Encore une révélation qui ne plaira pas aux camarades : le sapeur Thorez, plus tard déserteur (4 octobre 1939), de l'armée française (sur ordre du Komintern, il fut mis à l'abri en URSS - ayant traversé les frontières sous la bienveillante protection nazie - de novembre 39 à novembre 44), avait auparavant utilisé des nègres pour écrire ses Mémoires. Seuls les gros naïfs, d'ailleurs, ne s'en étaient pas doutés (Thorez éprouvant "une vive admiration pour les fines dentelles de l'art ogival" !). Quoi qu'il en soit, lorsque la facétie fut éventée, il est assez compréhensible que de dévoués camarades ont dû être envoyés en mission, dans les bibliothèques publiques, pour mettre fin à ce crime de lèse-majesté ouvriériste. Les mêmes, peut-être, que ceux qui qualifièrent sans rire le vieux stalinien "d'historien de type nouveau". Et qu'une nouvelle édition, expurgée de l'acrostiche qu'on va découvrir ci-dessous, fut mise en vente, dénaturant ainsi l'impérissable texte (d'ailleurs, les rééditions ont succédé aux rééditions, chaque fois qu'il fut nécessaire de faire disparaître de cet ouvrage édifiant des militants tombés en disgrâce). Aussi, celui qui aura aujourd'hui en mains un exemplaire de l'édition originale non expurgée (celle de 1937) de ce pur chef-d'œuvre, aura touché le gros lot... On ajoutera à l'attention des futurs lecteurs de cet ouvrage, dont la première phrase fleure bon son paupérisme ("Fils et petit fils de mineurs, aussi loin que remontent mes souvenirs, je retrouve la rue du travailleur : beaucoup de peines et peu de joies", que Thorez a pris d'extraordinaires libertés avec la simple vérité, non seulement s'agissant de l'Histoire (ce qui peut se concevoir), mais encore concernant sa propre histoire. Bien sûr, tous ceux qui ont apporté ou apporteront les preuves du contraire ont été à l'avance qualifiés d'aboyeurs, d'épouilleurs de mots et de boueux de l'histoire. On leur a même promis de leur "faire leur fête" (cf. F. Crémieux, La vérité vraie sur le Parti 1939-1940, édit. Messidor, 1983, p. 252)

 

 

Acrostiche : Poème ou strophe où les initiales de chaque vers, lues dans le sens vertical, composent un mot.

 

 

I. Extrait du Chapitre Ier, l'Éveil (édition de 1949).

 

(Le jeune Thorez travaille en compagnie de son grand-père à bord d'une péniche, le long de la Somme (transport de bois). Lors de l'offensive allemande sur la Somme (mars 1918), il dut quitter, comme tous les jeunes gens, la zone menacée).

"[...] En me voyant partir, le grand-père pleura.

Je me rendis à pied à Granvilliers, dans l'Oise, à une trentaine de kilomètres d'Amiens. Pendant un mois, on nous fit creuser des tranchées. Quand on n'eut plus besoin de nous, on nous renvoya.

Les Allemands se trouvaient à proximité d'Amiens ; les obus tombaient journellement autour de la cathédrale protégée tant bien que mal par des sacs de terre. Je me souviens de mon indignation devant cet acte de vandalisme. Sans avoir le fétichisme du passé, j'ai toujours aimé le travail de la pierre. J'éprouvais une vive admiration pour les fines dentelles de l'art ogival, vestiges merveilleux d'un âge révolu. J'ai acquis plus tard la conviction que seule une grande époque - l'époque du socialisme - pourra créer une grande culture et faire surgir des chefs-d'œuvre nouveaux, comparables aux cathédrales qu'élevait au moyen âge la foi religieuse des maîtres-maçons et des statuaires.

Je venais d'avoir dix-huit ans et j'avais déjà exercé trois métiers, tour à tour mineur, valet de ferme et marinier. Je devais poursuivre mon apprentissage de la vie comme mitron, de juin à novembre 1918. Les conditions de travail étaient déplorables, le fournil étroit et plein de cafards. Il me fallait porter les sacs de farine, aider les ouvriers boulangers, transporter le bois et le pain, procéder chaque jour au nettoyage.

Enfin arriva l'armistice.

J'appris que mes parents, évacués lors de la retraite allemande, résidaient à Lanquesaint, en Belgique. Je partis les rejoindre, impatient de revoir et d'embrasser ceux dont la guerre m'avait séparé.

D'Amiens à Tournai, il y a près de cent vingt kilomètres. Avec de jeunes camarades, nous les parcourûmes en grande partie à pied, à travers la zone dévastée.

Nous traversâmes des localités dont les noms avaient pris, à travers les communiqués, comme une auréole de légende. Ce n'étaient que des ruines, toujours pareilles les unes aux autres : la diversité de la vie avait disparu sous l'uniformité de la destruction et de la mort. Grands peupliers couchés le long des routes, collines retournées, cratères boueux, flaques d'eau noire d'où émergeaient des ferrailles rongées de rouille, larges entonnoirs aux escarpements crayeux, ravinés, labyrinthes de tranchées, vallonnements infranchissables, coupés de lianes de fer, de fossés, de broussailles et de claies... Visions d'épouvante ! Dans ce qui fut des villages, dont on devine l'emplacement par cette poussière rouge qu'ont laissée les tuiles et les briques pulvérisées, quelques pavés épargnés par les obus indiquent à peine la route. Nous n'avons rien pour nous guider, si ce n'est des écriteaux plantés çà et là et sur lesquels on lit, en lettres malhabiles : Bully-Grenay, Liévin... Chaque poignée de terre a été trempée de sang et de larmes. Nous marchons sur de la poussière qui fut des armées. Des noms surgissent comme des spectres : Notre-Dame de Lorette, Souchez, l'Éperon des Arabes... Nous arrivons enfin à Lens. C'est un formidable amoncellement de maisons défoncées et rasées, où les caves pleines d'eau bâillent à ciel ouvert.

Enfin, un soir, nous atteignons Noyelles-Godault. Le village où s'était écoulée mon enfance a terriblement souffert. Notre maison est restée debout, mais, à côté, celle où habitait un de mes oncles a été pulvérisée par un obus... Les brasseries, l'usine, ont été détruites. La fosse 4, où j'avais travaillé, n'était plus qu'un chaos de briques, de pierres, d'énormes poutres d'acier, de roues de wagons, de filins, de morceaux de fer tordus, informes. Avant de partir, les A1lemands avaient fait sauter le cuvelage à la dynamite et noyé la fosse.

Nous passâmes la nuit dans une baraque, à l'abri du vent et de la pluie, et nous repartîmes le cœur serré, tôt au matin. Des ruines, des ruines toujours... Voici Orchies, puis la Belgique, Tournai, Ath, et enfin Lanquesaint... J'y retrouve mes parents. Je ne sentais plus la fatigue des longues marches à travers une région sans routes. La joie de presser sur mon cœur ma mère et mon père me donnait des forces nouvelles. Les quatre ans de séparation, les inquiétudes mortelles, toutes les vicissitudes et les dangers, je les oubliai instantanément. Je sortais d'un cauchemar, la vie allait reprendre.

Le 3 janvier 1919, nous revenions à Noyelles. Dans les décombres, nous nous remîmes courageusement au travail.

Je fus d'abord embauché pour la reconstruction du chemin de fer de Lens à Douai, puis j'entrai de nouveau à la fosse nº 4 des mines de Dourges.

De plus en plus, je me passionnais pour l'action syndicale, pour la lutte politique. Là aussi, je sentais que tout était à refaire.

Chaque samedi, je vendais le journal syndical La Tribune : quelle joie le jour où j'en écoulai 324 exemplaires !

La situation politique et économique de la France créait rapidement un état d'esprit révolutionnaire dans le prolétariat. La cherté croissante de la vie, la baisse du franc, la crise des transports, du charbon, du sucre, les difficultés pour passer de l'économie de guerre à la production de paix, tout cela créait une agitation que la loi des huit heures, imposée au gouvernement Clémenceau, ne suffisait pas à calmer. ...]

 

Maurice Thorez, Fils du peuple, Éditions sociales, 1949, 255 p. Extrait pp. 34-37

 

 

II. Extrait de la première édition (1937).

 

“...ferrailles rrongées et verdies, informes lacis, larges entonnoirs aux escarpements crayeux, ravinés, immenses, tranchées creusées en labyrinthes, infranchissables vallonnements ravagés, embroussaillés”.

 

Soit : “Fréville a écrit ce livre” (Jean Fréville, plus tard un des fondateurs de la Bibliothèque marxiste de Paris, était critique littéraire à l’Humanité).

 

 mthorez

 

 

III. Autre acrostiche

 

Le Canard enchaîné, spécialiste des bons mots et autres contrepèteries, n'est pas en reste dans cet exercice de virtuosité langagière. Mais quel dommage, pour savourer les quatre acrostiches qui suivent, il faut être né sous la Quatrième (voire la Troisième !) et avoir vécu les débuts de la Cinquième République...

 


De temps en temps Dieu descendait
En touriste sur notre terre.

Gens et bêtes s'en contentaient.
Aujourd'hui c'est une autre affaire :
Un lance Spoutnik vers les cieux,
L'autre de Vanguards le mitraille,
L'autre redresse un peu sa taille
Et doucement lui dit : "Mondieu"

 


Méditez cette confession :
Invectivant plus par système
Ces princes de la Quatrième,
Hé, bien sûr, que par conviction,
Espérant toujours et quand même
Le salaire de la soumission,

De Matamore à Nicodème
Épuisant la transformation,
Bon Dieu, je suis, disgrâce extrême,
Réduit à faire... heu ! ce que j'aime,
En grand commis, les commissions.

 


Subtil Vidocq à l'occasion
Ou Latude de malle arrière,
U.N.R. parce qu'Union
S'accorde avec Conspiration,
Tant il connaît bien sa grammaire.
Est-il rien qu'un calcul savant
Laisse à l'abandon et n'apprête
La couleur de ses sentiments
Et celle aussi de ses lunettes ?

 


Guesde, Jaurès, Karl Marx itou,
Un instant, écoutez ma plainte.
Y verrez que je peux, sans crainte,

Me réclamer encor de vous.
Oui, pour le Capital, j'en ai rompu des lances ;
L'Église est l'ennemie, or je lui prends ses voix ;
La pacification c'est presqu' la paix, dit's-moi
Et les tomates qu'on me lance
Teignent de rouge mon pavois.

 

Dictionnaire du Canard enchaîné, janvier 1960