Pour faire pièce à une certaine auto-flagellation contemporaine et gratuite, qui se répand un peu trop complaisamment

 

 

Je ne sais même pas votre nom, et je suis partie si souvent à la recherche de votre visage.

Seule votre silhouette m'apparaît, et comme je vous regarde toujours avec mes yeux d'enfant, je vous vois très grand.

Il y a si longtemps ! Souvenez-vous...

C'était un village aux murs peints d'un jaune sale, enveloppé de poussière, écrasé par un soleil toujours triomphant au-dessus de chemins qui montent. J'avais huit ans, vous étiez soldat : c'était la guerre.

Aujourd'hui tous les mots me paraissent dérisoires pour vous dire combien vous avez été mon magicien. Souvenez-vous de cette caserne où la cour cimentée se fendillait par endroits. Je venais voir mon père, prisonnier politique, et de cette visite qui devait être grave et triste, vous me faisiez une fête : vous me parliez de votre Bretagne natale ; et maintenant je sais, ô combien ! dans ce monde de barbelés, vos falaises ont dû vous manquer...

Plus tard, beaucoup plus tard, j'ai rêvé de rencontrer un homme qui vous ressemble, mais dans notre monde, il n'y a plus de magiciens.

À vous mon inconnu qui saviez si bien me parler de légendes pour consoler mon chagrin, je voudrais dire que Le Petit Prince de Saint-Exupéry ne m'a jamais quittée, et aussi : merci.

Merci pour votre sourire, pour votre main tendue, pour tout ce que vous m'aviez expliqué.

C'était en 1958, dans l'Ouest algérien.

 

Aïda

 

 

© lettre publiée dans le mensuel Marie-Claire, livraison de février 1985