La livraison du "Libé" du 11 novembre [1998] comporte un nombre important d'articles consacrés à la commémoration de l'Armistice. On pourra consulter ce numéro, directement sur le site du journal].

 

 

Concerne la fin du cycle III et la classe de sixième.

 

 

La guerre des deux mémoires

 

 

 

Dans le prolongement de notre leçon (L'enrichissement du vocabulaire, pp. 239 sq.) consacrée au Monument aux Morts de Saint-Martin d'Estréaux, nous proposons ici une activité "libre", à partir d'un des articles précités (ou de celui reproduit infra). Pour faire acquérir, au moins, un minimum de mise en perspective, qui est l'une des marques d'une authentique citoyenneté (Cf. "Les Français sont un peuple autiste").

 

 

"Français et Allemands feraient mieux de réfléchir à des jours de mémoire communs, où la victoire de l'un ne soit pas la défaite de l'autre".  L'historien Rudolf von Thadden

 

Bonn de notre correspondante

 

Pour les Allemands aussi, le 11 novembre est une date essentielle : c'est l'ouverture de la saison du carnaval. Le onzième jour du onzième mois, à onze heures et onze minutes exactement, fous et bouffons prennent d'assaut les places des principales villes du pays pour ouvrir la "cinquième saison" de l'année, saison des amusements, qui dure jusqu'au mercredi des Cendres.

Pour la grande majorité des Allemands, le 11 novembre n'évoque rien d'autre. La fin de la Première Guerre mondiale n'est ni un jour férié, ni l'occasion de commémorations, pour de nombreuses raisons : rares sont les pays à célébrer leurs défaites. La Première Guerre mondiale a débouché en Allemagne sur une révolution sanglante ; les impressionnants champs de bataille de la Grande Guerre ne sont pas sur le territoire allemand ; enfin, et surtout, la honte des crimes nazis a accaparé la mémoire allemande et éclipsé le souvenir du précédent conflit.

Cette année, Jacques Chirac avait offert au nouveau chancelier social-démocrate Gerhard Schröder de rafraîchir la mémoire allemande, en venant célébrer avec lui la fin de la Première Guerre mondiale. Schröder a décliné l'invitation pour "raisons de calendrier uniquement", assure son entourage. Une source française bien placée a pourtant laissé filtrer que la partie allemande avait aussi avancé des raisons de fond : Schröder aurait dit vouloir regarder vers l'avenir et non plus laisser l'Allemagne enfermée dans le rôle de vaincue et coupable éternelle. Sentant que l'affaire tournait au roussi, l’Élysée a prétendu qu'elle n'avait même pas invité Schröder, la cérémonie prévue ayant été décommandée de longue date. Un mensonge évident puisque le bureau Schröder affirme avoir reçu l'invitation. Censé souligner la réconciliation franco-allemande, cet anniversaire a fait débuter la relation Chirac-Schröder par un vilain couac.

"En tant que chancelier, Schröder est obligé d'avancer des raisons de calendrier pour ne pas venir, explique l'historien Rudolf von Thadden, régulièrement consulté par le nouveau chancelier. En tant qu'historien, je peux dire, moi, qu'il a eu raison de ne pas venir, pour des raisons de fond. Les Français sont un peuple autiste. Ils ne songent pas que leur victoire du 11 novembre est une défaite pour l'Allemagne. Ce 11 novembre a aussi entraîné le traité de Versailles, lequel a conduit à Hitler. Il n'y a vraiment rien à commémorer pour l'Allemagne."

Le nouveau ministre allemand des Affaires étrangères, le Vert Joschka Fischer, le premier à toujours et sans cesse rappeler l'importance du passé nazi, voit aussi dans la fin de la Première Guerre mondiale "l'incapacité à conclure la paix". "Les vaincus ont manqué de discernement, les vainqueurs ont manqué de sagesse, expliquait-il récemment à Libération. Tout cela nous a menés à une tragédie : Hitler, la catastrophe de la Deuxième Guerre mondiale et l'Holocauste, une destruction physique et morale complète de notre pays".

Inviter les Allemands à célébrer le 11 novembre, "c'est comme si nous invitions les Français à venir fêter leur défaite à Waterloo en 1815 ou bien à Sedan en 1870, reprend Rudolf von Thadden. Français et Allemands feraient mieux de réfléchir à des lieux et des jours de mémoire communs, où la victoire de l'un ne soit pas la défaite de l'autre, suggère l'historien. Ce pourrait être la proclamation de l'édit de Nantes, ou bien les Lumières, le séjour de Voltaire à Potsdam… Des dates dont les deux pays pourraient être fiers".