Lorsqu'il écrivit cette lettre, Frédéric était âgé de 18 ans. Son père, médecin, avait 58 ans, et sa mère 50. Son frère aîné, Alphonse, était âgé de 27 ans, et son frère cadet, Charles, de 7 ans

 

 

 

Paris, ce 12 novembre 1831

 

Ne vous fâchez pas, je vous prie, mon bon père, si je prends si souvent la liberté de vous écrire. Outre la consolation que je trouve à causer avec vous, il faut bien que je vous tienne au courant de mes affaires, et j'en ai une forte [sic] importante à vous communiquer.

Jeudi, j'allai rendre une visite d'honnêteté à M. Ampère, membre de l'Institut, que j'avais vu à Lyon avec M. Périsse. Après m'avoir fait un accueil très cordial, il m'adressa quelques questions sur ma situation à Paris, sur le prix de ma pension, puis se levant tout à coup il me conduisit dans une chambre assez agréable occupée jusqu'à présent par son fils, et là : "Je vous offre, me dit-il, la table et le logement chez moi, au même prix que votre pension. Vos goûts et vos sentiments sont analogues aux miens, je serai bien aise d'avoir l'occasion de causer avec vous. Vous ferez connaissance avec mon fils, qui s'est beaucoup occupé de littérature allemande, sa bibliothèque sera à votre disposition. Ma belle-sœur, ma fille et mon fils dînent avec moi, ce vous sera une société agréable. Qu'en pensez-vous ?"

J'ai répondu qu'un pareil arrangement m'agréerait fort et que j'allais écrire pour avoir votre avis.

Or donc, M. Ampère demeure fort près de l'École de Droit : j'aurai cinq minutes de moins pour m'y rendre. La chambre est plus jolie que celle que j'avais ici, de plain pied avec un jardin, voûtée au-dessous, mais exhaussée sur deux marches d'escalier et fort saine puisque M. Ampère fils l'a habitée jusqu'ici et ne la quitte que pour s'établir en ville. M. Ampère est riche : la table doit être bien fournie. La société est excellente : j'y apprendrai le bon ton et les manières parisiennes, et en même temps j'aurai avec ces deux messieurs, dont les connaissances...
[manquent quatre pages]

... tems pour mon second déjeuné [sic], j'ai été obligé de garnir mon estomac de quelques pâtisseries qui m'ont coûté fort cher.

Reçu 100 francs

Alloué
pour frais de voyage 18 fr.
pour frais d'arrivée 3 fr.
pour une inscription 15 fr.
pour un chapeau 15 fr.
Dépensé
au conducteur de la diligence 3 fr. 50
pour ma malle 4 fr. 90
Institutes, Code, Eucologe 6 fr.
deux cahiers pour rédaction des deux cours 2 fr. 25
papier à lettre 0 fr. 35
papier, plumes, étrennes, dépenses 1 fr. 70
encre, encrier, cachets, règle, crayons 2 fr. 10
taffetas d'Angleterre 0 fr. 50
pommade pour les lèvres 0 fr. 50
abonnement au cabinet 4 fr.
deux séances précédentes 0 fr. 40
omnibus, un jour qu'il pleuvait 0 fr. 30
pâtisserie (aujourd'hui) 0 fr. 50
réparation à mon vieux chapeau 2 fr.
emplette de la brochure de M. de Chateaubriand pour M. Bonnevie, et qui vous sera remboursée par lui 4 fr.
- 89 fr.

89 fr.
11 fr.

 

Ainsi, il ne me reste que 11 francs sur lesquels il faudra que j'achète un peu de bois ce mois-ci parce qu'il fait froid le soir, que je paie mon prochain blanchissage, que j'achète des lunettes, que j'avance 5 fr. d'étrennes au garçon de l'école pour M. Brun (qui vous remboursera), etc...

Notez que je ne me suis point donné de plaisir, qu'il y a ici un panorama magnifique de la bataille de Navarin et que je n'ai point osé aller voir parce qu'il coûte cinquante sous d'entrée. Cependant j'ai beaucoup dépensé, je le sais, mais comment faire ? je vous serai bien obligé de me faire chaque mois, comme à Lyon, une petite allocation pour mes menus plaisirs : j'ai bien besoin de me distraire, c'est si triste d'être seul.

Un autre jour je vous ferai part de mes observations et sentiments. Aujourd'hui c'était le jour des affaires sérieuses. Embrassez bien maman, Alphonse et Charles pour moi. Plus je suis loin de vous, et plus je sens que je vous aime.

 

Votre fils

 

A.-F. O

 

Arch. Laporte