ou les prodigieuses tartarinades d'un illustre combattant (2)

 

[Examen critique de l'Expertise, suite 1]

 

"Le mensonge et la crédulité s'accouplent et engendrent l'Opinion"
(Paul Valéry, Mélange, 1939).

"L'ironie n'est pas encore un délit : c'est déjà presque un crime, en tous cas une faute grave de civilité ou un acte héroïque"
(M. Fumaroli, L'État culturel, p. 36).

"J'ai de l'ambition pour l'humanité : je voudrais qu'elle survive, qu'elle ne s'extermine pas elle-même, et je crois aussi qu'il y a quelques bons côtés chez les êtres humains, et que ces bons côtés peuvent devenir dominants. Mais je me méfie beaucoup des mauvais côtés"
(Germaine Tillion).

" Nous ne prétendons pas avoir raison. Nous ne clamons pas que nos ambitions sont les seules valables. Mais ce sont les nôtres. Et nous y tenons"
(Claude Julien, Une certaine manière de voir, Monde diplomatique, octobre 1988).

 

 

III. La sévère implacabilité de la 12, 7

 

Et voici le temps venu, maintenant, après ces quelques hors-d'œuvre, de passer au plat de résistance, et de braquer la lumière sur quelques-unes des étranges opinions et/ou assertions de notre auteur. Il faut d'abord dire que la méthode expertale, telle du moins qu'il la manie, emprunte de curieux détours dans le chemin vers les certitudes. Lorsque le dossier est muet sur tel ou tel point (il est pourtant sacrément bavard), alors notre expert recourt aux on-dit, ou fait appel aux sources de seconde main. Il utilise, pour cela, évidemment, le mode Conditionnel : un tel aurait demandé, un autre aurait répondu,… aurait invité…. Un autre encore aurait dit..., un autre encore lui aurait répété... Et ainsi de suite. Et puis, sans crier gare, il fait alors appel à sa logique imparable : on l'a montré... on a démontré sans ambiguïté… on sait maintenant... Même pour le lecteur relativement bienveillant, cette manière de procéder paraît un peu facile ! Mais poursuivons cette lecture critique.

 

 

Errare humanum...

 


Nous commencerons par quelques erreurs qu'on qualifiera de modestes, encore qu'elles soient, en elles-mêmes, surprenantes, eu égard à l'insigne qualité de celui qui les a commises. Dans ce texte qui se veut définitif, en effet, les petites erreurs fourmillent, et c'est déjà préoccupant. Les grades, par exemple, valsent de façon surprenante, comme les hauts faits. Ainsi du père Sébeille, bombardé Commissaire, grade généreusement attribué, également, à l'inspecteur principal Varlet (celui qui confondit Dils), avant d'être proprement assassiné dans une note de bas de page. Ainsi de Bonny, décrété général en chef de l'affaire Seznec, alors qu'il n'était qu'un tout petit rouage subalterne, et passé en quelques pages d'Inspecteur à Commissaire(1) ! Ainsi de Sébeille fils soi-même, bombardé à plusieurs reprises "chef " de Constant (ce qu'il n'était nullement, Constant étant déjà Commissaire principal, à l'époque), puis brusquement rétrogradé "collègue", et enfin "ancien", du même Constant.

Ainsi de Thèlène, nommé témoin de la première heure, lui qui, le jour de la découverte du triple crime participait, à cent kilomètres de là, à un concours de boules... Et je ne parlerai que pour faire sourire, d'un bouilleur de cru en action le 4 août (p. 413).  Il était sacrément en avance, le Jo (bien sûr, c'était un Grenoblois…), alors que ses semblables commençaient (commencent toujours, pour dire la vérité) leur discrète besogne aux alentours de la Toussaint...

 


Ainsi, également, du "pasteur anglican" ayant présidé la cérémonie d'ensevelissement des malheureuses victimes. Guerrier ne fait ici que reproduire la désinformation créée par Mossé (un sacré faussaire), mais pour une fois pas trop grave. Pasteur anglican, le pasteur  René Mordant, que j'ai bien connu - il a même couché à la maison, c'est dire. Il suffisait pourtant de lire tout simplement les journaux, pour avoir une description exacte : "Là, le Pasreur Mordant, de Digne, sur le terre-plein des tombes fraîchement creusées, officia [sic] le rite rigide et sévère des protestants, tandis qu'une chorale de jeunes gens et de jeunes filles helvétiques, en vacances dans la région, chanta [sic] plusieurs cantiques" (Nice-Matin du 8 août 1952, p. 8).
À l'époque dont nous nous occupons,  âgé de quarante-quatre ans, il était pasteur à Digne, et rayonnait alentour, de Manosque à Sisteron, en passant par Saint-Auban(2), Forcalquier, Riez, Gréoux-les-Bains, Oraison, Les Mées... Allez, je vais faire le bouffon, moi aussi : la salle de culte se situait au Val fleuri, quartier des Chauchets, dans l'actuelle rue Bonthoux. Le téléphone était le n° 83. Et le C.C.P. de l'Église Réformée évangélique était Marseille 1025-13 (avis à ceux dont les caisses, suite à un succès monumental de leurs écrits, viendraient à déborder).

Et que penser, en vérité, d'une phrase apparemment anodine, telle que celle-ci, qui nous apprend que le futur assassin revint du service militaire avec un "torse abondamment tatoué" (p. 94) ? Cette affirmation est, elle aussi, pleinement erronée, et Sébeille aurait pu la corriger avant moi, lui qui n'avait aperçu qu'une seule fois, et de façon furtive, les avant-bras de Gaston !

Car s'agissant de son torse, Gaston n'y possédait qu'un poignard, tatoué sous le sein gauche. Ses bras, en revanche, portaient de nombreux tatouages bleus, ceux-là mêmes qui avaient attiré la curisosité attentive du Commissaire. Sur les faces interne et externe du bras gauche, Gaston arborait une rose des vents, une cantinière, une ancre de marine et une tête de femme. Le bras droit, en revanche, était moins chargé : une pensée et une hirondelle. C'est ainsi, et pas autrement.

Et je laisse pour la fin le bon gros rire bien franchouillard qui se doit d'éclater, devant un Bartkowski, ouvrier agricole bavarois, promu soldat expérimenté (p. 424) !

Voulez-vous que je vous dise ? Tout cela sent l'amateurisme à plein nez, et l'absence totale de méthode rigoureuse. Une œuvre "scientifique" se caractérise par sa modestie, d'une part, et sa robustesse, d'autre part. Nous en sommes bien éloignés.

 

 

Quelques procès en rappel

 

Mais si encore ne foisonnaient que des erreurs de vieillesse (avec Guerrier, on ne peut décemment pas parler, comme avec Reymond, d'erreurs de jeunesse) ! Si notre auteur se contentait de traiter de son sujet qui est, stricto sensu (à l'image d'un Laborde, entre autres) : voilà ce que j'ai lu dans le dossier ! Mais non, il ne peut s'empêcher de donner des leçons à tous et à tout propos ! On pourrait par exemple lui mettre sous le nez, cruellement, que l'autorité de la chose jugée, qu'il défend avec acharnement, vaut pour lui de façon universelle, l'Affaire Dominici exceptée (bien sûr : sinon comment pouvoir écrire, après bien d'autres, un gros pavé ?).

Ainsi nous rappelle-t-il (et à plusieurs reprises, car bien entendu nous sommes sourds) que Roman et Dils ont été mis hors de cause, dans deux affaires aussi célèbres que disjointes. Il va même jusqu'à mêler Dils, Grégory et Outreau (p. 43) à l'Affaire de Lurs ! Puisqu'il s'écarte à ce point de son objet d'étude, au lieu de se cantonner au dossier, il convient hélas que nous en fassions tout autant.

S'agissant de Dils, je me permets de rappeler ici que le très médiatique Avocat général près la cour d'appel de Paris, Ph. Bilger, avait soutenu, lors d'une émission télévisée (Mots croisés du 10 avril 2005, sur France 2), qu'il se faisait fort de faire acquitter n'importe quel "inculpé" pourvu que lui soit accordée une succession de trois procès et le soutien d'un battage médiatique : cela en dit long, n'est-ce pas ? Quant à la présidente de la Cour d'assises qui a prononcé l'acquittement final de celui qui voulait seulement, paraît-il, rentrer chez lui (les interrogations et l'ombre bien commode du "routard du crime" l'ayant finalement emporté sur les terribles présomptions), elle devait déclarer en 2004, l'heure de la retraite ayant sonné : "Les aveux de Dils me hantent encore" (interview au Figaro, 27 avril 2004). et elle ajoutait : "Je ne pense pas une seconde que les hommes de l'inspecteur Varlet aient usé de méthodes déloyales. C'est Patrick Dils qui a convaincu tout le monde de sa culpabilité. N'oublions pas qu'il a eu de multiples occasions de se rétracter. Après la garde à vue, il avoue au juge - une jeune femme pas franchement terrorisante -, il recommence devant les psychologues. Il ne crie pas son innocence dans les lettres qu'il écrit à sa famille […]". Les lecteurs attentifs de l'ouvrage de Guerrier comprendront le pourquoi de la longueur de cette citation, et la raison de ce discret hommage rendu ici à l'inspecteur principal honoraire Bernard Varlet.

Bien davantage encore, puisque notre expert-spécialiste de l'Affaire Dominici risque par ailleurs plus d'une allusion, avec de gros sabots, cette fois à la tragédie de La Motte du Caire, il me faut raviver mes souvenirs - et par voie de conséquence ceux de mes lecteurs : l'affaire ayant été jugée fin 92 à Grenoble, j'en parle d'expérience. Une incroyable nuée d'intellectuels de la rive gauche avait débarqué au confluent de l'Isère et du Drac pour constituer un formidable groupe de pression particulièrement actif et même zélé aux abords du Palais de justice (aujourd'hui désaffecté), distribuant aux passants une brochure intitulée : "Richard Roman : un innocent aux assises" (de quoi je me mêle), ayant donc déjà acquitté l'individu par anticipation. Groupe fort aidé dans sa tâche par celui qui avait la charge de conduire les débats et dont la partialité ne le céda en rien à celle que d'aucuns prêtent volontiers - et sans le moindre commencement de preuve - à "notre" président Bousquet.

Qu'on en juge plutôt : le procureur Paul Weisbuch, l'ancien héros de la triste histoire des putes de la moraine de Charnècles(3), traité comme un malpropre (Me Leclerc ayant même osé le qualifier de "parquetier hystérique") ; le médecin psychiatre Jullier, ajoutant, le récit de son expertise achevé, que Roman lui avait spontanément déclaré : "Quand on a vu la fille nue, on a perdu la tête", rappelé sans ménagement à l'ordre, et prié de s'occuper de ses affaires, Me Henri Leclerc (qui ne défend que des innocents, c'est bien connu), un instant décontenancé, ayant rapidement repris la main. Pour ne rien dire du docteur Sebaoun ayant recueilli en 1990, aux Baumettes, cet aveu de la bouche de l'ancien ingénieur agronome : "J'ai participé à quelque chose d'horrible" : il ne fut même pas appelé à témoigner.

Et puis, les gendarmes traînés dans la boue (on a l'habitude) à cause d'une question d'horaire : s'agissant d'un suspect qui n'avait pas de montre et qui vivait en fonction du soleil - on l'avait affublé du sobriquet "l'Indien" -, l'affaire est plus que bénigne(4). Mais Guerrier tire argument de cette faute incontestable pour l'étendre rétroactivement à l'Affaire de Lurs : "il s'agit d'un faux consenti par la gendarmerie [à propos de l'heure d'arrivée de Sébeille]... Malheureusement, on sait que c'est chose possible, sinon courante". Et d'ajouter, en faux dévot (p. 308) : "bien sûr, il ne m'appartient pas ici de porter un jugement sur cette question très grave" . Bien sûr ! Mais si d'aventure, notre auteur se prend un jour une retentissante beigne de la part d'un gaillard portant képi, il saura pourquoi !

 

 

De la presse britannique - ... or not to be

 

De même, dans son étrange procès en sorcellerie - je ne vois pas de terme plus adéquat - croit-il opportun d'appeler à la barre la presse britannique.

Car dans sa pitoyable tentative de marquer W. Reymond à la culotte (nous y reviendrons, bien sûr), Monsieur Guerrier invoque l'aide de la presse britannique, paraît-il "indignée" par le comportement des divers intervenants. Après avoir tout de même, c'est la moindre des choses, souligné que le système anglo-saxon n'avait rien à voir avec le nôtre. Notons au passage qu'il qualifie sans aucune preuve de désinformatrice la presse française de l'époque (la désinformation propagée par les journalistes), alors même qu'il laisse planer un soupçon qu'il se garde bien d'étayer : au fur et à mesure du déroulement de la procédure, les dits journalistes auraient eu accès aux pièces du dossier en train de se constituer ; et qu'il porte aux nues, sans davantage prouver ce qu'il avance, son homologue anglaise. Curieuse façon d'expertiser. Mais ce qui ne laisse pas de m'étonner, et même de m'inquiéter, ce n'est pas le fait de cette remarque convenue : c'est sa répétition. Car l'Inspecteur Barnaby de l'Affaire de Lurs nous repasse son assiette anglaise pas moins de douze fois, battant dès lors à plate couture le jeune Reymond, qui n'avait pas osé appuyer avec autant d'insistance, pudeur qu'on portera à son crédit (il lui en reste si peu). Douze fois ! Qu'on n'essaie pas de m'expliquer ce fait autrement que par une névrose obsessionnelle fort avancée, débutant par un péremptoire "la presse anglaise a dénoncé la façon dont le procès se déroulait - la leçon a été administrée sans aménité par les Anglais scandalisés".

Personnellement, ce qui m'indigne et me scandalise - et me consterne, c'est cette accumulation de sottises et d'aveuglement. Alors, administrons à notre tour, et sans aménité, notre leçon, et qu'il se mouche, s'il est accessible à l'introspection, celui qui se sentira morveux !

De tout temps (ou plus exactement, et pour ne pas remonter à la guerre de Cent Ans, depuis la Révocation de l'Édit de Nantes - mais expliquer cela m'entraînerait dans de trop longs développements, de plus totalement hors sujet), la perfide Albion a été notre plus cordial ennemi. Et quand il y avait entente, c'était pour nous toiser avec commisération. La dernière fois je crois, ce fut lors de la guerre du Golfe (la première), quand les soldats de sa Gracieuse Majesté jugèrent le niveau d'équipement de notre armée assez lamentable, à peu près à la hauteur des troupes égyptiennes (!). D'ailleurs la leçon, administrée sans aménité, a porté : nous nous sommes prudemment tenus à l'écart du second conflit, pour des raisons qui n'étaient pas toutes bonnes à dire. Bien.

S'agissant en revanche de notre façon franchouillarde de résoudre les énigmes policières, nous avons, en effet, des leçons à recevoir de ces "scientifiques" qui ont jadis été incapables de coincer Jack the Ripper, et qui viennent de mettre trois ans et demi pour faire aux pattes le coupable du meurtre de la jeune picarde Amélie Delagrange ! S'abritant derrière la réputation solidement établie de S. Holmes (non, pas Simon, Sherlock) - mais, sauf erreur de ma part, il s'agit de roman policier - les Britanniques ricanent à tout propos de notre façon d'opérer : bien après l'histoire de Lurs, ils sont revenus à la charge à plusieurs reprises, et on se souvient de leur attitude impudique à l'endroit de nos enquêteurs, s'agissant de l'assassinat en Bretagne, à l'été 1996, de leur jeune ressortissante de 13 ans, Caroline Dickinson. J'ai déjà évoqué l'affaire par ailleurs, je n'y reviens pas. Pour ne rien dire de ce qui s'est passé lors de la mort de Lady Di : l'enquête initiale française ayant fait l'objet, de l'autre côté de la Manche, d'une contre-enquête, puis d'une contre-contre-enquête, enfin d'une contre-contre-contre-enquête... pour en revenir à valider la thèse française...





Mais il faut rappeler d'un mot un autre crime, bien oublié chez nous, et qui mobilisa longuement, en son temps, toute la presse anglaise et même anglo-saxonne, peut-être à cause de la proximité des lieux et de la présence, dans les deux cas, d'une… Hillman (sauf erreur). Il s'agit de l'affaire Cartland, John et Jeremy, père et fils. Au retour de vacances passées en Espagne, ces deux Britanniques s'arrêtèrent sur le chemin du retour à Pélissanne (petite ville située dans les Bouches-du-Rhône, à un peu moins de 100 kilomètres de Lurs). On était à la mi-mars 1973. Le lendemain, des témoins, alertés par l'incendie d'une caravane, ne purent que constater la mort du père. Là aussi, au moins deux Commissaires (et leurs équipiers) travaillèrent de conserve à la résolution de l'affaire : les commissaires Krikorian (chef de l'antenne du S. R. P. J. d'Aix-en-Provence) envoyé en mission à Londres, à propos de l'arme du crime (un couteau fabriqué à Thiers, mais disponible à la vente seulement en Grande-Bretagne) et Gonzalves (chef du groupe de répression du banditisme du S. R. P. J. de Marseille), s'étant rendu, lui, par deux fois, en Espagne, sur la trace d'un bidon de pétrole vendu aux Cartland. On put juger, à ce propos, de la rouerie de l'assassin pour dissimuler les preuves de son forfait, et les habiles rideaux de fumée (c'est le cas de le dire) destinés à promener les enquêteurs. Inutile d'évoquer les torrents de boue déversés sur ces derniers, comme sur le magistrat instructeur : on a l'habitude. Finalement, le jeune parricide, fort opportunément conseillé par un maître du barreau marseillais (Me Paul Lombard) demanda à être jugé dans son pays…

Bref, tout ça pour conclure que notre Tom Barnaby a beau battre le rappel, et avec quelle énergie, de la presse anglaise ; je vais le lui dire en bon français : on s'en fout complètement.

 

 

 

 

Activités de soutien

 

En revanche, l'étrange soutien que le P. C. accorda aux Dominici, et sur lequel Guerrier en fait des tonnes, mérite examen. Que je dois commencer par une histoire personnelle.

À la fin des années quarante, la façade de la cave coopérative de mon petit village fut maculée d'une inscription qui demeura en place pendant de nombreuses années. Elle proclamait, cette inscription :


À bas les Moch et Truman !
À bas la Wehrmacht !
Vive Staline !

Peu de temps après, la même main, apparemment, ajouta un post-scriptum :

Libérez Henri Martin !

Qui était Henri Martin ? Un jeune militant communiste de base, engagé en Indochine, qui en vint à prendre le parti des insurgés. Arrêté pour sabotage en 1950, et lavé de ce chef d'accusation, il fut néanmoins condamné, fin octobre de la même année, à 5 ans de réclusion pour propagande hostile à la guerre d'Indochine. Il ne fut pas, tant s'en faut, le seul militant communiste emprisonné pour le même motif mais, pour des raisons que je ne connais pas (encore une zone d'ombre), le P. C. en fit une figure emblématique de sa lutte contre les hostilités en Indochine. D'où l'inscription précitée, qui fut tracée à la chaux, à des centaines de milliers d'exemplaires - au moins - dans toute la France. Il est d'ailleurs équitable de noter que, dans sa "lutte du peuple français contre la sale guerre d'Indochine", le P. C. fut largement soutenu par des personnalités qui lui étaient extérieures (chrétiens dits de gauche, en particulier).

Le P. C. organisa de même un puissant et bruyant soutien aux époux Rosenberg, ce couple new-yorkais communiste accusé (avec raison) d'avoir trahi son pays en livrant à l'Union soviétique des données secrètes concernant la fabrication de la bombe atomique américaine. Entre leur procès (avril 1951) et leur exécution (juin 1953), les manifestations monstres en faveur des Rosenberg furent, dans toute la France, quelque chose d'inouï, dont les jeunes générations ne peuvent avoir aucune réelle idée. Naturellement, j'ajouterai qu'il importait peu, aux militants communistes, que de fort nombreuses blouses blanches parfaitement innocentes aient été exécutées en URSS, dans un relatif secret. Mais que deux traîtres à leur patrie américaine pussent subir, au grand jour et après un procès démocratique et équitable, le même sort, cela leur devenait intolérable(5).

C'est donc assez dire que le soutien accordé par le Parti au clan Dominici avait bien d'autres équivalents, précisément à l'intérieur de cette période extrêmement trouble pour lui, à la fois sur le plan intérieur (la préparation des "purges" - Thorez, le déserteur planqué, sortant du Parti les anciens mutins de la Mer noire, et autres authentiques résistants) et sur le plan extérieur (la lutte contre les autorités françaises, et le noyautage des administrations).

Il ne faut donc pas créer de toutes pièces une nouvelle zone d'ombre, là où il n'y en a pas. Je sais, ça fait vendre...

Et pendant que je m'affaire autour des communistes, je veux revenir à la citation de tout à l'heure. Car Guerrier balance des trucs complètement infondés aux jeunes générations, qui vont les gober, c'est sûr, comme du bon pain. Ainsi nous sert-il la fable d'une "faible IVe République" (p. 124), en évoquant la figure de Charles Brune, ministre de l'Intérieur au moment de notre Affaire. Faible, la IVe ? Comment alors expliquer le "à bas Moch", de l'inscription précitée ! Jules Moch, la bête noire des communistes, Moch le socialiste qui créa les C. R. S. pour faire pièce à la subversion communiste, laquelle se déchaînait alors à un point, une fois encore, difficilement imaginable de nos jours. Il faut aussi expliquer le cas Ramadier, foutant manu militari les ministres communistes à la porte de son gouvernement, comme des malpropres qu'ils étaient !

Depuis la constitution du Kominform (en 1947), les communistes français avaient toujours proclamé que le parti socialiste était leur premier ennemi, et que leur ambition était de plumer la volaille socialiste ; ils ont compris un peu tard, pour leur malheur mais le bonheur de la France, qu'ils n'avaient pas affaire à des chapons (comme nombre de socialistes d'aujourd'hui) ! Et que dire de Brune soi-même, justement ? Le ministre Brune dont Constantin Melnik, avant d'être l'impitoyable fer de lance, sous Debré, de la lutte anti-OAS, avait été, dix ans auparavant, l'un des "mercenaires" engagés pour contrer la véritable insurrection que les communistes, par le biais de la courroie de transmission de la C.G.T., avait déclenchée dans le pays : un faible, vraiment(6)?

Mais quant à prétendre, maintenant, que le PC a défendu Gaston Dominici jusqu'au bout (p. 718), c'est une nouvelle plaisanterie de notre auteur, exactement identique à une autre, donnée un peu auparavant, à propos de la médaille généreusement décernée à Yvette, en raison de son soutien sans faille à son mari (p. 687). Elle qui le trompait, sans vergogne comme le rapporte Guerrier (après bien d'autres), le soutenait en effet comme la corde soutient le pendu ! Et si nous parlions de son "absence" de la Grand'Terre, tout au long de la journée du 5 août ?

Le P. C. a protégé mordicus Gaston et les siens, mais un temps seulement ; et je renvoie là-dessus à un texte bien cruel, dû (vraisemblablement) à la plume aiguisée de Gabriel Domenech. En effet, le quotidien Le Méridional-La France sut moquer avec beaucoup d'à propos le revirement à 180° du P. C. (et de sa presse) après les aveux du Patriarche, passant en l'espace de six mois du comportement calme et tranquille de Dominici à une comparaison peu amène avec une de ces bêtes sauvages qu'il traquait et abattait dans les montagnes de Lurs... Et ceci dans un article intitulé Le Grand sacrifice de La Marseillaise. Il n'y a qu'à lire. Si on sait(7).

Et si on sait lire, justement, mais entre les lignes cette fois, on prendra avec stupeur connaissance (p. 717) de la mise sur le même plan des "accidents" survenus à deux anciens militants devenus "balances", Maillet et Autheville : "Gare aux foudres du Parti" ! En clair, Guerrier n'hésite pas à transformer en meurtre commandité par le P. C., un accident de la circulation survenu à Autheville. Allons, reprenez-vous, Monsieur, même si la conservation du sang-froid n'est pas votre qualité première. Le P. C. n'a recouru à l'assassinat des "renégats" parmi les siens que lorsqu'il fut interdit, durant la drôle de guerre (ou, plus exactement, à la suite du Pacte Von Ribbentrop-Staline). C'est déjà diablement trop. Point à la ligne(8).

 

Mais je veux en finir avec le passé du P. C., en revenant une dernière fois sur l'inscription tracée à la chaux. :

À bas la Wehrmacht !

Un humble militant communiste vivant au sortir du second conflit mondial dans un petit village provençal savait écrire correctement ce mot (certes étranger), ce que ne sait apparemment pas faire, un demi-siècle plus tard, un individu très cultivé, qui écrit la Wermart (p. 602). Un expert tous azimuts, qui se prétend seul à être "allé au fond des choses"...

 

 

De la Résistance bas-alpine

 

En réalité, il s'agit d'une fausse sortie, car il nous faut maintenant évoquer les F. T. P. et l'éventuelle imbrication de la Résistance bas-alpine dans la tragédie de Lurs.

Rappelons tout d'abord que pour augmenter le nombre des Français qui étaient partis volontairement travailler en Allemagne (au nombre desquels, un certain Georges Marchais), à la place des Allemands mobilisés sur les différents fronts où les avait conduits la folie hitlérienne, le Service du Travail Obligatoire fut mis en place à partir de février 1943. Il s'agissait essentiellement de la réquisition d'ouvriers qualifiés, ce que n'étaient pas les fils Dominici (l'Allemagne ne manquait pas de prisonniers de guerre employés dans les fermes). De plus, le STO s'adressait aux classes 1920, 1921 et 1922. Clovis (né en 1905) et Gustave (en 1919) n'étaient donc pas concernés. J'ajoute que, selon ma propre expérience (du fameux petit village provençal dont il vient à nouveau d'être question), la chasse aux requis du STO ne fut pas d'une férocité sans bornes. Cela devait dépendre, évidemment, des régions, de la plus ou moins grande passivité des autorités locales, du zèle de la Milice, etc. Mais les agriculteurs furent peu touchés, pour la raison avancée plus haut.

Énoncer, donc, comme une vérité d'évidence, que Gustave, "pour échapper au STO, s'engage dans les FTP" (pp. 108-109) est une nouvelle méprise. Surtout quand on tente d'enfoncer le clou de façon bien trop appuyée, à propos des fils de Gaston Dominici "engagés dans les FTP" (p. 98), de la connaissance qu'aurait eue Gustave des "armes de guerre" (p. 227), de ses "antécédents" (p. 402), de son "expérience du maquis" (p. 564), de "son passé de FTP" (p.707), de son apprentissage dans le maquis du "tir à la hanche" (p. 377. Mais dans quel maquis, grands Dieux ?), et patin et couffin ; même si la franche exagération, pour ne pas dire plus, contenue dans tous ces syntagmes, est quelque peu atténuée par la qualification du même Gustave comme "tardif FTP" (p. 707)(9).

Tardif, il le fut en effet ! On date généralement son "engagement" du passage des troupes alliées, dont je rappelle qu'elles n'ont pas tiré un seul coup de canon (et d'US_M1, pas davantage - j'exagère à peine, mais à dessein) depuis la Méditerranée jusqu'à Grenoble, ville atteinte en une semaine, alors que le commandement allié avait prévu une campagne de trois mois ! Est-ce à dire que la "Résistance" avait fait le ménage ?

Je dois sur ce point signaler que le reportage au style acerbe de Gabriel Domenech, sur lequel beaucoup se fondent (y compris notre auteur) m'a toujours paru assez outrancier pour ne pas dire douteux, de même que l'importance des maquis de la région, et de l'existence avérée du dénommé Della Sierra/Manuel Lopez (mentionné p. 109).

D'une part, j'ai lu avec grand intérêt, sur le Net, le récit de Marcel Allibert10), dont l'authenticité s'appuie sur un grand nombre de documents (qui ne se trouvent pas sur le Net, mais qu'on peut se procurer à part), récit qui me paraît faire le tour des faits d'armes de la Résistance (autour de Forcalquier), et des ripostes allemandes. Si le Docteur Jouve est cité, on ne trouve ni Lopez, ni Autheville. Ni, bien entendu, les frères Dominici. Et la mention des maquis autour de Lurs est à peine effleurée, sinon pour stigmatiser la méfiance des FTP vis-à-vis des FFI, et surtout la très faible capacité "guerrière" des "résistants" du coin : "Dans la soirée du 7 [juin 44], je réceptionne à l'entrée du cimetière de Forcalquier, une dizaine de volontaires de Sigonce […], pour renforcer notre effectif local et "prendre la ville". On les a dotés, chacun, d'une Sten [on chercherait en vain les US_M1 !] et de trois chargeurs, soit quelques minutes de feu en "tir économique". C'est bien peu ! Je les interroge - heureusement ! - sur leur habileté au tir à la mitraillette : ils ne s'en sont jamais servis et ne savent ni la démonter, ni la remonter ! Je leur fais alors, à l'abri des grands ifs du cimetière (ce qui donne à la chose un aspect quelque peu morbide), un cours rapide de pratique […]".

Par ailleurs, je possède le récit (non publié) d'Yves Thélène concernant son expérience de la Résistance dans les Basses-Alpes : il est édifiant. Ce coin n'avait rien à voir avec le Mont-Mouchet, le Vercors, ou les maquis de Guingoin. C'est ainsi. J'ajoute que, à la suite peut-être d'autres auteurs, Guerrier voit des FTP ou d'anciens FTP à peu près partout. Et des communistes pullulant dans le coin. Certes, on ne prête qu'aux riches, mais il me semble que, dans le cas qui nous occupe, on leur prête vraiment beaucoup ; pour ne prendre qu'un seul exemple, Faustin Roure n'était pas le secrétaire de cellule de Peyruis. Ce rôle était rempli (sauf erreur) par le Maire Louis Jourdan(11).

Tout cela pour affirmer en résumé qu'il est complètement inutile d'aller exhumer je ne sais quelles histoires de "Résistance" pour "expliquer" tel ou tel aspect de l'Affaire de Lurs ; sinon, évidemment, pour à nouveau créer de toutes pièces ces fameuses "zones d'ombre" tant affectionnées par certains. Le seul point qui mériterait - éventuellement - quelques éclaircissements, encore qu'il n'ait rien à voir avec notre sujet, c'est si "l'engagement tardif" (ô combien !) de Gustave dans les FTP l'a entraîné à participer aux nombreuses exactions (elles ont, dit-on, dépassé les trois centaines pour les seules Basses-Alpes), bien réelles celles-là (les époux Cartier, le commissaire Stigny, F. Musy, Maire de Peyruis, le photographe Gras, bien d'autres encore), que le P. C., shuntant sans vergogne les Cours départementales de justice, a fait commettre immédiatement après la Libération. Mais il est trop tard pour énoncer quelque certitude que ce soit à cet égard.

 

 

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Notes

 

(1) Notre expert a vraisemblablement piqué cette bourde dans un violent article (truffé d'erreurs de détail, volontaires ou non) écrit au lendemain de l'arrêt de la Cour de révision par les avocats de la famille Seznec (in Le Monde du 16 décembre 2006). Arrêt de 41 pages particulièrement intéressant, dans lequel on peut lire ceci : "si Bonny, en sa qualité de secrétaire du commissaire Vidal, chargé notamment de la transcription, sous la dictée, des procès-verbaux d'audition, a été présent lors de la plupart des actes de procédure accomplis par son supérieur hiérarchique, son nom n'apparaît, dans le dossier de l'instruction préparatoire comprenant plus de 500 pièces cotées, que sur quatre procès-verbaux, dont trois établis par son chef, le commissaire Vidal, et un par le commissaire Doucet, ainsi que sur cinq rapports rédigés, signés et transmis par lui-même".
(2) Ce qui, je m'en avise à l'instant, est éminemment suspect. Sous couvert de symphonie pastorale, ne s'occupait-il pas plus volontiers des produits chimiques fabriqués dans l'usine ? Et à la salle de l'avenue Barasson, au lieu d'écouter religieusement le culte, les fidèles ne poursuivaient-ils pas plutôt de coupables activités d'espionnage ?
(3) Histoire bien connue à Grenoble, à la suite de laquelle Weisbuch avait obtenu un permis de port d'arme, c'est assez dire la qualité du courage dont il avait fait preuve face aux souteneurs, et la réalité des menaces qui planaient sur lui.
(4) Il ne m'a pas échappé qu'il s'agissait en réalité de la montre d'un témoin (lequel s'était vraisemblablement trompé de jour).
(5) On voudra bien me pardonner une incidente à ce propos : il s'agit de montrer que la fascination stalinienne s'étendait bien au-delà des militants. En octobre 1936, le conseil d'Administration de la Ligue des Droits de l'homme déclara que les procès de Moscou étaient presque l'expression de la justice même [...] les aveux des accusés ont été entendus par les représentants de la presse du monde entier [...] les accusés ont voulu assassiner Staline, ils se sont déclarés complices de Trotski [...] pour écarter ces aveux, il faut déclarer qu'ils ne sont pas valables, ce qui serait sans précédent dans les annales judiciaires". Cette déclaration fut ensuite approuvée l'année suivante par l'Assemblée générale de la Ligue, par 1 088 voix contre 258.
(6) Cf., entre autres, Politiquement incorrect, Plon, 1999.
(7) "Quinze mois d'investigations, d'interrogatoires, de confrontations avaient permis aux enquêteurs de relever un tel faisceau de contradictions dans les déclarations des principaux témoins que le doute n'était plus possible : les Dominici n'étaient pas ces simples gens ne connaissant pratiquement rien de la tuerie : ils savaient beaucoup sinon tout du terrible assassinat" (Gaston Lenfant, in La Marseillaise, 10 novembre 1954).
En réalité, si on lit attentivement la presse communiste, on s'aperçoit que jusqu'au 15 août, elle suit à peu près une ligne voisine des autres médias : "Quatre heures après le massacre, le tueur est revenu rôder près de ses victimes" (L'Humanité du 16 août), peut-on lire, à la suite du "coup de théâtre" constitué par le témoignage de M. Blanc, dont quelques éléments sont révélés (vers quatre heures du matin, se rendant à Marseille, il a aperçu "un lit de camp vide d'occupant" vers l'avant de l'Hillman). C'est le 17 août que le ton change vraiment : on "apprend" en effet que
- le monstre de Lurs est loin.
- les policiers ne tiennent pas compte des faits nouveaux.
- Lady Drummond a fait partie des services secrets de l'Amirauté [voilà une zone d'ombre qui n'a pas été explorée !].
- On vient de retrouver sur un tas d'ordures un calepin compromettant appartenant à sir Jack Drummond.
- Sir Drummond avait vraisemblablement une activité occulte. Il était considéré "dans certains milieux", comme très versé dans la technique des armes modernes (!).
- Une seconde voiture Hillman, avec un couple sosie, a été aperçue la veille du crime, dans la montée de Ganagobie [témoignages Perrin et Borgnia], à 500 mètres des lieux du futur crime [donc, si on comprend bien, avec la voiture aperçue par Marque, cela fait trois voitures GB, et non pas deux ?], etc.
(8) Pendant qu'il y était, notre auteur aurait pu trouver suspecte la disparition du Docteur Girard (l'un des deux médecins ayant procédé aux autopsies des Drummond) à peu près au même moment que celle de R. Autheville.
(9) Je songe soudain à ce journaliste n'ayant pas craint de parler doctement d'un Gaston ayant "affronté les Allemands les armes à la main". Ce qui est à peine plus absurde et désinformateur que ce que nous raconte notre auteur. Qui nous assène même (p.706) l'image d'un Gustave, fidèle à la cause... Mais laquelle ? On grille de le savoir.
À propos des "antécédents" de Gustave, je voudrais rappeler, pour la petite histoire, que lors du recours en Appel, le 15 décembre 1952, à Aix-en-Provence, l'avocat général avait demandé une aggravation de la peine, car à ses yeux le premier Tribunal avait tenu excessivement compte du "passé" de l'accusé. Inutile de préciser quelle sorte de public était venu soutenir bruyamment le Tave : le Président dut faire évacuer une partie de l'assistance.
(10) On le trouvera sur la Toile à l'adresse suivante : "http://war.megabaze.com/page_html/054-Resistance-1940-1945".
Sur la Résistance dans les Basses-Alpes, on consultera éventuellement Les chemins de la liberté (sur les pas des résistants de Haute-Provence), Adri-Amrid, 2004, ouvrage très favorable à la Résistance. On y apprendra que le "maquis" de Ganagobie connut quelque activité durant les premiers six mois de l'année 1943 ; puis reprit vigueur au printemps 1944, sous la forme d'un "corps franc" de 15 à 20 personnes. Pas de quoi justifier des parachutages massifs, ni inquiéter l'occupant.
(11) Qui avait préalablement chassé, par la terreur et l'intimidation bien connues de tous ceux qui ont eu à affronter les communistes, le Maire socialiste (cadre supérieur de l'Éducation nationale) régulièrement élu, Eugène Jullien (demeuré Maire quinze jours).