Le procès dont on trouvera ci-après les attendus, peut nous intéresser à un double titre ; d'abord, il révèle qu'on ne peut pas dire ou écrire n'importe quoi, sans s'attacher au préalable à asseoir la véracité de ses dires (seule la parole de l'avocat est complètement libre - et c'est fort regrettable - mais uniquement à l'intérieur du prétoire).
Ensuite, il montre de façon exemplaire, caricaturale pourrait-on dire, que la Justice fonctionne tantôt sur la forme (comme ne le fait, en principe, que la justice administrative), tantôt sur le fond, et ce à propos du même sujet. Mais venons-en aux faits.

 

 

"J'ai l'honneur de porter plainte pour diffamations telles que prévues à l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881...".

 

 

I. Généralités

 

Le quotidien Le Provençal (devenu, depuis, La Provence), dans sa livraison du huit novembre 1993, consacrait la quasi-totalité de sa dernière page à un long article du journaliste J. Contrucci sur la parution de Dominici innocent ! de Cl. Mossé. Entre nous, quelle idée, sinon de remuer le sensationnalisme, mais on peut aussi invoquer le devoir d'information, alors ne glosons pas là-dessus. Je rappelle seulement, pour mémoire, que j'ai effectué un sévère examen critique de Dominici innocent !, examen critique qu'on trouvera par ailleurs (Parties "Bibliographie critique" et "Pour en finir...").


Cet article, qui reprend le titre de l'ouvrage, à une importante nuance près (l'affirmation est devenue interrogation) est très laudateur. Il se contente, pour l'essentiel, de résumer la thèse de l'ouvrage, ensuite d'y puiser quelques paragraphes, sans y changer une virgule. Mais la louange, c'est sûr, vaut approbation, et dans le cas qui nous occupe, approbation du contenu. Je n'en veux pour preuve que le chapeau de l'article, qui annonçait : "Reprenant l'enquête à zéro et démontant les mécanismes de l'erreur judiciaire, Claude Mossé fournit, dans son livre, une explication logique au triple crime de Lurs. Le Patriarche aurait servi de bouc émissaire pour "couvrir" des secrets partagés dans la Résistance".

Ce qui ne laissait planer aucun doute sur les sentiments positifs du journaliste à l'égard de la production de Mossé. J'ajoute que l'article (la partie due au journaliste) est bourré d'erreurs (sur l'arme, sur les parachutages, sur les résistants de Ganagobie, qui en auraient reçu "des milliers" [sic]), voire de contrevérités (un feuilleton sordide sur fond de vengeance paysanne, la sévérité des interrogatoires, une enquête entachée d'irrégularités), qui d'ailleurs, comme il est sans doute normal, empruntent beaucoup à Mossé. Mais je n'en dirai pas davantage là-dessus(1) - mon intention n'est pas d'en faire le décompte, puisque je m'intéresserai ici à la réaction de Paul Maillet à la lecture de l'article.

Toutefois, je ne puis laisser passer, sans réagir, une erreur grossière et manifeste, que Contrucci (le journaliste) reproduit sans ciller, pour l'avoir lue chez Mossé. Il faut rappeler qu'à deux pas de Lurs (à une vingtaine de kilomètres, en fait, et donc entre Lurs et Digne) se trouve la petite commune de Mirabeau. La plupart des "gens informés", sachant que Paul Maillet avait été résistant (ce que ne furent pas les Dominici, et nul ne songerait à le leur reprocher), et qu'il le fut à Mirabeau, ne sont pas allés chercher plus loin que les Basses-Alpes, s'imaginant que Maillet avait toujours vécu, résisté et travaillé là où il résidait au moment de la tuerie. Évidemment, Mossé, "historien de formation", a fait comme les autres, lui qui écrit, à propos des prétendus secrets de résistants, après avoir parlé de Mirabeau, "responsable FTP du maquis de Mirabeau [ce qui est faux], il [Maillet] n'avait nul besoin de carte d'état-major pour repérer les planques où dissimuler de la nourriture, des armes, et souvent des hommes [...] Les antécédents de Paul Maillet sont assez troublants... Il y a tant de morts inexpliquées, inexplicables, entre Digne et Peyruis... !"(2)

Il se trouve qu'une telle supputation est complètement erronée - et elle a cours jusqu'à aujourd'hui, hélas, ce qui montre la force d'un "canard" - ou la force d'inertie, voire la paresse intellectuelle de nombre de journalistes. Rétablissons donc, une fois de plus, les faits.

Durant la guerre, le jeune Paul Maillet travaillait à la SNCF dans le Vaucluse, et non dans les Basses-Alpes (comme on disait alors). Il s'était marié à Pertuis, il travaillait tout près de là, à Mirabeau (membre des F.F.I. - et non des F.T.P. - il y participa au dynamitage du pont du même nom que l'avion alliée, à cause de la configuration du terrain - le fameux défilé - ne parvenait pas à atteindre). Maillet n'est venu travailler dans le secteur de Lurs que beaucoup plus tard. Il n'avait donc aucune raison de "partager bien des secrets" avec les Dominici, pour la bonne raison, je le répète, que les Dominici n'avaient point fait de "résistance" d'une part et que Maillet, d'autre part, durant la même période, ne se trouvait pas là. Et partant, l'hypothèse (de Mossé) selon laquelle Maillet "tenait" les fils Dominici car il connaissait leur passé (de tueurs !), à moins que ce ne soit l'inverse, est parfaitement folle. Mais ça fait vendre, savez-vous ? Et Contrucci, sur ces points, n'a fait que reproduire, en les faisant figurer entre guillemets, les allégations de Mossé (ce "détail" n'a l'air de rien ; il n'en prouve pas moins le sérieux de l'enquête de cet "historien de formation"). Ce qui lui vaut, avec son auteur, d'être traîné en justice.





En effet, si Paul Maillet affirmait par écrit pardonner à ses détracteurs en 1953, il avait complètement raison de ne pas leur pardonner jusqu'à la fin des temps.

 

 

II. Une plainte

 

Digne, le 7 février 1994

Monsieur le Juge,

Agissant pour Monsieur Maillet Paul, Pierre, Célestin, né à...., domicilié à....,

J'ai l'honneur de porter plainte contre :

1°/ Monsieur Mossé Claude

2°/ Monsieur Contrucci Jean

pour diffamations telles que prévues à l'Article 29 de la loi du 29 juillet 1881 prévoyant :

"Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne... auquel [sic] le fait est imputé, est une diffamation.

La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne, ou encore non exactement nommée, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés..."

En l'espèce, il résulte d'un article paru en dernière page du Journal Le Provençal du lundi 8 novembre 1993, les faits suivants :

1°/ Sous une photographie de Monsieur Paul MAILLET, il est indiqué la mention suivante :

"Selon l'hypothèse de Claude MOSSÉ, Paul MAILLET, photographié ici à gauche avec un enquêteur, aurait joué le rôle de "balance" pour qu'on ne s'intéresse pas à son passé .. .".

2°/ Il a été indiqué en deuxième lieu :

 

"Paul MAILLET n'éprouve aucune envie qu'on s'intéresse à son passé.

En acceptant de jouer le rôle de "balance", il espère que SÉBEILLE et CONSTANT ne s'occuperont plus de lui.

Il a bien calculé".

3°/ Il a encore été indiqué :

 

"Face à Paul MAILLET, chacun des deux fils DOMINICI se comporte différemment.

Clovis, lorsque l'Inspecteur RANCHIN lui présente l'arme, défaille mais se ressaisit très vite.

Sans doute, a-t-il reconnu la Rock-Ola accrochée dans la cuisine de Paul MAILLET, authentifiée par la cultivatrice(3), puis mystérieusement disparue.

Dénoncer MAILLET, c'est déchaîner l'orage et bien malin qui sait où la foudre frappera et quel incendie elle allumera ..."

Monsieur Paul MAILLET se constitue partie civile pour la publication de tels faits, à l'encontre de Messieurs MOSSÉ Claude et Jean CONTRUCCI.

Il souhaite que la suite pénale normale que ces faits doivent comporter, leur soit donnée, compte tenu du préjudice qu'il subit du fait d'un tel article.

[…]

 

 

III. Ordonnance de renvoi devant le Tribunal correctionnel

 

Nous, juge d'instruction du Tribunal de grande instance de Digne

Vu l'information suivie contre

1) MOSSÉ Claude
né le ... à PARIS (75)

Demeurant :.... (84)

2) CONTRUCCI Jean
né le ... à MARSEILLE (13)

Demeurant : ... (13)

Ayant pour conseil Maître L., Avocat à Marseille.

MIS EN EXAMEN POUR : DIFFAMATION.

PARTIE CIVILE : MAILLET Paul

Demeurant : ... (04)

Vu le réquisitoire de M. le Procureur de la République, en date du 11 octobre 1994.

Vu les articles 176, 179, 180, 183 et 184 du Code de procédure pénale ;

Attendu qu'il résulte de l'information des charges suffisantes contre Claude MOSSÉ et Jean CONTRUCCI d'avoir, à MARSEILLE (13) et sur le territoire national, le 8 novembre 1993, allégué ou imputé un fait portant atteinte à l'honneur ou à la considération de Paul MAILLET, en particulier, par écrit, en indiquant dans un article du quotidien "LE PROVENÇAL" que ". . . Paul MAILLET... aurait joué le rôle de "balance" pour qu'on ne s'intéresse pas à son passé" ou encore "... En acceptant de jouer le rôle de "balance", il espère que SÉBEILLE et CONSTANT ne s'occuperont plus de lui. Il a bien calculé."

Faits prévus et punis par les articles 29 al. 1 et 32 al. 1 de la loi du 29 juillet 1881.

Ordonnons le renvoi de l'affaire devant le Tribunal correctionnel, pour être jugée conformément à la loi.

Fait en notre cabinet, le 14 octobre 1994.

 

 

IV. Intermède

 

Devant le tribunal, le journaliste fit soutenir qu'il n'avait fait que citer un ouvrage, récemment écrit par la personne présente et également mise en cause. Qu'il n'avait fait que citer quelques paragraphes de cet ouvrage, sans en reprendre forcément à son compte les thèses avancées. L'argumentation développée s'appesantit longuement sur le fait que les passages du livre avaient été publiés entre guillemets [ce qui est rigoureusement exact]. Que, dès lors, le journaliste n'avait voulu produire qu'un article de diffusion, à propos d'un ouvrage antérieur, sans aucune intention polémique [ce qui n'est pas tout à fait exact, comme on l'a vu supra].

De son côté, le sieur Mossé soutint qu'il n'était pour rien dans l'article publié dans Le Provençal, qu'il n'avait donc rien à voir avec cette affaire [!!!]. Il indiqua seulement avoir publié un ouvrage [quel courage de sa part ! Quelle reconnaissance de paternité !].

Le commun des mortels pense que l'affaire est claire. S'il fait partie des quelques "révisionnistes", abusés par une propagande intéressée (et lucrative), il supputera que les deux personnes citées doivent être relaxées.

S'il fait partie de ceux qui voient un peu plus loin que le bout du nez des journalistes, il estimera que les deux "prévenus" doivent être condamnés, soit de la même manière, soit en infléchissant quelque peu la peine du journaliste, qui n'a après tout fait que citer, avec des guillemets, un ouvrage dont il rendait compte.

Tous se trompent ! Car la justice juge tantôt sur le fond, tantôt sur la forme ! Mais lisons plutôt le jugement de cette affaire de diffamation, rendu en audience publique le 26 janvier 1995(4) :

 

 

V. Extrait des minutes du greffe

 

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE DIGNE
Alpes de Haute Provence

JUGEMENT DU 26 JANVIER 1995


À l'audience publique du jeudi 26 janvier 1995 à 14 heures, tenue en matière correctionnelle par :

- Monsieur C., vice-président ;
- S. R., juge ;
- Ch. M., juge ;

En présence de Madame G., substitut du procureur de la République ;

Assistés de J. M., greffier ;

A été rendu le jugement ci-après ;

ENTRE :

LE MINISTÈRE PUBLIC

2°) PARTIE CIVILE :

Paul Maillet demeurant à … (04)
représenté par Maître T. (avocat au Barreau des Alpes de Haute Provence)
et:
Claude Mossé, né … à PARIS (75), écrivain, jamais condamné, demeurant à … (84) ;
comparant
Prévenu de diffamation publique, infraction prévue et réprimée par les articles 32 alinéa 1, 23 alinéa 1, 29 alinéa 1 et 42 de la loi du 29 juillet 1881
et:
Jean Contrucci, né … à MARSEILLE (13), journaliste, jamais condamné, demeurant à MARSEILLE (13)
comparant, assisté de Maître L. [la fille d'un grand ténor du Barreau de Marseille]
Prévenu de diffamation publique, infraction prévue et réprimée par les articles 32 alinéa 1, 23 alinéa 1, 29 alinéa 1 et 42 de la loi du 29 juillet 1881




À l'appel de la cause, à l'audience du 19 janvier 1995, le tribunal étant composé de Monsieur C. C., vice président, Madame O. B., premier juge et Monsieur Ch. M., juge, le président a donné connaissance de l'acte saisissant le tribunal.

Le président a interrogé Claude Mossé et Jean Contrucci ;

Maître T. a présenté les demandes de la partie civile ;

Madame le procureur de la République a pris ses réquisitions ;

Maître L. , et Monsieur Mossé ont présenté les moyens de défense ;

La défense ayant eu la parole en dernier ;

Le greffier a tenu note du déroulement des débats.
Le président informe les parties que le jugement sera rendu le 26.01.1995


Après en avoir délibéré conformément à la loi, le tribunal a statué en ces termes :

LE TRIBUNAL,

1°) SUR L'ACTION PUBLIQUE

Attendu que Claude Mossé a été cité à l'audience du 15 décembre 1994 par Monsieur le procureur de la République suivant acte de la SCP A. -M., huissier de justice, délivré le 1er décembre 1994 à Mairie.

Attendu que Jean Contrucci a été cité à l'audience du 15 décembre 1994 par Monsieur le procureur de la République suivant acte de Maîtres B. P. et Y. P., huissiers de justice, délivré le 1er décembre 1994 à Mairie.

Attendu que les prévenus comparaissent ; qu'il y a lieu de statuer par jugement contradictoire.

Attendu que Jean Contrucci (auteur d'un article publié dans le journal le Provençal sous le titre "DOMINICI INNOCENT ?" et Claude Mossé (auteur du livre intitulé "DOMINICI INNOCENT") font l'objet d'une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, en date du 14 octobre 1994, pour avoir à MARSEILLE (13), le 8 novembre 1993, allégué ou imputé un fait portant atteinte à l'honneur ou à la considération de Paul Maillet, particulier, par parole, écrit, image ou moyen audiovisuel, en indiquant dans un article du quotidien "Le Provençal" que "Paul Maillet... aurait joué le rôle de "balance" pour qu'on ne s'intéresse pas à son passé" ou encore "... en acceptant de jouer le rôle de "balance", il espère que SÉBEILLE et CONSTANT ne s'occuperont plus de lui ; il a bien calculé".

Attendu que Jean Contrucci prétend que la prescription de trois mois prévue par l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 est acquise puisque la date du dépôt de la plainte avec constitution de partie civile n'est pas connue et que le magistrat instructeur n'a rendu une ordonnance dispensant la partie civile de verser une consignation que le 9 février 1994, soit plus de trois mois après la publication de l'article incriminé, le 8 novembre 1993.

Mais attendu que la plainte avec constitution de partie civile a été reçue par le juge d'instruction le 7 février 1994 ainsi qu'en atteste le timbre porté sur l'original du document.

Attendu que la prescription de l'action publique est interrompue par le dépôt d'une plainte avec constitution de partie civile et est ensuite suspendue de la date du dépôt de la plainte à la date du versement de la consignation ordonnée par le juge, quel que soit le délai mis par le juge pour ordonner la consignation ;

que de même le délai de prescription est suspendu de la date du dépôt de la plainte à la décision du juge d'instruction qui dispense la partie civile du versement d'une consignation ;

que dès lors le délai de prescription de l'action publique née de l'infraction commise le 8 novembre 1993, a valablement été interrompu le 7 février 1994 puis suspendu jusqu'au 9 février 1994 ;

que l'exception de prescription doit donc être rejetée.

Attendu que Jean Contrucci, journaliste au Provençal, est l'auteur d'un article publié le 8 novembre 1993, intitulé "Dominici innocent ?" qui retrace sommairement les faits commis dans la nuit du 4 au 5 août 1952 pour lesquels Gaston DOMINICI a été condamné par la Cour d'Assises des Alpes de Haute Provence, puis qui signale l'ouvrage écrit par Claude Mossé dans ces termes :

 

"Claude Mossé, historien de formation, longtemps grand reporter, aujourd'hui retiré dans le Vaucluse, a repris l'enquête à zéro, remonté pistes et filières, interrogé des témoins, relu les dossiers. Son intime conviction est formelle : sans mobile sérieux, la condamnation du Patriarche de la Grand Terre constitue une des plus grandes erreurs judiciaires du siècle.

Ce qui lui permet de titrer l'ouvrage qu'il vient de consacrer à l'affaire : Dominici innocent ! (Éditions du Rocher).

Nous publions ici un extrait du livre, celui où, précisément, l'auteur, après avoir fait le compte des mensonges par omission ou par intérêt et brossé le portrait des acteurs du drame, propose une explication logique, notamment à l'attitude des Dominici envers Paul Maillet, ancien camarade de résistance, avec qui ils partageaient bien des secrets..."

Attendu que les extraits du livre sont reproduit [sic] à la suite de l'article et ne portent pas la signature de Jean Contrucci (à la différence de l'article précité) ;

que dans ces extraits figurent le passage suivant :

 

"Paul Maillet n'éprouve aucune envie qu'on s'intéresse à son passé. En acceptant de jouer le rôle de "balance ", il espère que Sébeille et Constant ne s'occuperont plus de lui. Il a bien calculé"

qu'en outre, une photographie insérée dans les extraits du livre, représentant Paul Maillet, assis devant une table, aux côtés d'un enquêteur, porte la légende suivante :

"Selon l'hypothèse de Claude Mossé, Paul Maillet photographié ici à g. avec un enquêteur, aurait joué le rôle de "balance "pour qu'on ne s 'intéresse pas à son passé..."

Attendu que dans un autre extrait également reproduit il est précisé :

"les passions nées de la résistance sont loin d'être apaisées. Personne n'en parle mais tout le monde sait qu'il y a eu à la Libération des exécutions sommaires. Certaines d'entre elles relevaient de règlements de comptes locaux qui n'avaient strictement rien à voir avec la Collaboration...

En 1952, tous ces actes demeurent très présents dans l'esprit de ceux qui les ont commis...

Il y a donc une autre explication possible aux mensonges permanents du fils indigne. Gustave connaît l'assassin, Clovis connaît l'arme du crime. Paul Maillet n'éprouve aucune envie qu'on s'intéresse à son passé..."

Attendu que les lecteurs ne peuvent pas manquer de faire le lien entre l'attitude dénoncée de Paul Maillet ("balance" pour qu'on ne s'intéresse pas à son passé) et les "exécutions sommaires" à la Libération.

Attendu que dans ce contexte, l'utilisation du mot "balance" constitue manifestement une atteinte à l'honneur et à la considération de Paul Maillet.

Attendu que Claude Mossé n'est pas l'auteur de l'article incriminé, et n'y a pris aucune part, ainsi qu'il résulte des débats à l'audience, qu'il doit donc être relaxé des fins de la poursuite.

Attendu au contraire que Jean Contrucci ne peut pas contester qu'il est à l'origine de la publication des extraits du livre dès lors qu'il annonce à la fin de son article : "nous publions ici un extrait du livre, celui où, précisément, l'auteur, après avoir fait le compte des mensonges par omission ou par intérêt et brossé le portrait des acteurs du drame, propose une explication logique (sic) notamment à l'attitude des Dominici envers Paul Maillet, ancien camarade avec qui ils partageaient bien des secrets (sic) " ;

que bien plus les termes employés (explication logique - partage de secrets entre les Dominici et Paul Maillet) montrent que Jean Contrucci adhère personnellement à la thèse de l'auteur du livre.

Attendu que la nécessité d'informer ne dispense pas le journaliste d'effectuer des vérifications personnelles sérieuses et ne saurait justifier la publication de propos diffamatoires.

Attendu que Jean Contrucci doit donc être déclaré coupable des faits qui lui sont reprochés et condamné au paiement d'une amende de 5.000,00 F.

2°) SUR L'ACTION CIVILE

Attendu que Paul Maillet s'est constitué partie civile et sollicite 20.000,00 F de dommages et intérêts et la publication aux frais des prévenus d'un extrait du jugement à venir dans "Le Provençal", "Le Méridionnal" [sic] et la "La Marseillaise" à une place équivalente à celle occupée par l'article incriminé ;

Attendu que sa demande est recevable et régulière en la forme ;

Attendu que Jean Contrucci est responsable de l'intégralité du préjudice subi par Paul Maillet et doit être condamné à payer à ce dernier la somme de 20.000,00 F en réparation du préjudice découlant directement de l'infraction.

Attendu qu'il convient de faire droit à la demande de publication par extraits du présent jugement, publication qui sera limitée au journal "Le Provençal" (toutes éditions) et qui s'effectuera en haut de la dernière page sur 2 colonnes de 5 centimètres de hauteur, en caractères de sept avec le titre en gras.

Attendu qu'il est équitable de condamner Jean Contrucci à participer à concurrence de la somme de 2.500,00 F aux frais de défense exposés par Paul Maillet et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et en premier ressort,

1°) SUR L'ACTION PUBLIQUE

Par jugement contradictoire à l'égard de Claude Mossé.

Relaxe Claude Mossé des fins de la poursuite.

Par jugement contradictoire à l'égard de Jean Contrucci;

Déclare Jean Contrucci coupable des faits qui lui sont reprochés ;

Condamne Jean Contrucci à la peine 5.000,00 F d'amende ;

2) SUR L'ACTION CIVILE

Par jugement contradictoire à l'égard de Paul Maillet ;

Reçoit Paul Maillet en sa constitution de partie civile ;

déclare Jean Contrucci responsables [sic] du préjudice subi par Paul Maillet ;

condamne Jean Contrucci à payer à Paul Maillet la somme de vingt mille francs (20.000,00 F) de dommages et intérêts et la somme de deux mille cinq cents francs (2.500,00 F) en application des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Ordonne la publication par extraits du présent jugement dans le journal "Le Provençal" aux frais de Jean Contrucci, dans les formes ci-dessus mentionnées.

La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 600,00 F dont est redevable Jean Contrucci ;

Le tout en application des articles 406 et suivants et 485 du Code de procédure pénale et des textes susvisés. Le présent jugement ayant été signé par le président et le greffier.

[…]

EN CONSÉQUENCE,

LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Mande et ordonne

À tous huissiers de justice, etc. etc.

 

 

VI. Pour conclure...

 

Ce jugement est particulièrement inique ! entends-je ici ou là. Quoi ? Un journaliste est condamné pour diffamation, car il est convaincu d'avoir adhéré à une thèse dont l'auteur est relaxé ! Mais où va-t-on ! Encore une preuve que la Justice de ce pays est pourrie, etc. etc.

Eh bien, il n'en est rien.

Contrucci a été jugé sur le fond, et Mossé sur la forme, à propos du même sujet.

La poursuite pour diffamation doit être entreprise dans les trois mois qui suivent la parution de la dite (éventuelle) diffamation : c'est la discussion qu'on trouve, dans les attendus, dans le paragraphe "Attendu que Jean Contrucci prétend que la prescription de trois mois prévue par l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 est acquise..." et les cinq suivants.

L'article étant paru le 8 novembre 1993, le plaignant avait jusqu'au 8 février 1994, pour déposer sa plainte. Ce qu'il a fait (à l'extrême limite !). En revanche, le bouquin de Mossé, étant paru un mois plus tôt, Paul Maillet aurait dû réagir au tout début de l'année 1994. Il ne l'a pas fait. Dans ce cas, la prescription était donc acquise.

Un quotidien régional est un objet qui pénètre partout, et immédiatement : il n'y a donc pas de difficulté à saisir la justice, si l'on s'estime lésé par une parution. En revanche, un ouvrage met beaucoup plus de temps pour parvenir à la connaissance du public "ordinaire". Mais nul n'est censé ignorer la loi, même si elle est dure - ce qu'elle est, dans le cas qui nous occupe.

Enfin, Dominici innocent ! a été réédité, l'année suivante, chez France-Loisirs. Il eût été loisible à Paul Maillet d'attaquer son auteur dans le trimestre suivant cette nouvelle parution. Encore eût-il fallu qu'il fût au courant. Il ne l'était pas, évidemment. Mais nul n'est censé ignorer la loi...

Mieux encore : Mossé a réitéré ses malhonnêtes accusations sur les ondes (dans une émission de France-Culture, le 14 octobre 2003). Paul Maillet (décédé début février 2005) aurait pu déposer une plainte en diffamation, il avait pour cela jusqu'au 14 janvier 2004. Il ne l'a pas fait.

Vous me dites que sa santé chancelante ne lui permettait pas trop de suivre l'actualité ? Alors, je réponds que ses ayants droit, qui avaient "intérêt à agir", selon la formule consacrée, auraient pu le faire en ses lieu et place. Vous me dites que France-Culture n'est guère écoutée dans les campagnes bas-alpines ? Je réponds imperturbablement, une fois de plus, que nul n'est censé ignorer la loi...

 

 

VII. Annexe : à propos d'un "historien de formation"...

 

Il ne me paraît pas inintéressant, in fine, de revenir sur l'expression "historien de formation" dont est affublé le dénommé Mossé. Comment le faire mieux qu'en recopiant un paragraphe déjà présent sur le site, mais peut-être moins accessible :

Pour donner une autre facette du personnage Mossé, très éclairante pour notre sujet, voici ce que son éditeur écrit (sur la quatrième de couverture) d'un autre de ses "ouvrages" : "Les Impostures de l'Histoire est un ouvrage salutaire. En revisitant, faits à l'appui, certains mythes de notre histoire, qu'elle soit politique (Néron, Saint Louis, Jeanne d'Arc, Christophe Colomb, le 14 juillet 1789) ou littéraire (Alphonse Daudet), Claude Mossé, historien et conteur, fait litière des images d'Épinal pieusement transmises par la légende pour replacer faits et personnages dans le contexte de leur temps. Ce traitement on ne peut plus décapant offre au lecteur bien des surprises - dont la moindre n'est pas la véritable réhabilitation de Néron à laquelle se livre l'auteur. Les saints médiévaux en revanche, Saint Louis et Jeanne d'Arc, sont traités sans ménagement aucun et, par leurs imperfections bien humaines, en deviennent moins impressionnants. Une entreprise authentiquement salutaire donc, à la lecture de laquelle tout honnête homme trouvera à la fois un grand plaisir et un intérêt qui, au fil des pages, ne se dément pas" (on remarquera au passage comment les éditeurs manient la brosse à reluire).

 

Certes, certes, mais voici ce qu'écrit (sur le site Alapage, il me semble) un lecteur toulousain, qui connaît un peu l'Histoire (lui), du même Les impostures de l'Histoire, après lui avoir collé la note 0 (zéro) :


"Bourré d'erreurs historiques et d'approximations.
On reste rêveur à la lecture du "mot de l'éditeur" (la quatrième de couverture) ! Je n'ai pas eu le courage d'aller au-delà du premier chapitre, tellement celui-ci accumule les erreurs de chronologie, les incohérences, les approximations, les formules dignes d'une mauvaise fiction historique mais non d'un ouvrage d'histoire, sans parler des fautes de latin.

Quelques exemples d'anachronismes : Cicéron (mort en 43 avant J.-C.) présenté comme participant au conseil privé de Néron, en 64 ap. J.-C. (soit plus de cent après sa mort) et manifestant son opposition aux chrétiens (alors qu'il est mort bien avant la naissance du Christ). Ce n'est pas un lapsus : la même absurdité apparaît deux fois ! Autre exemple : saint Pierre arrive à Rome "probablement en 39 ou 40", dit l'auteur lui-même, et y contemple le Colisée (dont la construction a dû commencer en 69 ou 70). Vous en voulez encore ? "Sénèque le Vieux" (ainsi l'auteur appelle-t-il apparemment le père de Sénèque) a, nous dit-on, raconté la première nuit de l'incendie de Rome qui a eu lieu en 64 ; or il est lui-même mort autour de 40. L'auteur ne donne pas les références précises de ses sources, auxquelles il fait ainsi dire ce qu'il veut.

De la part de quelqu'un qui se veut redresseur d' "impostures de l'histoire", des erreurs aussi grossières me semblent révéler un mépris du lecteur.

Je le répète, je n'ai lu que le premier chapitre ; on peut espérer que les autres sont moins catastrophiques, mais l'attitude anhistorique que révèle celui-ci laisse bien mal augurer de la suite. Je laisse à d'autres le soin d'aller plus loin. D'autant que les dites "impostures" sont depuis longtemps reconnues comme telles..."


Avec cela, voici Môssieu Mossé habillé pour l'hiver - et au-delà !

Enfin, comme j'ai remarqué qu'une confusion assez générale s'était installée, je prie les lecteurs de ne pas confondre Claude Mossé (Madame, née le 24 décembre 1924), reçue première à l'agrégation d’histoire en 1947, professeur d'Université, spécialiste mondialement reconnue de la Grèce ancienne, à laquelle elle a consacré de nombreux ouvrages faisant autorité (elle est historienne de formation, c'est le cas de le dire !), et Claude Mossé (Monsieur, né le 9 mars 1928), médiocre plumitif ayant entrepris, pour des raisons vraisemblablement alimentaires, de nous "démontrer" l'innocence de Dominici.

 

 


Notes

 

(1) Je ne puis cependant m'empêcher de relever qu'une photo ainsi légendée : "... Paul Maillet, photographié ici à gauche avec un enquêteur", nous propose en réalité, en guise d'enquêteur, le fameux témoin-clé du commissaire Harzic, Aristide Panayotou (aux côtés de Maillet, durant le procès, dans la salle des témoins)... Cela en dit long, n'est-ce pas ? sur le sérieux et l'information des journalistes. D'autant qu' il s'agit d'une photo tronquée (amputée de sa partie droite). L'original montre quatre témoins qui tuent le temps en jouant à la belote, en attendant de comparaître devant la Cour : Paul Maillet joue avec Escudier (son ami épicier, qui le premier a rompu le silence), contre Panayotou et le commissaire principal Constant.
Après avoir eu connaissance de ce fichier, où il est (très relativement) mis en cause, le journaliste Jean Contrucci prend mon attache (en octobre 2007) et me communique quelques "secrets de fabrication" d'un quotidien, où tout se pratique dans l'urgence, pour des raisons compréhensibles. Il me signale, en particulier, qu'il n'a pas choisi les photographies tirées des archives illustrant l'article - il n'était pas au journal quand la mise en page fut faite et il ignorait même la date de parution retenue ; que "les photos furent légendées par le secrétaire de rédaction en service le soir du bouclage - secrétaire également auteur du cadrage de la photo" tronquée. Dont acte, bien volontiers.
(2) Cl. Mossé, ouvr. cit., pp. 167-168. Souligné par nous.
(3) La Rock-Ola pendue dans la cuisine de Paul Maillet ! Une cultivatrice de base, spécialiste des armes à feu ! Encore une sordide légende, complètement contredite par les faits ! Il fallait un Mossé pour l'exploiter !
(4) Le journaliste J. Contrucci a fait appel de ce jugement. L'Appel a été plaidé fin mai 1995. L'arrêt, rendu le 29 juin par la cour d'Appel d'Aix-en-Provence, a relaxé le journaliste et condamné le plaideur P. Maillet aux dépens...