Cet atelier a été primitivement publié sur le serveur 3614 Carfi, de l'Académie de Versailles. Il a fonctionné durant l'année scolaire 89-90 (autant dire, sous la Préhistoire) et concernait  pour ce qui nous intéresse, les écoles élémentaires - disons le cycle III. Le tirer de l'oubli dans lequel il est tombé depuis nous a paru intéressant, afin d'initier les élèves, sans prétention, à une modeste approche de la lexicométrie.

 

L'atelier faisait partie d'un "centre d'intérêt" dont le titre d'ensemble était "La littérature en voyage"(1), avec les entrées suivantes :


1      Pistes de travail
2      Forum
3      Messagerie
4      Histoires à continuer
5      Concours de poèmes
6      Mots croisés
7      Atelier de lexicométrie
8      Banque de textes
9      Incitation au voyage
10      Bibliographie, Filmographie, Biographies
11      Lieux de ressources
12      Comment voyager dans le service ?

Le sous-ensemble 7 se décomposait ainsi :

1      À propos de lexicométrie
2      Présentation de l'atelier
3      Comment faire...
4      Les activités (exercices sur Minitel)(2)


 

 

 

I. À propos de lexicométrie

 

L'étude attentive du vocabulaire renouvelle le plaisir de la lecture et dégage des axes de réflexion.

Vocabulaire indispensable :   

- Occurrence : présence de chaque mot.    
- Fréquence : nombre d'apparitions.    
- Contexte : environnement du mot.    
- Index : liste exhaustive des mots du texte. Deux types d'index : alphabétique et hiérarchique (par ordre de fréquence décroissante).    
- Ensemble lexical : mots de la même famille, mots formés sur le même radical.    
- Ensemble notionnel : ensemble des termes désignant la même classe d'actions, d'objets, de sentiments, etc. Exemple : cheminer, marcher, voyager.


Le vocabulaire est divisé en :     
- formes lexicales (mots de sens plein)    
- formes syntaxiques (mots-outils, liens logiques, pronoms, etc.).

II. Présentation de l'atelier

Que fait-on dans un atelier de lexicométrie ? On apprend à manipuler un texte comme un objet physique. En effet, une fois décomposé en éléments, l'objet physique nous livre des renseignements :     
- nous analysons sa composition     
- nous saisissons certaines fonctions de cet objet.

De la même manière, les éléments (lexique) du texte et des tris, des mesures (métrie) de ces éléments, nous font remonter en amont de l'écriture, et découvrir des aspects du texte.

Mise en oeuvre. Les états du texte que nous observons sont :


- liste alphabétique de son vocabulaire : index alphabétique.    
- liste hiérarchique de son vocabulaire par ordre de fréquence : index hiérarchique.    
- contextes de mots choisis : liste des apparitions de ce mot.

Exemple de classement : "L'horloge sonna l'heure au clocher".

Alphabétique Hiérarchique
Forme Fréquence Forme Fréquence
au 1 l 2
clocher 1 au 1
heure 1 clocher 1
horloge 1 heure 1
l 2 horloge 1
sonna 1 sonna 1

 

Ces opérations sont intéressantes sur un texte assez long pour voir des aspects invisibles à la simple lecture. Selon les textes, les activités portent tantôt sur l'index hiérarchique, tantôt sur l'index alphabétique. Selon les logiciels de lexicométrie utilisés, les formes syntaxiques sont soit dissociées, soit supprimées selon un filtre optatif (ce qui signifie qu'on peut décider de ne pas faire figurer les mots-outils - nommés ici formes syntaxiques) dans l'index.

 

 

III.  Comment faire...

 

Si vous êtes débutant en lexicométrie, l'activité Bosco constitue un bon entraînement. Pour tous les ateliers, une imprimante est nécessaire : elle vous permettra de disposer sur papier du texte et des index auxquels il est fait référence dans les activités.

[Dans les activités, des plages sont prévues pour répondre en rédigeant librement. Les réponses seront fournies selon un délai annoncé dans la rubrique, elles tiendront compte des apports des utilisateurs].

 

 

IV  Les activités : atelier Bosco

 

1 - Le texte  : Voyager à pied

 

Voyager à pied m'a toujours ravi. L'éloge du voyage à pied n'est plus à faire. Je ne le ferai pas. Je dirai seulement le bonheur que j'ai à marcher. Je ne suis pas un extraordinaire marcheur. Je marche. C'est déjà quelque chose ; et, comme je le fais pour y prendre plaisir, il est rare que j'aille au bout de ma fatigue. Dès que ma jambe s'alourdit, je regarde un peu plus vivement, devant moi, en quête d'une halte, d'une vraie halte, celle où, de haut en bas, se délasse le corps et où je puisse, moi, manger, boire, soupirer d'aise et même me dire : "Ma foi ! je coucherai là s'il le faut. Il y fait bon". Mon adolescence d'abord, puis ma jeunesse ont pris à marcher des plaisirs dont je n'ai qu'à chercher, dans ma mémoire, l'image fraîche encore, pour me sentir de nouveau jeune et prêt à partir.
Et je pars !... J'ai pourtant passé la jeunesse, certes ! mais il m'arrive encore de boucler le sac, de lacer mes gros brodequins à clous, d'empoigner mon bâton, une vieille canne sonore à la pointe de fer très émoussée, et d'aller renifler, sur les chemins, l'odeur du vent, si décisive au moment de se mettre en route dans la bonne direction. L'esprit du voyage en dépend. La terre est le corps du voyage ; le vent en est l'âme... J'aime la terre et l'air d'un amour égal ; et, en moi, leurs puissances s'accordent. Tout ce qu'un chemin creux, sec, odorant, bordé de noisetiers en fleurs, doit, en avril, à une bonne brise, je le sais ; et je sais aussi ce que gagne, à passer sur un grand coteau chargé de thym et de lavande, le vent d'Est, le matin, quand il souffle très doucement et que la rosée humecte les pierres.
Au fond, voilà pourquoi j'ai voyagé à pied : par simple amour du vent et de la terre. Pour être seul aussi - c'est si bon d'être seul ! - tout seul, sur un plateau dans une gorge, au bord d'une rivière ; et par horreur du véhicule (de presque tous les véhicules) ; enfin pour aller justement où personne ne va jamais et qui est quelquefois lieu caché de merveilles...

Henri Bosco

Explication des mots difficiles (le contexte aidera presque toujours les élèves à approcher, sinon à comprendre, le sens exact)

 


Éloge : ...
Au bout de ma fatigue :..
En quête : ...
Adolescence : ...
Brodequins : ...
Émousser : ...
Décisive : ...
coteau : ...
Humecter : Mouiller.
Gorge : Passage étroit entre deux montagnes.
Lieu caché de merveilles : Un lieu retiré du monde qui cache des merveilles.

 

2 - L'index

 

Vous allez consulter l'index. Notez vos premières observations à la lecture de l'index. Elles vous seront utiles pour les exercices.


Index alphabétique du texte (256 mots / 184 formes)(3)

abord 1 être 2 peu 1
accordent 1 extraordinaire 1 pied 3
adolescence 1 faire 1 pierres 1
ai 4 fais 1 plaisir 1
aille 1 fait 1 plaisirs 1
aime 1 fatigue 1 plateau 1
air 1 faut 1 plus 2
aise 1 fer 1 pointe 1
aller 2 ferai 1 pourquoi 1
alourdit 1 fleurs 1 pourtant 1
âme 1 foi 1 prendre 1
amour 2 fond 1 presque 1
arrive 1 fraîche 1 prêt 1
aussi 2 gagne 1 pris 1
avril 1 gorge 1 puis 1
bas 1 grand 1 puissances 1
bâton 1 gros 1 puisse 1
boire 1 halte 2 quand 1
bon 2 haut 1 quelque 1
bonheur 1 horreur 1 quelquefois 1
bonne 2 humecte 1 quête 1
bord 1 il 5 rare 1
bordé 1 image 1 ravi 1
boucler 1 j 5 regarde 1
bout 1 jamais 1 renifler 1
brise 1 jambe 1 rivière 1
brodequins 1 je 12 rosée 1
caché 1 jeune 1 route 1
canne 1 jeunesse 2 s 3
celle 1 justement 1 sac 1
certes 1 lacer 2 sais 2
chargé 1 lavande 1 se 2
chemin 1 1 sentir 1
chemins 1 leurs 1 seul 3
chercher 1 lieu 1 seulement 1
chose 1 m 2 si 2
clous 1 ma 5 simple 1
comme 1 manger 1 sonore 1
corps 2 marche 1 souffle 1
coteau 1 marcher 2 soupirer 1
coucherai 1 marcheur 1 suis 1
creux 1 matin 1 sur 3
décisive 1 me 2 terre 3
déjà 1 même 1 thym 1
délasse 1 mémoire 1 toujours 1
dépend 1 merveilles 1 tous 1
dès 1 mes 1 tout 2
devant 1 mettre 1 très 2
dirai 1 moi 3 va 1
dire 1 moment 1 véhicule 1
direction 1 mon 2 véhicules 1
doit 1 noisetiers 1 vent 4
doucement 1 nouveau 1 vieille 1
égal 1 odeur 1 vivement 1
éloge 1 odorant 1 voilà 1
émoussée 1 3 voyage 3
empoigner 1 pars 1 voyager 1
encore 2 partir 1 voyagé 1
enfin 1 passer 1 vraie 1
esprit 1 passé 1 y 2
est 8 personne 1    

 

Index hiérarchique des seules formes lexicales

 

vent 4 dépend 1 pars 1
pied 3 dès 1 partir 1
seul 3 devant 1 passé 1
terre 3 direction 1 passer 1
voyage 3 doit 1 personne 1
amour 2 dont 1 peu 1
aussi 2 doucement 1 pierres 1
corps 2 égal 1 plaisir 1
encore 2 éloge 1 plaisirs 1
halte 2 émoussée 1 plateau 1
jeunesse 2 empoigner 1 pointe 1
marcher 2 enfin 1 pourquoi 1
très 2 esprit 1 pourtant 1
abord 1 extraordinaire 1 presque 1
accordent 1 fatigue 1 prêt 1
adolescence 1 faut 1 puis 1
aime 1 fer 1 puissances 1
air 1 fleurs 1 quelquefois 1
aise 1 foi 1 quête 1
alourdit 1 fond 1 rare 1
âme 1 fraîche 1 ravi 1
arrive 1 gagne 1 regarde 1
avril 1 gorge 1 renifler 1
bas 1 gros 1 rivière
1
bâton 1 haut 1 rosée 1
boire 1 horreur 1 route 1
bonheur 1 humecte 1 sac 1
bord 1 image 1 sec 1
bordé 1 jamais 1 sentir 1
boucler 1 jambe 1 seulement 1
bout 1 jeune 1 simple 1
brise 1 justement 1 sonore 1
brodequins 1 1 souffle 1
caché 1 lacer 1 soupirer 1
canne 1 lavande 1 thym 1
certes 1 lieu 1 toujours
1
chargé 1 manger 1 véhicule 1
chemin 1 marche 1 véhicules 1
chemins 1 marcheur 1 vieille 1
chercher 1 matin 1 vivement
1
chose 1 mémoire 1 voilà 1
clous 1 merveilles 1 voyagé 1
coteau 1 mettre 1 voyager 1
coucherai 1 moment 1 vraie 1
creux 1 noisetiers 1    
décisive 1 nouveau 1    
déjà 1 odeur 1    
délasse 1 odorant 1    

 

3 - Des exercices et des réponses...

 

Exercice 1 :  A - Ces verbes expriment une activité physique :

aller (2) boire
boucler coucher
délasser (se) empoigner
faire lacer
manger marcher
partir (2) passer
regarder renifler
sentir soupirer
voyager  

 

Soit un total de 17 verbes (19 occurrences).

 

B - Ces verbes expriment une activité intellectuelle :

aimer
chercher
faire (2)

 

 

Soit un total de 3 verbes (4 occurrences)


Nous pouvons en conclure que dans ses voyages à pied, H. Bosco privilégie l'activité physique.

C - Nous trouvons des synonymes de :


- (se) reposer : (se) délasser
- cheminer : marcher

etc.




Exercice 2 : relevons les mots et expressions qui traduisent le plaisir

bonheur prendre plaisir
se délasser soupirer d'aise
il y fait bon plaisirs
ravir aimer
amour  

 

 

(attirer l'attention des enfants sur les deux sens du verbe ravir : enchanter, enthousiasmer et prendre, dérober).

 


Exercice 3 : adjectifs expressifs

sonore décisive
sec odorant
émoussé caché

 

Les sens mis en éveil sont l'ouïe et l'odorat. L'ensemble des sensations n'est pas évoqué, le sens privilégié est l'odorat.



Exercice 4 : mot lexical le plus répété

Le mot lexical le plus répété est : vent, rechercher dans l'index le nombre d'occurrences de ce terme.
Rechercher les mots qui complètent son ensemble : air, brise, souffle, renifle, odorant, odeur.
Le sens sollicité par le vent est l'odorat.
Les verbes liés à cet élément sont : souffler, renifler.


Exercice 5 : autres éléments


Il est fait mention d'autres éléments, les faire rechercher :


- l'eau : boire, humecter.
- la terre : marcher.
(à noter que le feu ne figure pas dans ce texte).


Exercice 6 : relevons les mots relatifs au décor naturel

chemin coteau
fleur gorge
lavande noisetiers
pierres plateau
rivière rosée
terre thym

 


Exercice 7 : certains mots montrent que, pour l'auteur, la marche à pied est une manière de voyager individuelle : lesquels ?

- je (12)    - ma (5)
- j' (5)        - seul (3)
- personne
(y en a-t-il d'autres ?)

Exercice 8 : affectivité positive


Il s'agit de :
- bon (2)
- bonheur (1)
(y en a-t-il d'autres ?)

 

 

V La suite du texte de l'atelier Bosco

 

Les plus humbles me sont les plus chères. J'y tiens (et cela depuis mon enfance) par un goût que j'ai, inné, obsédant, de la vie secrète des hommes et des choses. Vie modeste, le plus souvent, monotone et, semble-t-il, vide : un village perdu derrière une colline, deux cents âmes, cinquante lampes, les travaux saisonniers, les naissances, les morts, et rien de plus... Pourtant quelque chose de plus, peut-être, et qui naît de ce rien, l'attente. Attente vague, soit, et inutile. Attente tout de même, nostalgie qui flotte partout, qui imprègne les murs, qui rôde dans les rues, qui soutient le silence, alourdit les sommeils, noue et dénoue un rêve et, au besoin, une pensée, ouvre la route (cette route toujours déserte) à un désir, crée, peut-être, le voyageur et, peut-être, l'attire sourdement... Je n'en puis douter, moi, qui de cet attrait, maintes fois, ai subi l'attraction discrète à l'approche d'un de ces lieux où je n'avais pas le dessein de faire étape et que, bien souvent, un coteau dérobait encore à ma vue. Mais cette puissance d'appel était si prenante et si douce que je me détournais du chemin prévu, chaque fois, pour aller voir ; et, chaque fois, mon c?ur battait.
Oui, il battait.
Pas très fort, peut-être, mais assez pour que ce battement me fût perceptible : plus d'ardeur dans l'esprit et dans le pas ; un choc léger... J'étais, sans savoir pourquoi, plus alerte ; et ma route, la route sage que j'avais d'abord l'intention de faire, s'infléchissait insensiblement. Je déviais. Au plaisir incompréhensible qui me pénétrait peu à peu, je devinais qu'un simple sentier avait pris la place du grave chemin départemental. Il y a ainsi des sentiers vivants qui se glissent le long des routes et, à demi cachés sous l'herbe, restent aux aguets. Ils ne disent rien. Ils sont là. Vous les voyez ; ils vous regardent ; parfois, très doucement, ils vous prennent le pied, et, pour peu que vous leur cédiez un pas, ils vous tirent hors de la route, Dieu sait où !...
C'est ainsi qu'il y a vingt ans, un matin de juillet?s(4)

 

 

VI Application : pour continuer dans le sens de l'atelier Bosco

 

On peut essayer, avec sa classe, de s'inspirer de l'atelier Bosco. Nous suggérons, pour une première application, un travail sur le texte suivant(5) , en s'inspirant de ces quelques pistes :

- les marques désignant le narrateur : 5 je, 2 ma, 2 me, 1 moi.
- les substantifs les plus répétés (deux occurrences) : maison - bêtes - lune - troupeau - sons
- le (ou les) sens qui est (sont) ici dominant (s) : trois occurrences du verbe entendre.
- les éléments : arbres, maison (charpente, toiture), puits.
- les verbes indiquant des bruits.
- le 'mouvement' des bruits perçus (approcha, s'éloignèrent, disparut).
- les sens figurés (soupirait d'aise).
- la recherche d'un titre possible.

"De toutes parts arrivaient jusqu'à moi de petits bruits. Une branche craquait, une pierre changeait de place et, dans la maison, parfois un objet remuait un peu. La charpente se dilatait et la toiture, qui avait bien souffert de la chaleur pendant le jour, soupirait d'aise. Le long des murs glissaient furtivement des bêtes. Elles sortaient à la fraîcheur pour respirer et pour regarder une ou deux étoiles... J'entendis aussi (et il était tard) une plus grosse bête. Elle vint sur le toit et ses pattes, en touchant les tuiles, les faisaient cliqueter. Dans le jardin, une autre, bien plus grosse encore, traversa une broussaille. Elle la fouilla vigoureusement. Je ne la vis pas ; mais elle s'approcha de la maison ; et je l'entendais qui soufflait, tout près du puits. La lune avait déjà baissé, quand un petit troupeau passa sur le chemin. J'allais m'endormir, mais le bruit des clarines me tint éveillé... On imaginait les brebis, errant, en quête d'une touffe d'herbe calcinée, sur ce sol rocailleux que touchaient les rayons de la lune déclinante. Petit à petit les sons s'éloignèrent. Le troupeau disparut au loin dans le silence. Il n'y eut plus, pour animer ma solitude, que l'écho intérieur dont le passage de ces bêtes lentes avait tracé, dans ma mémoire, les sons légers. Et ainsi je n'entendais plus qu'un souvenir..."



[Il y a 136 occurrences de mots-outils dans ce texte (58 formes différentes), soit environ 57 % du total de mots. D'autre part, ce texte contient 101 "mots pleins" (94 formes différentes)].


Pour aller plus loin dans l'exploitation de ce dernier extrait, on pourra se reporter à la leçon précédente, "Nuit à la belle étoile".
. .
.
[On pourra prendre éventuellement appui sur ce logiciel estimable de lexicométrie :

Textat d'origine allemande (interface francisée)].

 

 


 

 

Textes de Bosco soumis aux droits d'auteur - Réservés à un usage privé ou éducatif.

 

 

[Emprunté pour partie à SH, L'enrichissement du vocabulaire, CRDP de Grenoble, 1997, pp. 137-148]

 

 


Notes

(1) Apparemment, le seul souvenir de cet atelier peut être trouvé à l'adresse suivante : http://www.epi.asso.fr/fic_pdf/b59p115.pdf.
(2) Ma "Capture Minitel" du dimanche 19 janvier 1992, 11:02, fournissait les indications suivantes, concernant les concepteurs et/ou réalisateurs de cet ensemble :
CARFI, 3 Bd de LESSEPS, 78000 VERSAILLES. Directeur du CARFI : Daniel DIEUDONNE
Conception : Emmanuel SCHREQUE.
Informatique : Michèle BARON
Groupe pilote : Philippe CLOTEAUX, Marie-Jo DIEUDONNE, Claude ROBERT
Les auteurs : Marie-Francoise BOYER, Arlette DELAMARE, Patrick GAMBACHE, Francis VANOYE, Bertrand VILLAIN
Conseillers pédagogiques : Jean-Pierre WEILL, IPR, Chantal BERTAGNA.
[Le serveur Carfi a été fermé en 1993].
(3) On remarquera que cet index "oublie" un certain nombre de mots-outils du texte. "Voyager à pied" renferme, en réalité, 236 occurrences de mots-outils (72 entrées différentes) et 159 entrées de mots pleins (140 formes différentes). Au demeurant, le degré de lemmatisation des formes peut conduire à un autre comptage, selon qu'on regroupe, ou non, les formes dites fléchies - marques de conjugaison, nombre et genre (par exemple, ici, une seule entrée pourrait être accordée aux deux occurrences du verbe voyager ; de même on aurait pu regrouper les marques du nombre - chemin, chemins ;  plaisir, plaisirs, etc.
Enfin, pour recenser les mots-outils, nous avons eu recours à la liste dite Henmon qui, malgré son ancienneté, nous paraît toujours fiable. Par ailleurs, on notera la confusion entre est (auxiliaire être) et Est (le vent d'Est), ce qui est un signe discret  des difficultés inhérentes au traitement lexicométrique des textes.
(4) Il s'agit du début (pp. 10-11) de l'ouvrage Un rameau de la nuit (Ed Flammarion, 1950, transféré aux Ed. Gallimard, 1970, 411 p.), plus exactement des premières pages du premier chapitre, Une simple halte. Comme la plupart des héros de Bosco, le narrateur, Frédéric Meyrel, est un être secret, attiré par le mystère.  Comme le montre la phrase que j'ai soulignée dans ce second extrait - extrait, au demeurant, beaucoup plus difficile à comprendre par des élèves de cycle III que la partie précédente.
(5) Extrait de Henri Bosco, Antonin (1e éd. 1952, rééd. Folio, 1992), pp. 406-407.
 

 

 

 

 

CLASSES DE PREMIÈRE ET TERMINALES - MÉTHODOLOGIES : DES MOTS AUX TEXTES

(ou pour aller beaucoup plus loin que la simple lexicologie)

 

Depuis plusieurs années, les étudiants sont initiés à la linguistique et aux méthodes modernes de critique ; devenus professeurs licenciés, certifiés ou agrégés, ils désirent utiliser dans leur enseignement les techniques nouvelles qui leur semblent enrichissantes, mais ils courent un double risque : ou bien appliquer hâtivement des procédés "scientifiques" qui bouleversent les habitudes et troublent les élèves (les membres des jurys de concours et les inspecteurs entendent souvent des explications de texte qui s'inspirent maladroitement de méthodes mal assimilées) ou bien, gênés par les traditions, en butte à l'ironie ou à l'hostilité de leur entourage, se décourager, abandonner le meilleur même de leurs acquisitions et suivre le chemin facile de la routine.

Les professeurs plus anciens, qui voient naître de partout les théories et les innovations, sont partagés, du moins ceux qui sentent le besoin de renouveler leur pédagogie, entre l'inquiétude et le désir de connaître ces méthodes nouvelles. Mais l'Université est lointaine, les servitudes accablantes [hum... note SH] et la mise à jour demande un effort long et pénible. Aussi, en cette période de mutation, l'explication de texte et la lecture dirigée sont-elles des exercices qui suscitent des discussions passionnées.

Le petit livre que M. Lerat a accepté de rédiger [Collection Méthodologies : fascicule n° 5, des mots aux textes] vient, me semble-t-il, à son heure, pour que nos collègues puissent s'interroger, discuter, comprendre, à condition, selon le v?u de l'auteur lui-même, que l'on ne considère pas cette étude comme la méthode qui, sur les ruines du passé, remplacerait toutes les autres, à condition que l'on médite l'ensemble de l'ouvrage avant de juger tel exemple ou telle phrase, à condition que le professeur consulte les livres de base auxquels renvoie M. Lerat et connaisse ainsi la raison profonde de ce qui est ici, par nécessité, allusif ou trop schématique.

L'auteur, en se référant aux linguistes et aux critiques contemporains, multiplie les mises en garde contre le formalisme, l'arbitraire, le dogmatisme ; il suggère souvent le moyen de recourir à d'autres types d'analyse mais son propos n'est pas de présenter ces autres méthodes ; dès le début, il indique son hypothèse de travail : par l'étude du vocabulaire, "faire découvrir des significations".

Sans doute les mots techniques de cet opuscule feront-ils peur à certains : l'usage des termes de la rhétorique traditionnelle (que les professeurs du XIXe siècle connaissaient mieux que nous), l'emploi de mots nouveaux créés par les linguistes sont, dans le domaine ici exploré, tout à fait indispensables ; mais l'auteur a tenté par tous les moyens de pallier cet inconvénient et de réaliser une véritable initiation : explications dans le cours du texte, notes, renvois, lexique terminologique.

Il convient enfin de préciser que les divers exemples commentés ne doivent pas être utilisés tels quels dans les classes ; si, grâce à cet essai, les professeurs sont informés des problèmes qui se posent et se poseront de plus en plus, s'ils ressentent le désir de poursuivre cette étude en lisant les ouvrages qui leur sont conseillés, ils sauront par là même enrichir leur enseignement et, en confrontant leurs découvertes, leurs objections ou leurs critiques, contribuer peut-être à éviter une nouvelle querelle des anciens et des modernes. - R. Létoquart

 

 

 

 

LES MOTS ET LES RÉSEAUX SÉMANTIQUES - LA LEXICOLOGIE LITTÉRAIRE

 

 

Il est toujours tentant de remplacer une illusion par une autre. Les amateurs de facilités n'ont jamais dédaigné de substituer à l'examen d'un texte le rappel d'un fait de biographie, d'histoire, de psychologie, de sociologie, ou plus récemment, de psychanalyse. De la même façon, au nom de la linguistique on se livre quelquefois à de vains inventaires, arbitraires quand ils sont partiels, fastidieux quand ils sont exhaustifs, de sonorités ou de constructions. De la même façon encore, en se réclamant de la lexicologie, il peut être tentant de se retrancher derrière la statistique peu utile quand elle s'applique à des ?uvres entières, complètement stérile si elle porte sur un extrait ou, confondant les thèmes avec n'importe quelle notion isolée, de détecter dix prétendus thèmes en vingt lignes !

Ces mises en garde ne visent ni la véritable lexicologie quantitative, science auxiliaire de la stylistique (voir Charles Muller, Initiation à la statistique lexicale, Larousse 1968) et de l'histoire (voir A. Prost, "Vocabulaire des élections de 1881 et 1885 et typologie des familles politiques", Cahiers de lexicologie, 1969-11), ni la thématique proprement dite (voir les travaux de G. Bachelard et J.-P. Richard, en particulier).

Il y a deux raisons d'être prudent :

Si l'on se montre formaliste, dans une explication de texte, ce ne peut être que pour clarifier l'analyse, et si la formalisation ne doit rien apporter à l'explication, mieux vaut ne rien formaliser.

Les études les plus fécondes en lexicologie sont celles qui reposent essentiellement sur :

- une analyse fine du contenu (une bonne grille, qui tient compte à la fois des caractères logiques, grammaticaux, subjectifs et culturels des mots, est celle que propose B. Pottier dans sa Présentation de la linguistique, Klincksieck 1967) ;

- les entours contextuels des mots, qui permettent de dégager des microstructures plus ou moins constantes : simples "co-occurrences" mécaniques ou au contraire "corrélations fonctionnelles", pour reprendre l'utile distinguo que fait M. Tournier dans son article "Approche d'une définition statistique des co-occurrences de vocabulaire" (Sozialer Wortschatz in der französischen Literatur, Halle 1970) ;

- les "effets par évocation", comme disait Bally, dans son Traité de stylistique française (Klincksieck 1951), c'est-à-dire tout ce que les mots véhiculent d'expérience individuelle ou collective auxquelles ils sont plus ou moins associés.

On tentera ici une analyse du premier type, limitée à des unités de sens qui, par leur jeu vérifiable à l'intérieur du texte, permettent d'en établir une lecture à la fois cohérente et objective.

 

 

LE SON DU COR

 

 


Le son du cor s'afflige vers les bois
D'une douleur on veut croire orpheline
Qui vient mourir au bas de la colline
Parmi la brise errant en courts abois.


L'âme du loup pleure dans cette voix
Qui monte avec le soleil qui décline
D'une agonie on veut croire câline
Et qui ravit et qui navre à la fois.


Pour faire mieux cette plainte assoupie,
La neige tombe à longs traits de charpie
À travers le couchant sanguinolent,


Et l'air a l'air d'être un soupir d'automne,
Tant il fait doux par ce soir monotone
Où se dorlote un paysage lent.

 

VERLAINE, Sagesse (Messein éd.)

 

 

Ce sonnet en décasyllabes laisse chez le lecteur une impression de langueur, funèbre et douce à la fois. Il pourrait donc être tentant de constituer simplement deux champs lexicaux et de montrer leurs intersections : pédagogiquement, ce ne serait pas sans intérêt, car le texte est si nuancé que les élèves seraient obligés de faire un effort d'analyse sémantique tout à fait heureux. Mais on procéderait à un inventaire statique, qui ne montrerait pas comment est fabriqué le poème, vers après vers. C'est pourquoi, après avoir constaté ce climat particulier et relevé le procédé stylistique majeur du texte, qui est la discordance entre des sujets non humains et des prédicats humains [Prédicat : en grammaire, ce qui est affirmé à propos du sujet de la proposition], on s'attachera à montrer comment le thème est de strophe en strophe introduit, développé, et ... presque aboli à force de retouches. En effet les deux équations poétiques mentionnées ci-dessus (funèbre = doux ; non-humain = humain) s'accompagnent d'une troisième aussi paradoxale (dynamique = statique, comme le prouve le passage des verbes de mouvement à des verbes d'état, à l'image de ce "paysage lent").

 

 

Premier quatrain

 

1. "Le son du cor (non humain) /"s'afflige" (humain).
"vers les bois" : statique, ou dynamique ?

2. "D'une douleur" : complément d'objet interne, ou complément circonstanciel ?
"orpheline" : attribut d'un pronom relatif sous-entendu plutôt qu'épithète de "douleur".

On voit que l'ambiguïté n'est pas seulement dans le thème, mais dans les constructions.

3. "mourir" ne convient guère à une douleur, mais plutôt à un être (l'animal chassé ?) ou au son du cor, à la rigueur (ne dit-on pas qu'un bruit expire ?).

4. "errant " détermine quel substantif ? "La brise ", bien sûr ; mais pourquoi pas, également, cette "douleur" qui "vient mourir" au vers précédent ? La coupe du vers se plaçant normalement après la quatrième syllabe, "errant" n'est pas étroitement associé à "brise" et l'ambiguïté syntaxique en est ainsi accentuée. Allons plus loin : ces "courts abois", qui les émet ? La brise ? "en courts abois " est difficilement un complément de "errant" ! La douleur ? "en courts abois" serait alors un complément de "mourir", ce qui n'est pas absurde puisque, nous l'avons vu, ce prédicat convient à un bruit.

Ainsi sont inextricablement mêlés les éléments d'un thème qui semble provisoirement - "on veut croire " ! - celui d'une chasse à courre. En fait, les métaphores anthropomorphiques ("s'afflige" et "orpheline") montrent déjà que Verlaine n'a pas en vue la description d'une scène de chasse. Et quoi de moins pittoresque que ces articles définis qui ne définissent rien : "les bois", "la colline" ?

 

 

Deuxième quatrain

 

1. "loup" (non humain) / "pleure ... voix" (humain)
En fait, l'élément humain l'emporte largement, puisque le sujet n'est pas à proprement parler le "loup", mais "l'âme du loup".

2. Antithèse entre "monte" et "décline". Voilà pour une lecture superficielle. De fait, "décline" est le prédicat d'un sujet pour lequel ce verbe a une acception toute technique : le soleil "monte" le matin et "décline" le soir. Mais comment ne pas donner, dans ce contexte à dominante "humaine", un sens funèbre à "décline" ?

3. a) L'enjambement lève l'ambiguïté: "décline", qui au point de vue de la versification fait partie de la même unité que "monte", se trouve syntaxiquement complété par "agonie", qui impose un sens funèbre. À moins qu' "agonie" ne soit complément de "pleure", plutôt que de "décline" ? Comme aucun des deux verbes ne se construit normalement ainsi, leurs chances sont égales, en sorte que toute lecture qui exclurait l'une des deux possibilités serait :
- arbitraire,
- mutilante (ce qui est déjà plus grave),
- anti-poétique, si la poésie "est un langage qui tend vers l'opacité" [T. Todorov, Littérature et signification, Larousse 1967, p. 116] et qui par conséquent s'oppose radicalement au "langage transparent" que nous recherchons spontanément pour communiquer avec autrui (fonction référentielle).

b) "agonie" (funèbre) / "câline" (doux).

c) La répétition de "on veut croire" constitue une sorte de refrain, donc cet énoncé prosaïque est valorisé, autrement dit poétisé. À noter l'absence de l'auteur : "on" est un sujet impersonnel, ou unanime.

4. "ravit" (douceur) "navre" (tristesse).
Les deux champs lexicaux sont associés par une syntaxe qui exprime de façon redondante leur mélange : "et qui ... et qui ... à la fois".

 

 

Premier tercet

 

1. "assoupie" (douceur) "plainte" (tristesse).
"Neige", sujet de "faire ", est de la classe sémantico-syntaxique des "non-animés", ce qui contribue à l'étrangeté de cet infinitif prépositionnel qui en principe exprime une finalité (ce qui impliquerait une volonté inhérente à la neige).

2. "charpie" rappelle "décline" et "agonie", avec lesquels il constitue un micro-champ lexical de la blessure mortelle, qu'il convient de rattacher lui-même à l'hallali de la première strophe et, plus largement, au thème de la douleur.

3. Confusion de deux nouvelles catégories : matériel ("neige ... tombe à travers") / immatériel ("le couchant"), De même, "sanguinolent", adjectif concret, s'oppose à "couchant", nom abstrait. La matérialité du paysage se trouve mise en question.

 

 

Deuxième tercet

 

1. Sa coloration sentimentale n'est pas moins incertaine : "a l'air" rappelle les deux "on veut croire". Mais ce "a l'air" incite à se poser une question plus fondamentale encore : à qui l'air semble-t-il être un soupir d'automne ? Au poète ? À ce "on" des vers 2 et 7 ? Probablement au poète, mais à un poète détaché et ironique, qui joue avec les mots ("l'air a l'air") comme avec la gamme des sentiments (cette douceur funèbre) et avec les clichés culturels du romantisme (le "son du cor", le "loup" et les "abois" chers à Vigny).

Quant au "soupir d'automne" (après "la neige" ?), il représente le dernier maillon d'une chaîne sémantique : la série des bruits, qui va decrescendo, depuis le "son du cor". Une nouvelle fois, on notera que le non-humain (l'automne) a un comportement humain (il soupire).

2. "il fait doux" minimise la cruauté apparente des trois strophes précédentes et invite à ne pas l'exagérer !

3. "dorloter" : entourer de soins, de tendresse (Petit Robert). "se dorloter" : verbe pronominal réfléchi. Verlaine projette sur un paysage (mi-imaginaire, mi-conventionnel) son propre narcissisme !
"paysage" (espace) / "lent" (temps). Cet ultime brouillage logique confirme l'impression d'irréalité, ou plutôt d'effacement d'une réalité posée initialement, qui fait une partie du plaisir - plus subtil que vif - de la lecture du sonnet de Verlaine.

 

 

Au-delà du texte

 

Avec une bonne classe de Première ou une Terminale, il serait intéressant de dégager un portrait psychologique de Verlaine en intégrant cette étude dans un ensemble de plusieurs poèmes représentatifs à ce point de vue. On s'inspirerait avec profit de l'étude classique de J.-P. Richard sur la "fadeur" de Verlaine dans Poésie et profondeur (Éditions du Seuil).

En Seconde, on pourrait faire découvrir plusieurs aspects majeurs de la littérature française du XIXe siècle en abordant successivement le thème du loup à travers :
- un poème didactique (Vigny, La Mort du loup),
- un récit fantastique (Maupassant, Le loup),
- un poème symboliste (celui-ci).

 

 

Nota Bene

 

L'étude de contenu préalable à l'explication ci-dessus est très simple. Elle porte sur le jeu limité des traits sémantico-logiques (humain / non-humain, matériel / immatériel) et sur celui, plus restreint encore, des antonymes ou contraires sémantiques (décline / monte). L'examen des prépositions - plus ou moins "vides", plus ou moins "pleines" - l'enrichit d'une dimension extra-lexicale de la sémantique : la sémantique syntaxique, qui traite du sens des constructions (ou fonctions).

 

 

© Pierre Lerat, Assistant agrégé à l'Université d'Orléans, in Les Humanités - Hatier, mai 1972, n° 476