S. M1 bricolée sur un marché de la région de Lurs (naturellement, on tiendra pour nul et non avenu cet incident survenu le jeudi 15 novembre 1954 au matin, lors de la 8e journée du procès [WR p. 153] : "et cette arme, hurle Gaston à son fils Gustave, elle vient pas de loin, cette carabine !") ; le Français enfin, possesseur d'un pistolet 9 m/m, chargé pour ce qui le concernait de surveiller la ferme sur place, au cas où ses occupants auraient manifesté de l'inquiétude, et seraient sortis pour venir voir !

Il faut les suivre depuis Lindau quitté le 4 août, parcourir plus de mille kilomètres (quel détour ils font, qui plus est) et traverser moult frontières sans être autrement inquiétés avec leurs armes de guerre, puis trouver la voiture Hillman avec une sûreté de jugement remarquable (évidemment, vous me direz que c'était facile, puisqu'elle était à 97 km de Marseille). Il faut voir nos assassins, leur abracadabrant forfait accompli (rater une gosse au fusil-mitrailleur !), habiller calmement Élisabeth (mais que faisait-elle donc à moitié nue, sous sa mère ?), puis s'essuyer les mains sur une culotte de la fillette (Reymond va jusqu'à envisager que les assassins aient pu apporter des sous-vêtements avec eux ! Mais là, je prends sa fertile imagination en défaut : il m'étonnerait que ses clients aient pu trouver en Allemagne une culotte d'enfant de la marque Baby Roger's, taille 10 years), et placer enfin deux morceaux de la crosse (car il vous en souvient, le détective au flair incisif en a vu deux) à côté de la tête de la fillette (mais pourquoi pas la culotte, tant qu'ils y étaient(4) ?).

Pan pan pan pan ! Ce n'est plus le grand tempo du Destin beethovénien, pourtant convoqué ; Beethoven se retire, penaud, cédant sa place à Mozart. Notre chef artificier met en scène la Symphonie des coups de feu, ou plutôt le Quatuor des armes de guerre dépareillées, et on peut compter sur la richesse de son imagination.
Ah, Maestro, puis-je exprimer un regret ? C'est que le Luger P.08, si fameux pistolet, n'ait pas participé à votre incontestable chef-d'œuvre. Il fallait faire sortir Gustave de sa cache, le temps pour votre Français de tirer quelques coups en l'air, histoire de lui faire peur. C'eût été l'apothéose, Wagner triomphant sur les bords de la Durance devant Ricard, Olivier, les frères Duc, Llorca et autres Panayotou médusés ! Et Sébeille, enfin confondu. Que Messieurs les Anglais soient tirés les premiers !

Voilà. Comprenne qui pourra : la France savait. Un commando de zozos, armé par les Soviétiques [WR p. 349] avait pu frapper au cœur de la France des ressortissants étrangers ! Et donc, par honte d'avouer cela, on s'est rabattu sur les Dominici... Sébeille et tous les autres se sont inclinés devant la raison d'État...

La révision du procès Dominici est donc un combat républicain [WR p. 351].
Mais de quelle république parle-t-il, ce bon jeune homme, comme l'appelle volontiers le juge Carrias, en bon français, ce petit c. ? La justice, dit-il, est rendue au nom du peuple. Ah bon ? Les jurés bas-alpins qui ont condamné Dominici ne faisaient donc pas partie du peuple ?
La plaisanterie tourne à l'aigre, et a assez duré. Car refaire pareillement l'Histoire, oui, ça commence à bien faire.

Ce drôle de pistolet nous annonce qu'il dispose d'un Colt 45, et qu'il va tirer sur tout ce qui bouge ; aussi, trente secondes durant, prenons-nous peur. Mais nous nous apercevons très vite qu'il ne possède qu'un joujou d'enfant, avec une poire à eau dans la crosse. Heureusement pour lui, car comme notre Rouletabille bas-alpin ne sait même pas diriger le jet de son pétard d'opérette mouillé, il s'arrose souvent les pieds. Ce sale gamin a besoin de trois ou quatre grains d'hellébore, lestés de quelques coups de pied au cul.

 

Triste sire, triste entreprise.
Dors tranquille, Sébeille ;
sans doute y as-tu mis du temps,
mais tu as fini par l'avoir,
le salaud qui a fait ça.

 

 

 

 


Notes

 

 

(1) Un exemple, entre cent, de cette touchante sollicitude. Le 7 août 1952, Gustave, nanti d'un certificat médical, refuse l'interrogatoire de Sébeille. Commentaire de Reymond-la-Science : "Gustave est alité, malade et choqué par sa macabre découverte" [WR, p. 60]. Mais depuis fort longtemps, son homonyme et aîné Georges Reymond lui a répondu, par anticipation (Nice-Matin, vendredi 8 août 1952) :
"Perquisition à la ferme de Gustave Dominici. Le Dr Nalin a prescrit du repos au principal témoin. Il est fatigué, certes, mais personne ne l'obligeait à répondre à la curiosité des journalistes, ni à s'informer auprès d'eux de l'avancement de l'enquête".
(2) Ce qui est absolument merveilleux, c'est que Gaston a vu [sic] "le petit vent sud-nord qui souffle durant la nuit", mais n'a pas entendu les détonations de l'arme de guerre (quiconque a tiré avec cette arme, ou a entendu tirer, sait de quoi il retourne). Malheureusement pour la démonstration de Reymond [qui s'est inspiré librement de "Au cours de la nuit, j'ai entendu quatre coups de feu provenant de la direction de la Durance ; en raison d'un léger vent sud-nord, je n'ai pu me rendre compte exactement d'où provenaient ces coups" (PV du 13 août 1952, recueilli à 9 h par les gendarmes Romanet et Bianco, B 35, p. 27], Gaston n'a pas repris cet argument définitif du petit vent sud-nord, lui qui avait un sens de la répartie absolument remarquable (et qui a si souvent mis en joie le public assistant au procès), lorsque l'affaire est venue sur le tapis au procès (interrogatoire de personnalité) :
"- [...] Tout ce que je sais, c'est que je me suis rendormi et que je me suis levé à trois heures trente pour aller garder mes chèvres...".
Et le président Bousquet de saisir la balle au bond : "... dans la direction opposée à l'endroit du crime !"
"- Parfaitement ! Je suis revenu à sept heures trente. Quand je suis arrivé à la ferme, etc. etc. " réplique seulement Gaston. Alors qu'il eût été si simple pour lui d'entonner la lumineuse explication par le coup du vent (du vent qu'on voit...)..
(3) Au sujet du représentant en fromages et salaisons marseillais, on peut vraiment se demander, aujourd'hui, à la lecture de son P.V. d'audition (effectué par Sébeille), comment un tel clown a pu être pris au sérieux par Harzic tout d'abord (annonçant un "témoin exceptionnel" !), puis par la Justice, au point d'être appelé à la barre, lors du procès. Car cette lecture n'est vraiment pas triste. Le sieur Panayotou raconte en effet avoir été présent sur les lieux, circulant en voiture dans la contrée. Soudain, pris d'un besoin autant pressant qu'irrépressible, il arrête précipitamment son véhicule, fait quelques pas, baisse pantalon et slip à deux pas de la ferme, s'accroupit et .... à ce moment entend les coups de feu et les cris... Panayotou poursuit imperturbablement en précisant qu'il a aussitôt remonté slip et pantalon en entendant la fusillade, et s'est enfui sans demander son reste ! On aimerait vraiment avoir vu la tête de Sébeille recueillant cette déclaration capitale !
(4) À propos de cette culotte de fillette, on peut lire dans le quotidien communiste La Marseillaise, en date du 7 août 1952, l'information suivante : "une culotte blanche tachée de sang a été découverte mercredi [6 août 1952] dans les fourrés par les inspecteurs Ranchin et Culioli. Elle portait une inscription bleue "Baby Roger". Cette pièce de vêtement parut tout d'abord avoir appartenu à la petite Élisabeth, mais "en fin de soirée, les policiers avaient pu faire la preuve que cette supposition était erronée". Dont acte.