Tenez, voici un livre. Écrit il y a fort longtemps, disons sous la Préhistoire (je dis ça pour ma délicieuse nièce - vingt-quatre ans - que j'ai entendue l'autre soir dire, sans ciller, qu'elle avait vu en boîte des gars de vingt-huit ans, peuh des pépés). En fait, alors que la France se trouvait sous la botte germano-nazie (et tout le monde ne s'y trouvait pas forcément bien). Et publié en 1945, je crois. Avec un succès d'estime (l'ouvrage avait été remarqué par Robert Kemp, le féroce critique littéraire du Monde) puis l'oubli complet.

Tenez, voici un auteur, qui n'est pas tellement à succès : Pierre Magnan.

Il se terrait (car réfractaire au S. T. O.), à peu près au moment du Débarquement, à Saint-Pierre d'Allevard. Voyez-moi ça (et moi qui connais ces lieux comme ma poche, et qui connais aussi les hommes et les femmes de ce lieu, ou plus exactement les enfants des hommes et des femmes dont parle Pierre Magnan...).

 

Qui se cachait à Saint-Pierre (d'Allevard) avec Thyde Monnier (1887-1967. Oui, l'auteur(e) de La saga des Desmichels, l'histoire d'une famille paysanne en Provence), voyez-moi ça. Mais que faisait-il donc avec elle, lui tout jeune homme au moment du Débarquement (car né en 1922) ? [Eh bien, la réponse se trouve dans Un monstre sacré - publié chez Denoël, 426 p., paru cette année. Note du 25 VII 04]

Bref. L'instituteur du coin (ce n'est pas du roman) lui refile quelques cahiers d'écolier (tout neufs, et sur fonds publics, oh le vilain ! Nos hommes politiques n'oseraient jamais faire de pareilles vilenies). Et Magnan se met à écrire. Son premier roman(1). Je ne parlerai pas des autres, je parlerai seulement du premier : l'aube insolite.

 

Certes, c'est un premier roman. On sent des faiblesses, quelques redites m'a-t-il semblé, des longueurs inutiles. Mais baste, quel roman !

 

Tenez, il y a tout d'abord cette préface, qui relie le passé au futur, ou le futur au passé, ou au présent, je ne sais pas comment dire, mais vous me comprenez, hein ? Pierre Magnan tout petit, avec son père, amoureux des aurores boréales. Et puis cette phrase qui le turlupinait, celle qui commence le bouquin (non, je ne vous la dis pas, ce serait trop facile, vous n'avez qu'à aller voir !). On se prend à penser que Louis Hémon a dû connaître la même obsession à propos du départ de Maria Chapdelaine, écrit juste avant sa mort (en 1913), et publié trois ans plus tard (là, je vous le dis, moi le mécréant : "Ite, missa est. La porte de l'église de Péribonka s'ouvrit, et les hommes commencèrent à sortir").

 

Tenez, voici une belle figure d'instituteur, sans doute relégué dans une modeste classe unique pour lui apprendre à manier les idées subversives. Là, on songe un peu à Clanricard, l'âme noble des Hommes de bonne volonté. Mais ce meneur d'hommes (celui peint par Magnan) est tout à fait original. En plus, il aime, que dis-je il aime, il déifie Mozart (je sais, c'est démodé, ça ne vaut pas le rap, c'est affaire entendue). Ce qui me conduit à vous parler de la jeune doctoresse tourmentée par ses sens, et par sa religion (car elle en a), à mon avis moins bien typée que notre ami l'instituteur. En tous cas à eux deux, avec plein de villageois autour d'eux (des "paysans" de montagne qui pensent et qui sont courageux, qui aiment leurs femmes et sont tendres avec leurs enfants, c'est quand même incroyable chez les bouseux !), parmi lesquels de sacrées figures (masculines comme féminines), et malgré leurs dissensions, leurs a priori philosophiques dirais-je, opposés, ils vont faire quelque chose de bien. Quoi ? Mais allez donc acheter l'ouvrage, il vient de (re)paraître dans la collection Folio !

Et vous rencontrerez ainsi un sacré bonhomme, celui qui a sorti tout ça de sa tête, et de son cœur. Ah, putaing ! Et dire que lorsqu'il se déplace gentiment pour aller, dans telle ou telle humble bibliothèque de village, à la rencontre de ses lecteurs, il n'a jamais que des auditoires de dix à quinze personnes…

Je lis dans sa biographie que, sa maison étant particulièrement étroite, il est contraint de choisir avec le plus grand soin ses amis (encore un qui sait que le concept d'amitié ne se conjugue qu'en compréhension ou en extension, pas dans les deux directions à la fois). J'y lis aussi qu'il aime les vins de Bordeaux (rouges), les promenades solitaires ou en groupe, les animaux, les conversations avec ses amis des Basses-Alpes. Des Basses-Alpes ! Mais nous sommes voisins, dis donc ! Alors, si ça te dit, Pierre, fais signe…

 

Note

 

(1). Un lecteur aussi aimable que compétent et attentif, J. J., me fait remarquer ce mardi 22 avril 03, que L'aube insolite n'est pas le premier roman de Pierre Magnan. Que le premier-premier, c'est "Périple d’un cachalot, commencé en 1938 et achevé en 1940 à Manosque". Le rouge de la honte a couvert mon front. J'ai répandu les cendres du feu de bois de sarments sur mon visage buriné. Et la prochaine fois que je passerai à Manosque, ce qui ne saurait tarder, eh bien, je serai un peu plus savant que la fois précédente. Merci, José !

 

 

Ouvrages de Pierre Magnan :

- La maison assassinée (prix RTL-Grand public)
- Les Courriers de la mort
- La naine
- L'amant du poivre d'âne
- Le mystère de Séraphin Monge
- Pour saluer Giono
- Les secrets de Laviolette (prix de la nouvelle Rotary-Club)
- Périple d'un cachalot
- La Folie Forcalquier
- Les romans de ma Provence (album)
- Un grison d'Arcadie
- Le parme convient à Laviolette
- Le sang des Atrides (prix du Quai des Orfèvres en 1978)
- Les Enquêtes du commissaire Laviolette (mai 2000)
- Les Promenades de Jean Giono (album)
- La Biasse de mon père.

 

Pierre Magnan nous a quittés sans bruit, ce samedi 28 avril 2012, à 89 ans (il était né le 19 septembre 1922 à Manosque).
Sans bruit, car la nouvelle de sa disparition n'a été connue que ce matin 1er mai.
Il nous a quittés tout près d'ici (Grenoble), puisqu'il était venu s'installer en Isère, il y a environ un an.
Je viens d'entendre que sur RTL, on l'a qualifié d'écrivain "truculent".
Je me demande si ce terme est vraiment approprié. Enfin, on parlera d'une trouvaille de journaleux...

Au revèire, te dise pa adiéu