Jacques de Lacretelle (1888-1985), qui obtint en 1922 le prix Fémina, pour Silbermann, fut reçu à l'Académie française en 1936. Il aborde, dans cette œuvre habituellement lue dans les classes de 3e ou de Seconde, des thèmes assez tabous à son époque, comme celui de l'antisémitisme et, plus généralement, du racisme (le petit huguenot, déjà en lui-même étranger, devant la mise à l'écart de son camarade juif). C'est aussi un exemple de "roman d'adolescence", dans lequel on voit le Narrateur ouvrir douloureusement les yeux sur la réalité de ses parents, jusque là déifiés : "Il me parut pour la première fois que cette figure n'était point formée, ainsi que les enfants le croient de leurs parents, d'une chair inaltérable et comme idéale, mais, au contraire, périssable et qui était déjà usée (p. 117-118).... J'avais compris, en reconnaissant la fragile matière de ce pur visage (il s'agit de celui de la mère), qu'il n'est point d'âme, toute vertueuse et toute tendue à la sainteté qu'elle soit, qui puisse s'élever hors de l'imperfection humaine. J'avais compris que l'application d'une haute morale est impossible à aucun d'entre nous. Et je pensais tristement qu'il me fallait renoncer aux belles missions que j'avais rêvé d'accomplir".
Et puis, cette abondance de passés simples, quel régal, malgré un caractère sans nul doute suranné !

 

 

I

 

En troisième on passait au grand lycée. Il occupait la moitié de l'établissement et était identique à la partie où j'avais fait mes études pendant quatre années. Même cour carrée, plantée de quelques arbres, dont faisait le tour une haute galerie couverte, élargie à un endroit pour former préau : même disposition des classes tout du long de cette galerie ; et sur les murs, entre les fenêtres, semblables moulages de bas-reliefs antiques.

 

Néanmoins, comme c'était la première fois, le matin de cette rentrée d'octobre, que je pénétrais dans cette cour, les choses me présentaient un aspect neuf et je portais de tous côtés des regards curieux. La pensée chagrine d'une indépendance qui expire me vint à l'esprit comme je remarquais les portes et les croisées nouvellement repeintes. Leur couleur marron rouge était pareille à celle des jujubes que l'avant-veille encore je ramassais à Aiguesbelles, près de Nîmes, dans le jardin du mas. C'était là, chez mes grands parents, que nous avions passé les vacances comme chaque année. Nous y restions jusqu'au soir du dernier dimanche, car ma mère se plaisait beaucoup à ces jours de cérémonie et de loisir qui lui rappelaient les réjouissances virginales de sa jeunesse. L'absence de mon père, qui rentrait à Paris au commencement de septembre, la rendait libre de les vivre de même façon qu'autrefois. Le matin, nous allions avec mes grands parents au temple. Au retour, ma mère ne manquait jamais de cueillir au vieux figuier dont les racines noueuses étaient captives dans le dallage de la terrasse, la figue la plus belle et la plus chaude. Elle me la tendait, ayant fendu en quatre la pulpe rose et granuleuse, et me regardait manger, cherchant dans mes yeux si j'aimais les fruits de cet arbre autant qu'elle les avait aimés à mon âge...

Mais dans cette cour où je me trouvais maintenant et malgré une légère angoisse à l'idée des nouvelles contraintes scolaires, une joyeuse impatience chassait de moi tout regret. J'allais revoir Philippe Robin, qui était mon ami.

Il n'était pas encore là, car les élèves de l'institution catholique où il était demi-pensionnaire arrivaient au lycée juste pour l'entrée en classe. En l'attendant, parmi le bruit dont depuis deux mois je m'étais désaccoutumé, j'avais serré quelques mains et échangé quelques mots ; mais de la manière la plus insignifiante, la moins intime, réservant avec soin pour Philippe toute effusion essentielle. D'ailleurs, plusieurs des figures qui m'environnaient m'étaient inconnues ; d'autres l'étaient à moitié, ne portant pas de nom, ayant seulement la légende que je leur avais composée, les années passées, au cours des allées et venues quotidiennes.

Le détachement de l'école Saint-Xavier apparut.

En tête venaient de Montclar et de La Béchellière (c'était l'habitude chez nos professeurs de dire ainsi) qui tous deux avaient été dans la même division que moi en quatrième. Le premier, de taille moyenne, robuste, les traits énergiques, montrait cet air arrogant qu'il prenait toujours pour pénétrer au lycée. Il lançait des coups d'œil méprisants de droite et de gauche et faisait part de ses moqueries à son compagnon. Celui-ci, grand, le cou long, d'aspect également hautain, mais en raison de son buste étriqué et de ses gestes gourmés, laissait apparaître, en guise de réponse, une expression niaise sur son visage privé de couleurs. Enfin j'aperçus Philippe qui accourait vers moi.

Comme il avait changé ! Je ne pus retenir une exclamation en le considérant de près. Son teint était hâlé ; on lui voyait un duvet doré sur les joues ; et quand il riait, des fossettes se creusaient profondément, laissant ensuite de petites lignes sur la peau.

- Hein ! dit-il fièrement, je me suis bien bruni au soleil. C'est à Arcachon où j'ai passé le mois de septembre avec mon oncle Marc, comme je te l'ai écrit. Toute la journée, pêche ou chasse en mer. Quelquefois nous partions à quatre heures du matin et nous rentrions à la nuit... Et une chasse pas commode, mon vieux ! des courlis... Il n'y a pas d'oiseaux plus prudents ni plus difficiles à tirer. C'est mon oncle qui me l'a dit. Il n'en a tué que quatre pendant la saison, et pourtant il a tout le temps des prix au Tir aux pigeons.

Je n'avais jamais tenu un fusil. Chasser ne m'attirait nullement. Je connaissais un peu l'oncle de Philippe. C'était un homme d'une trentaine d'années, bien découplé, à grosses moustaches rousses, dont la poignée de main était brutale.

Philippe s'interrompit et me demanda distraitement :

- Et toi ? Tu es rentré hier ?... Tu as passé de bonnes vacances ?

- Oh ! dis-je, j'adore Aiguesbelles. Chaque année je m'y plais davantage.

- Eh ! bien, moi aussi, jamais je ne me suis autant amusé que pendant ces deux mois, surtout à Arcachon.

Il reprit son récit. Il me rapporta l'incident d'une barque échouée, me décrivit des régates à voile auxquelles il avait pris part. Il parlait sans s'occuper de moi et sur un ton fanfaron. J'eus le souvenir d'une grosse déception que j'avais éprouvée, étant enfant, un jour qu'un ami que j'avais été voir avait joué tout seul en ma présence, lançant des balles très haut et les rattrapant. Tandis que Philippe résumait cette vie folle et heureuse où je n'avais eu aucune place, où tout m'était étranger, son visage était devenu rouge de plaisir. Et cela me fut si désagréable, cette bouffée de sang, cela me parut la preuve d'une infidélité si profonde que je détournai la tête. Le regard tombé sur le cailloutis poussiéreux de la cour, je me rappelai avec tristesse que depuis des semaines je songeais aux délices du moment où je me retrouverais avec lui... Et j'eus le pressentiment que nous allions cesser d'être amis.

Le tambour roula. Nous nous mîmes en rang.

- À Houlgate pendant le mois d'août, poursuivit-il à voix moins haute, j'ai fait beaucoup de tennis. Mais, là-bas, c'était moins agréable parce que - il fit une moue - il y avait trop de Juifs... Sur la plage, au casino, partout, on ne rencontrait que ça. Mon oncle Marc n'a pas voulu y rester trois jours. Tiens, celui-là y était. Il s'appelle Silbermann.

En disant ces mots, il m'avait désigné un garçon qui se tenait à la porte de la classe, en tête des rangs, et que je ne me rappelais pas avoir aperçu l'année précédente dans aucune division de quatrième. Il était petit et d'extérieur chétif. Sa figure, que je vis bien car il se retournait et parlait à ses voisins, était très formée, mais assez laide, avec des pommettes saillantes et un menton aigu. Le teint était pâle, tirant sur le jaune ; les yeux et les sourcils étaient noirs, les lèvres charnues et d'une couleur fraîche. Ses gestes étaient très vifs et captivaient l'attention. Lorsque, avec une mimique que l'on ne pouvait s'empêcher de suivre, il s'adressait à ses voisins, ses pupilles semblaient sauter sur l'un et puis sur l'autre. L'ensemble éveillait l'idée d'une précocité étrange ; il me fit songer aux petits prodiges qui exécutent des tours dans les cirques. J'eus peine à détacher de lui mon regard.

Nous entrâmes en classe.

Les Saint-Xavier, au nombre d'une dizaine, se groupèrent, comme ils en avaient l'habitude. Je me plaçai devant Philippe Robin. Sitôt entré, Silbermann avait couru avec un air de triomphe au pied de la chaire. Notre professeur était un homme autour de la quarantaine, aux regards pénétrants et froids, aux mouvements justes. Il procéda envers chacun de nous à une sorte d'interrogatoire, prenant des notes d'après les réponses. On apprit que Silbermann avait sauté une classe. Le fait était rare et motiva des explications.

- J'étais en retard d'une année, déclara-t-il, et c'est pour réparer ce retard, comme j'ai eu de bonnes places en cinquième.

- Je doute que vous puissiez suivre le cours.

- J'ai eu trois prix l'année dernière, répliqua-t-il avec insistance.

- C'est très bien, mais vous ne vous trouvez pas préparé comme vos camarades aux matières de notre enseignement. Le programme scolaire est gradué, et qui manque un échelon risque fort de tomber.

- J'ai travaillé pendant les vacances, Monsieur.

Durant ce dialogue, Silbermann s'était tenu debout et il avait parlé d'une voix très humble. Malgré cette attitude exemplaire, son ton sonna étrangement dans la classe tant il avait voulu être persuasif.

Lorsque nous sortîmes en récréation, quelqu'un s'approcha et lui dit en haussant les épaules :

- Voyons, tu ne pourras pas rester ici. Il faudra que tu redescendes en quatrième.

- Ah ! tu crois çà ? répondit Silbermann, faisant une mine ironique. Puis, la main vivement tendue, avec un petit battement âpre de la narine :

- Combien veux-tu parier que je serai au moins deux fois premier avant la fin du trimestre ?

L'après-midi de ce premier jour, nous eûmes congé. Philippe Robin vint me voir. Ma famille le trouvait charmant. Mon père me citait en exemple ses manières viriles, et ma mère ses attentions courtoises. Ils avaient beaucoup encouragé notre camaraderie. La première fois que je l'avais nommé devant elle, ma mère m'avait demandé s'il n'habitait pas avenue Hoche, et, sur ma réponse affirmative, elle avait dit avec respect :

- Alors, c'est le fils du notaire. C'est une famille très connue, un grand nom de la bourgeoisie parisienne. Les Robin ont une étude depuis cent ans peut-être.

Et elle m'avait conseillé de l'inviter à la maison. Je sais bien pourquoi. Ma mère, depuis son mariage, n'avait eu d'intérêt dans la vie que pour la carrière de son mari. Elle avait poursuivi avec une patience unique tout ce qui pouvait hausser et étayer la situation de mon père dans la magistrature. Certes, elle ne songeait pas à ralentir son effort, car mon père, juge d'instruction à Paris, n'était encore comme elle le disait, qu'à mi-côte. Mais j'approchais de l'âge d'homme et elle s'apprêtait à faire le même chemin avec moi, tel un courageux cheval de renfort qui ne connaît qu'une seule tâche. Elle m'entretenait souvent de mon avenir, m'expliquait diverses professions, leurs avantages, leurs "aléas", découvrant à mon esprit des espaces un peu obscurs, d'aspect un peu rude, pareils à des forges, où, pour me stimuler elle soufflait le foyer, brandissait l'outil, frappait l'enclume. Son horreur la plus vive était à l'égard de ceux qui ne travaillent pas. Elle prononçait le mot "oisif" d'une façon qui mettait vraiment hors la loi celui auquel il était appliqué. Elle était d'une activité que révélait son agenda, chargé et surchargé de mille signes et posé tout ouvert sur sa table comme une bible. Si l'on avait rassemblé toutes ces pages depuis vingt ans et si l'on avait su y lire, on aurait démêlé à quelle sorte de travail sa vie avait été employée. On aurait pu suivre à travers ces notes de vaines occupations mondaines, visites ou assemblées d'œuvres charitables, un ouvrage mystérieux de galeries percées et étendues, dont l'utilité concourait toute à servir mon père. Dans cette fourmilière savamment creusée autour de nous, il n'était point de voie qui ne fût entretenue avec régularité. Oui, elle avait mis à son effort l'application tenace d'une fourmi. Sur son livre de visites, les adresses biffées n'étaient pas seulement celles des personnes qui étaient mortes, mais encore celles des salons qui n'avaient pas d'aboutissants, chemins où elle s'était fourvoyée et qu'elle abandonnait sitôt son erreur aperçue.

Ce que lui coûtaient ces démarches, ces menées, je l'ai su plus tard, lorsque j'ai compris le sens des soupirs que je l'avais entendue pousser bien souvent devant son miroir, tandis qu'elle arrangeait ses cheveux grisonnants ou qu'elle entourait d'une voilette sa figure pâle et effacée d'ouvrière trop laborieuse.

- ah ! ce dîner Cottini laissait-elle échapper... Cette visite chez Mme Magnot...

C'est que Cottini, directeur d'un grand journal, avait une réputation notoire de viveur, et que Magnot, le député, avait, disait-on, vécu plusieurs années en ménage avec sa maîtresse avant de l'épouser. Or ma mère jugeait les mœurs selon un code rigoureux et inflexible.

Instruite par cette expérience, elle désirait m'écarter de toute carrière ouverte à la brigue et soumise aux influences politiques. Pour d'autres raisons, réussite incertaine, absence de discipline, elle repoussait les professions libérales ou celles qui dépendent d'une vocation souvent trompeuse.

- C'est se jeter à l'aventure, déclarait-elle. De nos jours, la sagesse est d'enter dans une grande administration privée dont on connaît le chef. On suit la filière, c'est vrai, mais sans risque ; et si l'on est intelligent et consciencieux comme c'est ton cas, on avance rapidement tandis que les autres marquent le pas.

Aussi, alors qu'elle ne m'eût pas vu sans méfiance fréquenter la magnifique maison des Montclar, "ces oisifs", elle se montrait fort contente de mon intimité avec Philippe Robin, le fils du notaire. Elle n'avait pas tardé à entrer en relations avec les parents de mon ami ; et généralement, au retour des visites qu'elle leur faisait, elle m'apprenait que "ce qu'il y a de plus huppé dans la bourgeoisie à Paris se trouvait là".

Cette amitié entre Philippe et moi ne provenait pas d'une conformité de nature. Philippe avait un esprit positif ; il était d'une humeur très sociable et assez rieur. Moi, j'étais peu bavard ; plutôt grave, et sensible principalement à ce qui joue dans l'imagination. Mais, surtout, notre morale, si l'on peut ainsi dire pour parler de règles dirigeant des cerveaux de moins de quinze ans, n'était pas la même.

Lorsque Philippe ressentait un vif désir, lorsqu'il cédait à quelque tentation, ses mouvements étaient bien visibles. Il ne dissimulait rien ; il se comportait avec franchise et insouciance, comme s'il avait la garantie commode que toute faute peut être remise. Il n'en était pas de même pour moi. J'appréhendais sans cesse qu'une mauvaise action ne me fît dévier pour toujours de la voie étroite qu'un idéal sévère me présentait comme le juste chemin. Ayant grandi dans une atmosphère traversée par les foudres de la loi, je redoutais également le jugement de la société. Ces scrupules de conscience et ce respect craintif retenaient mes actes et me faisaient placer avant toutes qualités la réserve et le renoncement. Quel succès, lorsque (souvent grâce à une habile dissimulation) je me sentais à l'abri de toute curiosité ! Quelle joie lorsque je parvenais à triompher d'une intention suspecte ! Joie si forte et jugée par moi si salutaire que je ne résistais guère au plaisir de la provoquer par un artifice. Ainsi, je me laissais quelquefois envahir sournoisement par de mauvaises pensées, je favorisais leur développement dans mon imagination, je prenais plaisir à m'y exciter, puis, avec une sorte de passion, je coupais net ces mauvais rameaux. J'avais alors le noble sentiment d'avoir fortifié mon âme. De même, à Aiguesbelles, mon grand-père ordonnait au printemps que quelques pieds de vigne ne fussent point taillés, afin que lui-même, se promenant dans son domaine, eût la satisfaction d'y porter la serpe. Il se penchait sur le cep dangereusement délaissé, réduisait et rognait avec une passion vétilleuse, puis, en se relevant, me disait d'un ton orgueilleux :

Vois-tu, petit, la meilleure vigne est celle qui est la plus soigneusement taillée.

 

 

II

 

En classe d'anglais, je fus placé à côté de Silbermann et pus l'observer à loisir. Attentif à tout ce que disait le professeur, il ne le quitta pas du regard ; il resta immobile, le menton en pointe, la lèvre pendante, la physionomie tendue curieusement ; seule, la pomme d'Adam, saillant du cou maigre, bougeait par moments. Comme ce profil un peu animal était éclairé bizarrement par un rayon de soleil, il me fit penser aux lézards qui, sur la terrasse d'Aiguesbelles, à l'heure chaude, sortent d'une fente et, la tête allongée, avec un petit gonflement intermittent de la gorge, surveillent la race des humains.

Puis, une grande partie de la classe d'anglais se passant en exercices de conversation avec le professeur, Silbermann, levant vivement la main, demanda la parole à plusieurs reprises. Il s'exprimait en cette langue avec beaucoup plus de facilité qu'aucun d'entre nous. Pendant ces deux heures, nous n'échangeâmes pas un mot. Il ne fit aucune attention à moi, sauf une fois avec un regard où je crus lire de la crainte. D'ailleurs, les premiers jours, il se comporta de la sorte envers tous ; mais c'était sans doute par méfiance et non par timidité, car, au bout de quelque temps, on put voir qu'il avait adopté deux ou trois garçons plutôt humbles, de caractère faible, vers lesquels il allait, sitôt qu'il les avait aperçus, avec des gestes qui commandaient ; et il se mettait à discourir en maître parmi eux, le verbe haut et assuré.

En récréation il ne jouait jamais. Dédaigneux, semblait-il, de la force et de l'agilité, il passait au milieu des parties engagées sans le moindre signe d'attention ; mais si une discussion venait à s'élever, elle ne lui échappait point et aussitôt il s'arrêtait, quel que fût le sujet, l'œil en éveil ; on devinait qu'il brûlait de donner son avis, comme s'il avait possédé un trop-plein d'argumentation.

Il recherchait surtout la compagnie des professeurs. Lorsque le roulement de tambour annonçait la brève pause qui coupe les classes et que tous nous nous précipitions dehors, il n'était pas rare qu'il s'approchât de la chaire d'une manière insinuante ; et ayant soumis habilement une question au professeur, il se mettait à causer avec lui. Puis, il nous regardait rentrer, du haut de l'estrade, avec un air de fierté. Je l'admirais à ces moments, pensant combien à sa place j'eusse été gêné.

On ne tarda pas à s'apercevoir que Silbermann était non seulement capable de rester en troisième, mais qu'il prendrait rang probablement parmi les meilleurs élèves. Ses notes, dès le début, furent excellentes et il les mérita autant par son savoir que par son application. Il paraissait doué d'une mémoire singulière et récitait toujours ses leçons sans la moindre faute. Il y avait là de quoi m'émerveiller, car, élève médiocre, j'avais une peine particulière à retenir les miennes. J'étais d'une insensibilité totale devant tout texte scolaire ; les mots sur les livres d'étude avaient à mes yeux je ne sais quel vêtement gris, uniforme, qui m'empêchait de distinguer entre eux et de les saisir.

Un jour, pourtant, le voile se déchira, une lumière nouvelle fut jetée sur les choses que j'étudiais ; et ce fut grâce à Silbermann.

C'était en classe de français. La leçon apprise était la première scène d'Iphigénie. Silbermann, interrogé, se leva et commença de réciter :

Oui, c'est Agamemnon, c'est ton roi qui t'éveille,
Viens, reconnais la voix qui frappe ton oreille
.

 

Il ne débita point les vers d'une manière soumise et monotone, ainsi que faisaient la plupart des bons élèves. Il ne les déclama pas non plus avec emphase ; sa diction restait naturelle. Mais elle était si assurée et on y distinguait des subtilités si peu scolaires qu'elle nous surprit tous. Quelques-uns sourirent. Moi, je l'écoutais fixement, frappé par une soudaine découverte. Ces mots assemblés, que je reconnaissais pour les avoir vus imprimés et les avoir mis bout à bout, mécaniquement, dans ma mémoire, ces mots formaient pour la première fois image en mon esprit. Je m'avisais qu'ils étaient l'expression de faits réels, qu'ils avaient un sens dans la vie courante. Et à mesure que Silbermann poursuivait et que j'entendais le son de sa voix, des idées et des idées germaient dans ma tête d'un terrain jusqu'alors aride ; les scènes d'Iphigénie se composaient, scènes positives, qui ne ressemblaient nullement à celles que j'avais vues au théâtre, entre des toiles peintes et sous un éclairage artificiel. J'avais la vision d'un rivage où se trouvait dressé un camp ; les flots, qu'aucun vent n'agitait, glissaient doucement sur le sable ; et là, parmi des tentes à peine distinctes dans le petit jour et d'où nul bruit ne venait, deux hommes dont le front était soucieux s'entretenaient.

Je n'avais pas cru jusqu'ici que cette représentation vivante et sensible d'une tragédie classique fût possible. Voir remuer un marbre ne m'eût pas moins ému. Je regardai celui qui avait fait jouer les choses pour moi. Silbermann avait dépassé la limite de la leçon et cependant il continuait de réciter. Son œil pétillait ; sa lèvre était légèrement humide, comme s'il avait eu en bouche quelque chose de délectable.

Entendant quelques élèves protester contre l'empressement excessif de Silbermann, le professeur l'interrompit et le félicita. Silbermann s'assit. Il était heureux ; je le remarquai à un petit souffle qui faisait palpiter ses narines. Mais ce souffle, me demandai-je, n'est-ce pas plutôt l'âme d'un génie mystérieux qui habite en lui ? Cette idée plut à mon imagination puérile, qui était encore près du fantastique ; et comme je le contemplai longuement au point d'être fasciné, il me fit songer, avec son teint jaune et sous le bonnet noir de ses cheveux frisés, au magicien de quelque conte oriental qui détient la clef de toutes les merveilles.

Nous nous adressâmes la parole quelques jours plus tard, un dimanche matin, en des circonstances dont j'ai bien gardé la mémoire.

J'avais été au temple avec ma mère ; puis, à la sortie, je l'avais laissée. Je ressentais toujours quelque exaltation après le service religieux ; mais cette exaltation, je trouvais délicieux de l'user à des choses profanes. J'aimais me promener seul, dans le Bois, et, encore ému par le bourdonnement grave de l'orgue, excité par l'allégresse des cantiques, j'aimais me livrer, en cet état d'ivresse spirituelle, à une activité toute animale : courir, bondir à travers les buissons, aspirer l'odeur de la terre et des feuilles, me laisser toucher par les vivants effluves de la nature. Puis, ayant levé par hasard les yeux vers le ciel, je m'arrêtais, non pas calmé mais comme frappé d'amour. La vue d'un nuage voguant dans l'azur avait réveillé ensemble mon cœur et mon imagination. Tout frémissant, je soupirais vers un sentiment très doux, de qualité très noble, et je rêvais aux aventures où il m'entraînerait. Le plus souvent, ce sentiment se cristallisait sous la forme d'une amitié, où se mêlaient indistinctement une alliance mystique, une entente intellectuelle et un dévouement de toute ma chair.

J'éprouvais cette disposition confuse, ce matin-là, au Ranelagh, lorsque je vis avancer, dans la même allée, Silbermann. Il était seul. Il marchait à pas courts et précipités, remuant fréquemment la tête ; il semblait plein de pensées inquiètes ; on l'eût dit poursuivi. Il m'aperçut de loin mais n'en montra rien et ouvrit un livre qu'il avait à la main. Au moment qu'il allait passer, il leva vers moi des yeux incertains, esquissa un sourire, puis, comme je lui répondis par un bonjour très cordial, changea brusquement de physionomie, accourut et exprima sa joie de la rencontre.

- Tu habites donc par ici ? Et où cela ?

Il voulut connaître le nom de la rue, le numéro de la maison, me questionna sur mes habitudes, sur ma famille, et enveloppa cette enquête de manières si naturelles et si amicales que j'eus plaisir à répondre, malgré ma retenue ordinaire.

- De quel côté allais-tu ? ajouta-t-il. Veux-tu que je t'accompagne ?

J'acceptai. Il me montra son livre.

- C'est une édition ancienne de Ronsard. Je viens de l'acheter, dit-il en caressant la jolie reliure de ses doigts qui étaient maigres et bruns.

Il l'ouvrit et se mit à me lire quelques vers. J'eus la même impression qu'en classe. Le texte lu par lui semblait baigner dans une source qui m'en donnait fortement le goût. Les mots avaient une qualité nouvelle : ils flattaient mes sens ; émotion ignorée, sorte de frisson dans mon cerveau. Mais de Silbermann lui-même que dire et comment dépeindre sa figure ? Il lut ces vers :

Fauche, garçon, d'une main pilleresse
Le bel émail de la verte saison,
Puis à plein poing enjonche la maison
Des fleurs qu'avril enfante en sa jeunesse.

 

Ses narines se dilatèrent, comme piquées par l'odeur des foins, et des larmes de plaisir emplirent ses yeux.

Nous étions arrivés à l'angle d'une pelouse où est érigée une statue de La Fontaine. Silbermann s'écria en la désignant :

- Est-ce assez laid, ce buste que couronne une Muse ? Et ce groupe d'animaux, le lion, le renard, le corbeau, quelle composition banale ! Chez nous on ne connaît que cette façon de glorifier un grand homme. Et pourtant il y en a d'autres. Ainsi, l'été dernier, j'ai été à Weimar et j'ai visité la maison de Goethe. On l'a conservée intacte. On n'a pas déplacé un objet dans sa chambre depuis la minute de sa mort. Dans la ville, on montre - et avec quel respect ! - le banc sur lequel il s'asseyait, le pavillon où il allait rêver. Je t'assure que de tels souvenirs ont de la grandeur. En France, on ne voit rien de pareil. Il y a quelques années, on a fait une vente au château de Saint-Point, en Bourgogne, où Lamartine a vécu. Eh bien ! mon père a pu acheter beaucoup d'objets qui avaient appartenu à Lamartine ; et, soit dit en passant, l'achat de ces reliques a été pour lui une très bonne affaire.

Nous étions toujours devant la statue.

- Est-ce que tu aimes La Fontaine ? me demanda-t-il.

Et comme cette question me laissait embarrassé, il reprit avec vivacité :

- Mon cher, c'est bien simple : La Fontaine est notre plus grand peintre de mœurs. Dans ces fables qu'on nous fait ânonner, il a dépeint son siècle. Louis XIV et la cour, la bourgeoisie et les paysans de son temps, voilà ce qu'il faut voir derrière les divers animaux. Et alors, comme l'anecdote prend de la valeur ! Combien il est audacieux dans sa moralité ! C'est ce que Taine a très bien compris... Tu as lu La Fontaine et ses fables ?

Je fis signe que non.

- Je te le prêterai.

Je ne répondis rien. J'étais étourdi. Ce garçon qui possédait des livres rares, qui distinguait avec assurance : "ceci est beau... cela ne l'est pas" ; qui avait voyagé, lu, observé, retenu des exemples, jetait en mon esprit tant de notions admirables que cette profusion me confondait. Je tournai les yeux vers lui. Qu'il fût supérieur à tous les camarades que j'avais, cela était évident et je n'en doutais pas ; mais je jugeais encore que je n'avais rencontré ni dans ma famille ni parmi notre milieu quelqu'un qui lui fût comparable. Ce goût si vif pour les choses de l'intelligence et cette façon si pratique de les présenter, cette adresse pour mettre à portée de main ce qui est élevé, étaient pour moi des qualités vraiment neuves. Et cette parole forte et aimable à la fois, qui imposait en même temps qu'elle charmait, qui donc s'en trouvait doué dans mon entourage ?

Il n'avait pas cessé de parler, citant des noms d'écrivains et des titres d'ouvrages.

J'avais un immense respect pour tout ce qui touchait à la littérature. Je plaçais certains écrivains qui avaient éveillé mon admiration au-dessus de l'humanité entière, à l'image des divinités de l'Olympe. Silbermann m'instruisait de bien des faits que j'ignorais, discourant facilement de l'un et de l'autre. Il me révéla finalement que son dieu était le "père Hugo". Je l'écoutais avec avidité. Cependant, fut-ce cette familiarité, fut-ce l'éclat de sa voix ou la couleur un peu étrange de son teint ? je ne sais, mais j'eus à ce moment la vision d'une scène qui amena un léger recul de ma part. Souvent, à Aiguesbelles, un marchand de fruits, un Espagnol à la peau basanée, passait sur la route et arrêtait sa charrette devant le mas, criant bizarrement sa marchandise et maniant sans délicatesse les belles pommes écarlates, les pêches tendres et poudrées, les prunes lisses et glacées. Or, Célestine, notre cuisinière, n'aimait pas cet homme "venu on ne sait d'où", disait-elle, et lorsqu'elle avait eu affaire avec lui, on l'entendait maugréer en revenant :

- C'est malheureux de voir ces beaux fruits touchés par ces mains-là.

Silbermann, ignorant ce petit mouvement instinctif, poursuivit :

- Si les livres t'intéressent, tu viendras un jour chez moi, je te montrerai ma bibliothèque et je te prêterai tout ce que tu voudras.

Je le remerciai et acceptai.

- Alors quand veux-tu venir ? dit-il aussitôt. Cet après-midi, es-tu libre ?

Je ne l'étais point. Il insista.

- Viens goûter jeudi prochain.

Il y eut dans cet empressement quelque chose qui me déplut et me mit sur la défensive. Je répondis que nous conviendrions du jour plus tard ; et comme nous étions arrivés devant la maison de mes parents, je lui tendis la main.

Silbermann la prit, la retint, et me regardant avec une expression de gratitude, me dit d'une voix infiniment douce :

- Je suis content, bien content, que nous nous soyons rencontrés... Je ne pensais pas que nous pourrions être camarades.

- Et pourquoi ? demandai-je avec une sincère surprise.

- Au lycée, je te voyais tout le temps avec Robin ; et comme lui, durant un mois, cet été, a refusé de m'adresser la parole, je croyais que toi aussi... Même en classe d'anglais où nous sommes voisins, je n'ai pas osé...

Il ne montrait plus guère d'assurance en disant ces mots. Sa voix était basse et entrecoupée ; elle semblait monter de régions secrètes et douloureuses. Sa main qui continuait d'étreindre la mienne comme s'il eût voulu s'attacher à moi, trembla un peu.

Ce ton et ce frémissement me bouleversèrent. J'entrevis chez cet être si différent des autres une détresse intime, persistante, inguérissable, analogue à celle d'un orphelin ou d'un infirme. Je balbutiai avec un sourire, affectant de n'avoir pas compris :

- Mais c'est absurde... pour quelle raison supposais-tu...

- Parce que je suis Juif, interrompit-il nettement et avec un accent si particulier que je ne pus distinguer si l'aveu lui coûtait ou s'il en était fier.

Confus de ma maladresse, et voulant la réparer, je cherchai éperdument les mots les plus tendres. Mais dans ma famille, on ne m'avait guère enseigné la tendresse. Le gage d'amour que l'on offrait dans les circonstances graves était le sacrifice ; et seule l'intervention de la conscience donnait du prix à un acte. Aussi, ayant reculé d'un pas tout en conservant la main de Silbermann, je lui dis solennellement :

- Je te jure, Silbermann, que désormais je ferai pour toi tout ce qui sera en mon pouvoir.

Ce même jour, je passai l'après-midi chez Philippe Robin.

À la fin de la journée, l'oncle de Philippe, Marc Le Hellier, se trouva là. Il aimait beaucoup son neveu ; il le traitait en homme et non en écolier, ce qui flattait Philippe. Il lui répétait que rien n'était plus absurde que l'éducation donnée dans les lycées, qu'un assaut d'escrime développait mieux le cerveau qu'aucune étude, et que savoir appliquer un coup de poing au bon endroit était plus utile dans la vie que tout ce que l'on nous enseignait en classe.

Il reprit ce thème en voyant sur la table de Philippe les gros manuels scolaires. Il fit, du revers de la main, le geste de les pousser à terre. Philippe rit aux éclats. Je songeai au mouvement de Silbermann caressant le volume de Ronsard et à la ferveur qui brûlait en lui lorsqu'il récitait une poésie.

- Sais-tu où j'ai été tout à l'heure, Philippe ? dit Marc Le Hellier. Aux Français de France, dont c'était la première assemblée depuis la rentrée. Ah ! elle ne marche pas mal, notre ligne. Près de cinq cents adhérents nouveaux en trois mois. Maintenant nous pouvons agir.

Philippe faisait une mine fort intéressée. Son oncle l'avait attiré à soi, lui tâtait les bras, et je voyais que Philippe gonflait orgueilleusement ses biceps.

- Et d'abord, continua Le Hellier, nous organisons une campagne contre les Juifs, qui sera menée avec soin et intelligence, je te prie de le croire. Pas seulement des manifestations dans la rue, comme on s'est contenté de faire jusqu'ici. Non : nous établissons des fiches, des dossiers et comme, vois-tu, à la base d'une fortune juive il y a généralement quelque canaillerie, nous suivons pas à pas chaque youpin suspect, et au moment propice, vlan ! nous lui casserons les reins.

Il fit de la main un geste coupant. Sous la moustache rousse, très épaisse, mais taillée court, la lèvre supérieure se retroussa et découvrit, aux coins, des canines fortes.

Je n'aimais guère cet homme, qui par les goûts violents qu'il tentait de communiquer à Philippe éloignait de moi mon ami. Mais, ce jour-là, ce fut avec un vrai malaise que j'écoutai ces propos. Il me semblait entendre au loin la plainte de Silbermann : "Je croyais que tu refuserais de me parler... je n'ai pas osé..."

Aussi, comme l'oncle de Philippe poursuivait sur le même sujet et que Philippe, les yeux brillants, lui témoignait la plus vive attention, je me levai bientôt et partis.

L'appel de Silbermann à ma pitié m'avait touché profondément. Toute la soirée, je songeai à lui, me sentant bien plus attiré que lorsque j'étais seulement ébloui par ses dons merveilleux. Je me ressouvenais de ses yeux craintifs, le premier jour ; je m'expliquais son hésitation à m'aborder le matin ; et ces images, qui le représentaient parmi nous comme un déshérité, me navraient.

Dans ma chambre, machinalement, je pris un de mes cahiers et l'ouvris aux dernières pages. C'était là, sur des feuilles barbouillées, qu'on aurait pu pénétrer mes secrets ; c'était là qu'il m'arrivait de commencer une confession, d'écrire à un ami imaginaire, de griffonner des prénoms féminins. Puis, lorsque je m'apercevais de la puérilité de ces choses, ou, rougissant de honte, de la rêverie trouble où elles m'avaient entraîné, je me hâtais de recouvrir d'encre tout mon travail.

Je me mis à écrire à Silbermann. Je l'assurai qu'il avait eu bien tort de croire que j'agirais avec lui ainsi que Robin, car je n'avais aucun sentiment hostile contre sa race. Je lui glissai d'ailleurs que j'étais de religion protestante. J'ajoutai que toute la journée j'avais pensé à notre rencontre et que ma conscience n'oublierait pas le serment d'amitié que j'avais prononcé en nous séparant.

Je ne comptais pas lui donner cette lettre. Toutefois, le lendemain, au lycée, lorsqu'il accourut vers moi, débordant d'intentions affectueuses, j'arrachai brusquement la page de mon cahier, la pliai et la lui remis.

Je passai la récréation suivante avec Robin. À ma grande gêne, je vis Silbermann approcher de nous. Il me dit à voix très haute :

- Alors c'est entendu, je compte sur toi jeudi.

Et il s'en alla.

Philippe me regarda, surpris.

- Vous sortez ensemble jeudi ? Comment le connais-tu ?

Devenu très rouge, j'expliquai que je l'avais rencontré et qu'il m'avait proposé des livres.

- Tu sais que son père, qui est un marchand d'antiquités, est un voleur. Mon oncle Marc me l'a dit.

Cet avertissement était énoncé d'un ton sec. Je fis un geste vague. Nous parlâmes d'autre chose.

Ce qui arriva le lendemain fut comme le présage des temps troublés qui devaient suivre.

C'était le jour de la Sainte-Barbe. À cette date, les élèves qui se préparaient aux hautes écoles de sciences organisaient un tapage quasi toléré par leurs maîtres. Les classes inférieures ne s'y mêlaient guère. Pourtant cela suscitait dans tout le lycée quelque effervescence.

Cette année, le tumulte fut grand. Comme la classe de l'après-midi finissait, la lumière d'un feu de Bengale incendia brusquement la cour, puis s'éteignit, tandis que des clameurs et des chants éclataient. Un instant après une forte détonation nous fit sursauter. Une sourde excitation se manifesta sur nos bancs. Moi, je regardais peureusement les vitres sombres, répugnant à ce désordre et à cette sauvagerie. Le tambour roula. Les élèves se ruèrent vers la porte en criant ; et l'un d'eux, je ne sais qui, passant devant Silbermann, le rejeta en arrière, hurlant férocement à sa face :

- Mort aux Juifs.

 

[© Jacques de Lacretelle, Silbermann, Gallimard, 1921, chap. I et II].

 

 


Accès à un article sur l'ouvrage de J. de Lacretelle, dû à la plume savante de Maurice Rat.

Accès à un questionnaire (sans doute élaboré par de jeunes collégiens) emprunté au site académique de la Réunion.

Fiche de lecture (classe de 3e - élaborée vers 1966, dans le cadre de l'Icem-Pédagogie Freinet, par Pierrette F., à partir de l'édition Livre de Poche) :

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Chapitre I

La rentrée :
Essayez de qualifier le décor (p. 7), l'ambiance (p.9) "il n'était pas encore là… quotidiennes"

L'amitié Jacques-Philippe : Quels sentiments animent Jacques attendant Philippe (p. 9) ?
Pourquoi son ami le déçoit-il (pp. 11-12) ?
Leur amitié était-elle fondée sur une ressemblance (pp.19-20) ?
Qu'est-ce qui avait surtout contribué à la renforcer (pp. 15-16) ?

Silbermann : C'est la 1ère rencontre de J. et de Silbermann.
Qu'est qui frappe J. dans la personne de S. (p. 13 "il était petit ... regard"), dans ses paroles (pp. 14-15) ?

La mère de Jacques : comment vous apparaît-elle à travers le portrait qu'en fait son fils (p. 8, pp. 16-18) ?


Chapitre 2

Faisons connaissance

Avec Silbermann :

Comment se comporte-t-il avec ses camarades (pp. 23-29-35), avec ses maîtres (p. 24) ?
Quand semble-t-il éprouver du bonheur ? De la peine ?

Avec Jacques :

Jacques est un être imaginatif (p. 22, pp 25-26 "moi je l'imaginais ... s'entretenaient", p. 27 "mais ce souffle … merveilles"), sensible (p. 28 "puis ayant… chair", p. 33 "cependant ... ces mains-là".
Quels sont les autres traits de son caractère ?

Leurs premiers contacts

Jacques est frappé par la façon dont S. vit ce qu'il dit (p.22, pp. 26-27)
Qu'est qui provoque son admiration (pp. 24-26 ), puis son recul (pp. 33-34) ?
Montrez comment ce qui éloigne peu à peu Jacques de Philippe le rapproche de Silbermann (pp. 36-38) ?


Chapitre 3

Le goût pour la littérature chez les deux adolescents

Comment se manifeste l'amour des livres chez Silbermann (pp. 43-44) ?
En quoi y a-t-il similitude de goûts entre J. et S. ?
Mais qu'est-ce qui, du point de vue intellectuel, fait la supériorité de S. (p. 44, p. 53) ?
Quelle qualité S. apprécie-t-il par dessus tout (pp. 45-47) ?
Qui méprise-t-il ?

La naissance de la haine

L'hostilité, puis la haine, naissent peu à peu autour de S.
Comment se manifestent-elles ?
Quels buts lointains poursuit-il ?
Son comportement traduit à la fois son assurance (p.56) et sa crainte (p. 54, 56, 58)
Montrez comment il bouleverse Jacques.
Des programmes d'histoire de 5ème et de 4ème, qu'avez-vous retenu concernant l'histoire du peuple juif ?


Chapitres 4 et 5

L'évolution d'une amitié

Quels traits de caractère dénote le comportement de J. (p. 59, 61, 63) ?
Quel but se propose-t-il (p. 63) ?
Son admiration pour S. contribue éveiller son esprit critique vis-à-vis de sa famille (pp. 67-68)
Cependant, cette amitié est-elle aveugle (p. 69, 82, 84) ?

La haine

Qu'est qui attise la haine contre S. ? (pp. 71-78) ?
En quoi cet acharnement est particulièrement cruel (pp.95-99) ?

L'amitié
Quel sentiment nouveau s'éveille en J. devant la détresse de son ami (pp. 96-99) ?
Comment expliquez-vous son exaltation (pp. 100-101) ?


Chapitres 6-7-8

Un événement extérieur grave précipite l'évolution d'une situation déjà extrêmement tendue.

Jacques : sa fidélité à la cause de Silbermann le fait se heurter à sa famille.
Qu'est-ce qui le déçoit en son père ? (pp. 111-112) ? En sa mère (p. 122) ?
Qu'est-ce qui l'éloigne d'eux ? (pp. 145-150) ?
Jacques prend conscience de ce que lui a apporté Silbermann.
Certaines valeurs ont été détruites. Lesquelles (pp. 143-144) ?
Cependant regrette-t-il de s'être attaché S. (pp. 153-154 "et puis est ... dénuée et sans force")
Il retourne vers ses parents et accepte de retrouver son ancien camarade Philippe.
Cela vous semble-t-il une trahison ?
N'a-t-il pas, plutôt, fait une découverte qui explique son comportement (p. 152 "je ne pleurais pas … rêve d'accomplir" ; p. 158 "ne savais-je pas ... ne vivait").

Silbermann : il n'a pu triompher de la haine (p. 118 "je suis à bout ... partir"). Cette épreuve l'a marqué, lui aussi.
En un long monologue (pp. 127-141), il livre ses pensées à Jacques peiné et interdit.
Quelles sont les grandes parties de ce monologue ?
Quelles idées développent-elles ?


Pour une synthèse : quelques pistes possibles

Les rapports parents-enfants ; l'influence du milieu
Les jeunes : leur idéalisme, les influences subies, etc.
La haine : ses causes, ses manifestations
L'antisémitisme
Le rôle de la presse…
L'amitié

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