[Le lycée Mignet ! Nous sommes nombreux à être fiers d'y avoir fait nos "humanités", quand bien même nous n'avons pas tous atteint à la célébrité d'un Zola ;-) ! 
J'ai d'ailleurs mis en ligne, voici un certain temps, un texte de souvenirs datant de la fin de l'antépénultième siècle, qu'on pourra atteindre en suivant ce lien.
Et puis, il se trouve que j'ai été très récemment informé de l'initiative du fils d'un ancien prof (de français) du dit Lycée :  lancer une liste destinée à rassembler les souvenirs attendris des anciens "pencus" à culottes courtes (et souvent rapiécées) et autres externes qui, chaque matin, paraissaient apporter une bouffée d'air pur à ceux qui, à tort ou à raison, pensaient avoir été enfermés comme oiseaux en cage... Et dans ce site, allusion était faite à un enseignant de gym qui semble avoir laissé le meilleur souvenir à ses élèves, au moins à ceux qui avaient pratiqué, de près ou de loin, le football (qui restera à jamais pour moi, que le Proviseur me pardonne, le sport préféré des républiques bananières).

 

 

Comme j'avais rencontré ce professeur, qui achevait sa vie dans une sorte de mouroir de luxe, et que j'avais eu en main la brochure qu'il avait publiée (à compte d'auteur !) alors qu'il avait déjà atteint l'âge respectable de 77 ans (l'âge où l'on ne peut plus désormais s'adonner à la lecture de Tintin), j'ai pensé que ce serait une manière de ne pas l'oublier que de produire ici un extrait de cette brochure, les pages où Marcel Cau parle précisément de la folie footballistique au Lycée Mignet, sous l'impulsion d'un Proviseur... qui lui, est mort tout seul (car il était veuf), à Pau, bien avant son prof de gym préféré, et dont personne semble-t-il, n'a songé à honorer la mémoire.
Je me dois d'ajouter deux précisions : Robert Bérard, à propos de qui on lira ci-dessous des lignes fort élogieuses, et qui a terminé sa carrière comme prof de gym (à son tour) au Lycée de Toulon, après avoir fait, international, les beaux jours de Reims, fut mon condisciple durant sept ans (nous avons d'ailleurs intégré le lycée Mignet un an avant M. Cau) : jamais je ne lui ai vu la grosse tête, lui le chouchou du Proviseur (qui lui donnait en cachette des cours particuliers de maths). Jamais. Dans ma bouche, fort avare de compliments, c'est un sacré hommage. Et puis, pour expliquer le titre de la brochure, Le ballon de la grotte,  je me dois de préciser que Marcel Cau (Meyrannes, 1921 - Fréjus, 2008) a présenté cette grotte, qu'il nomme "de l'Ismaël", dans la première partie de sa brochure : elle dominait son village natal, Meyrannes].

 

 

XXVI - Le lycée Mignet - Le proviseur

 

1951 - Dans cet établissement, je rencontre un Proviseur exceptionnellement dévoué à la cause du football. Sa passion pour ce sport est telle qu’il n’hésite pas à déployer une énergie hors du commun pour faire triompher les couleurs sang et or de son lycée, couleurs de la Provence.

Il vient de Paris, membre du Racing Club de France et de la Commission Technique Nationale du Concours du Jeune footballeur. C’est un grand connaisseur; il a côtoyé l’élite des dirigeants et joueurs du moment, familier de Gabriel Hanot, le sélectionneur de l’Équipe Nationale.

Depuis peu de temps à Aix-en-Provence, il est très déçu de voir les équipes représentatives de son établissement disparaître du tableau des éliminatoires dès le premier tour, après les poules locales.

— Que faire ?

Bien entendu, recruter un prof de gym spécialiste de football, pense-t-il.

Après de multiples contacts et des tractations avec le service des Sports, je me retrouve parachuté à Mignet, sans avoir rien demandé.

L’établissement me plaît et je décide d’y rester.

Une pépinière de bons joueurs m’y attend.

Créer un lien entre équipiers, faire adopter une méthode de jeu en respectant des consignes très simples sont mes premiers objectifs pour l’équipe Juniors, future équipe vedette.

Il est entendu que je propose au Proviseur le projet de formation de l’équipe, mais c’est lui qui effectue les dernières retouches. Il se réserve ce privilège.

Les résultats sont spectaculaires et dès la première année, l’équipe est non seulement championne départementale mais finaliste d’Académie. À cette époque, l’Académie comprend, outre les départements des Bouches-du-Rhône, du Vaucluse et des Basses Alpes, le Var, les Alpes Maritimes et la Corse.

Après un match nul contre le collège de Lorgnes, nous sommes battus par la règle de l’âge ; le vainqueur continental doit affronter le Lycée Fesch à Ajaccio pour le titre de champion d’Académie, et beau voyage en perspective !

Pour cette finale continentale perdue, j’avais préconisé de titulariser deux cadets surclassés, remarquables joueurs, parfaitement aguerris, à la place de deux juniors, gentils certes, mais moyens.

Aux arguments du Proviseur faisant prévaloir l’amitié, j’oppose le principe que, pour une compétition à laquelle on attache une grande importance, on doit aligner les meilleurs joueurs du moment; la valeur doit l’emporter sur les sentiments.

Il n’est pas agréable de se retrouver spectateur sur le banc, surtout lorsqu’on a disputé toutes les rencontres. La formation de l’équipe peut amener des tensions, des déceptions, des ennuis, des rivalités, des clans, mais il faut trancher, après mûre réflexion, après avoir examiné tous les aspects psychologiques du problème. Beaucoup de doigté, de souplesse dans les relations sont nécessaires pour faire admettre le point de vue le plus judicieux. Ne pas oublier que toute l’équipe doit être soudée, unie, tendue vers le seul objectif : la victoire sans faiblesse passagère, jusqu’au coup de sifflet final.

Le Proviseur ne me suit pas pour incorporer les deux cadets. Par contre l’équipe adverse a aligné cinq cadets surclassés, se donnant le maximum de chances en cas de match nul, car la règle de l’âge est appliquée à tous les joueurs inscrits sur la feuille de match, ce qui paraît être une anomalie. La moyenne d’âge inférieure désigne le vainqueur.

Tous les efforts du proviseur pour mettre sur pied une rencontre supplémentaire afin de départager les deux équipes ont été vains. L’OSSU était favorable. Le calendrier le permettait. Mais rien à faire. Les vainqueurs ne voulaient pas compromettre leurs chances. Ils avaient leur billet en poche. On les comprend.

A la suite d’un rapport circonstancié du Proviseur, mortifié après sa déconvenue, le règlement est modifié : seul l’âge des joueurs de la catégorie effective est pris en compte.

 

 

equipe foot mignet 56-57

[Marcel-Alban Cau (1921-2008) est au second rang, à droite ; à côté de lui, le Proviseur, Louis-Hippolyte Vardême (1893-1989). Le quatrième personnage, toujours à partir de la droite, est Le Guerrec. Robert Bérard est accroupi au premier rang, à la droite de celui qui tient le ballon]

 

 

XXVII - Le lycée Mignet - L’organisation

 

Cette première saison amène sur le lycée un esprit, une ambiance, une atmosphère, un déferlement d’enthousiasme tout à fait nouveau pour le football.

Avec beaucoup de doigté à l’égard des autres sports, le Proviseur prend des mesures, trouve des solutions afin de mettre en place une organisation générale sans faille. Pour les séances dites de plein-air de deux heures consécutives, le sport optionnel est lancé. Dès la classe de sixième, les élèves choisissent celui qu’ils souhaitent pratiquer. Le stade des Fenouillères et la cour du lycée constituent les terrains d’entraînement.

Afin de profiter au maximum du temps disponible, les internes et demi-pensionnaires sont accompagnés au stade par un surveillant. Partant du lycée à 13h50, je les prends en charge à 14 h, ainsi que les externes. À 16 h, le surveillant effectue le trajet en sens inverse.

Dans la grande cour, des buts de foot sont installés depuis toujours, mais de magnifiques platanes, probablement centenaires, énormes, majestueux, enracinés jusqu’au plus profond de la terre ont abrité des générations de potaches, sous leurs ombres tutélaires. Mais deux d’entre eux sont des défenseurs impassibles devant les buts. C’est pour le moins original, mais peu recommandé pour un entraînement et un jeu efficaces. Que de réunions, de contacts, de persévérance vis-à-vis des Amicales de Professeurs et d’anciens élèves pour obtenir l’autorisation de faire abattre ces seigneurs des lieux. Pourtant ils disparaissent pendant les grandes vacances.

L’image de marque de l’équipe est améliorée. Les vieux maillots rouges délavés sont remplacés par une tenue complète s’inspirant de celle du stade de Reims, au firmament de l’élite européenne. Mignet impressionne en pénétrant sur le terrain, tous les joueurs tels des professionnels, portant de magnifiques maillots à col ouvert, complétés par des culottes blanches et bas rouges. Le gardien de but n’est pas oublié. Un pull de couleur verte à col roulé, du plus heureux effet moule son torse. Par contre la casquette n’est pas fournie.

La population interne très importante constitue une énorme masse de supporters, fidèle et bruyante. Le concierge, fanatique et inconditionnel est à leur tête. Superbe et fier, habillé dans un costume de la meilleure coupe, on l’appelle « l’Amiral ». Après les victoires, il ne se fait pas prier pour imiter Tino Rossi, avec talent d’ailleurs. De nombreux parents, même éloignés d’Aix, suivent les rencontres.

Le jeudi soir, la radio communique les résultats sportifs scolaires. Bruno Delaye, un bouillant reporter anime cette chronique. Dans l’appartement de fonction du Proviseur, nous écoutons religieusement, afin d’envisager la suite du championnat.

Le lendemain, à la première heure, le chef d’établissement téléphone à l’Ossu, non pas pour choisir l’adversaire, mais pour demander un terrain en bon état, long, large, bien tracé, avec des filets et des vestiaires. Il insiste pour obtenir un arbitre officiel de la Fédération.

Placé dans ces conditions idéales, exceptionnelles, je me dois d’être à la hauteur de ma tâche. Dans toutes les catégories, j’applique la même méthode : technique d’abord. Les éléments se prêtent admirablement à cette formation. Ce sont des enfants et adolescents issus d’un milieu favorisé, calmes, pondérés, réfléchis, intelligents, disciplinés, capables de construire, de faire courir, d’estoquer au bon moment, sans brutalité, sans irrégularité, qui adorent l’entraînement avec ballon. La plupart poursuivent leurs études avec succès dans l’enseignement supérieur vers des carrières de cadres ou professions libérales. Le Proviseur suit attentivement les résultats scolaires des joueurs, les épaule éventuellement en maths, c’est sa spécialité, et ne cache pas sa satisfaction si, au cours d’un conseil de classe, un garçon, capitaine d’équipe, est félicité.

—Tête bien faite et bien pleine, dit-il.

 

 

XXVI - Le lycée Mignet - L’entraînement

 

Pour les séances d’éducation physique, les joueurs de football sont répartis, comme tous les élèves, dans des groupes de niveaux, sous la responsabilité de professeurs différents et je ne les retrouve pas forcément aux cours de « gym » deux fois par semaine.

Rares sont ceux qui se soumettent à une discipline stricte d’entraînement physique.

Ils possèdent les qualités de base de vitesse, de détente, d’endurance mais sont souvent blessés ou fatigués. Après un match, il faut longtemps pour effacer la fatigue foncière. Quarante huit heures minimum sont nécessaires pour redonner fraîcheur et vitalité et retrouver tonus et plaisir de jouer.

N’ayant pas récupéré, ce sont des « semelles de plomb » qui se déplacent avec difficulté, ou des « santons » impassibles et amorphes.

Sur un grand terrain, la débauche de sprints répétés, de sauts, de successions d’efforts violents, de contacts rudes, de frappes puissantes pour déclencher un tir, de contractions brutales laissent des traces.

Les ennuis de chevilles et de genoux sont fréquents.

Quel footballeur n’a pas eu besoin d’utiliser une chevillère ou une genouillère ou même les deux au cours de sa carrière ?

Le « genou » du joueur de foot est classique comme la « clavicule » du rugbyman. D’après les statistiques, les accidents sont plus fréquents au football qu’au rugby, malgré les placages et les chutes spectaculaires.

Le Proviseur n’hésite pas à mettre au repos les adolescents donnant des signes de fatigue, à leur faire passer des tests médicaux complémentaires.

Au lycée Mignet, le surclassement est tout à fait exceptionnel et une relation s’instaure avec les clubs civils afin d’éviter deux matchs au cours de la même semaine, le jeudi et le dimanche.

J’essaye d’obtenir l’adhésion des joueurs pour des séances spéciales d’entraînement physique afin de développer la souplesse par les étirements, de pratiquer une musculation légère pour fortifier la sangle abdominale et les dorsaux. Je tente de mettre en place des cross faciles pour le souffle...

Rien à faire, cela ne « marche pas ». Réticents, ils rechignent à s’y soumettre, mais par contre, avec le ballon, j’obtiens n’importe quoi à n’importe quel moment de l’année.

Au troisième trimestre, la saison de sports collectifs est terminée.

Après les vacances de Pâques, un calendrier d’athlétisme est prévu avec des épreuves dans lesquelles ils pourraient participer très honorablement. Rien à faire, même pour les championnats par équipes, afin de compléter un relais par exemple.

Non, c’est le foot, le foot, toujours le foot, et tout le temps.

Maîtriser le ballon, le contrôler, l’apprivoiser, le sentir, le caresser, le voir sans le regarder, le frapper, l’orienter tel une boule de billard, le passer dans les meilleures conditions, faire courir l’adversaire, le fatiguer, le décourager et marquer, cela seul compte pour eux.

Ils aiment la stratégie, les tirs arrêtés soit avec la frappe pure du coup de pied, soit avec l’arête interne ou externe, la science du brossage, la précision de la balle enveloppée vers la lucarne, les contre-pieds pour les penaltys.

J’utilise au maximum cette motivation, cette passion, pour affiner leur technique individuelle et collective. Ils sont capables de courir une journée entière après un ballon sans se lasser.

C’est l’Entraînement Physique Intégré avant l’heure.

 

 

XXIX - Le lycée Mignet - Entraînements et matchs

 

Sous la « passerelle », passage ainsi nommé parce qu’il domine la grande cour, se trouve un préau, divisé en travées par des piliers métalliques arrondis.

Ce préau étant fermé par un mur, convient admirablement au renvoi des ballons pour les entraînements aux frappes du coup de pied et du front. Aucune perte de temps. Le seul inconvénient de taille, c’est le bruit sourd du ballon sur le mur provoquant une résonance gênante pour les classes à proximité. Mais les collègues sont compréhensifs et Monsieur le Proviseur vient souvent sur la passerelle faire les cent pas et assister par la même occasion aux entraînements de « ses poulains ».

Le jeu de tête s’apprend. II n’est pas naturel comme le jeu avec le pied, utilisé d’instinct par le jeune enfant. D’ailleurs, football, traduit de l’anglais, signifie textuellement balle au pied.

Il s’agit d’une véritable éducation que celle du jeu de tête. Mais après avoir maîtrisé la frappe du front, quel véritable régal.

J’ai vu des élèves réaliser d’énormes progrès et éprouver alors une véritable délectation dans cette pratique. D’ailleurs, beaucoup de buts sont marqués avec la tête, sur des centres, des corners, des coups francs. Les défenseurs doivent posséder un jeu de tête irréprochable pour être efficaces, non seulement pour stopper, mais pour relancer.

Avec les « seigneurs » comme le Proviseur les appelle, je suis amené avant les matchs, à prévoir un échauffement uniquement avec ballons.

Ne pas être cueilli à froid, être tout de suite dans l’action sont des conditions essentielles.

Le plus difficile consiste à trouver les responsables des ballons, car le joueur ne va pas rechercher le ballon lancé au loin, qui s’égare, disparaît derrière une haie, une palissade, sur un chemin, au milieu d’un groupe...

II est là pour jouer avant tout.

Quatre ballons sont nécessaires pour l’échauffement, un pour le gardien, un pour les arrières, un pour les lignes médianes, et un autre pour les avants. Une demi-heure minimum est indispensable. Au coup d’envoi, le joueur doit avoir mouillé son maillot et le cœur doit être prêt pour un premier effort. Parfois des joueurs arrivent à la dernière minute ou en retard même, dans l’équipe adverse bien entendu. Cela ne peut pas donner de bons résultats.

À la mi-temps, rentrer au vestiaire est impératif. À part les joueurs, personne d’autre n’y est admis. Ce doit être un quart d’heure de calme, de repos, de récupération, d’analyse, de sérénité, de réflexion, de conseils, de consignes quel que soit le score, et évidemment de soins.

J’accorde une très grande confiance au capitaine, joueur confirmé, estimé, écouté. Lorsque c’est possible, deux joueurs sont les patrons, l’un des avants, l’autre des défenseurs. L’idéal c’est d’avoir pour capitaine un inter, et le demi-centre capitaine-adjoint. Alors là, c’est une magnifique organisation.

Sur la touche, je ne hurle pas. Tout est prévu avant le match. Nous nous sommes concertés et nous nous concertons encore à la mi-temps.

L’arbitrage constitue un énorme problème. II faut toute l’autorité du Proviseur pour obtenir un arbitre officiel désigné par l’OSSU. À défaut, nous convoquons un parent ayant sa carte d’arbitre. Les ennuis surgissent lorsque le sifflet est tenu par un accompagnateur. Les contestations affluent à moins d’une domination outrancière.

Nous exigeons de nos joueurs une tenue irréprochable vis-à-vis des directeurs de jeu, avec lesquels ils doivent se comporter avec politesse et fair-play.

Le lycée Mignet n’a jamais porté la moindre réclamation sur une feuille de match.

Avant et après la rencontre, le proviseur serre la main de l’arbitre, éberlué; un chef d’établissement sur un terrain de football, un jeudi après-midi et qui s’intéresse d’aussi près à un match, c’est pour le moins un extra terrestre !

 

 

XXX - Le lycée Mignet - Les résultats

 

Sept équipes sont engagées : deux Juniors, deux Cadets, deux Minimes, une Benjamin. Je me consacre en priorité à l’équipe vedette des Juniors, mais les autres ne sont pas sacrifiées pour autant. Je fais appel à des parents ou à de grands élèves pour les accompagnements, l’encadrement, le matériel.

Les résultats, d’une façon générale sont excellents. Toutes les équipes ne sont pas championnes toutes les années, mais au cours du « règne » de Monsieur Vardème, nous avons obtenu tous les titres, ceux de champions départementaux en Benjamins et Minimes (la compétition s’arrêtant à ce stade) et ceux de champions d’Académie Cadets et Juniors à plusieurs reprises. II faut différencier le titre de champion d’Académie continent et celui de champion d’Académie où le département de la Corse est inclus.

L’usage veut que le champion d’Académie continent effectue le voyage à Ajaccio pour y rencontrer le lycée Fesch, véritable bastion du football insulaire et inamovible champion d’Académie. Aucune équipe du continent n’est jamais par venue à vaincre le lycée Fesch.

Avant son départ à la retraite, le proviseur caresse l’espoir d’obtenir le titre suprême. J’apprécie la qualité des joueurs corses, leur combativité, leur courage, leur détermination, leur vitesse, leur sens du but. Dès le coup d’envoi, c’est une vague déferlante qui submerge les défenses, les harcèle, les disloque, les écartèle pour trouver la faille. C’est la furia, le football de feu, à un rythme endiablé.

Notre première confrontation se solde par un échec retentissant; le lycée Mignet, médusé, pétrifié est impuissant à endiguer cette marée destructrice. Mais la leçon est profitable et les rencontres futures sont beaucoup plus équilibrées. Des relations amicales entre établissements s’instaurent. Le courant passe. Le lycée Mignet reçoit à Aix le lycée Fesch en ami.

Nos équipes ne se laissent plus surprendre et la technique de nos joueurs fait merveille. Les consignes sont appliquées à la lettre : surtout ne pas « encaisser » de but dès le coup d’envoi, laisser passer l’orage, ne pas plier, ne pas rompre, colmater les brèches, renvoyer, protéger son gardien, écarter le danger, briser ce rythme infernal et rester calme.

Le proviseur peut être satisfait. Dans le meilleur esprit, le lycée Mignet arrive à gagner à Ajaccio et à Aix. Une finale au stade des Fenouillères attire une foule immense. De mémoire d’aixois, jamais on n’a vu autant de spectateurs. Bruno Delaye a même fait de la publicité à la télé régionale, où je suis invité à présenter le match en compagnie de Jean Camus, frère de l’international Georges Camus.

Le scénario arrêté se déroule comme prévu, et notre système défensif, durant la première demi-heure fait merveille, mais surprend les connaisseurs. J’entends des réprobations à mon adresse:

— Comment ! Jouer la défense d’entrée de jeu !

J’ai confiance et effectivement, non seulement le lycée Fesch ne marque pas, mais la machine aixoise bien huilée, prend la direction des opérations et impose son système. Finalement les aixois l’emportent sur le score de deux à zéro. Le même jour, à la même heure, les Cadets de Mignet battent leurs homologues de Fesch, à Ajaccio.

Le « Bahut » est bien devenu le numéro un de l’Académie. L’avion a remplacé le bateau pour nos déplacements. Sommes-nous devenus des professionnels ?

Avons-nous dépassé les limites du sport scolaire? Sans aucun doute.

Sous l’impulsion d’un Proviseur campé dans le rôle d’un très grand Président de club, quelle belle épopée avons-nous vécue.

Mais le chef d’orchestre est parti ! La retraite a terrassé ce magicien. II a connu l’ennui dans un modeste appartement anonyme niçois, puis à Pau où il mourut, seul, veuf et aveugle.

Adieu ami ! Le rayonnement de ton âme est digne de prendre place dans la grotte de l’Ismaël! *

 

 

XXXI - Le Lycée Mignet - Ses internationaux

 

Ils s’appellent Aimé Mignot, Robert Bérard(1) et Henri Michel. Dans l’ordre chronologique, ils apparaissent tous les trois nimbés d’une auréole d’international. Ils ne se sont jamais trouvés ensemble dans la même équipe, mais ils ont marqué de leur empreinte, chacun avec sa personnalité, le football au lycée Mignet. Tous les trois ont en commun une technique individuelle remarquable. Il serait faux et prétentieux de dire qu’ils ont été formés au bahut, tous les trois appartenant à des clubs civils.

Je m’efforce seulement, avec objectivité, d’apporter un jugement sur leur profil.

 

Ma définition : Aimé Mignot le battant

 

Aimé Mignot est tranchant, aux interventions décisives, nettes, efficaces. Servi par une valeur athlétique brillante, ses démarrages sont rapides, et sa détente verticale importante. Ses frappes du coup de pied droit et du front sont un modèle du genre. Son meilleur poste est celui de défenseur central, stoppeur ou libéro. Il peut aussi occuper celui d’arrière latéral et relance dans de bonnes conditions, avec de très longues passes. À l’occasion, pour redresser une situation et donner un avantage à son équipe, il ne refuse pas, vers la fin de la partie, de tenir le poste d’avant-centre, et, grâce à son déboulé et sa puissance de tir, marquer en force. Il lutte jus qu’au coup de sifflet final. Il habite tout près du lycée et quelquefois entre 13 h et 14 h, chez lui, nous nous concertons pour la composition de l’équipe. Droit, il écoute et suit les conseils. il fait un excellent parcours avec Lyon comme joueur, puis entraîneur.

 

Ma définition : Robert Bérard le stratège

 

Avec Robert Bérard, nous débutons ensemble au lycée Mignet, lui comme élève en sixième, moi comme « prof de gym ». Il bénéficie du Centre de formation « maison » mis en place par le Proviseur, dont il devient rapidement le « chouchou ». Grâce à de brillantes qualités d’équilibre, de coordination, d’intelligence, d’application et de sérieux, il réalise très vite d’énormes progrès. À seize ans, la technique n’a plus de secrets pour lui. Il est élégant, enchaînant dribbles, contrôles, passes et tirs avec facilité et possède une très grande vision du jeu. C’est un patron orchestrant à merveille la ligne d’avants. Interne, il côtoie à longueur de semaines, de mois et d’années, des camarades de classe, très bons joueurs, et met au point des combinaisons, des permutations, des décrochements, qui laissent les adversaires pantois. Plus tard, il joue au Stade de Reims avec les KOPA, PIANTONI, JONQUET et autres vedettes du moment, mais il s’oriente vers le Professorat d’Éducation Physique.

 

Ma définition : Henri Michel, le super-doué

 

Henri Michel est le garçon le plus doué et le plus passionné que j’aie jamais connu. Très jeune, vers cinq ans, je le vois au stade des Fenouillères, même seul, avec un ballon dans les pieds. Il affectionne les jonglages ininterrompus. Le mur du tennis est un excellent partenaire, un renvoyeur impitoyable, et il exécute des séries gauche, droite, ras de terre demi-volée, volée, tête, avec une déconcertante dextérité. C’est un éblouissement ! Il paraît évident qu’il peut être appelé à une très grande carrière, il joue avec des petits, des moyens, des grands, faisant état d’une prodigieuse classe. Son système cardio-pulmonaire se développe dans d’excellentes conditions. À onze ans, ne termine-t-il pas second d’un cross inter-établissement à Aix ? Lorsqu’on connaît la valeur des concurrents de l’École Militaire, on peut considérer cela comme une sacrée performance. Je le vois, à l’occasion, utiliser la raquette de tennis avec brio. Sa motricité est exceptionnelle. Peu de joueurs de grand renom sont capables de faire comme lui de très longues transversales aussi précises. Il s’infiltre dans les défenses en jonglant, rendant le ballon insaisissable et effectue une reprise de volée en boulet de canon, à gauche ou à droite. C’est un véritable ambidextre. Joueur Protée, sans aucun doute, capable de tenir n’importe quel poste avec panache, il est très dur dans les contacts, ne se plaint jamais. Plusieurs fois champion de France et vainqueur de la Coupe avec Nantes, il compte un nombre impressionnant de sélections en équipe nationale dont il devient entraîneur.

[...]

 

Note

 

(1) Bérard, surnom donné aux bergers de moutons (souvent appliqué aux enfants trouvés ou assistés, car on les voyait en garde des troupeaux d'ovins - et combien on en rencontre, au XIXe siècle, entre autres en Ardèche et en Haute-Loire !

 

Cybèle 2006

 

©  Marcel-Alban Cau, Le ballon de la grotte (ouvrage publié à compte d’auteur), août 1988, 96 p. (M. Cau avait 77 ans), pp. 67-80.

 

 


 

 

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