Que veux-tu que je devienne
Je me sens mourir
Secours-moi
Ah Paris... le Pont Neuf
Je reconnais la ville
Un peu jouir
Un peu pleurer
Ma vie
Est-ce vraiment la peine d'en parler
Tout le monde en dirait autant
Et comment voudriez-vous que l'on passât son temps
Je pense à quelqu'autre paysage
Un ami oublié me montre son visage
Un lieu obscur
Un ciel déteint
Pays natal qui me revient tous les matins
Le voyage fut long
J'y laissai quelques plumes
Et mes illusions tombèrent une à une
Pourtant j'étais encore au milieu du printemps
Presque un enfant
J'avançais
Un train bruyant me transportait
Peu à peu j'oubliais la nature
La gare était tout près
On changeait de voiture
Et sur le quai personne n'attendait
La ville morte et squelettique
Là-bas dresse ses hauts fourneaux
Que vais-je devenir
Quelqu'un touche mon front d'une ombre fantastique
Une main
Mais ce que j'ai cru voir c'est la fumée du train
Je suis seul
Oui tout seul

Personne n'est venu me prendre par la main.

 

 

Pierre Reverdy (1889-1959), La lumière ovale, 1916, in Plupart du temps I, p. 110