[Suite du procès-verbal cote D 6]

 

 

POSITION DES CORPS :

 

De l'autre côté de la route, en face du puisard et à 9m50 de celui-ci, se trouve le cadavre d'un homme allongé parallèlement à la route et légèrement en retrait de l'asphalte, dont la tète est en direction de Manosque et les pieds en direction de Peyruis. Un lit de camp est posé sur son corps, pieds en l'air. Il faut s'accroupir pour apercevoir la tête et les pieds du cadavre. Son corps repose légèrement sur le côté droit. Il est un peu recroquevillé. Son poing droit est à la hauteur de la temps droite, tandis que son bras gauche est replié sur l'abdomen. Cet homme, d'un âge apparent de 55 ans, est vêtu d'un tricot de peau à grilles, blanc, d'un foulard en couleur, d'un pantalon de pyjama bleu ciel, de chaussettes claires et chaussé d'une paire de pantoufles blanches de tennis, non lacées. Le cadavre repose entre deux bouquets de genêts et se trouve à I2m50 de l'angle arrière droit de la voiture. A priori, il semble que cet homme a été touché par deux balles, qui ont traverse la poitrine. Le visage, qui est violacé, porte des traces de sang coagulé. Ses yeux sont fermés. La main gauche présente une plaie entre le pouce et l'index, provoquée, semble-t-il, par un arrachement de la peau dont le morceau manquant pourrait être celui qui a été découvert à l'extrémité gauche du pare-chocs arrière. La victime a une montre-bracelet en métal ordinaire à son poignet gauche ainsi qu'une bague ordinaire, genre Orient.

À gauche de l'automobile, nous constatons la présence d'un cadavre de femme, enroulé dans une couverture. La tête est dirigée vers la voiture et les pieds sont en bordure du ravin, côté des arbres. La victime repose sur le ventre, les pieds sont joints..La tête se trouve à 5m20 de l'angle arrière gauche de la voiture, et à 5m30 de l'angle du pare-chocs avant, côté gauche. La couverture [la] recouvre entièrement, et ne laisse apparaitre que les deux pieds. Un siège de voiture se trouve pris sous la jambe gauche (deuxième siège manquant dans la voiture). Cette personne, âgée approximativement de 40 ans, a des cheveux bruns et est d'une corpulence au-dessus de la moyenne. Elle est vêtue d'une robe rouge clair, à fleurs. Elle est pieds nus. Elle a deux alliances à l'annulaire gauche. L'une est en métal blanc et porte à l'intérieur l'inscription "platinum" tandis que la seconde, en métal blanc également, est sertie de petits brillants. A priori, cette femme semble avoir reçu plusieurs blessures faites par balles qui ont atteint principalement la poitrine. Son bras droit, au dessus du coude, porte la trace d'une blessure. Sa bouche est entr'ouverte. Son œil droit est fermé, tandis que la paupière gauche est légèrement relevée. Une trace de sang coagulé est visible à la racine du nez.

De plus, cette femme a un soutien-gorge coupé ainsi que la manche droite de sa robe.

La douille et la cartouche non percutée découvertes sur la partie herbeuse à 4 mètres de la roue avant gauche du véhicule, se trouvent à 2 mètres de la tête de cette victime, en direction du coussin qui recouvre la paire de sandales.

Après avoir franchi le pont en pierre qui enjambe la voie ferrée, et à l'endroit où le sentier se divise en deux branches, un talus descendant en pente douce, conduit au bord de la Durance. C'est dans ce talus, à 15 mètres de la sortie du pont et dans le prolongement de son axe, que nous découvrons le cadavre d'une fillette. Elle paraît avoir une dizaine d'années. Son corps repose sur le dos, mais légèrement sur la gauche, la tête vers le haut du talus, les pieds en direction de la Durance. Les jambes sont légèrement infléchies. Le bras droit est allongé normalement le long du corps, tandis que sa main gauche repose sur l'aine gauche. A priori, il semble que cette fillette est décédée à la suite de violents coups qui lui ont été portés sur le crâne à l'aide d'un instrument contondant. Comme plaies apparentes, on n'en relève que deux sur toute la largeur de son. front, et en forme de "V". Son visage est complètement maculé de sang. On constate également une grosse flaque de sang sur l'herbe, qui laisse supposer que la petite victime a été tuée sur place. La fillette n'a pour tout vêtement qu'un pyjama bleu ciel; Elle est pieds nus. La plante de ses pieds, sans être sale, est marquée de légères traces d'empreintes de cailloux, à l'exclusion de toute égratignure. Le cadavre se trouve à 77 mètres de la canadienne "Hillman".

Au bord de l'arête qui est formée par le tournant du sentier et le début de la descente du talus, on relève l'empreinte d'un talon portant 3 ventouses disposées en forme de triangle. Cette empreinte a été laissée par quelqu'un qui a franchi le talus pour revenir sur le sentier. Les lnspecteurs de l'Identité Judiciaire, qui avaient entre temps pris toutes photographies utiles des lieux et des cadavres, n'ont pu relever l'empreinte de ce talon, laquelle à leur avis est inutilisable. Les gendarmes ont photographié cette empreinte, le matin, dès leur arrivée sur les lieux.

Indépendamment des constatations relatives aux cadavres, nous remarquons des taches de sang imprégnées sur le gravier, à 6m50 de l'arrière du véhicule, près d'un chêne bordant le ravin, et à proximité du puisard. Trois taches de sang sont également nettement visibles en travers de la route et en direction du cadavre de l'homme.

Les deux lits de camp découverts ne portent aucune trace de balles, ni de sang.

À seize heures et après toutes constatations faites, les Inspecteurs de l'Identité Judiciaire relèvent les empreintes des 3 victimes aux fins de comparaison éventuelle avec celles qu'ils ont pu relever par ailleurs.

Sitôt cette opération terminée, les 3 corps sont enlevés, chargés sur une camionnette et transportés à l'Hôpital de Forcalquier pour y être autopsiés par Messieurs les Médecins Légistes Nalin, de Forcalquier et Girard, de Digne.

Après avoir enlevé le cadavre de la fillette et à l'emplacement de sa nuque, il est découvert un éclat de crosse d'une arme, éclat que nous remet un gendarme.

Au moment du départ pour l'autopsie, à laquelle assistent le Parquet de Digne, M. le Commissaire Divisionnaire, les diverses autorités présentes et nous-même, laissons sur place les lnspecteurs Ranchin, Tardieu et Culioli, aux fins de procéder à des recherches en vue de la découverte éventuelle de l'arme ou des armes qui ont servi au crime et d'une manière générale à la recherche de tous autres indices.

À I8h30, les autopsies n'étant pas terminées, avons regagné les lieux du crime. Toutefois, les Médecins Légistes nous avaient fait connaitre que l'homme avait reçu deux coups de feu dans le dos. Un orifice est situé à 2 cm de la base omoplate gauche et à 1 cm de la colonne vertébrale; L'autre orifice, de même dimension, à 3 cm au-dessus du mamelon du sein droit. Le cadavre de la femme porte les blessures suivantes : un coup de feu avec orifice d'entrée au-dessous du sein gauche et sortie au-dessus et en arrière du sein droit, ayant entrainé la fracture de l'humérus droit au tiers moyen. Un autre coup de feu avec entrée à 2 cm de la base de l'omoplate droite et à 1 cm de la colonne vertébrale. La fillette présente un enfoncement et un écartement du crâne par instrument contondant.

Sommes de retour sur les lieux à I8h50 et sitôt notre arrivée, l'Inspecteur Ranchin qui effectuait des recherches dans le lit même de la Durance; en compagnie de l'Inspecteur Culioli, nous fait part qu'il vient de découvrir, dans un endroit de la rivière dénommé "recule", la crosse d'une arme, qui flottait à proximité d'une charogne de mouton, parmi des détritus de toutes sortes. En remontant le lit de la rivière et à 30 mètres de l'endroit où était la crosse, cet Inspecteur avait aussi retrouvé la partie métallique de l'arme. Elle était immergée à une profondeur d'environ 75 ¢m, au milieu du bras de la rivière, qui longe la rive, et à 20 mètres en aval, à partir de l'à-pic de l'endroit où avait été découvert le corps de la fillette. Une partie du fût de l'arme était encore accrochée à la partie métallique, le chargeur était en place, vide de toute cartouche. De même, il n'y avait pas de cartouche engagée dans le canon. Cette arme, à nous remise, a été rapidement reconstituée à l'aide de fils de fer torsadés. L'éclat de bois découvert à l'emplacement de la nuque de la fillette, s'applique parfaitement à la crosse et constitue la partie manquante qui existait au-dessous de la culasse et à droite de la gâchette [sic].

Ce détail permet donc d'affirmer que l'assassin s'est servi de la crosse de cette arme pour tuer la jeune victime.

Cette arme est une carabine américaine à répétition [sic], marque "Rock-Ola". Elle porte les inscriptions suivantes :

- sur la partie métallique : U.S. CARBINE, cal. 30, d'une part ; Rock-Ola n° 1.702.864, de l'autre.

- sur la crosse : deux bouches à feu entrecroisées dans un cercle, surmontées d'un rectangle dans lequel sont marquées les lettres majuscules "R.M.C.". Ces lettres sont reproduites dans l'évidement du passage de la courroie.

Cette carabine est en mauvais état. Elle est démunie de bretelle, ainsi que du garde-main supérieur; Elle est, non pas réparée, mais rafistolée à l'aide d'un collier en aluminium, ressemblant à ceux qui servent à fixer une plaque d'identité sur les bicyclettes. Ce collier a deux trous à chaque extrémité. Une vis et un écrou ont servi pour consolider et maintenir le canon plaqué sur le fût En outre, un fil de fer, du genre élément câble de frein de bicyclette, a été passé dans l'anneau grenadière dont il n'y a qu'une partie, et dans un des trous de la bague.

Cette arme est soumise sur le champ à l'examen des Inspecteurs de l'Identité Judiciaire. Ceux-ci ne peuvent relever aucune empreinte en raison du séjour prolongé de la carabine dans l'eau boueuse.

Disons qu'aussitôt après cette découverte et à la suite de notre communication téléphonique à l'Hôpital de Forcalquier, le Parquet de Digne et M. le Commissaire Divisionnaire reviennent immédiatement sur les lieux pour examiner cette arme.

Disons aussi que M. le Juge d'Instruction Roger Périès nous délivre une commission rogatoire, contre X..., du chef d'assassinats, vol, pour la poursuite de nos investigations.

Le Commissaire de Police Mobile,

Sébeille

 

Mention : Mentionnons que l'arme découverte, les douilles et cartouches ainsi que tous objets saisis sur les lieux, seront placés sous scellés, soit pour être déposés au Greffe du Tribunal Civil du Parquet de Digne, soit pour être examinés par M, le Professeur Ollivier, Directeur du Laboratoire de Police Technique de Marseille, commis à cet effet. Disons que ces différentes saisies feront l'objet de procès-verbaux séparés qui seront joints à la procédure.

Le Commissaire de Police Mobile

Sébeille

 

Mention : Mentionnons que la position des trois cadavres est décrite telle que nous les avons vus. Mais, disons que la position des victimes est sujette à des réserves car M. le Docteur Dragon Henri, 67 ans, docteur en Médecine à Oraison (B.A.), requis le 5 août à 9 heures du matin par M. Estoublon, Maire de Lurs, pour examiner les cadavres, s'est présenté au Capitaine Albert, Commandant la Gendarmerie de Forcalquier, et a procédé à 9 h. 30 à cette opération, en présence de cet Officier. M. le Docteur Dragon a retourné les cadavres, a coupé le soutien-gorge et la manche de la robe de la femme, de même qu'il a relevé le tricot de peau de l'homme.

Le Commissaire de Police Mobile

Sébeille

 

Mention : Mentionnons que suivant les instructions de M. le Juge Périès, et après inventaire, tous les objets trouvés éparpillés au sol, ont été replacés dans le véhicule, lequel à la demande de M. le Magistrat Instructeur, a été conduit dans un garage particulier de Peyruis ; et M. Jourdan, Maire de cette localité a été constitué provisoirement gardien-séquestre, en attendant la conclusion de l'enquête.

Disons qu'à la demande de M. le Juge d'Instruction Périès, lui remettons :

- les deux alliances que portait la femme ;

- le carnet de notes contenant le billet de banque de 5.000 Francs français, n° 77.583, ainsi que les deux carnets de travellers-chèques découverts dans le compartiment gauche du tableau de bord.

Le Commissaire de Police Mobile

Sébeille

 

 

Transmission : De tout quoi le présent procès-verbal fait et clos à Lurs les jour, mois et an que dessus; que nos assistants signent avec nous, pour être transmis à Monsieur le Juge d'Instruction Périès à Digne.

Les Inspecteurs,     Le Commissaire de Police Mobile,

                                               Sébeille

 

Et ce jour, sept août mil neuf cent cinquante deux, disons que la Gendarmerie de Villefranche-sur-Mer (A.M.), nous communique téléphoniquement l'état-civil des trois victimes qu'ils [sic] ont relevé sur leurs passeports, laissés en garde au domicile de la famille Marriam [sic], résidant dans cette ville, et qui est le suivant :

 

- Sir Drummond Jack, né le 12 janvier 1891 à Leicester (Grande-Bretagne).

- Lady Drummond Anne, née Wilbraham le 9 décembre 1904 à Belmont (Grande-Bretagne).

- Miss Drummond Elisabeth, Anne, née le 22 mars 1942 à Londres (Grande-Bretagne).

Ayant demeuré : Spencer House, Nuthall, Nottingham (G.-B.)

Le Commissaire de Police mobile,

Sébeille