B********, ce mercredi 30-12-64

 

Ma chère petite Yvette, mes chers amis,

 

Dehors tout est blanc, le thermomètre marque moins 12, mais dans ma cuisine le fourneau ronfle et je suis bien au chaud. Je suis seule dans la maison, et ma pensée revivant le passé, je songe à ceux qui me sont chers et qui ne m'oublient pas. Je sais que vous êtes de ceux-là, et je vous remercie de votre si fidèle et si sûre affection.

Je ne veux pas laisser s'achever 1964 sans venir de tout cœur vous adresser mes meilleurs vœux pour une année nouvelle que je vous souhaite très heureuse pour vous tous et chacun des vôtres en particulier. Que Dieu notre Bon Père vous bénisse dans tous vos projets, que sa Main d'amour se pose sur chacune de vos têtes, et que sa volonté vous paraisse bonne...

Comment va ce cher Louis ? Avez-vous eu ensemble de bonnes fêtes de Noël... Moi, j'ai reçu plusieurs invitations pour aller d'ici ou de là, et finalement j'ai choisi R***.

Je croyais y être un peu gaie, mais hélas tout parle de l'absent, il y avait quatre mois le 25 que je l'accompagnais au cimetière... J'ai été choyée, très gâtée, mais en suis revenue dimanche avec le noir... Je me réjouissais d'aller au culte à C*** , une pleine auto de jeunes et moi sommes partis et, ignorant que le pasteur avait avancé l'heure du culte d'une heure, sommes entrés au temple à la fin de la Sainte-Cène... c'est-à-dire juste pour la bénédiction. Ceci m'a bien peinée, vous pouvez croire !!!

Pour vendredi 1er janvier, je dois aller déjeuner à C***, chez mon neveu le docteur G***., mais vu le mauvais état des routes je ne sais pas si cette sortie aura lieu.

Il paraît qu'ici la chapelle était pleine à craquer, et la collecte a dépassé 100 000 frs... Dimanche tantôt il y avait le goûter des anciens, dans la salle de l'hôtel... Pourquoi ? Je l'ignore, mais tandis que les deux années précédentes, une quarantaine de vieilles personnes se réunissaient, il n'y en avait que douze. C'est vraiment regrettable...

Que je n'aille pas plus loin sans vous dire merci pour votre bonne longue lettre et pour vos gâteaux... Virginie les connaissait, c'est un peu de pogne mais moins épaisse que chez nous, et parfumée à l'huile d'olive... Mes amis A*** et moi nous en sommes régalés.

Nos braves A*** n'ont vraiment pas de chance. Samedi, une journée de tourmente, affreuse, a eu lieu, le mistral déchaîné s'est plu à arracher les toitures, les tuiles, etc. etc.

Afin de pouvoir si possible augmenter leurs revenus, Robert A***, grâce à un prêt, avait fait construire un poulailler avec 800 bêtes. À la tombée de la nuit, alors que le vent hurlait, le brouillard épaississait, un grand bruit s'est fait entendre ; et plus de lumière...

Robert a pris sa voiture et, roulant à 10 à l'heure, a pris la direction et décision de venir ici, pour aviser l'EdF de la panne. Le téléphone ne marchant plus lui aussi. En arrivant près de son poulailler, il a eu une drôle de sensation... les plaques d'Éternit de sa toiture étaient sur le chemin, et en volant avaient sectionné les fils du téléphone et de l'électricité. Heureusement que ce n'était pas le courant de haute tension, sans cela Robert aurait été électrisé [sic]. Il a fallu chercher les poules, les mettre dans un grenier, et puis il faut remonter la toiture ? Pauvres amis, la chance n'a pas été encore pour eux.

Tante Virginie va assez bien, mais est très frileuse. Elle ne sort guère avec ce vilain temps, mais elle continue à œuvrer pour notre vente, et avec ses doigts de fée elle nous confectionne toujours de belles choses.

Cet après-midi, la réunion de couture sera sans doute peu fréquentée. Néanmoins, si quelques dames avaient un peu de courage, j'ai éclairé un bon feu dans la salle à manger, afin qu'elles n'aient pas froid.

En ce moment, nous avons fait pas mal de robes de poupées sur commande. Nous avions reçu du taffetas blanc, et cela nous a permis de coudre de beaux costumes. Nous avons aussi fait des jupons pour jeunes filles, ils sont d'un très bel effet. Seriez-vous assez gentille, ma chère Yvette, de m'envoyer le tour de taille de Jeanne et sa hauteur de jupe, ainsi que la hauteur pour une combinaison de votre petite fille. Cela me serait utile et je pourrai leur faire plaisir... ne tardez pas à me le dire.

Nos journées rurales auront lieu les 15, 16 et 17 janvier, je vous enverrai sans doute bientôt les programmes, souhaitons que le beau temps revienne et que les chemins soient meilleurs, afin qu'elles aient le succès demandé.

Avez-vous des nouvelles d'Hermione ? Je ne sais rien de sûr, mais le jeune ménage n'est plus à R***, et par la rumeur publique on parle de divorce... que je souhaite mentir, car cela serait si triste !!

La semaine dernière, on a enseveli Émile M***, décédé après une longue et douloureuse maladie. Il s'est éteint le 20 décembre, 20 ans après, jour par jour que sa mère, et au même âge. Mon étions assez amis, et mon mari et lui aimaient à se visiter !!! Hélas !!

Notre pasteur est allé à Genève avec sa femme, sa fille aînée et son fils aîné. Les trois autres sont restés ici. Marie, 14 ans, est demeurée ici pour soigner sa petite sœur, sept mois, et son jeune frère, 6 ans, qui a la grippe.

Louise A*** est revenue du Creusot, je ne l'ai pas encore vue, mais j'ai eu la visite de sa petite fille Simone, professeur à Dijon, qui est venue aider à sa cousine à D***. Le mari de cette dernière, Joseph P***, est dans un sana depuis trois mois. Sa femme tient un magasin à D*** et a cinq enfants assez jeunes.

Ma foi, je crois que je vous ai tout raconté, aussi je me sauve, je n'ai pas encore commencé mes cartes de Nouvel An...

 

Adieu, ma chère Yvette, mon cher Louis, et vous tous, je vous redis bonne année et bien longuement je vous embrasse.

 

 

Votre amie,

 

 

Madeleine

 

PS : aux beaux jours, j'irai vous voir.