Ce texte, qui fait évidemment partie des canoniques de l'Affaire de Lurs, devenue par la force des choses Dominici, a été publié l'année dernière, en fac-similé, par le journal Le Figaro, le 3 août 2012. La publication était précédée d'un chapeau imbécile, "Soixante ans après, l'affaire Dominici reste un mystère", mais le journaleux moyen ne saurait travailler sans essayer de trouver du piquant, même là où il n'y en a plus guère, n'est-ce pas ?
Cette publication, dont nous ne saurions nous plaindre, puisqu'elle nous autorise dès lors à mettre en ligne l'intégralité du premier rapport Sébeille (cote D 6), a cependant été faite, il convient de le souligner, au mépris total des règles régissant les conditions d'accès aux documents soumis à autorisation préalable ("Aucune reproduction de quelque nature que ce soit n'est autorisée"). Mais il est vrai que Justice et Presse travaillent souvent main dans la main - il y a quelques années, le documentariste Deniau avait déjà été l'heureux bénéficiaire de cet état de fait.
Quoi qu'il en soit, ce document n'a pu, matériellement, être rédigé le 5 août, jour de la découverte des infortunés touristes - il est beaucoup trop élaboré pour cela, et paraît s'être inspiré de tel ou tel procès-verbal de gendarmerie. Disons qu'au plus tôt, il a pu être remis au commissaire divisionnaire Harzic et au juge Périès le 7 août (dernière date portée sur le document), ce qui constitue tout de même un exploit scriptural.
Disons enfin que ceux qui connaissent un peu l'affaire pourront sourire, voire même éclater de rire, en lisant deux des réflexions du commissaire :
"Nous avons demandé aux Gendarmes si rien n'avait été touché et déplacé aussi bien par eux-mêmes que par des personnes quelconques. Il nous fut répondu que tout avait été laissé en l'état de la découverte par les Gendarmes..." [...] "Cette arme est soumise sur le champ à l'examen des Inspecteurs de l'Identité Judiciaire. Ceux-ci ne peuvent relever aucune empreinte en raison du séjour prolongé de la carabine dans l'eau boueuse" [Souligné par nous].
NB : quelques rares erreurs de frappe et/ou d'orthographe ont été rectifiées.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR

DIRECTION GÉNÉRALE DE LA SÛRETÉ NATIONALE

 

PROCÈS-VERBAL N° 387

 

OBJET : P.V. de constatations à la suite de l'assassinat de la famille DRUMMOND à Lurs (B. A.)

 

Affaire c/X ASSASSINATS - VOL (C. R., en date du 5 Août l952, de M. Roger Périès, Juge d'Instruction Digne)

 

 

L'an mille neuf cent cinquante-deux, le cinq Août Nous, SÉBEILLE Edmond, Commissaire de Police à la 9e Brigade de P. J., en résidence à Marseille, Officier de Police Judiciaire, auxiliaire de Monsieur le Procureur de la République,

RAPPORTONS CE QUI SUIT :

 

Nous trouvant ce jour au siège de la Brigade, M. le Commissaire Divisionnaire nous informe, à 9 H. 30, qu'un triple assassinat commis sur les personnes de trois sujets britanniques qui campaient en bordure de la Route Nationale Marseille-Sisteron, sur le territoire de la commune de Lurs (Basses-Alpes), venait d'être découvert par un habitant, à la suite duquel la Brigade de Gendarmerie de Forcalquier avisait notre Service par message téléphoné N° 2217, à 9 h.

M. le Commissaire Divisionnaire nous chargeait de nous rendre aussitôt sur les lieux et désignait pour nous assister les Inspecteurs Ranchin, Tardieu et Culioli du Service, ainsi que l'Inspecteur-Chauffeur Girolami.

Sommes arrivés sur les lieux à 13 h. 20. Les personnalités administratives et judiciaires s'y trouvaient déjà.

La voiture-laboratoire du Service Régional de l'Identité Judiciaire qui nous avait précédés de quelques minutes se trouvait sur les lieux. Ce Service était représenté par les Inspecteurs Loosen, et Pellat, conduits par l'Inspecteur-Chauffeur Amédée.

Le Parquet de Digne présent sur les lieux était représenté par MM. Sabatier, Procureur de la République, Périès, Juge d'Instruction, et le Greffier Barras. Étaient également présents M. De Grave, Sous Préfet de Forcalquier, M. Esparriat [sic], Maire de cette ville, M. Estoublon, Maire de Lurs, ainsi que M. le Chef d'Escadron Bernier, Commandant la Gendarmerie des B. A., ainsi que de nombreux Gendarmes.

 

ÉTAT DES LIEUX :

 

le lieu du crime est situé au quartier de "La Grand'Terre", entre la Route Nationale n° 96 et la Durance. Ce quartier est situé au Nord-Est du territoire de la commune de Lurs, en bordure de la Route Nationale. Le crime a été commis exactement au bord de cette route, au point kilométrique 32.

La route qui longe la montagne, sur son côté gauche direction Peyruis, décrit une légère courbe sur une distance d'environ 250 mètres. La vue est assez dégagée entre le lieu du crime et le côté sud (direction Manosque) tandis qu'elle est masquée par des arbres en direction de Peyruis.

Le crime s'est commis en face du point kilométrique 32, à un endroit où la route présente un renfoncement utilisé par les Ponts et Chaussées, habituellement pour y entreposer du gravier servant à la réfection de la chaussée.

Le voisinage immédiat est constitué par une seule habitation, la ferme dénommée "La Grand'Terre", située à 165 mètres du lieu du crime, en direction de Manosque. Plus loin, toujours dans cette direction, il faut effectuer un parcours de 4 ou 500 mètres, depuis "La Grand'Terre", pour trouver d'autres habitations, notamment la gare désaffectée de Lurs, un immeuble dénommé "La Caserne" ou Cité de la S.N.C.F., et d'autres villas.

En direction de Peyruis (côté opposé), il faut effectuer un parcours de 2 kms 500 pour rencontrer la première maison, au lieu-dit "Barque du Loup", habitation désaffectée de la S.N.C.F., au passage à niveau n° 78. 500 mètres plus loin, la première maison habitée est la ferme dénommé "La Serre".

Face au lieu du crime, côté ouest, se dresse la colline au sommet de laquelle, et surplombant la vallée de la Durance, est bâti le village de Lurs.

Sur le côté est, et à 80 mètres du lieu, coule la Durance dont Ie lit a une largeur d'environ 1.500 m. La voie ferrée Marseille-Grenoble qui est située entre la Durance et la route nationale n° 96, se trouve à 70 mètres des lieux du crime. Un pont enjambe la voie ferrée. Pour franchir ce pont, il faut emprunter un sentier partant de la route nationale distant de onze mètres du renfoncement, sentier qui se continue après le pont pour se perdre, à gauche, dans un champ de blé et, à droite, vers la gare de Lurs.

Sur la rive gauche de la. Durance, dont le lit représente une espèce de barrière naturelle, face au quartier de la "Grand'Terre", sont situés les hameaux de Dabisse et des Pourcelles traversés par la route "G. C. 4", reliant la commune des Mées à celle d'Oraison.

Le renfoncement, dont nous avons déjà parlé, présente une partie plane recouverte de gravier d'une longueur de 12 mètres et d'une largeur moyenne de 3 mètres qui se continue par une partie herbeuse, limitée d'un côté par le sentier et de l'autre par un petit ravin bordé d'arbres et arbustes. Dans l'ensemble, ce lieu peut se comparer à un triangle rectangle dont l'hypoténuse est constituée par le ravin et les deux côtés de l'angle droit par la route nationale et le sentier.

Tous les champs se trouvant entre la Route Nationale 96 et la Durance appartiennent, aussi bien côté Peyruis que côté Manosque, à la famille Dominici, propriétaire de la ferme "La Grand'Terre". Celle-ci est habitée par le Chef de famille, Dominici Gaston, 77 ans [Sic. Né le 22 janvier 1877, le "Patriarche" était âgé de 75 ans], son épouse née Germain, 73 ans, leur fils Gustave 32 ans, l'épouse de ce dernier, née Barth Yvette, 20 ans, et leur bébé. La ferme comprend un bâtiment à usage d'habitation ainsi que plusieurs hangars. Les fenêtres de la chambre du Chef de famille sont situées côtés sud et est, c'est-à-dire vers Manosque et la Durance, tandis que la fenêtre de la chambre des jeunes époux est située côté nord, c'est-à-dire côté lieu du crime, et au premier étage du bâtiment principal. La vue est masquée, d'une part par un verger s'étendant de la ferme jusqu'au sentier conduisant au pont de la voie ferrée et; d'autre part, par les toits avancés de deux hangars. Il faut monter au deuxième étage, dans une chambre désaffectée située au-dessus de celle occupée par les jeunes Dominici, pour avoir, de la fenêtre, une vue parfaite des lieux du crime.

Pour être parfaitement précis, nous devons indiquer que le groupe de maisons situé à la gare de Lurs est absolument invisible des lieux du crime à cause des virages de la route ainsi que du relief accidenté existant depuis la Grand'Terre jusqu'à la gare.

 

CONSTATATIONS :

 

Dés notre arrivée et avant que les Inspecteurs de l'Identité Judiciaire ne procèdent à leurs travaux, nous avons demandé aux Gendarmes si rien n'avait été touché et déplacé aussi bien par eux-mêmes que par des personnes quelconques. Il nous fut répondu que tout avait été laissé en l'état de la découverte par les Gendarmes qui sont arrivés les premiers sur les lieux vers 7 h.30.

Avons tout d'abord constaté la présence d'un véhicule, type canadienne, de marque anglaise "Hillman", portant le numéro d'immatriculation NNK 686 (G.B). Ce véhicule, dont l'avant est tourné vers Manosque, est stationné parallèlement à la route nationale n° 96 et à 1m50 du bord de l'asphalte. Un puisard d'écoulement des eaux se trouve à 5 mètres du pare-chocs arrière de la canadienne. Ce puisard se situe à l'extrémité de l'hypoténuse du triangle rectangle formé par le renfoncement, côté route, et à 1m50 de celle-ci.

Le pare-chocs avant de la voiture se trouve à 5 mètres du débouché d'un caniveau qui longe le côté gauche de la route, direction de Manosque. De l'autre côté de la route et à 11m90 se trouve un pylône électrique à haute tension. Cette dernière distance a été relevée depuis l'angle droit avant de l'automobile.

Nous constatons sur la gauche du véhicule, la présence d'un lit de camp posé à même le sol, à 0m50 de la canadienne, et parallèlement à celle-ci. Sur cet objet de literie, il y a une couverture, un coussin et un cartable. Autour de ce lit de camp, on constate aussi la présence de divers objets éparpillés au sol, tels que : un coussin d'auto, une lampe de camping, une boîte de crayons de couleur, une boîte de peinture, un livre (Tables [sic] From Shakespeare), une pièce de cinq francs, une valise en cuir bleu, un sac de voyage en toile kaki à fermeture-éclair. Un autre coussin se trouve au sol, à 6m90 de l'angle avant gauche de la voiture, sur la partie herbeuse, en direction du sentier. Sous ce coussin en laine, il y a une paire de sandales femme, semelle en crêpe, marque "Vinctian Nanfield".

Entre le puisard et l'arrière de la voiture, à 2 mètres de celle-ci, on constate la présence d'une douille de balle [sic] portant l'inscription A.L.C. et à proximité de celle-ci, une balle [sic] non percutée (WCC. 43). Une autre douille (A.L.C.) et une autre balle non percutée (WCC. 44), sont découvertes sur la partie herbeuse, à 4 mètres de la roue avant gauche du véhicule et dans la direction perpendiculaire à celui-ci. Le calibre de ces balles ne peut être provisoirement déterminé, mais on peut l'évaluer à 8 m/m environ.

Nous indiquons que les deux douilles et les deux cartouches non percutées, nous ont été remises par le Capitaine Albert, commandant la Section de Gendarmerie de Forcalquier, qui en avait relevé l'emplacement exact en notre présence

La canadienne "Hillman" est de couleur vert amande. Elle comporte une portière de chaque côté, à l'avant, portières qui sont fermées à clé. La troisième portière du véhicule située à l'arrière même, s'ouvre à deux battants, sur chacun desquels il y a une poignée en métal chromé. Cette portière n'est pas fermée à clé, et celle-ci se trouve dans la serrure, sur la poignée droite

Avant de pénétrer à l'intérieur, chargeons les Inspecteurs de l'Identité Judiciaire de relever toutes empreintes utiles, tant sur les deux poignées que sur la carrosserie, ainsi que sur les deux glaces placées de chaque côté du véhicule et dans toute sa longueur. Les mêmes recherches sont effectuées par ces fonctionnaires sur la glace pare-brise, sur les deux glaces des portières arrières, enfin partout où des empreintes pourront être relevées.

Au moment de pénétrer dans la canadienne, nous constatons la présence d'un lambeau de chair qui est collé sur le pare-chocs arrière, à son extrémité gauche. À l'intérieur règne un désordre indescriptible. La plupart des objets sont éparpillés sur le plancher de la voiture, ce qui laisse nettement supposer que le véhicule a été fouillé. Cette voiture comporte deux rangées de sièges, ceux de l'avant étant fixes, tandis que ceux de la deuxième rangée ont leur coussin mobile. Ces deux coussins ne sont pas dans la voiture, l'un d'entre eux est découvert, comme déjà indiqué.

Les compartiments du tableau de bord semblent avoir été fouillés car divers papiers et objets sont répandus sur le plancher, devant les sièges avant. Cependant, dans le compartiment de gauche, nous découvrons une enveloppe en carton jaune, fermée avec un élastique et dans laquelle se trouvent divers imprimés et deux carnets de traveller's chèques : l'un au nom de Lady Drummond, comprenant 5 chèques de 5 livres chacun (n° BD 673.447 M à BD 673 451 M) ; l'autre au nom de Miss Elisabeth Drummond ne comportant que 3 chèques de 5 livres chacun (n ° BD 673.452 M à 673.454 M). De plus, parmi les documents renfermés dans l'enveloppe, on y [sic] découvre les papiers de la voiture ainsi que les autorisations de voyage du véhicule pour l'embarquement de celui-ci, de Douvres à Calais, ainsi que pour l'embarquement retour.

Sur un carnet trouvé aux abords du véhicule par la Gendarmerie, figure l'identité suivante : Drummond Jack Cécil, Directeur, né le 12 janvier 1891 à New-Caster (Angleterre). Dans un petit carnet ordinaire, s'ouvrant dans le sens de la longueur, et découvert sur un des sièges, il y a un billet de 5.000 frs plié en quatre, dissimulé entre les feuillets. Quelques pièces de monnaie sont également éparses sur le plancher de la camionnette.

Disons qu'un inventaire de tous les objets épars ou renfermés dans le véhicule sera joint au présent procès-verbal.

Avons procédé à la fouille des poches d'un pantalon d'homme se trouvant dans le véhicule, mais rien n'a été découvert à l'exception d'un couteau de poche à plusieurs lames et de quelques pièces de monnaie française. Ces poches n'étaient pas retournées.

Après cette opération, avons effectué la fouille de la valise en cuir et du sac de voyage, bagages que nous avons ouverts et dans lesquels figuraient des objets de toilette, linge ou autres, à l'exception de valeurs ou de bijoux quelconques. Toutefois, la valise renferme un sac à main de dame, en paille, contenant notamment trois billets de 10 shillings, portant respectivement les numéros U 32 Z 231 670, U 32 Z 23I 669 et U 32 Z 231 668. Dans le sac de voyage, et dans un mouchoir noué, il y a de la monnaie de billon de divers pays.

Peu de temps après notre arrivée et alors que nous commencions nos investigations, Monsieur le Commissaire Divisionnaire, Chef du Service Régional de la Police Judiciaire, arrivait à son tour et prenait contact avec les autorités présentes ; et sous sa direction, nous continuions nos investigations.

 

 Accéder à la suite de ce procès-verbal de constatations