Réponse de cette veuve, qui rejette, mais avec beaucoup de ménagement, l'alliance qui lui est offerte

 

 

 

Monsieur,

 

Je ne pouvais être que très-flattée de l'honneur que me font vos propositions ; mais je ne puis le dissimuler, un nouvel engagement ne convient nullement à la triste situation de mes esprits. Encore en proie aux regrets les plus douloureux sur la perte d'un époux qui, pendant quelques années de la plus douce union, ne cessa jamais d'être mon amant, je ne vous apporterais donc pour dot que des pleurs et un visage affligé....? J'aurais beau vous dérober mes larmes, l'œil d'un nouvel époux n'est que trop habile à deviner des chagrins dont la jalousie a droit de s'alarmer ; de tristes souvenirs viendraient sans cesse empoisonner votre bonheur ; que dis- je ?... je croirais voir l'ombre chérie me reprocher l'indélicatesse de mes nouveaux serments : laissons donc au temps le soin de calmer ma douleur ; lorsque je serai parvenue au degré de cette heureuse mélancolie que les poètes nomment, avec tant de justesse, la convalescence du cœur, alors, Monsieur, je tournerai volontiers mes yeux consolés vers des offres qui m'honorent d'ailleurs infiniment. Quant aux propos malins, aliment éternel des oisifs, je m'y sens trop supérieure pour en tenir compte. Du moment que ma propre estime est satisfaite, je fais peu de cas des saillies d'une langue envenimée. Il ne faut pas, il est vrai, dédaigner entièrement l'opinion ; c'est une vieille idole à laquelle on doit des égards, mais ce serait sottise que de lui sacrifier toutes ses inclinations ; mes plus chères, en ce moment, vous le savez, sont de me livrer aux charmes de la mélancolie.

Veuillez agréer mes sentiments d'estime ; c'est tout ce que peut ressentir maintenant un cœur flétri par le chagrin.

 

    J'ai l'honneur, etc.

 

 

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