Je monte la garde à la poudrière
Il y a un chien très gentil dans la guérite
Il y a des lapins qui détalent dans la garrigue
Il y a des blessés dans la salle de garde
Il y a un fonctionnaire brigadier qui pince le nez aux ronfleurs
Il y a une route en corniche qui domine de belles vallées
Pleines d'arbres en fleurs qui colorent le printemps
Il y a des vieillards qui discutent dans les cafés
Il y a une infirmière qui pense à moi au chevet de son blessé
Il y a de grands vaisseaux sur la mer déchaînée
Il y a mon cœur qui bat comme le chef d'orchestre
Il y a des Zeppelins qui passent au-dessus de la maison de ma mère
Il y a une femme qui prend le train à Baccarat
Il y a des artilleurs qui sucent des bonbons acidulés
Il y a des alpins qui campent sous des marabouts
Il y a une batterie de 90 qui tire au loin
Il y a tant d'amis qui meurent au loin.

 

 

Guillaume Apollinaire (1880-1918), février 1915

 

 

Un autre "Il y a"...

 


Il y a des petits ponts épatants
Il y a mon cœur qui bat pour toi
Il y a une femme triste sur la route
Il y a un beau petit cottage dans un jardin
Il y a six soldats qui s'amusent comme des fous
Il y a mes yeux qui cherchent ton image
Il y a un petit bois charmant sur la colline
Et un vieux territorial pisse quand nous passons
Il y a un poète qui rêve au ptit Lou
Il y a un ptit Lou exquis dans ce grand Paris
Il y a une batterie dans une forêt
Il y a un berger qui paît ses moutons
Il y a ma vie qui t'appartient
Il y a mon porte-plume réservoir qui court qui court
Il y a un rideau de peupliers délicat délicat
Il y a toute ma vie passée qui est bien passée
Il y a des rues étroites à Menton où nous nous sommes aimés
Il y a une petite fille de Sospel qui fouette ses camarades
Il y a mon fouet de conducteur dans mon sac à avoine
Il y a des wagons belges sur la voie
Il y a mon amour
Il y a toute la vie
Je t'adore
Au revoir mon ptit Lou


Gui

 gui

 

Guillaume Apollinaire, Poèmes à Lou (posthumes). "Entre Bar-sur-Aube et Troyes, 5 avril 1915"