Pour Anne-Lise, en souvenir d'une promenade venteuse au-dessus de Mérindol !

 

"Cette fuite se dirigeant vers le sommet (qu'est, dominant les empires eux-mêmes, la composition du savoir) n'est que l'un des parcours du labyrinthe. Mais ce parcours qu'il nous faut suivre de leurre en leurre, à la recherche de l'être, nous ne pouvons l'éviter d'aucune façon" (Georges Bataille, L'expérience intérieure).

 

 

 

I


Couchés en terre de douleur,
Mordus des grillons, des enfants,
Tombés de soleils vieillissants,
Doux fruits de la Brémonde.


Dans un bel arbre sans essaim,
Vous languissez de communion,
Vous éclatez de division,
Jeunesse, voyante nuée.


Ton naufrage n'a rien laissé
Qu'un gouvernail pour notre cœur,
Un rocher creux pour notre peur,
Ô Buoux, barque maltraitée !


Tels des mélèzes grandissants,
Au-dessus des conjurations,
Vous êtes le calque du vent,
Mes jours, muraille d'incendie.

 


C'était près. En pays heureux.
Élevant sa plainte au délice,
Je frottai le trait de ses hanches
Contre les ergots de tes branches,
Romarin, lande butinée.

 


De mon logis, pierre après pierre,
J'endure la démolition.
Seul sut l'exacte dimension
Le dévot, d'un soir, de la mort.


L'hiver se plaisait en Provence
Sous le regard gris des Vaudois ;
Le bûcher a fondu la neige,
L'eau glissa bouillante au torrent.


Avec un astre de misère,
Le sang à sécher est trop lent.
Massif de mes deuils, tu gouvernes :
Je n'ai jamais rêvé de toi.

 

© René Char (1907-1988), Sept parcelles du Lubéron, sept. 1962, in Retour amont, Pléiade, p. 421

 

 

 


 

 

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