... je n'achète que des lilas...

 

Pour la pleine compréhension de ce qui va suivre, rappelons que le barrage-voûte de Chaudanne, sur le Verdon, dont la construction avait commencé vingt-quatre ans plus tôt (!), était en 1952 sur le point de s'achever. Géographiquement, ce barrage est situé à l'entrée du village de Castellane - commune dont le Maire, peu d'années après l'Affaire de Lurs, fut un certain Orsatelli, ancien Procureur général bien connu et particulièrement "apprécié" des passionnés de l'Affaire dite Dominici.
On ne manquera pas, par ailleurs, de noter que ce texte est mis en ligne le quatorze février, manière de célébrer antiphrastiquement la Saint-Valentin...
Mais venons-en aux faits, et commençons par planter le décor.

 

"C'était le jour béni de ton premier baiser"
(Stéphane Mallarmé)

"Je n’oublierai jamais les lilas ni les roses
Et ni les deux amours que nous avons perdus"
(Louis Aragon, Le Crève-cœur (1941)

 

 

 

I. Un fâcheux incident

 

Le 24 septembre 1952, Arthur, voyageur anglais de 25 ans dont le patronyme renvoie à une célèbre marque de dentifrice d'avant-guerre, pousse la porte du commissariat d'Antibes. Il vient raconter au policier de service - un dénommé Achille - une bien curieuse mésaventure dont il a été l'involontaire dupe.

Deux jours auparavant, alors qu'il était en route pour la French Riviera, le jeune Arthur déclare avoir marqué une courte halte dans un café de Castellane (Basses-Alpes). Tandis qu'il se désaltérait, il a été abordé par un homme, à peine plus âgé que lui, mais de même corpulence, qui s'est présenté comme étant Johnny P., citoyen canadien désireux, lui aussi, de gagner le littoral méditerranéen. Marché conclu, et c'est ainsi que le Canadien s'est fait déposer à Cannes, notre Arthur poursuivant sa route sur une dizaine de kilomètres. Durant le trajet, les deux voyageurs ont sans doute échangé entre eux : pour le moins, Johnny a dû confier qu'il travaillait au barrage de Chaudanne ; de son côté, Arthur a révélé à l'auto-stoppeur son point de chute sur la Côte d'Azur : car le lendemain 23, Johnny est venu rejoindre l'automobiliste anglais dans l'établissement même où il était descendu.

Là, le Canadien a commencé par remplir une fiche d'hôtel, peut-être pour mettre Arthur en confiance. Il a ensuite sollicité certains prêts auprès de l'Anglais : il a réussi à lui emprunter une somme d'argent relativement modeste (2000 F., l'équivalent de 30 litres d'essence, à l'époque), mais surtout... des vêtements neufs, "car ses effets personnels ne pouvaient lui permettre de se rendre dans des établissements de choix" [sic], en particulier un costume de flanelle d'excellente coupe. Puis Johnny lui a dit "Attendez un instant, je reviens". Bien entendu, il a disparu. Sans laisser d'adresse, est-il besoin d'ajouter.

Tel est l'objet de la visite d'Arthur au Commissariat : il vient déposer plainte pour abus de confiance, et remet au policier, pour appuyer ses dires, les effets usagés (un pantalon marron, un short noir, un foulard en rayonne) abandonnés sur place par son indélicat autant qu'éphémère compagnon de voyage.

Un ami cher, plus versé que moi dans l'analyse des comportements troubles, me souffle que l'attitude pour le moins ingénue d'Arthur pourrait bien révéler que le jeune Anglais faisait sans doute partie de la jaquette flottante, cependant que celui qui l'avait si aisément grugé ne craignait nullement de naviguer à la voile et à la vapeur, mais toujours en eaux troubles. Hypothèse que Proust en personne ne renierait pas, lui qui notait, en connaisseur, à propos des tantes et autres jésus que "les membres mêmes qui souhaitent de ne pas se connaître, aussitôt se reconnaissent à des signes naturels ou de convention, involontaires ou voulus"...

Quoi qu'il en soit, c'est ainsi que s'enclenche une affaire à laquelle une toute jeune fleuriste, n'ayant absolument rien à voir avec ce qui vient d'être rapporté, sera à son corps défendant mêlée.

 

 

II. Interrogations, interrogatoires

 

2.1 Achille, enquêteur

 

La diligente enquête qui s'ensuit conduit tout d'abord le vaillant Achille du côté de l'hôtel dont il a été question : il y prend connaissance de la fiche de meublé renseignée par Johnny, conforme à la pièce d'identité (American Army - Montréal !) qu'il avait exhibée au réceptionniste. Laquelle fiche lui apprend qu'il s'agit d'un citoyen canadien, né à Montréal en 1923, habituellement domicilié à Francfort, mais entré en France le 19 septembre, venant de Paris et se rendant à Nice pour y chercher du travail. Soit un mois et demi après la commission du triple crime de Lurs : jusque là, aucun rapport possible avec la tuerie bas-alpine.

Mais d'autre part, la fouille consciencieuse des effets de l'indélicat canadien révèle (dans une poche du short) la présence d'une lettre manuscrite. Datée - mais c'est une involontaire coquille - du 15 août ! Comment un individu, prétendant être entré en France le 19 septembre, pouvait-il avoir reçu sur son lieu de travail au barrage une lettre écrite un mois auparavant ?

Il n'en fallait pas davantage pour mettre la puce à l'oreille des policiers antipolitains. La jeune responsable de la lettre manuscrite (où figurait une adresse précise), fut alors rencontrée, questionnée ; puis convoquée et dûment interrogée sur procès-verbal, le 30 septembre.

 

 

2.2 Eulalie, fleur bleue

 

Reconnaissant les effets qui lui étaient présentés comme appartenant à son Johnny, la jeune Eulalie déclara à la Police que le propriétaire des vêtements lui avait dit "détester les Anglais", et qu'il "serait heureux de jouer un bon tour à l'un d'eux".

Cette fois, le rapport avec les crimes de Lurs pouvait être moins ténu...

La jeune fille admit avoir rencontré pour la première fois son amoureux le dimanche 14 septembre 52 : "nous avons passé l'après-midi ensemble au cinéma. Le lendemain, je lui ai expédié la lettre que vous me présentez".

On notera, en souriant, une manière de rouerie de la jeune fille : car oubliant, ou faisant semblant d'oublier, que ses vis-à-vis ont en mains la missive non équivoque écrite par ses soins, elle ment effrontément : sauf à penser, et l'idée est certainement venue à Achille, qu'il s'agissait d'une séance de cinéma porno...

Et Eulalie de continuer :

 

"Je l'ai revu une deuxième fois le vendredi 19 septembre. Il était venu chez moi vers 7 h 30 le matin et m'a quittée le soir, à minuit.

Je l'ai revu une troisième fois le mardi 23 septembre. Il était venu chez moi le matin, vers 8 heures [avec le beau costume d'Arthur !], et m'a quittée vers 9 heures, disant qu'il allait téléphoner. Il m'a dit qu'il reviendrait me voir le dimanche 28 septembre, mais je ne l'ai plus revu.[...]. Je dois reconnaître que Johnny ne m'a jamais paru être très franc [...] ; au cours d'une conversation, il m'avait dit un jour qu'il n'aimait pas du tout les Anglais, et que si un jour il apercevait un Anglais dans un bar, il lui "casserait la figure" ou lui ferait un mauvais tour [C'est le sens de la mésaventure d'Arthur !]. À la suite de notre dernière entrevue, il m'a dit que si parfois "l'on viendrait m'interroger", il faudrait que je dise toute la vérité, sans préciser cependant pour quels motifs il avait prononcé ces paroles.

Johnny m'avait dit aussi qu'il s'était engagé pour la Corée [rappelons en effet à l'intention des jeunes lecteurs qu'à la même époque, les Américains d'un côté (soutenus par les Nations-Unies), les Chinois et les Soviétiques de l'autre, se livraient par adversaires plus ou moins interposés une sanglante guerre, qui s'acheva un an plus tard par l'armistice de Panmunjom, consacrant la partition - qui perdure aujourd'hui encore - de la péninsule coréenne], mais qu'il ne désirait plus partir et que, si un jour on me demandait quelque chose à ce sujet, de dire que j'étais enceinte de ses œuvres".

 

Parallèlement à cet interrogatoire et aux recherches susdites, et alors que l'informatique était bien loin encore de sévir, les policiers avaient sollicité je ne sais quelle base écrite de données ; les fiches D 45 sq. et autres J 49 sq. n'ayant apparemment pas grand-chose à envier aux moyens dits modernes. Ils furent en cela indirectement aidés par le Canadien, dont le patronyme qu'il avait emprunté pour la circonstance, était tout proche de celui que lui avait transmis son père : ainsi en apprirent-ils de belles, sur le peintre en bâtiment de Chaudanne. Et d'abord, qu'il n'était pas plus canadien qu'eux-mêmes, puisqu'il était né à Paris, et se prénommait, non pas Johnny, mais en réalité Marcel, comme tout le monde (ou presque) ; et surtout qu'il avait déjà été condamné en de multiples occasions pour vols et abus de confiance, et même qu'il avait purgé huit mois de prison, deux ans auparavant. Johnny, faux Canadien mais authentique repris de justice, avait donc présenté à l'hôtelier de faux papiers, volés on ne sait où : il n'était par conséquent pas entré en France le 19 septembre, puisqu'il n'avait pas quitté l'hexagone. Décidément, il pouvait y avoir un rapport avec les tragiques évènements de Lurs, dont la résolution piétinait et même patinait. C'est pourquoi la Police locale fut très désireuse d'interroger le peintre. Et pour cela, elle tendit une souricière afin de tenter de l'intercepter, car l'indélicat tombeur, on l'a vu, devait revoir sa belle : las, il ne vint pas au rendez-vous... Ainsi s'acheva la quête policière.

 

 

II. 3. De Grasse à Digne

 

Mais le Procureur de Grasse, à qui les documents d'enquête furent évidemment transmis, dut juger que les faits établis étaient suffisamment suspects pour que son collègue de Digne en fût saisi.

Et c'est ainsi qu'un mois plus tard, le 24 octobre, sur réquisition de Louis Sabatier, la brigade de Gendarmerie de Castellane se mit à enquêter, elle aussi, mais au demeurant sans apporter de nouvelles informations capitales, et surtout sans loger "Johnny", qui avait en toutes circonstances l'art de filer à l'anglaise. Du moins apprit-on de son employeur, que "Johnny" avait travaillé une quinzaine de jours sous sa direction, avant de quitter brusquement et sans retour le chantier de Chaudanne "le 20 ou le 22 septembre". Ce qui coïncidait parfaitement avec la rencontre dans le bistrot de Castellane.

On apprit aussi que "Johnny" avait fait mine de s'engager (ou de se rengager, car il avait dû connaître une période militaire antérieure) dans les troupes d'infanterie coloniale, début octobre, et que le Commandant de ce régiment stationné à Versailles le recherchait, lui aussi ! Puis qu'il avait disparu. Et l'enquête Johnny s'arrêta là. Presque aussitôt qu'entrouverte, cette piste fut abandonnée, et pour une raison qui tombe sous le sens. Dans les Basses-Alpes, au même moment, les contradictions de Gustave Dominici devant le témoignage du motocycliste Olivier, et plus encore les premières révélations de Paul Maillet au commissaire Constant, avaient clairement indiqué aux policiers marseillais la seule direction qu'il convenait désormais de suivre...

Demeurait donc une touchante lettre, que Johnny avait reçue mi-septembre (et non mi-août) de la part d'une jeune personne bien naïve et de dix ans sa cadette, qu'il avait subornée à quelques jours de son 19e anniversaire, avec la fausse monnaie qu'il était vraisemblablement coutumier d'utiliser partout où il sévissait.

 

 

III. Lettre à Johnny

 

"Regardez d'un autre œil une excusable erreur.
Vous aimez. On ne peut vaincre sa destinée.
Par un charme fatal vous fûtes entraînée.
Est-ce donc un prodige inouï parmi nous ?
L'amour n'a-t-il encor triomphé que de vous ?
La faiblesse aux humains n'est que trop naturelle"

[Jean Racine, Phèdre, vv.1296-1301]

 

 

Hello sweet-heart de mon cœur !

 

Chéri, j'ai tenu ma promesse, j'ai écris. As-tu pensé à moi ? J'ai cru rêve et je le crois encore, c'était si merveilleux. Je ne regrette pas de t'avoir accordé ma confiance et j'espère que tu continueras à l'apprécier. Néanmoins, je suis inquiète au sujet du futur baby (s'il y en a un !). Oui, j'ai peur de la réalité, dear, car tout est si nouveau pour moi que je me sens peu rassurer. Je voudrais tant être près de toi, mon amour, je languis de ta présence. J'ai prié Dieu, mon amour, pour que mon rêve se realise. Si tu viens dimanche soir, je t'emmènerais chez moi et tu souperas à la maison. Mais tu viendras car tu me l'as promis ! Et Jonnhy n'est pas un menteur, n'est-ce pas ?

Tu verras mon petit filleul, il a 3 mois et demi et maintenant, lorsque je le regarde, je pense à l'autre baby ! Tu sais chéri, si cela arriverai et que je ne te verrai plus, je serais heureuse quand même, car se serait ton fils Jonnhy, et j'en serais fière !

Où as-tu passé la nuit, Dimanche ? As-tu eu froid ? Ici, la journée du lendemain a été chaude, le temps s'est remis au beau.

Envoi moi des cartes postales. Tu dois voir des paysages splendides, surtout le soir, au coucher du soleil.

Eh bien, je crois que je t'ai tout dit, darling, mais auparavant laisse-moi t'embrasser.

Voilà, c'est fait. Je t'envoie mille baisers mon amour, et ils sont bénis par Dieu, cela nous portera bonheur.

Eulalie

PS

Il vaut mieux que tu me dises un jour à l'avance où nous devrons nous voir. C'est plus sûr. Réponds-moi vite !

I love you.

 [orthographe scrupuleusement respectée]

 

IV. Pour conclure...

 

"Fantine était un de ces êtres comme il en éclôt, pour ainsi dire, au fond du peuple. Sortie des plus insondables épaisseurs de l'ombre sociale, elle avait au front le signe de l'anonyme et de l'inconnu... Fantine était belle et resta pure le plus longtemps qu'elle put. C'était une jolie blonde avec de belles dents. Elle avait de l'or et des perles pour dot, mais son or était sur sa tête et ses perles étaient dans sa bouche. Elle travailla pour vivre; puis, toujours pour vivre, car le cœur a sa faim aussi, elle aima... Amourette pour lui, passion pour elle".

[Hugo, Les Misérables, Fantine, III, II, Double quatuor]

 

 

De nombreux commentaires pourraient in fine être apportés, en complément de cette édifiante histoire ; on se bornera cependant à n'envisager ici que trois directions :

 

4.1. Orthographe

 

On voudrait bien ne pas jouer les laudatores temporis acti, et pas davantage emboucher les trompettes des tenants de la thèse du déclin français. Pour autant, il faut bien constater que cette jeune personne, apprentie fleuriste de son état et sortie de l'école élémentaire cinq ans plus tôt avec un modeste CEP en poche (les quelques mots d'anglais utilisés ne doivent pas nous abuser), n'a guère oublié les leçons qu'elle a dû recevoir. À coups de règles et de par-cœur, éventuellement de punitions, me souffle-t-on ? C'est possible. Mais en a-t-elle tellement souffert ? La fraîcheur de sa missive révèle tout le contraire. Elle a donc été correctement enseignée, elle au - au moins en grande partie - retenu les leçons qu'elle a reçues, et elle s'exprime, certes avec une grande naïveté - cela ne concerne pas le problème - mais avec une exemplaire clarté que plus d'un jeune adolescent d'aujourd'hui, attelé malgré qu'il en ait à d'interminables études qui le poursuivent davantage qu'il ne les poursuit, et rompu aux tweets et autres SMS, pour ne pas parler des émoticônes, serait bien incapable d'égaler. Une langue d'une parfaite correction écrite avec une orthographe satisfaisante dans une calligraphie comme on n'en trouve plus guère, de nos jours. C'est une leçon à retenir. Ce qui signifie aussi, soit dit en passant, que la petite fleuriste porte haut son prénom : Eulalie, d'origine grecque, signifiant littéralement "qui parle bien". Sans autre preuve que son écrit, nous lui décernerons donc sur ce point un satisfecit sans réserves.

 

 

4.2. Et Dieu, dans tout ça ?

 

Mais après le billet d'approbation, on ne pourra s'empêcher de faire un détour dont ricaneront les laïcards durs et purs. En effet, par deux fois, la jeune fille se place sous la protection, et même la bénédiction, divines. Il s'agit à l'évidence d'une personne très croyante, et donc extrêmement sage, qu'un cynique physicien, spécialiste de la chute des corps, a su dans l'heure faire chavirer : c'est un fait que trop souvent, on voit des biches qui remplacent leurs beaux cerfs par des sangliers. Pour son malheur, ou son cruel apprentissage de la vie, Eulalie/Fantine rencontra Johnny/Tholomyès. Dans les rues d'Antibes, elle eût pu tomber, par exemple, sur un Sidney Bechet ; mais c'est Johnny que le sort plaça devant elle.

Et je vais me faire mal voir (encore davantage !) : s'il existe (ce que j'envisage assez difficilement), ce Dieu auquel Eulalie croyait avec toute sa candeur, alors le faux-monnayeur "Johnny" a dû lui rendre de sacrés comptes, lorsque son tour est venu de comparaître, à l'heure blême.

 

 

4.3. Enquête bâclée

 

Enfin, on ne peut évidemment faire l'économie d'un petit couplet méprisant à l'encontre de tous ceux, en particulier journaleux voire journalistes, tous personnages intellectuellement médiocres ou carrément intéressés par l'exploitation éhontée de la tuerie, qui s'en sont allés claironnant que l'enquête de Lurs avait été bâclée - c'était là l'alpha et l'oméga de leurs fuligineuses démonstrations ; et dans leurs propos prétendument démonstratifs, l'insondable bêtise le disputait souvent à l'ignominie la plus crasse, quand il ne s'agissait pas, carrément, de cupidité éhontée.

À tous ces pseudo-prophètes, l'incident qui vient d'être narré - et qui pourrait figurer en bonne place au nombre de ce que Jean Laborde a naguère nommé les "épaves inutiles", apporte s'il en était encore besoin, un nouveau autant qu'éclatant démenti : toutes les forces de l'ordre hexagonales (ne parlons pas des recherches conduites hors de nos frontières) furent mobilisées dans la résolution de l'atroce "mystère" de Lurs. Le moindre petit fait, dès lors qu'il laissait apparaitre un rapport même lointain avec la tuerie bas-alpine, était systématiquement analysé. L'enquête soi-disant bâclée, qui a mobilisé les personnels de près de vingt Commissariats de Police, et de près de cinquante Brigades de Gendarmerie, entraînant l'audition de plus de cinq cents témoins (certains, entendus plus de vingt fois !) a été, tout au contraire, remarquablement fouillée : il n'y a donc aucun doute possible, et l'on peut une nouvelle fois tranquillement affirmer, avec le commissaire Chenevier : "L'assassin [...] est incontestablement de la Grand'Terre".

 

 

 

Toutes choses ayant une fin, commençons par reconnaître au dénommé Marcel une certaine originalité : alors que Jean-Philippe Smet était encore dans ses culottes courtes, il a su se doter d'un prénom devenu par la suite très porteur, mais qui ne l'était guère à son époque. Apparemment, ce sobriquet lui a valu quelques succès...
Disons maintenant que la peu galante aventure qui vient d'être narrée ne l'avait pas beaucoup préoccupé : en effet, il se maria peu après dans la région parisienne, puis divorça tout aussitôt. On peut penser que les choses commencèrent alors vraiment à sentir le roussi pour lui : il fut contraint de s'exiler chez les Bataves. Là-bas, il convola à nouveau et acheva sa pitoyable existence au milieu de la soixantaine, dans le port qui jadis avait vu naître le très grand esprit que fut Érasme.

Eulalie, pour sa part, n'a jamais quitté la maison familiale où jadis elle reçut, à tous les sens du terme, son Johnny. Elle ne convola que dix ans plus tard, ayant largement coiffé Sainte-Catherine, et fit souche. Aujourd'hui veuve, la vieille dame a-t-elle marqué d'une croix blanche le jour où, pour son malheur, elle rencontra le peintre de Chaudanne ? Songe-t-elle encore, aux jours de vague à l'âme et de mélancolie, au sweet-heart de son cœur ? L'histoire ne le dira pas. Souhaitons seulement que celle qui jadis fleurissait un peu là, ait laissé se faner ce douloureux épisode, et trouvé une forme de sérénité.

 

 

Si ma chanson chante triste, c'est que l'amour n'est plus là