À l'occasion de la Saint-Jean, et pour nous détendre un peu, voici une nouvelle sans aucune prétention, et que je fais ainsi échapper à un profond oubli - peut-être mérité...
Ce texte est dû à la plume de Paul Arène, poète provençal bien oublié lui aussi, né en 1843 à Sisteron (et mort en 1896 à Antibes), où ses restes reposent.

 

Nous voici fin juin, c'est la Saint-Jean d'été, et se réveillent les légendes solsticiales.

Hier, l'ami Moulet m'en contait une... Mais, vous ne connaissez pas l’ami Moulet, un brave homme, dont la barbe a blanchi parallèlement à la mienne, avec un peu d'avance pourtant, et que j'admirais déjà, moi tout petit, lorsque, marchant à reculons et un paquet de chanvre sur le ventre, il filait ses cordes le long des vieux remparts.

Maintenant que le progrès des mécaniques a tué la primitive industrie du cordier, Moulet, résigné philosophe, cultive des légumes et des fleurs à Champ-Brencous, au milieu des rocs et des carrières transformés en jardins.

Il est heureux. Il ne se plaint guère, l'air que l'on respire là-haut étant le plus pur et la vue qu'on y a, la plus admirable du monde. Ce n'est pourtant pas dans ce paradis ineffablement rocailleux que Moulet me conta la chose. Moulet est, par nature, peu causeur. Il a fallu, pour délier sa langue, que le hasard d'une rencontre et d'une excursion improvisée nous amenât sur le chemin de Ribiers, dans le hameau des Amarones et de ses masures groupées au pied de l'imposant bloc calcaire sur lequel s'élevait, du temps des consuls, des podestats et des vieilles guerres, la bastide fortifiée de Saint-Jean. Donc, ce jour-là, Moulet me dit :

- Tu sais que, maintenant encore, la bastide Saint-Jean a gardé le renom d'un endroit assez particulier, où il se passe, à certains jours et précisément dans cette saison, des choses qui ne sont pas chrétiennes.

- Diantre !

- II paraîtrait... Mais laissez-moi reprendre haleine...

- II paraîtrait que, tous les ans, le soir de la Saint-Jean, quand minuit sonne, une fleur naît sur la montagne, fleur merveilleuse qui éclaire, illuminant l'herbe à son entour, comme ferait un ver luisant. Les chemins par lesquels ont peut arriver jusqu'à elle sont des chemins de précipices, et il n'y a qu'un moment pour la cueillir... Mais qui l'a conquise est sûr d'être aimé en l'offrant à celle qu'il aime.

Or, il se trouva qu'une grande dame, une princesse, car les femmes aussi peuvent cueillir la fleur, aimait quelqu'un qui ne l'aimait pas, et, sur le conseil de son confesseur, homme versé dans la science, elle monta, s'étant parée, jusque vers les ruines de Saint-Jean au jour et à l'heure voulus.

Elle arriva, vit la fleur luire, et distingua, malgré qu'il fît noir, son calice couleur de lune avec le dedans couleur de soleil. Mais, quand elle vint pour la prendre, quelqu' un la tenait déjà, un pauvre petit paysan, avec sa raquette et son flutet, en costume de gardeur de chèvres.

La princesse essaya d'acheter la fleur.

- Non, non, belle dame, impossible. Si vous y touchiez, vous m'aimeriez et cela ne serait pas bien.

- Pourquoi ?

- Parce que j'en aime une autre de qui je veux me faire aimer.

- Plus jolie que moi ?

- Puisque je l'aime, bien qu'un peu roussote et hâlée, elle surpasse tout le monde entier.

Et le petit pâtre s'en alla, emportant la fleur, et, tandis que le petit pâtre plaignait la princesse, car il avait bon cœur au fond, la princesse, malgré sa couronne, enviait la roussotte du petit pâtre.

Je ne pus me tenir d'interrompre mon ami Moulet :

- Voilà une fleur qu'il faut avoir.

- A quoi, maintenant, nous servirait-elle ?

- N'importe ! Tu aurais dû me dire cela plus tôt. La possession d'un tel secret m'eût épargné bien des tristesses.

- Moi-même, je ne le sais que d'hier...

Nous nous regardâmes en souriant avec un peu de regret mélancolique au coin de l’œil. Le secret du bonheur toujours trop tard ; c'est ainsi que s'use la vie !

 

 

Paul Arène, in L'Almanach du Foyer, 1923