Bluette sans grande prétention, cette poésie, d'un auteur bien oublié (injustement ou non), mais qui me parle cependant, et à plus d'un titre.

 

À la mémoire de mon père

Μνῆσαι πατρὸς (Priam s'adressant à Achille, Ilias, XXIV, 486)

 

"Je me souviens de l'émotion que j'ai ressentie le jour, il y a bien des années déjà, où je me suis soudain rendu compte que j'étais plus vieux que mon père. J'avais soixante et un ans et il n'avait pas pu atteindre cet âge. Lui qui avait toujours représenté pour moi la connaissance du monde, l'expérience, la sagesse, n'avait pu accumuler autant d'années que moi. Je ressentais comme une agression à son égard les moments de vie qui allaient m'être accordés et dont il n'avait pas bénéficié. En contrepartie de ce cadeau de la nature, je me faisais un devoir de ne pas dilapider stupidement, en activités dérisoires, ces moments précieux dont je comprenais, en les vivant, que tous les hommes n'avaient pas la chance de les recevoir"
[Albert Jacquard, Tentatives de lucidité, Stock, 2004, p. 215]

 

aster

 

Dès l'aube la forge s'allume ;

Le fer rougit dans le foyer...

Le forgeron bat sur l'enclume

Le fer dur qu'il force à ployer.

 

Son bras se relève, s'abaisse,

Monte, remonte et redescend

Sur le fer rouge qui s'affaisse

À tout coup du marteau pesant.

 

Le fer jette des étincelles,

Par milliers, sous le marteau lourd...

Oh ! qu'elles sont vives et belles !...

Et l'homme frappe comme un sourd !

 

Pan, pan ! - puis un petit silence ;

Pan, pan ! toujours - pan, pan ! encor !

Le marteau remonte et s'élance ;

Le fer en feu crache de l'or !

 

Il a chaud, bien chaud dans sa forge

L'homme au grand tablier de cuir !

Le charbon lui sèche la gorge ;

Son brasier vous ferait tous fuir.

 

Mais chacun supporte sa peine ;

Et près du forgeron, souvent,

Son brave enfant, qui se démène,

Comme un homme, frappe devant !

 

Pan, pan ! - On les voit, de la rue,

S'agiter, noirs devant leur feu...

Ils forgent un fer de charrue,

Une barre, un cercle à moyeu...

 

Et pan, pan ! La forge sonore

Résonne tard, et dit au loin :

"Le forgeron travaille encore

Aux outils dont on a besoin !"

 

 

Jean Aicard, in Le livre des petits, 1886, Librairie Ch. Delagrave.

 

[Texte rencontré in Lectures primaires, Cours élémentaire, rassemblées par E. Toutey, Inspecteur primaire, Membre du Conseil Supérieur de l'Instruction Publique, Librairie Hachette, 1919]