Une étude relativement ancienne (1984), mais qui n'a pas vieilli et peut encore rendre de grands services, parue dans le cadre de la collection "Des textes, avec ou sans ordinateur".

 

"Essayer de dégager avec précision et d'une façon structurée les intentions de l'auteur et les moyens mis en œuvre".

 

 

 

I. Le texte

 

C'était Maheu qui souffrait le plus. En haut, la température montait jusqu'à trente-cinq degrés, l'air ne circulait pas, l'étouffement à la longue devenait mortel. Il avait dû, pour voir clair, fixer sa lampe à un clou, près de sa tête ; et cette lampe, qui chauffait son crâne, achevait de lui brûler le sang. Mais son supplice s'aggravait surtout de l'humidité. La roche, au-dessus de lui, à quelques centimètres de son visage, ruisselait d'eau, de grosses gouttes continues et rapides, tombant sur une sorte de rythme entêté, toujours à la même place. Il avait beau tordre le cou, renverser la nuque : elles battaient sa face, s'écrasaient, claquaient sans relâche. Au bout d'un quart d'heure, il était trempé, couvert de sueur lui-même, fumant d'une chaude buée de lessive. Ce matin-là, une goutte, s'acharnant dans son œil, le faisait jurer. Il ne voulait pas lâcher son havage, il donnait de grands coups, qui le secouaient violemment entre les deux roches, ainsi qu'un puceron pris entre deux feuillets d'un livre, sous la menace d'un aplatissement complet. Pas une parole n'était échangée. Ils tapaient tous, on n'entendait que ces coups irréguliers, voilés et comme lointains. Les bruits prenaient une sonorité rauque, sans un écho dans l'air mort. Et il semblait que les ténèbres fussent d'un noir inconnu, épaissi par les poussières volantes du charbon, alourdi par des gaz qui pesaient sur les yeux. Les mèches des lampes, sous leurs chapeaux de toile métallique, n'y mettaient que des points rougeâtres. On ne distinguait rien, la taille s'ouvrait, montait ainsi qu'une large cheminée, plate et oblique, où la suie de dix hivers aurait amassé une nuit profonde. Des formes spectrales s'y agitaient, les lueurs perdues laissaient entrevoir une rondeur de hanche, un bras noueux, une tête violente, barbouillée comme pour un crime. Parfois, en se détachant, luisaient des blocs de houille, des pans et des arêtes, brusquement allumés d'un reflet de cristal. Puis, tout retombait au noir, les rivelaines tapaient à grands coups sourds, il n'y avait plus que le halètement des poitrines, le grognement de gêne et de fatigue, sous la pesanteur de l'air et la pluie des sources.

 

 

II. Présentation

 

Le texte à commenter, proposé aux candidats à l'épreuve anticipée de français, est extrait du chapitre 4 de la première partie de Germinal ; il présente le mineur Maheu et ses compagnons au travail. Peu ambigu, assez redondant, aisément compréhensible, il donne lieu dans les devoirs d'une classe de première (C) à un discours bavard sur le dur labeur des mineurs, sans que soient dégagés avec précision et d'une façon structurée les intentions de l'auteur et les moyens mis en œuvre.

Une étude plus systématique du vocabulaire s'impose donc. L'index va la favoriser, donnant à toute forme du texte (lexicale ou fonctionnelle) sans exception la même "attention", sans privilégier l'une au détriment de l'autre.

Pour un texte de cette longueur l'index alphabétique se révèle d'un maniement plus simple que l'index hiérarchique. Bien entendu, le retour au texte doit être aussi fréquent qu'il est nécessaire.

 

 

Déroulement de l'exercice

 

On procède à un regroupement des formes lexicales et fonctionnelles en champs lexicaux. Il fait apparaître :

 

- des "personnages" :


Maheu 1
il 7
ils 1 (sans référent)
tous 1
on 2
elles 1 (ne renvoie pas à des personnes, mais à "gouttes")

On note à ce propos la faible désignation des personnages, on remarque l'absence de "hommes, femmes, ouvriers" et autres synonymes, pourtant c'est un groupe de travailleurs qui est décrit.

 

- les parties du corps, par contre, sont bien représentées :

bras hanches taille
cou nuque tête
crâne     œil    visage
formes     poitrines     yeux


  Il y a ici enrichissement du commentaire grâce à l'étude de l'index : les actants, à l'exception de Maheu, ne sont désignés que par le pronom "ils" sans référent dans ce passage, "tous" et "formes" (spectrales) et par certaines parties du corps, fréquemment au singulier, ce qui souligne une volonté étonnante chez Zola de gommer leur identité professionnelle et sociale pour donner du groupe une vision un peu "surréaliste" (des fragments d'individus, plutôt que des individus reconnaissables).

 

- le second champ lexical, la mine (non nommée) regroupe des formes comme :

air gaz pluie
arêtes goutte(s) poussières
buées havage reflet
blocs houille rivelaines
charbon humidité roche
cheminée lampes sources
degrés mèches suie
eau pans  

 

On trouve ici peu de termes techniques (havage et rivelaines), alors qu'ils sont fréquents dans d'autres passages de Germinal. C'est donc la description d'un milieu moins caractérisé qu'on aurait pu le penser à la seule lecture du texte.

 

- le troisième champ lexical :


(mais l'ordre importe peu), le plus vaste, est celui de l'effort et de la souffrance dont toutes les nuances apparaissent dans le texte. Son importance justifie un sous-classement par catégories grammaticales. Il contient :

 

des verbes :

 

acharnant agitaient
achevait de ... battaient
aggravait brûler
chauffait ruisselait
claquaient secouaient
écrasaient souffrait
jurer tapaient
pesaient tombant
renverser tordre etc.
tomber  

 

des adverbes :

,
 
brusquement, violemment

 

des qualificatifs :

 
alourdi, rauque
entêté, violents
mortel, trempé

 

des substantifs :

 

 aplatissement  halètement
 crime  menaces
 étouffement  mort
 fatigue  pesanteur
 gêne sang
 grognement supplice

 

On peut y déceler plus précisément, en plus de l'effort, le thème du supplice, de la "gêne" qui devient géhenne (enfer), qui explique alors cet anonymat dans la présentation des actants dans la deuxième partie du texte.
Apparaissent même, pour être plus précis, le supplice de l'eau :
    buée     humidité
    eau     lessive
    goutte     ruisselait
    gouttes     trempé
("continues" et "rapides")

et le supplice du feu,
    brûler     chaude
    trente-cinq     sueur
(degrés)

Ce milieu décrit et mal nommé est enfer, sans que le mot soit prononcé :

 

crime mortel
formes noir
fumant nuit
lueurs spectrales
luisaient suie
points (rougeâtres) ténèbres
mort tordre

 

Évidemment, le retour constant au texte permet de repérer les syntagmes que l'index dissocie, et qui viennent renforcer les intentions mises en lumière par l'index.
Exemple:
    à la longue     toujours à la même place
    sans relâche     il avait beau etc.

et les comparaisons : celle du puceron par exemple ; ici l'explication traditionnelle reprend tous ses avantages.
La classe suggère alors, à partir de cette nouvelle lecture produite par l'étude de l'index, un plan possible du commentaire (donné ici à titre indicatif).

A) De l'individuel à l'anonymat collectif (opposition entre la première partie du texte, au singulier, consacrée à Maheu, et la deuxième consacrée à ses camarades).

B) De la description réaliste à la "vision" :
- les conditions de travail du mineur
- les transformations du lieu des actants

C) La mine, symbole de l'enfer :
- la souffrance
 les supplices de l'eau, du feu
 l'éternité, la mort (symbolique)

L'index, par sa formalisation nouvelle des éléments de la chaîne syntagmatique, permet une étude moins intuitive, plus systématique, plus complète, du vocabulaire d'un texte. Il apparaît nécessaire même lorsque le texte semble "clair", car dans ce cas la lecture de l'élève est plus globalisante que jamais, et son commentaire plus paraphrastique.
Il reste entendu que l'étude de l'index ne peut constituer à elle seule un commentaire. Sa pratique habitue l'élève à observer les mots et à se poser des questions à leur sujet, ce qui est essentiel.

 

 

GERMINAL : Index hiérarchiques

 

A. MOTS-OUTILS (199 dont 60 différents):


18: de ;
10: la, un ;
9: des, une ;
8: d', et, les ;
7: le, il ;
6: à ;
5: son, l', s ;
4: qui, que, n'
3: au, avait, sa, pas, ne, y, lui, était ;
2: en, grands, deux, même, dans, on, comme, par, plus, qu', pour, sur, sans ;
1: voulait, aurait, ce, c', cette, ces, du, donnait, elles, fussent, faisait, ils, leurs, mais, où, prenaient, pris, se, tout, tous, quelques, voir.

 

B. AUTRES MOTS (184 dont 171 différents):


3: sous, coups, air ;
2: montait, lampe, tête, entre, ainsi, tapaient, noir ;
1: rivelaines, retombait, puis, cristal, reflet, allumés, brusquement, arêtes, pans, houille,
blocs, luisaient, détachant, parfois, crime, barbouillée, violente, noueux, bras, hanche,
rondeur, entrevoir, laissaient, perdues, lueurs, agitaient, spectrales, formes, profonde, nuit,
amassé, hivers, dix, suie, oblique, plate, cheminée, large, ouvrait, taille,
rien, distinguait, rougeâtres, points, mettaient, métallique, toile,  chapeaux, lampes, mèches,
yeux, pesaient, gaz, alourdi, charbon, volantes, poussières, inconnu, épaissi, sourds,
irréguliers, halètement, échangée, parole, complet, aplatissement, menace, pesanteur, livre, puceron,
feuillets, poitrines, roches, grognement, violemment, secouaient, pluie, havage, lâcher, jurer,
œil,  acharnant, goutte, là, matin, lessive, buée, chaude, fumant, sueur,
couvert, trempé, heure, quart, bout, relâche, claquaient, écrasaient, face, battaient,
nuque, renverser, cou, tordre, beau, place, toujours, entêté, rythme, sorte,
tombant, rapides, continues, gouttes, grosses, eau, ruisselait, visage, centimètres, dessus,
roche, humidité, surtout, aggravait, supplice, sang, brûler, achevait, chauffait, crâne,
gêne, clou, près, fatigue, fixer, clair, dû, mortel, devenait, longue,
étouffement, circulait, sources, degrés, cinq, jusqu', trente, Maheu, température, souffrait, haut.

 

 

 

 

GERMINAL : Index alphabétique

 

 

à distinguait lessive rauque
acharnant dix leurs reflet
achevait donnait livre relâche
aggravait du lointains renverser
agitaient longue retombait
ainsi eau lueurs rien
air échangée lui rivelaines
allumés écho luisaient roche
alourdi écrasaient Maheu roches
amassé elles mais rondeur
aplatissement en matin rougeâtres
arêtes entendait mèches ruisselait
au entêté même rythme
aurait entre menace s'
avait entrevoir métallique sa
barbouillée épaissi mettaient sang
battaient et montait sans
beau était mort se
blocs étouffement mortel secouaient
bout face n' semblait
bras faisait ne son
bruits fatigue noir sonorité
brûler feuillets noueux sorte
brusquement fixer nuit souffrait
buée formes nuque sources
c' fumant oblique sourds
ce fussent œil sous
centimètres gaz on spectrales
ces gêne sueur
cette goutte ouvrait suie
chapeaux gouttes pans supplice
charbon grands par sur
chaude grognement parfois surtout
chauffait grosses parole taille
cheminée halètement pas tapaient
cinq hanche perdues température
circulait haut pesaient ténèbres
clair havage pesanteur tête
claquaient heure place toile
clou hivers plate tombant
comme houille pluie tordre
complet humidité plus toujours
continues il points tous
cou ils poitrines tout
coups inconnu pour trempé
couvert irréguliers poussières trente
crâne jurer prenaient un
crime jusqu près une
cristal l' pris violemment
d' la profonde violente
dans puceron visage
de lâcher puis voilés
degrés laissaient qu' voir
des lampe quart volantes
dessus lampes que voulait
détachant large quelques y
deux le qui yeux
devenait les rapides  

 

© Rencontres pédagogiques n° 3 (1984), "Des textes, avec ou sans ordinateur", INRP, Paris, 127 pp.
Texte de Zola : Pléiade III, pp. 1164-1165

 

 


 

 

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