À la mémoire émue de

Jean-Marie Olivier (1925-2012),

Combattant volontaire de la Résistance,
Maquisard du Maquis de Lure,

dont la ferme loyauté fut pour beaucoup dans la résolution des crimes de Lurs

 

 

"Nous n'avons jamais eu l'intention de fausser la route [sic] à la Police" (Y. Barth au commissaire Gillard, le 10 août 1955)

 

I. Introduction

 

L'Affaire Dominici regorge de menteurs de tous calibres comme, je le suppose, n'importe quelle affaire judiciaire : les inculpés - pardon, les mis en examen - étant par nature innocents, et les incarcérés autant d'exemples d'erreurs judiciaires. L'affaire Dominici ne fait donc pas exception à la règle : tous les protagonistes, francs comme l'âne qui recule, se sont fendus de combien de fausses déclarations qui auraient dû leur valoir, de la part de la Justice, des sanctions appropriées !

Odieux mensonges proférés par des comparses dont le toupet n'avait d'égal que la déloyauté, mensonges par omission (Clovis et Popaul s'illustrèrent particulièrement dans ce genre), contrevérités en tous genres, mensonge joyeux du Tave, n'ayant jamais entendu parler de pantalon(s) en train de sécher et rétorquant cyniquement à Chenevier (dont la main le démangeait, c'est sûr) : "si ce pantalon était si important, il aurait fallu le saisir" !), mensonge pernicieux de son frère, traitant leur aîné commun de "brave saligaud"...

Il convient aussi de ne pas garder le silence à propos du culot révoltant dont firent preuve deux "chevaliers du pendule", le dénommé Calté et sa maîtresse Reine Ribo qui, le dimanche 19 octobre 1952, sur les ondes de Radio-Luxembourg (aujourd'hui, RTL) s'épanchèrent sans aucune vergogne, louèrent les "brillants résultats" (on n'est jamais si bien servi que par soi-même) par eux obtenus dans l'affaire criminelle de Lurs ; allèrent jusqu'à ajouter qu'ils travaillaient à la demande de la Police (!), et remirent à l'animateur une enveloppe scellée dans laquelle, affirmaient-ils, se trouvait le nom de l'assassin ** ! Enveloppe qui n'a pas été descellée par la suite, et pour cause. Ce qui certes a mieux valu pour les deux concubins. De toute façon, je n'avais aucune chance de me faire appeler Arthur...

Bref la liste est particulièrement longue :on n'en finirait pas de la dévider.

Pourtant, s'arrêter ainsi serait oublier un cas particulier de mensonge : celui proféré sur commande. C'est ainsi que les ineffables "tenants de l'innocence" font grand cas d'un procès-verbal consigné en Gendarmerie de Manosque, qui au premier abord paraît fort anodin. Il fait d'ailleurs partie des documents mis en ligne sur le feu-site "Dominici-innocent", pitoyable machine de guerre qui aurait dû "permettre une fois pour toutes d’obtenir la révision populaire de la condamnation à mort de Gaston Dominici" (W. Reymond, in La voix du Nord, 21 Octobre 2003) ; mais qui, fort heureusement, a fait tchi, comme on dit par chez nous. Nul doute, cependant, qu'on puisse en trouver le fac-similé en cherchant un peu sur la Toile.

Mais reprenons les choses depuis le début ! Et grand merci à mon Commissaire préféré qui, avec sa sagacité policière habituelle, m'a mis la puce à l'oreille.

 

 

II. Lecture du Procès-Verbal B 18 (Gendarmerie nationale), du 20 août 1952

 

II.1. Le procès-verbal

 

"Cejourd'hui, vingt Août, mil neuf cent cinquante deux.
Nous, soussignés [sic], Ranc, Fernand, gendarme à la résidence de Manosque, département des Basses-Alpes, rapportons les opérations suivantes que nous avons effectuées agissant en uniforme et conformément aux ordres de nos chefs.
Le vingt Août, mil neuf cent cinquante deux à dix heures trente minutes, de service à la résidence, procédant à la recherche de renseignements relatifs au crime de Lurs, auprès de personnes susceptibles de posséder un indice ou d'avoir passé [sic] sur les lieux du crime au cours de la nuit des 4 et [sic] 5 Août 1952, avons reçu la déclaration suivante de :

IDENTITÉ

COMTE, Marcel, né le 15 Mai 1916 à Vesseaux (Ardèche), négociant, demeurant à Manosque (B-Alpes), quartier 'Les Saves', nationalité française. Connu de nous.

DÉCLARATION

"Le 5 Août 1952, je suis passé avec ma camionnette à Lurs (B-A) vers six heures quinze minutes. J'ai remarqué sur le côté droit de la chaussée, direction Manosque-Sisteron, la présence d'un véhicule automobile. Environ cinquante mètres avant d'avoir aperçu le véhicule, j'ai vu deux hommes sur le bord de la route qui semblaient discuter fortement ; l'un d'eux était enjambé sur une moto.
J'étais seul sur [sic] mon véhicule.
Je n'ai pas remarqué la présence de lit de camp, ni de cadavre à cet endroit.
Lecture faite, persiste et signe.
Deux expéditions : ...........................
Clos à Manosque le 21 Août 1952.

 

 

II.2. Examen critique sommaire

 

Ce procès-verbal, qui enregistre la déclaration d'un témoin étant passé sur les lieux du crime au moment-même où le Tave arrêtait le motocycliste Jean-Marie Olivier, paraît au premier abord sans aucun intérêt. On y relève pourtant deux éléments qui doivent attirer l'attention :

- le premier concerne les rapports entre les deux hommes, qui semblaient "discuter fortement". De deux choses l'une, dès lors : ou bien la moto 125 New-Map faisait un tel vacarme, que le Tave fut obligé de crier pour se faire entendre ; ou bien le témoin Comte a assisté au début d'une dispute. Oui mais, à quel sujet, s'agissant de deux personnes qui ne se connaissaient que de vue ?
- le second élément est évidemment l'indication de distance fournie par le témoin. Quand bien même ce renseignement est particulièrement imprécis, on en retient ceci : M. Comte veut indiquer que les deux personnages se trouvaient, lorsqu'il est passé, environ cinquante mètres avant l'Hillman.
On se souvient que Jean-Marie Olivier affirmait avoir vu surgir le Tave "comme un diable de sa boîte" devant le capot de la voiture anglaise ; tandis que le "témoin n° 1" prétendait être sorti du sentier conduisant à la Durance, passage qui se situait à quinze mètres, environ, de l'avant de la voiture des Drummond. Or, il avait dû faire quelques pas en direction de La Grand'Terre pour se porter à la hauteur du motocycliste qui n'avait pas freiné à temps. On peut en conclure que le témoignage particulièrement banal, pour ne pas dire inutile, de Marcel Comte, vient curieusement conforter la thèse du fermier le Lurs.
D'ailleurs, les tenants de l'innocence ne s'y sont pas trompés, qui font de ce document un élément capital de leur démonstration. Ainsi écrivaient-ils, voici une dizaine d'années, "La position de Gustave Dominici - Peut-être la pièce la plus importante dans la démonstration de l'acharnement contre les Dominici. La stratégie d'accusation mise en route par le commissaire Sébeille débute par l'affirmation que Gustave était pret [sic] de la voiture des Drummond lorsqu'il est sorti sur la route. Ce document, écarté de l'enquête, prouve qu'il était plus loin".

Pour l'instant, restons-en là : la discussion prendra place infra.

 

 

II.3. Éléments d'une comparaison

 

Car, pour en revenir au PV, la façon dont le témoignage Comte est transcrit est particulièrement brève : on s'attendrait à davantage de détails, mais ce n'est qu'un très court compte-rendu. Peut-être, d'ailleurs, n'y a-t-il là qu'une façon militaire de transcrire un témoignage ? Pour nous en assurer, quoi de mieux que d'examiner le premier procès-verbal (enregistré sous la cote B 1) de Gendarmerie concernant le triple crime. Il s'agit de l'audition de Ode Arnaud

 

"Brigade de Château-Arnoux, le 5 août 1952

 

"Au cours de notre service, nous entendons sur les lieux du crime, à treize heures trente,
Arnaud Ode, né le 29 novembre 1913 à Le Chaffaut (Basses-Alpes), commerçant en , fruits et légumes, demeurant à Château-Arnoux (Basses-Alpes), de nationalité française.
"Le 4 août 1952, à vingt-deux heures trente, j'ai quitté Château-Arnoux (Basses-Alpes), avec mon camion automobile immatriculé sous le numéro 921 C 4. En passant à mon stand que je gère aux Halles de Saint-Auban, j'ai déchargé quelques légumes pour la vente de la journée. Sur le siège avant, à côté de moi, se trouvait mon fils Jackie, qui dormait. Après avoir déchargé à Saint-Auban, je me suis dirigé vers Marseille, où je suis allé m'approvisionner. Après avoir dépassé l'agglomération de Peyruis de quelques kilomètres, c'est-à-dire ici même, en sortant d'un virage, j'ai aperçu dans les phares de mon camion une voiture automobile garée sur le côté gauche de la route (dans le sens de ma marche), après un petit pont.
J'ai très bien vu que quelqu'un était assis à terre, sur le côté gauche, entre la voiture et le talus. Il était environ vingt-trois heures quinze.
J'ai poursuivi ma route et après avoir passé le chemin de Lurs, après le virage, j'ai remarqué que deux jeunes gens circulaient à pied sur la route. Ils se dirigeaient vers Peyruis. J'ai remarqué qu'ils portaient des shorts de couleur kaki. J'ai eu l'impression qu'ils n'avaient pas de chemise. Ces jeunes gens âgés de dix-huit à vingt-cinq ans, marchaient assez vite. Je n'ai pas remarqué s'ils portaient des paquets ou des sacs tyroliens. L'un de ces jeunes gens mesure 1m70, environ, râblé, et a la peau brûlée par le soleil, etc. etc."

 

Par rapport à la sécheresse du PV Comte, nous avons affaire ici à un texte formé d'un luxe de détails concernant, au premier chef, la raison qu'avait Arnaud de se trouver à cet endroit, à l'heure qu'il a dite. Qu'on relise le procès-verbal précédent : aucun élément de la sorte n'y figure. Peut-être, après tout, le gendarme Ranc était-il pressé ? Peut-être a-t-il songé in petto que ce témoignage ne revêtait aucun intérêt ? On peut, en effet, échafauder de nombreuses hypothèses expliquant le caractère bien succinct de sa transcription. Mais on se doit de remarquer qu'il était tranquillement assis derrière son bureau, tandis que ses collègues jarlandins étaient, eux, debout sous le cagnard, à prendre des notes...

 

 

III. Un procès-verbal éminemment récusable

 

Quoi qu'il en soit, retournons à ce premier P. V., "pièce maîtresse", selon les auteurs de "Dominici-Info" (désinfo serait davantage approprié) de l'enquête "conduite à charge" contre ce pauvre Tave. Ce sera d'abord pour rectifier une manifeste contre-vérité : ce document n'a jamais été "écarté de l'enquête" ; car s'il l'avait été, les chevaliers de l'innocence du Patriarche auraient été bien en peine de le publier.

En revanche, la date même de sa rédaction peut interpeller. Marcel Comte s'est présenté à la Gendarmerie de Manosque (où, contrairement à celle de Forcalquier, l'on ne suivait l'enquête que de loin)(1) le 20 août. Pourquoi ne s'être manifesté que quinze jours après les faits, s'il se savait dépositaire d'un témoignage aussi capital ? Enfin, il s'est présenté "spontanément" ; le gendarme Ranc n'est pas allé le solliciter.

C'est pourquoi il convient de s'intéresser aux évènements qui ont précédé, de peu, cette journée. Et comme par hasard, on retient la date du 18 août. Ce jour-là, interrogé par Sébeille, le motocycliste Olivier précisa les affirmations qu'il avait déjà été amené à exposer devant la Gendarmerie nationale.

Il faut se souvenir en effet que, dès le 8 août au matin(2), la Brigade de Forcalquier avait entendu le jeune Olivier chez lui puis, devant l'importance de ses déclarations, l'avait fait venir sur les lieux du crime ; une moto de la Gendarmerie lui fut même prêtée, afin qu'il montrât sur le terrain la scène, telle qu'il l'avait vécue. On alla jusqu'à faire appeler le commissaire Sébeille - en train d'interroger le Tave - pour qu'il se rende compte de la portée de ce témoignage.

En effet Olivier avait déclaré, entre autres :

"... j'ai vu un homme que je n'ai pas reconnu qui sortait de derrière une voiture automobile immatriculée en Grande-Bretagne et en stationnement sur le bord de la route. [...] Je me trouvais à ce moment-là sur la route 96 à environ 15 mètres de la voiture anglaise en direction de Lurs. [...]"

 

Ce témoignage capital, Olivier ne devait s'en départir à aucun moment par la suite. En particulier le 18 septembre lorsqu'il fut entendu (cote D 40), cette fois, par le commissaire Sébeille - souvent en retard d'une guerre par rapport aux militaires forcalquiérens. Que confia-t-il alors, au Commissaire ?

 

"Le mardi matin 5 août 1952, vers 5 h 50, alors que je rentrais chez moi à Oraison après avoir travaillé la nuit à l'usine de Saint-Auban, etc. etc. [...] ; le fermier se trouvait exactement à un mètre environ devant le moteur de la voiture. [...] Je suis certain de ne pas me tromper quand je vous déclare qu'il se trouvait immédiatement devant le capot de la voiture. En effet, s'il s'était trouvé, soit à la hauteur du mûrier, soit à la hauteur du sentier, il m'aurait aperçu plus tôt, moi-même je l'aurais également vu bien avant d'arriver à la hauteur de la voiture, et je ne me serais pas arrêté à une trentaine de mètres de celle-ci. Je me serais arrêté immédiatement".

 

On mesure aisément à quel point une aussi formelle déclaration était catastrophique pour le Tave et ses pauvres dénégations. D'ailleurs, à de très nombreuses reprises, et dès le 18 septembre (interrogatoire et confrontation avec Olivier), le "témoin n° 1" dut reconnaître que ce que décrivait le jeune motocycliste était rigoureusement exact. Quand bien même il revint à plusieurs reprises là-dessus, il fut incapable de le faire en présence de son contradicteur - comme il fut impuissant face à Paul Maillet, voire devant son propre neveu Zézé Perrin...

Singuliers effets de "l'acharnement" policier, sans doute... Mais assurément, attitude "peu glorieuse"(3), qui ne se manifesta pas seulement au matin du 5 août.

Par conséquent, les aveux du Tave, maintes fois réitérés (par exemple en D 192 et D 195), suffisent à eux seuls à invalider le prétendu témoignage Comte, miraculeusement jailli au lendemain des déclarations d'Olivier.

Mais cela n'explique pas comment la reconstitution du 8, effectuée par les gendarmes, n'a pas entraîné de conséquences en riposte, tandis que dix jours plus tard, la réaction Comte n'a pas tardé à suivre l'audition effectuée par le commissaire Sébeille : peut-on parler dans ce cas de bavardages intempestifs - qui en alertèrent certains, et les conduisirent à tenter d'allumer un contre-feu - alors que les militaires avaient su conserver le secret ? La question reste posée, quand bien même elle n'est pas essentielle.

Reste qu'il est pour le moins piquant de parler de fuites inopportunes dans un domaine où le "mur du silence", dressé "de l'autre côté" si je puis dire, a si efficacement barré la route aux enquêteurs.

 

 

IV. Par delà le mur du silence, le procès-verbal s'éclaire...

 

Au sujet de ce mur, et pour mettre les points sur les i, quoi de mieux que de citer un fragment d'une lettre adressée par le Procureur de la République à Digne, à sa hiérarchie. Sabatier fait le point sur l'enquête, au 28 août, et avance cette réflexion : "les enquêteurs se heurtent au mutisme habituel et ont de plus l'impression qu'une consigne de silence a été donnée par un parti politique à tous ses adhérents ou sympathisants". Précisons cependant, avant de poursuivre ce petit travail d'élucidation, que d'aucuns, à l'époque, ont prétendu que le fameux mur avait été dressé par le P. C. moins pour défendre les Dominici que pour empêcher les enquêteurs de s'approcher trop près des exactions commises durant la "Résistance" bas-alpine, et surtout au cours de la période trouble et sanglante de la Libération.

Ceci posé, intéressons-nous maintenant au contenu d'un ouvrage traitant de la période de Vichy qui - ce qui nous permettra d'éliminer toute polémique - a pour auteur un ancien militant du P. C. Nous y trouverons peut-être de quoi éclairer notre sujet. Ce livre foisonnant, nous le considérerons jusqu'à plus ample informé comme relativement estimable, quand bien même il "gonfle" à outrance les effectifs appartenant à la Résistance, et transforme nombre de petits coups d'épingle en véritables batailles rangées : les Basses-Alpes n'ont strictement rien à voir sur ce plan avec le Limousin de Guingoin, c'est un fait acquis.

On parcourra donc avec une sympathie mâtinée d'esprit critique la somme de Jean Garcin, "De l'armistice à la Libération dans les Alpes de Haute-Provence" (l'auteur feint d'oublier qu'il s'agissait alors des Basses-Alpes)(4). Cet ouvrage est relativement intéressant, mais il possède les défauts de ses qualités ; à le prendre au pied de la lettre, on a l'impression que toute la population bas-alpine s'était dressée contre l'occupant allemand, et lui avait fait subir de lourdes pertes... avant de le chasser du territoire national. La réalité, hélas, est beaucoup plus terre à terre... et tout autre.

Quoi qu'il en soit, on est informé de faits bien instructifs, et par exemple qu'à l'époque, la section bas-alpine du Front National (organisation de résistance créée par le parti communiste) était présidée par Me Charles-Alfred (tiens tiens), et que le vice-président de ce mouvement était le Dr Paul Jouve (tiens tiens).

Mais surtout, ce qui nous intéresse au premier chef, nous assistons, sous la plume gourmande de Garcin, aux exploits d'un certain Comte Marcel, alias Thierry, appartenant à la 13e Cie Ftp (ne nous leurrons pas sur les effectifs d'une compagnie, à l'époque). Il nous est ainsi donné d'apprendre que le dit Thierry, dont Garcin rapporte avec délectation les exploits, n'avait pas son pareil pour aller voler aux autres groupes de Résistance les parachutages qui leur étaient destinés...

De là à penser que le négociant manosquin Marcel Comte, qui vient déposer "spontanément" deux jours après l'embarrassant témoignage de Jean-Marie Olivier, ne fait qu'un avec l'ancien résistant Comte Marcel, alias Thierry, il n'y a qu'un pas, que je me permets de franchir allègrement... Qu'on se souvienne maintenant de l'attitude du propre beau-père de Gustave, responsable important du P. C. local. Nombre de ses actions souterraines en faveur de la famille Dominici resteront à jamais dans l'ombre. Du moins l'acharnement du commissaire Chenevier a-t-il permis - à partir du témoignage du jeune Zézé Perrin - d'établir la réalité de la présence de Louis-François Barth, au matin du 5 août, à la Grand'Terre. On ajoutera, pour la petite histoire, que la surprenante "disparition" d'Yvette, mise bien à l'abri durant toute cette journée dans la ferme de ses parents, sans doute pour peaufiner les témoignages à venir, doit être considérée comme le premier moellon du fameux mur. Vraisemblablement à l'instigation de Barth, le P. C., dont on connaît trop les méthodes - et l'obéissance aveugle de ses militants -, avait donc donné des consignes fermes. Pour la plupart, c'était la bouche cousue ; pour certains, dont le sieur Comte, c'était le témoignage "spontané".

Il est singulièrement amusant de noter que ce qualificatif prend racine dans l'expression latine sponte sua, qui signifie "de son propre mouvement". Le mouvement de Comte n'était en rien le sien propre, mais sacrément téléguidé. À telle enseigne que lorsqu'il a été, à son tour, tordu par Chenevier, il a avoué n'avoir pas remarqué - étant pourtant forcément passé à côté d'elles - les deux femmes (Yvette et La Sardine) qui, depuis la Grand'Terre, observaient la scène à laquelle il prétendait avoir lui-même assisté.

Sa déclaration au gendarme Ranc tombait à point nommé pour tenter d'étayer les affirmations du Tave ; elle n'était donc, peut-être pas qu'une heureuse coïncidence. Disons qu'il l'avait faite à l'insu de son plein gré...

 

 

Notes

 

(1) GN Manosque, 39 PV ; GN Forcalquier, 255 PV.
(2) PV 12-R, cote B 35, pp. 15-16.
(3) Formule qui revient à plusieurs reprises sous la plume des enquêteurs. Rappelons que l'attitude "peu glorieuse" du 5 août au matin valut deux mois de prison ferme au Tave.
(4) Jean Garcin, "De l'armistice à la Libération dans les Alpes de Haute-Provence 17 juin 1940-20 août 1944", Digne, 1983, 456 p., bibliographie pp. 443-444. Réédition 1990, 506 p. Ouvrage de longue date épuisé. La deuxième de couverture indique à propos de l'auteur : "Jean Garcin est né à Nice en 1923. Il y vécut jusqu'à la Libération. S'est fixé dans les Alpes de Haute-Provence en 1948. Par sa branche paternelle, il descend de vieilles familles bas-alpines, originaires de Malijai et de Puimoisson.Il a été membre du mouvement de résistance Combat à Nice, de décembre 1942 jusqu’à la Libération. A rejoint volontairement l'Armée régulière en octobre 1944. A servi en Alsace puis dans les territoires occupés. Secrétaire de l'Association des anciens combattants de la Résistance des Alpes de Haute-Provence (ANACR) depuis 1965. Il est membre du Parti communiste français. Fidèle à sa sensibilité idéologique, qu'il ne masque pas, et aux amitiés nées de la Résistance, il s'est efforcé d'être un rapporteur honnête des évènements survenus dans le département ente 1940 et 1944. A choisi de réaliser une œuvre personnelle pour en assumer l'entière responsabilité".
[On aura soin de ne pas confondre cet auteur avec son homonyme Jean Garcin (1917-2006), né à Fontaine-de-Vaucluse, élève-ingénieur à Grenoble, puis entré dans la Résistance (commandant Bayard), et chef des Groupes Francs (MUR) du département de Vaucluse, puis chef du 3e Bureau Opérations et Actions et Inspecteur Régional des FFI après le 10 août 1944. Enfin, homme politique, maire de Fontaine-de-Vaucluse et président du conseil général de Vaucluse].

 

 

** Note

Témoin cette lettre anonyme, postée le 23 octobre 1952 à Paris-Rue Singer :

Monsieur le Président,
Je suis, comme tout le monde, intéressé par cette pénible affaire de Lurs.
Mais je comprends mal les difficultés de la Police à trouver l'assassin alors qu'un radiesthésiste - qui a suivi cette affaire - a remis en public, vendredi dernier [le 17 octobre, donc] à M. Jean Nohain, organisateur d'une émission de T.S.F., une enveloppe contenant le nom de l'assassin et celui du complice.
D'autre part, à la Radio, dimanche soir, sur Radio-Luxembourg, les dires ci-dessus oint été confirmés et d'autres détails donnés, détails qu'aucun compte-rendu de Presse n'a jamais annoncés.

Veuillez croire, etc. etc.

Pour la petite histoire, notons que ce même 23 octobre fut postée à Paris - Gare du Nord, une autre lettre anonyme adressée au Procureur :

"L'assassin de Lurs se nomme Gustave Dominici. Tenez-le bien.

Signé : Magicius, radiesthésiste et voyant n° 1"...

 

 

À trop vouloir prouver...

 

Note janvier 2016. Après moult vérifications d'état-civil, il apparaît que le dénommé Comte Marcel, auteur du "témoignage spontané" discuté supra, était né en Ardèche, en mai 1916 (et décédé en 2001).
Tandis que le Marcel Comte cité dans l'ouvrage de Jean Garcin avait vu le jour le 24 mai 1923 (à Saint-Jeannet - près de Digne), de César et Marie Chaillan. Authentique résistant homologué FFI, dont le dossier "Résistance" peut être consulté dans les archives idoines sous la cote GR 16 P 139930.
Nous sommes donc en présence d'un cas de parfaite homonymie et j'ai agi par précipitation, comme dirait Descartes, en liant imprudemment les deux personnages. Dont amende honorable.
Mais cette fâcheuse confusion n'enlève rien au caractère "éminemment récusable" du PV dressé le 20 août 1952, sous la cote B 18. Car je pense intimement, à l'instar de Harry Bosch, l'inspecteur de police (LA) des romans de Michael Connelly, qu'il n'y a pas de coïncidence.