Le Roux, 17 août 1898

 

Monsieur le Préfet,

 

J'ai l'honneur de vous exposer que le 14 courant, comme les deux années précédentes à peu près à pareille époque, un bal indécent fut donné à l'occasion d'une vogue nouvellement établie, sous les yeux des enfants, durant la plus grande partie de la journée et de la nuit devant la maison d'école communale de notre chef-lieu.
Les musiciens qui dirigeaient ces danses déshonnêtes étaient sur une espèce d'estrade appuyée sur la façade auprès de l'entrée de cette maison.
Les jeunes danseurs et danseuses, personnes sans pudeur, le ramassis, pour ne pas dire l'égout des fabriques de Montpezat et des environs, se tenaient, se traînaient en dansant, avec des manières et des gestes si indécents que tous les spectateurs honnêtes disaient, en haussant les épaules : "quel scandale pour les enfants devant la maison d'école !"


Mon devoir de curé m'oblige à vous signaler un désordre si révoltant, persuadé que vous voudrez bien en empêcher le renouvellement.

 

J'ai l'honneur d'être, Monsieur le Préfet :

 

Votre très humble et très obéissant serviteur.

 

Le curé desservant du Roux,

 

Brun

 

 

 

Le Roux, 28 août 1898

 

Objet : Bal prétendu indécent

 

Monsieur le Préfet

 

Je suis bien aise d'avoir reçu communication de la lettre de M. le Curé du Roux, que je puis vous déclarer fausse, mensongère d'un bout à l'autre, et non fondée.

Chaque année, la fête votive du Roux a le don d'exaspérer M. Brun, prêtre très intolérant, dont les écarts de langage font parler tout le monde dans la commune, et soulèvent un mécontentement général.

Il y a deux ans, il écrivit de même à M. l'Inspecteur d'Académie, prétendant que le bal avait eu lieu dans la cour de l'école, alors qu'il avait lieu à la place publique devant la maison d'école. M. le Maire, décédé aujourd'hui, donna les renseignements nécessaires et reçut la lettre ci-jointe.

J'ai cette année autorisé la fête votive, comme les années précédentes. Connaissant l'intolérance de M. le curé, je suis resté au Roux toute la journée, pour voir par moi-même comment cela se passait.

Quatre musiciens, placés sur une estrade devant la maison d'école, ont joué des danses. Quelques danseurs et danseuses ont valsé le plus honnêtement qu'il soit possible, et ce n'est pas du tout ce que prétend M. Brun, qui ne peut rien voir et dénature les choses les plus simples.
Après souper, on a encore joué quelques danses, jusqu'à 10 h du soir et non toute la nuit.

Il n'y a eu aucun trouble, aucune rixe, aucune dispute, aucune danse indécente, aucun fait scandaleux comme il le dit, aucun désordre.
Je désirerais de tout cœur que M. le Préfet fît faire une enquête, et il aurait la certitude du mécontentement général de la Commune, et des faits ci-après :

 

1°. Le 14 juillet, j'ai fait illuminer la maison d'école et fait partir un petit feu d'artifice, pétards, serpenteaux et fusées volantes. Quelques jours après, il me fait des reproches, me disant que c'était un scandale pour les enfants. De même, il prétend que les danses les plus honnêtes sont un scandale devant la maison d'école. Mais le dimanche 14 août, la musique ne devait guère déranger en classe les enfants en vacances ! Je laisse à M. le Préfet le soin de juger.

 

2°. Le Dimanche avant la fête votive et le jour de la fête, il a dit la messe et les vêpres à 6 h du matin, pour punir les gens, menaçant en chaire le parents du refus des sacrements, s'ils venaient voir la fête.

 

3°. Le Samedi soir, au moment où les jeunes gens aplanissaient le bal, il est venu sur la place leur faire une scène, prétendant qu'une partie de la voie était sienne.

 

4°. Le 14, matin, il a fait faire la procession autour de l'emplacement du lieu où devait se tenir le bal.

 

5°. Le Dimanche 14, dans la soirée, il a traversé le bal au moment qu'on [sic] dansait, et ce pour provoquer les gens, mais personne n'a rien dit.

 

6°. Le 15 août, jour de fête, il a prononcé des paroles si déplacées que plusieurs personnes sont sorties pendant qu'il prêchait : c'était dans l'église, un bruit, un bourdonnement, un brouhaha indescriptibles, à tel point qu'on entendait distinctement les paroles de mécontentement.

 

7°. Le Dimanche 21 août, scènes encore plus déplorables : plusieurs femmes, vu ses paroles on ne peut plus déplacées et inconvenantes, sont même sorties pendant qu'il prêchait.

 

 

Ces faits sont scandaleux de sa part, et il serait utile qu'ils prennent fin.

Je laisse à M. le Préfet le soin de juger de quel côté est la vérité, et je le répète, je serais fort aise que vous fussiez renseigné par une enquête sérieuse.

J'oubliais de vous dire qu'il avait annoncé qu'il voulait écrire à M. l'Inspecteur d'Académie et à M. le Préfet, et jamais je ne l'aurais cru capable d'écrire de tels mensonges !

Afin d'y mettre un terme et éviter à M. l'Inspecteur d'Académie la peine de se renseigner, je vous prierai de vouloir bien lui communiquer la présente réponse.

Persuadé que vous regarderez cette lettre de M. Brun comme nulle et non avenue, comme émanant d'un homme intolérant et insupportable.

 

Je vous prie d'agréer, Monsieur le Préfet, l'assurance de mon respectueux dévouement.

 

Le Maire,

 

Vigne

 

 

Transmis à Monsieur le Préfet en réponse à sa note du 22 août courant, en exprimant l'avis qu'il n'y a pas lieu de donner suite à la plainte du desservant, en présence des explications fournies par M. le Maire.

 

Le Sous-Préfet.

 

 

 

 

AdA