Suite 1 de Horresco referens (Pour en finir...)

 

"On frémit à la seule pensée que le monstre qui a commis ce triple assassinat, ait pu s'acharner sur une fillette de 12 ans jusqu'au point de rompre la crosse du fusil qui lui servait de masue, après avoir fait des os du crâne une masse informe".
(Georges Reymond, in Nice-Matin du mercredi 6 août 1952, p. 1).

 

 

À la mémoire de la petite Élisabeth Drummond (1942-1952), dont le soleil s'est couché avant la fin du jour.

 

 

 

"Voici le commissaire Sébeille. Aucun journaliste honnête ne peut plus douter de la probité et de la conscience professionnelle de ce policier" .
(Alain-M. Ancelot, in Le Parisien libéré, 11 nov. 1954).

"Sir Jack Drummond avait fait la guerre dans les services de renseignements. Il n'en fallut pas davantage pour lancer les journalistes dans les affabulations les plus invraisemblables".
(Alain Monestier, Les grandes affaires criminelles, p. 202).

"Je ne peux pas considérer le travail de W. Reymond comme sérieux. Car tout ce qu'il relate de mon instruction est faux : ou il a des renseignements inexacts, ou il ne comprend pas".
(Pierre Carrias, in La Provence du 6 août 1997).

"Je colporterai des racontars destinés à minimiser les travaux de ceux qui réussissent, c'est la revanche habituelle des médiocres".
(P.-A. Lesort, Les reins et les cœurs, XXXIV).

"Je n'aime pas que l'on abîme les hommes".
(A. de Saint-Exupéry, Terre des Hommes, VII, 6).

 

 

 

Dans un document de cette ampleur - qui doit, au demeurant, beaucoup au copier-coller (travers moderne qui joue plus d'un tour, dans les répétitions), il est difficile d'éviter les fautes d'orthographe, les cuirs ("le travail qui échoue à l'Identité judiciaire" [WR p. 235]), ou les erreurs manifestes (la phrase : "ce que vous venez de dire est écrasant pour l'accusé", attribuée au président Bousquet à la suite de la déposition du Dr Dragon le 18 novembre 1954, alors qu'elle fut en fait prononcée comme conclusion du témoignage du Dr Boudouresque, le 24 novembre [WR p. 109]). C'est le lot du genre, et l'inévitable prix à payer de tout écrit un peu étendu. On n'en dira donc davantage. En revanche, il faut bien s'attarder sur tout le reste, qui ne relève pas de l'erreur malencontreuse ou de la faute d'inattention, mais d'une volonté délibérée de pratiquer un bien triste jeu de massacre.

 

 

1. Les rengaines affligeantes

 

W. Reymond nous dit que la presse communiste française (mais elle était à peu près la seule, et l'on sait très bien pourquoi !) mettait l'accent sur les faiblesses de l'enquête de Sébeille [WR p. 229]. Et alors ? D'autres journalistes ont eu des impatiences, ainsi du grand R.L. Lachat, l'envoyé spécial du Dauphiné Libéré qui, moins d'une semaine après les faits, estimait déjà que l'enquête piétinait, ajoutant, "les enquêteurs s'obstinent à penser que Gustave n'a pas dit toute la vérité". Il s'opposait même, le 21 août, au commissaire Sébeille en personne, lorsqu'il parlait de "l'inefficacité de la méthode d'investigation" (tout en affirmant sa conviction propre d'un crime "d'occasion" et local). Et après ? De quoi se mêlait-il ? Cela montre tout bonnement que les mouches du coche ont toujours et partout existé. En tout état de cause, dès le jeudi 7 août 1952, Lachat écrivait : "La police mobile en arrive à se demander si le crime n'a pas été odieusement maquillé, les corps des parents déplacés, celui de l'enfant transporté près de la Durance… afin de brouiller enquête et pistes". Si cela ne manifeste pas, de façon éclatante, que les enquêteurs, en dépit des tous les lazzis et de tous les obstacles, avaient vu juste dès les premières heures...

Quant à l'impatience britannique, que Reymond nous serine jusqu'au trop-plein, comme s'il s'agissait d'un argument irréfutable, elle est tout simplement de bonne guerre, et de toutes époques. Nous en avons eu, malheureusement, un autre exemple, très récent, avec le meurtre de la jeune Dickinson (16 août 1996). Même longueur d'enquête, avec des piétinements, et près de 10 000 témoins entendus (sans doute, un record), même impatience, voire mêmes sarcasmes, du côté de Scotland Yard… Tout y fut à nouveau. Jusqu'aux parents de l'infortunée Caroline qui s'étaient adressés directement au Président de la République, devant le peu de résultats procurés par l'enquête ! Aussi, on pourrait dire que l'arroseur est arrosé, s'il ne s'agissait pas d'un grave sujet.

Pour en revenir aux Anglais, on notera que le mardi 17 novembre 1953, le Daily Express rappela que la critique avait été vive en Angleterre envers la police française, et que dès lors, "aujourd'hui le commissaire Sébeille force l'admiration et doit être chaleureusement félicité". Lui, au moins, avait su faire, dignement, son mea culpa. Lachat aussi, d'ailleurs.

On ajoutera que notre auteur utilise encore la presse britannique dans son instruction à charge (contre les enquêteurs), nous répétant à l'envi combien les journalistes d'Outre-Manche furent scandalisés par les conclusions de cet "étrange procès" [WR p. 169]. Il oublie simplement de nous dire que ce qui scandalisa surtout les Britanniques (à tort ou à raison), c'est que Gustave ne soit pas condamné avec son père...

 

 

2. Les affirmations péremptoires

 

 

Pour couper court aux rumeurs concernant le fait que Roger P., le "roi des menteurs", aurait pu passer la nuit du crime dans la ferme de ses grands-parents, Reymond nous assène : "la Grand'Terre n'est pas équipée pour recevoir un invité" [WR p. 254]. Ah bon ? Mais alors, comment se fait-il que le fils cadet, Aimé, ait vécu à la ferme jusqu'au 12 janvier 1951 (précise-t-il en D 235) ? Certes, après son départ, son père prit sa chambre pour ne plus dormir avec la Sardine, certes. Mais alors, comment se fait-il que le plan de la ferme, dressé par la gendarmerie de Forcalquier (L. Romanet) à la demande du juge d'instruction (D 243), mentionne une "chambre d'amis" (cotée D) au premier étage (elle donne à l'ouest, comme la chambre qu'occupe Gaston à cette époque), et cinq pièces vides au second étage ? Comment se fait-il que Clovis ait pu venir coucher à la Grand'Terre (en alternance avec l'un de ses beau-frères), à la demande expresse de sa mère, durant les deux mois d'incarcération de son frère Gustave ? C'est même au cours d'un de ces soirs de novembre 1952, "après le dîner, entre neuf et dix heures" que Gaston, pris de boisson, dit à Clovis : "Ai paù de dégun ! Es ioù qu'ai fa péta leis Inglés !" Et last, but not least, comment se fait-il que le dénommé Roger P. soi-même, dit Zézé, ait pu répondre au juge Carrias, qui l'interrogeait (3 août 1955) : "Après le crime, il m'est arrivé une fois d'aller coucher à la Grand'Terre". Oui, comment se fait-il ?

Pour essayer de ruiner l'hypothèse du Commissaire, selon laquelle Élisabeth avait fui devant son assassin, Reymond écrit : "la gendarmerie n'a pas trouvé trace des pas d'Élisabeth dans le sol sablonneux" [WR p. 218]. Exact, mais elle n'a pas davantage trouvé trace des pas de tous ceux qui avaient arpenté ce sentier avant son arrivée, de Gustave (et Gaston !) à Faustin Roure, en passant par Clovis (et bien d'autres : ne parlons pas de la pagaille qui régna jusqu'à l'arrivée de Sébeille, soit pendant au moins six heures). Peut-être parce que le sol n'est pas tellement sablonneux, qui sait ? Quelle que soit d'ailleurs la nature du sol à cet endroit, W. Reymond se tire ici une balle dans le pied, si l'on peut dire : alors qu'il vient de nous donner à lire un extrait du premier rapport Romanet ("aucune trace de pas ni de lutte n'est relevée soit autour de l'automobile, soit auprès des victimes"), il continue comme si de rien n'était : "ensemble, ils [les six gendarmes, enfin sur place] détaillent les nombreuses empreintes de pas que le sol sablonneux a enregistrées à l'insu de l'assassin" [WR p. 35](1).

Le Dr Dragon (le praticien ayant effectué les premières constatations) rédige en 1955 une déclaration sur l'honneur à l'attention de Léon Dominici (un neveu de Gaston - Reymond ose appeler "contre-enquête" la plaisanterie médiatique du neveu Léon [WR p. 183]). De cette déclaration, Reymond tire rapidement la conclusion que Gustave n'a pas déplacé le corps de Lady Drummond [WR p. 249]. Ah bon ? Mais Gustave n'a-t-il pas déclaré, à maintes reprises, l'avoir fait ? Et tandis que ce point a été longuement soulevé, et en particulier durant le procès, en quel honneur le Dr Dragon, présent comme témoin, n'aurait-il pas alors donné son point de vue ?

Le lundi 4 août 1952, Gustave a travaillé toute la journée, jusque vers 20 heures, pour achever les moissons. Reymond le qualifie de travailleur acharné [WR p. 15]. Ah bon ? Mais pourquoi donc son père le traitait-il de fainéant à longueur de journée, renouvelant ses peu paternelles remontrances en plein procès [WR p. 100] ?

Gustave, donc, achève vers 21 heures les travaux de déblaiement de la voie ferrée. Puis enfourche sa moto et se rend à Peyruis, chez Faustin Roure. "Il ne prête guère attention à la voiture arrêtée sous le mûrier… Rien ne laisse croire qu'une famille… s'apprête à passer la nuit au bord de la nationale", affirme Reymond [WR p. 28]. Ah bon ? Pourtant, le 25 novembre 1954 après-midi, Gustave soi-même raconte la scène aux jurés de Digne, expliquant dans quelles circonstances il a vu la mère et la fille se préparer pour la nuit, tandis qu'il revenait de pelleter l'éboulement, et il ajoute : "c'était plutôt gênant, j'ai tourné la tête"…

Notre détective bas-alpin s'indigne : "Il est 6 h 45, et la gendarmerie n'est toujours pas là. Pourtant, voilà près d'une heure que Gustave a stoppé Jean-Marie Olivier sur la route" [WR p. 32]. Sans doute, sans doute. On ne peut jamais compter sur les pandores, c'est bien connu ! Mais si Gustave, qui a concédé (abondamment) s'être levé dès deux heures du matin, et être allé tout de suite visiter les lieux (faits confirmés séparément par son épouse, le vendredi 18 décembre 1953), avait immédiatement envoyé chercher les gendarmes, ils seraient peut-être arrivés un peu plus tôt qu'à sept heures, non ? Et qui donc a averti les deux journalistes communistes arrivés sur les lieux avant les gendarmes ? Quoi qu'il en soit, le commissaire Gillard (beaucoup moins tendre que Sébeille) avait répondu par avance, s'adressant à Yvette (le 8 août 1955, cote C 134), à cette indignation feinte, et donc parfaitement méprisable. Et ce qu'il dit est véritablement terrible : "Si, à sept heures, vous aviez hâte de voir les gendarmes arriver, c'est que Gustave avait fini sa mise en scène et surtout que l'enfant était enfin morte. Vous ne craigniez plus qu'elle soit soignée et peut-être sauvée, et qu'elle puisse reconnaître l'habitant de la ferme qui avait voulu la massacrer. Nous n'oublions pas que vous n'avez rien fait pour lui porter secours". On se demande bien pourquoi Reymond ne l'a pas cité...

Enfin, Nemrod émérite, Reymond se gausse d'un argument des enquêteurs (d'ailleurs fourni par Gaston lui-même, révélant qu'il avait pris sa carabine au cas où il croiserait la route d'un blaireau) : "comment justifier l'utilisation d'un calibre de 7,62 m/m pour tirer le blaireau ou le lapin, alors que sa puissance réduirait en bouillie toute bête abattue ? [WR p. 206]. Ah bon, il n'a jamais entendu dire que les GI's se plaignaient beaucoup de la très faible puissance d'arrêt de la petite Chérie, par rapport à celle offerte par le Garand ? Alors, donnons-lui ceci à lire, trouvé sous la plume d'un spécialiste (lui) : "balistiquement, la cartouche 30 Carbine est dans la même classe que la 32-20 Winchester. Sportivement, elle ne doit être utilisée que pour le petit gibier ou la vermine, car elle n'a ni la portée, ni l'énergie cinétique pour tuer à coup sûr un cervidé" [cf. partie consacrée à l'arme]. Tiens, tu auras au moins appris quelque chose, bon jeune homme.

Mais il risque à nouveau de se tirer une nouvelle balle dans le pied, notre grand spécialiste de l'US-M1, car le voilà qui déclare doctement  : "tirer avec cette arme de guerre endommagée, c'est donc courir le risque de voir le canon exploser à tout moment" [WR p. 206 - et dire qu'il affirme aujourd'hui - sur son forum - que l'arme du crime était en bon état !], ce qui a au moins le mérite de déclencher une franche rigolade chez ceux qui savent de quoi il parle (lui, ne le sait guère). On ajoutera qu'il aggrave, s'il se peut, son cas en affirmant que l'US-M1 "n'est pas vraiment une arme de visée, mais de tir à la hanche" [WR p. 207, note 2]. Chacun pourra visionner par exemple Saving private Ryan ("Il faut sauver le soldat Ryan"), film qui a bénéficié de conseillers militaires de première grandeur, et dans lequel les US-M1 Carbine foisonnent. Chacun pourra rechercher dans le dit film les éventuels "tirs à la hanche" avec la petite Chérie !(2)

 

 

3. Les contradictions fielleuses

 

Il est assez clair, on l'aura compris, que Sébeille est la tête de Turc (terme insuffisant, car il s'agit, inexplicablement, de haine compulsive à l'égard du Commissaire) de notre nouveau Rouletabille. À telle enseigne que ce dernier finit par se perdre dans les méandres de son fiel(3). Prenons l'exemple des vacances de Sébeille : il avait droit à des congés payés, n'est-ce pas, comme tout le monde depuis juin 1936 ? Et les aurait pris, sans l'affaire qui l'a si longuement retenu dans les Basses-Alpes, le 15 août. Bien, laissons-nous maintenant porter le long des pages 65 à 75 de WR.

Le 17 août, Fernand Constant "vient seconder Edmond Sébeille, fragilisé nerveusement et sommé de prendre des vacances".

[Sommé par qui, donc ? Écoutons pourtant la version de l'intéressé, arrivé à Lurs le 1er septembre, soit deux semaines plus tard : "Il ne s'agit nullement de remplacer Sébeille, dit le commissaire principal Constant à son arrivée, mais de le soulager un peu de son labeur écrasant, et de travailler en étroite collaboration avec lui" ("si je viens ici, c'est que je suis natif de la région et que je tiens à rendre service à mon ami Sébeille"). Voilà comment on travestit la vérité à peu de frais. Ajoutons que le capitaine Albert avait, lui aussi, différé son départ en vacances]

... "Pour les observateurs, ce camouflet infligé au policier marseillais met en cause ses méthodes et dénonce les promesses de succès sans suite".

[Quels sont les observateurs, dont on tait pudiquement les noms ? Il serait intéressant de les connaître ! Peut-être s'agit-il seulement du dénommé Reymond, observateur près d'un demi-siècle plus tard ?]

En tous cas, ce remplacement provisoire calme la presse anglaise, scandalisée par la façon d'agir de l'enquêteur français.

[Mais que vient donc faire la presse anglaise, ici ? Ne sommes-nous pas assez grands, entre nous ? Si des reproches devaient être formulés auprès de celui qui dirigeait l'enquête, ils devaient l'être par son supérieur hiérarchique (le commissaire Harzic) et le juge d'instruction (Périès), un point c'est tout !]

Et nous voici à la reconstitution du 18 août :

…. À 19 heures, l'enquête semble redémarrer…. À 23 heures, la reconstitution s'éternise… À deux reprises, la camionnette de Lucien Duc [un témoin capital], dans laquelle s'est installé Sébeille, passe tous feux allumés

[Sébeille était donc toujours là ? Mais que faisait-il donc encore en ces lieux ? N'avait-il pas été 'sommé' de prendre des vacances ?]

Bref, poursuivons, et jetons un œil à l'agenda du Commissaire. Si l'on en croit WR, Sébeille  (et je complète les infos partielles de notre Rouletabille à partir des archives du Provençal) :

- le 20 août, reçoit une communication spontanée de Gustave ;
- le 21 août, accueille les Marrian en partance pour l'Angleterre, et va effectuer avec eux un ultime inventaire des objets retrouvés dans l'Hillman ;
- le 22 août, tient une longue conférence (avec la gendarmerie) à Manosque, puis se rend à 20:30 à Mane (village situé à 3 km au sud de Forcalquier) ;
- le 23 août, se rend à la Grand'Terre, où il discute un quart d'heure avec Gustave ; de là gagne Manosque, où il vérifie l'emploi du temps d'un légionnaire ; de retour à Peyruis à midi et quart, il retourne ensuite à nouveau à Manosque pour conférer avec le sous-préfet, déjeune puis disparaît avec ses fidèles Tardieu et Girolami ; on retrouve sa trace sur les lieux mêmes du triple crime, qu'il arpente sous la pluie tandis que Gaston Dominici, à l'abri sous un pan de hangar, le regarde faire ; il accueille sur ces lieux deux nouveaux témoins, puis va les entendre à Manosque. A 17:30, il part pour Marseille. Le journaliste calcule qu'il aura parcouru 200 km dans la journée ;
- le 24 août, accorde une interview à Julien Besançon, du Provençal, et reçoit à 17 heures, à Peyruis, son ancien chef (qui était aussi l'ancien chef de Charles Chenevier), le commissaire divisionnaire honoraire Belin ;
- le 25 août, quitte Peyruis à 9 heures, et s'en va avec Girolami aux abords du cimetière ; il s'y entretient avec le témoin Ulysse Pacomi, de Manosque. Vers 20 heures, il déclare : "Je fais des vérifications et des tas de vérifications". Tient ensuite une conférence de travail avec la gendarmerie et le substitut ;
- le 26 août, se rend à Gap pour entendre deux jeunes évadés de la prison des Baumettes ; l'après-midi, il est à la ferme des Perrin ; tient le soir une conférence de presse à propos des déclarations de Pacomi, dont le témoignage "est tombé à l'eau", selon sa propre expression ;

- le 27 août, est interpellé par un journaliste sur la place de Peyruis ;
- le 28 août interroge deux frères de Gustave (Marcel et Clovis) ;
- le 29 août, perquisitionne chez Paul Maillet ;
- le 30 août, reçoit Paul Maillet ; se rend à la Grand'Terre pour la quatorzième fois ; saisit une carabine 9 m/m ; est à 18 heures chez Léon Achard, qui a vu des promeneurs dans le lit de la Durance, l'après-midi du triple crime ;
- le dimanche 31 août, à huit heures, il n'est pas à Marseille, comme chaque fin de semaine, mais à la Grand'Terre, réfléchissant sur les angles de vue décrits par le "témoin inconnu" (M. Pacomi). À dix heures, il était chez les Maillet ; puis il s'en est allé inspecter des traces de pas près de la Durance. Dans l'après-midi, nouvelle inspection de sa part, dans deux fermes près de la station de pompage (pour donner suite au témoignage Pacomi) ;
- le 1er septembre, avec son collègue Constant arrivé en renfort, et les Inspecteurs Culioli, Tardieu et Ranchin, retourne fouiller le lit de la Durance ! Vers 14 heures, casquette de la SNCF à la main, M. Léon Achard conduit les deux Commissaires dans un endroit vers la gare de Lurs, où il aperçut deux hommes, l'un porteur d'une canne à pêche, l'autre peut-être d'une carabine. De là, les policiers se rendent chez Maillet et parlent avec lui pendant près de trois heures. Le soir, conférence de presse, Constant apprend aux journalistes qu'on a rapporté la balle qui avait frôlé Élisabeth.
- le 2 septembre ; est à la ferme de la Lignerade, chez les parents d'Yvette Barth ;

- le 3 septembre, à Digne, interroge Gustave pendant quinze heures, avec le commissaire principal Constant (et le commissaire principal Mével, venu tout exprès de Marseille. C'est là que prend place la fameuse et intempestive "interruption Orsatelli", intervenue alors que Gustave allait craquer)...

[Pour quelqu'un 'fragilisé nerveusement' et 'sommé' de prendre des vacances, quelle activité débordante ! Mais poursuivons :]

"Dès lors, tout au long de ce mois de septembre, seul le commissaire Sébeille […] reste à Lurs".

[D'où, pas de vacances pour Sébeille en septembre, si l'on comprend bien !…. N'avait-il pas été 'sommé' d'en prendre, dès le 17 août ? Mais effectuons maintenant un saut de deux semaines : le 16 octobre, Constant (né à Manosque, rappelons-le, car ça a son importance) fait craquer une première fois Gustave, en le confrontant à P. Maillet, F. Bourgues et Clovis. Le "suspect n° 1 finit par reconnaître avoir vu la fillette encore vivante :

"cette information agace… le commissaire Sébeille, enrageant de constater que l'enquête avance alors qu'il est au repos forcé à Marseille"

[Ah bon ? Les vacances sont donc considérées comme un repos forcé ? Malheureusement pour Reymond, Sébeille n'était pas à Marseille "au repos forcé". Il avait terminé ses vacances (il avait donc 'pris' à peu près quinze jours) et effectuait une vérification en Isère (l'alibi du vannier Colombo), au cours de laquelle, d'ailleurs, sa traction tomba en panne. Comme en témoignent tous les journaux de l'époque. À trop vouloir prouver…(4)]

 

 

4. Ce bon jeune homme sue la haine : le "traitement" de Sébeille

 

Si, en dépit de sa mauvaise foi, Reymond ne peut cacher son admiration devant la performance du Commissaire, à la barre pendant plus de sept heures lors du procès Dominici (le 22 novembre 1954), et asticoté en particulier par Me Pollak, c'est bien la seule entorse qu'il s'autorise à une peinture d'un noir profond. Un exemple évident - parmi tant d'autres - de son incroyable prévention se révèle à propos d'un commentaire accompagnant le récit de la déposition du Dr Dragon (vendredi 19 novembre 1954). Le praticien ayant exprimé sa conviction (qui n'était pas nouvelle, tant s'en faut) que la petite Élisabeth avait été achevée (près du regard d'écoulement des eaux) puis transportée (et on notera pour mémoire qu'il y avait discordance entre ses constatations et celles des médecins légistes - mais aussi que si elle avait été transportée, on n'aurait pas retrouvé sous sa nuque un morceau de crosse), Reymond ajoute aussitôt qu'un vent de panique souffle alors du côté du commissaire Sébeille [WR p. 109]. Observons l'incident à froid : en quoi la constatation du Dr Dragon pouvait-elle gêner le Commissaire ? Poser la question, c'est comprendre de quelle manière fonctionne le "journaliste free-lance" des Basses-Alpes. Et quel poids il convient d'attacher à ses assertions.

Car le commissaire Sébeille, à le croire, était un être indigne, un policier marron, ami des truands, coupable de prévarication (WR, pp. 274-275 laisse entendre qu'il a utilisé la "prime d'un million" pour forcer la main à des témoins), et même de forfaiture. Rien de moins. On remarquera, pour la petite histoire, que les gens pour lesquels Reymond éprouve une animosité, justifiée ou pas, sont de petite taille. À côté de Sébeille, "un être de petite taille" [WR p. 125. Ma foi, Sébeille mesurait 1, 70 m - la taille de Sir Drummond, mais était donc plus "grand" que Gaston soi-même (1, 68 m, mais oui ! Exactement la taille de son fils Gustave, mais oui !) -, ce n'était pas si mal], défilent Me Pollak, "ce petit homme aux cheveux gris" [WR p. 104] et Paul Maillet "petit homme trapu" [WR p. 119].
Cette amusante parenthèse refermée, il convient de détailler une manière ignoble et, naturellement, bourrée de contradictions, de s'attaquer à quelqu'un qui ne peut plus se défendre. Ainsi le commissaire Sébeille, qualifié d'entrée de jeu de "limier au flair poussif" [WR p. 50], avait pourtant déjà flairé, à peine l'ordre de son patron Harzic donné, l'affaire exceptionnelle qui allait lui attirer gloire et reconnaissance ! Car il perd aussitôt un temps pourtant précieux à choisir "ses accessoires pour passer à la postérité, foulard de soie et porte-cigarettes" [WR p. 14. Cf. note 2]. Sans doute le Commissaire est-il animé d'un don de double vue car, dans le même temps qu'il choisit ses accessoires pour l'affaire du siècle, il "craint vraisemblablement", en arrivant sur les lieux, qu'on lui retire l'enquête [WR p. 58] ! Va comprendre, Edmond !

On ne détaillera pas l'après-midi du 5 août 1952. Sébeille n'est pas arrivé (avec ses sbires !) avant quatorze heures, comme il l'a prétendu, mais à dix-sept : et le capitaine Albert "pas très fier d'avoir oublié de faire respecter les conditions de sécurité prévues", entérinera ce mensonge [WR p. 58]... Car quelle parole prime, contre celle du capitaine Albert ? Vous l'avez deviné, celle du couple Gustave-Yvette !
Le retard des policiers, c'est dû au fait qu'ils s'étaient arrêtés plusieurs fois pour boire et pour se restaurer. Reymond ne dit pas que les bourres étaient bourrés, mais c'est tout comme : et les Guignols de Forcalquier sont à peu près logés à la même enseigne, c'étaient des gugusses, des charlots, des pantins. Mais si les gendarmes sont incompétents (c'est par inexpérience [WR p. 52] que le capitaine Albert et ses gendarmes n'ont pas interdit les lieux aux badauds !), au moins ne sont-ils pas accusés de forfaiture (et bon prince, notre journaliste omniscient accorde que le militaire Albert est "moins obtus que le ponte (!) de la 9e brigade mobile de Marseille" [WR p. 45], alors même qu'il n'a "guère l'habitude d'intervenir dans des crimes de sang" [WR p. 53]). Car Sébeille a supprimé trois heures de son emploi du temps, cette après-midi-là [WR p. 58]. Ce qui entraîne qu'il n'a jamais vu les cadavres en place, ôtés avant son arrivée [id.], et qu'il a organisé (le lendemain, pense Reymond) une mise en scène fallacieuse, avec des figurants à la place des cadavres(5) ! Et on pourrait continuer la prétendue liste de ses immondes, de ses sordides forfaits, par bonheur imaginaires…

Reymond croit achever Sébeille en insistant, ricanant, sur le fait qu'il a été abandonné de tous, et n'a obtenu le grade de Commissaire principal que le jour de sa retraite(6). Par ailleurs il nous "révèle" à quel point Sébeille avait été exécutant zélé de la raison d'État : pourquoi donc, ces incontestables brimades ? L'auteur oublie de nous le dire. Mais il s'attarde complaisamment sur les avanies infligées au Commissaire comme s'il s'agissait d'un autre secret d'État, alors que Sébeille lui-même les avait révélées dans son ouvrage, rédigé avant la naissance de ce petit merdeux, qui prétend aujourd'hui écraser l'Hercule Poirot de l'affaire de Lurs.
Revient en mémoire, alors, l'apostrophe stupéfiante et prémonitoire du Rédacteur en chef du Canard enchaîné (P.M.F. - me semble-t-il - avait dit que le Canard était le dernier professeur d'Éducation civique en France, ô combien cette remarque est vraie) envoyée comme une retentissante gifle au Tave, en septembre 1952. On y songe, et c'est pour en imiter une phrase : "Les énormités de M. Reymond devraient me faire hausser les épaules… Or, elles me soulèvent le cœur. La volonté de salir est trop manifeste…"

Car trop, c'est trop. Et paradoxalement, sous la grêle de coups bas de son triste contradicteur, le commissaire Edmond Sébeille apparaît encore plus grand que, sans doute, il ne fut. Et l'on songe irrésistiblement à ces quelques vers de Victor Hugo, pour s'en inspirer, tellement ils s'adaptent à la situation :

 

L'ombre, où se mêle une rumeur,

Semble élargir jusqu'aux étoiles

La geste auguste de l'enquêteur.

 

 

Notes

 

(1) . Et il faudrait aller plus loin, tant l'insistance à mettre en avant cet argument (que Sébeille avait négligé - sur les conseils des gars de l'Identité judiciaire, certes moins compétents que WR) est suspecte. En effet, lors du procès (nous sommes le 19 novembre 1954) , un curieux échange a lieu, durant la déposition de Romanet, qui vient de préciser que c'est Gustave qui a attiré son attention sur ces fameuses empreintes :
- "Les empreintes ? Du 42. C'étaient les empreintes de deux chaussures allant en direction contraire, et à la même hauteur".
Et le président Bousquet de remarquer : "Drôle de démarche pour un personnage ! Et c'est Gustave qui a attiré votre attention sur ces empreintes ?".
Faut-il vraiment faire un dessin ?
(2). Il faudrait, de plus, longuement, décortiquer les affirmations de Reymond à propos des marquages des cartouches et douilles retrouvées sur les lieux [WR, p. 208]. Outre qu'on ne sait rien de celles que certains membres de la famille ont 'collectées' avant l'arrivée des premiers enquêteurs (ce qui fausse totalement toute affirmation ultérieure péremptoire), et qu'on voit très mal ces munitions avoir été éjectées de trois armes différentes, les lois élémentaires de la probabilité que nous expose le mathématicien Reymond ne sont pas probantes. Gaston (Gustave ?) a sans doute reçu, comme "dotation" accompagnant l'arme, une poignée (ou plusieurs poignées) de cartouches, certainement pas un container réglementaire ("Anmunition Box") - sans oublier les "acquisitions" occasionnelles, post-Libération - car cette arme, qui a sans doute "voyagé" dans la famille, il fallait bien l'approvisionner. Et dans ce cas-là, les marquages apparaissent bien divers. Pour tenter de demeurer objectif à cet égard, j'ai éliminé mes possessions personnelles, et ai demandé à un ami qui venait d'acquérir une US-M1 (accompagnée d'une centaine de cartouches), de bien vouloir relever à mon intention les marquages. Il en a trouvé cinq (pour mettre un nom sur les usines d'armement ainsi désignées, se reporter à une autre partie de cette enquête) : EC 4, PC 43, PC 44, WRA 44 , WCC 43. Par ailleurs, j'ai moi-même examiné une bande partielle (50 cartouches), mais d'origine, destinée à la mitrailleuse légère (allemande) MG 42 : j'ai relevé deux années de fabrication (43-44), et sept marquages différents. Chacun pourra tirer les conclusions qu'il souhaite.
(3) Et, plus grave encore, à manifester son inculture. Ainsi lorsqu'il accuse Sébeille d'avoir volontairement retardé le départ de l'escouade marseillaise en commençant par aller se choisir un fume-cigarettes [WR, p. 57]. C'est ignorer que le fume-cigarettes Dénicotéa (pour ne pas citer la marque) était l'accessoire préféré et banal de tous les fumeurs de cette époque, et qu'il ne constituait nullement "un accessoire pour la postérité". On n'en voudra pour seule preuve qu'à la même époque, un Ministre (Maurice Petsche) alors très célèbre ne se séparait jamais de son Dénicotéa (qui l'a d'ailleurs conduit, à 56 ans, au cimetière de Briançon). Or, ce Ministre n'avait rien d'un assoiffé de la reconnaissance médiatique, comme l'on dirait aujourd'hui, bien au contraire. Membre de la confession réformée, il avait le comportement réservé de tous "ces gens-là" qui vont de Guizot jusqu'à Jospin, en passant par Jules Ferry, Ferdinand Buisson, Pierre Joxe, Michel Rocard, bien d'autres encore.
(4) Ceci posé, il est patent qu'une information non biaisée ne peut passer sous silence la santé entamée du policier qui avait pris cette affaire trop à cœur. Dans son rapport à Harzic, en date du 23 janvier 1953, Sébeille ne tait pas qu'il a connu un état d'épuisement en septembre et que, par conséquent, l'affaire a été reprise par son collègue Constant. Il indique ensuite que les deux policiers travaillent désormais de conserve mais, clairement, il apparaît à le lire qu'en fait il a été mis sur la touche, ou tout au moins est passé au second plan. Le commissaire Constant, de son côté, dans son rapport au même Harzic (en date du 5 mars 1953), après avoir fait remarquer que c'est lui qui, maintenant, dirige l'enquête, précise que la collaboration avec Sébeille s'effectue dans un bon esprit et qu'ils forment, à eux deux, une équipe soudée.
(5) L'auteur nous assomme avec d'incroyables traficotages photographiques dus à la vilenie de la 9e Mobile [WR p. 34]. Et il nous donne à lire un extrait du premier rapport Romanet, rédigé paraît-il à chaud, vers huit heures : "il [Sir Jack] est légèrement recroquevillé, couché sur le côté droit". Observez la photo soi disant "trafiquée" (17e page du cahier photographique central, milieu), demandez-vous si elle ne répond pas strictement à la description du gendarme. De plus, il est évident qu'il faut tenir pour négligeable, sinon carrément fallacieux, le rapport des fonctionnaires du "camion laboratoire" de l'Identité judiciaire. Dans ce rapport, il est fait mention d'une arrivée à Lurs à 12 h 45, de prises de photos des lieux, des victimes, du relevé des empreintes des cadavres, etc.
Allons ! Encore une balle dans le pied ! Heureusement, avec WR, c'est du tir à blanc.
(6) L'auteur croit tirer argument de la présence de Gillard au procès, comme signe de la suspicion (de la piètre estime) en laquelle Sébeille était tenu par la hiérarchie. Il écrit, en effet [WR p. 177], "Gillard a assisté, incognito, à l'ensemble du procès". Incognito ! Tout d'abord, sauf erreur de ma part, la présence de Gillard a été signalée par les journaux. Ensuite, peut-on imaginer une seconde que ce flic parisien aurait pu passer inaperçu aux yeux de ses collègues marseillais, les Constant, Harzic, Mével et autres Sébeille ? Enfin, et Reymond manifeste là une nouvelle fois son inculture, la tradition jacobine du système français fait que le "sommet" aime bien savoir ce qui se fait à la "base", et ne dédaigne pas, à l'occasion, de participer directement au travail de la "base". C'est ce que l'on appelle (assez improprement) le parisianisme. Ainsi, en septembre 1953, Chenevier en personne s'est déplacé sur la Côte d'Azur (avec son "grand ami", l'inspecteur principal Borniche) pour tenter d'élucider un sensationnel vol de bijoux. Personne n'a dit à cette époque que le commissaire Mattéi, chargé de l'affaire, était tenu en laisse par Paris.
Pour ne rien dire de la célébrissime affaire des bijoux de la Bégum (trois ans exactement avant les crimes de Lurs), dont l'enquête fut conduite par le chef de la Police judiciaire en personne, Georges Valantin (un fou, et un prévaricateur, paraît-il), et dont la conclusion judiciaire, à Aix-en-Provence (un mois avant Lurs - Me Pollak était avocat de la Défense) vit des scènes inoubliables d'empoignades et d'insultes entre le dénommé Valantin, déjà cité, et Pierre Bertaux (un agrégé d'allemand !), le Directeur de la Sûreté nationale ! Pour la plus grande joie des malfrats !