Hermann Hesse, écrivain suisse (1877-1962) - Prix Nobel en 1946. Discret hommage à ce grand écrivain, au travers d'un texte étudié au Lycée Mignet, dans mon jeune âge...

 

C'était un été si splendide, dans lequel on ne comptait pas le beau temps par jours mais par semaines, et l'on n'était qu'en juin et l'on venait précisément de rentrer le foin...

 

 

Depuis deux semaines, un ciel bleu et serein recouvrait la campagne, clair et riant le matin, toujours envahi l'après-midi de nuages bas, croissant lentement et serrés. Durant la nuit, des orages proches et lointains s'abattaient, mais chaque matin, lorsqu'on se réveillait avec encore le bruit du tonnerre aux oreilles, l'azur bleu et ensoleillé étincelait et était déjà de nouveau imprégné de lumière et de chaleur.

Je commençais alors, joyeusement et sans hâte, ma manière estivale de vivre : de courtes promenades sur des sentiers crevassés par le manque d'eau, à travers des champs d'épis hauts et jaunissants, dans lesquels riaient des coquelicots et des bleuets ; ensuite, des haltes longues dans l'herbe haute, à la lisière de la forêt, avec au-dessus de moi le papillonnement des scarabées d'or, le bourdonnement des abeilles et la ramure assoupie, là-haut dans le ciel ; vers le soir, un chemin du retour incitant à la paresse, par de la poussière ensoleillée, par un champ d'or rougeâtre, par une atmosphère remplie de maturité, de lassitude et des mugissements impatients des vaches, et au bout duquel il y avait de tièdes heures jusqu'au milieu de la nuit, passées à paresser sous le tilleul ou l'érable, seul ou en compagnie de n'importe quelle connaissance, auprès d'un verre de vin jaune, le plaisir de mener une conversation à bâtons rompus quand, quelque part au loin, le tonnerre se faisait entendre et que, parmi les frémissements du vent soulevé en sursaut, descendaient du ciel lentement, voluptueusement, les premières gouttes qui tombaient lourdement, mollement, et à peine perceptibles dans l'épaisse poussière. Je me sentais à mon aise comme jamais encore.

En silence et lentement, j'allais d'un pas flânant dans le champ et la prairie, à travers le blé et le foin, et je restais immobile à respirer comme un serpent dans la belle chaleur, jouissant des heures calmes et chaudes.

Et puis ces bruits de l'été ! Ces bruits qui vous rendent heureux et triste à la fois et que j'aime tant : le chant infini des cigales qui dure jusqu'à minuit et dans lequel on peut se perdre et s'absorber complètement comme dans la contemplation de la mer. Le bruit saturé des épis qui se balancent - le faible grondement du tonnerre constamment à l'affût - le bourdonnemeent des mouches et l'appel émouvant qui porte au loin, de la faux battue. Pendant la nuit, les chaudes bouffées du vent et l'irruption passionnée des subites averses.

Et que pendant ces semaines courtes et fières tout respire et fleurit profondément, vit et exhale un parfum tenance, et est ardent ! Comme le parfum surabondant des tilleuls emplit des plaines tout entières en des andains doux, comme à côté des épis de blé fatigués et mûrissants les fleurs des champs colorés vivent avidement et se rengorgent, comme elles sont doublement incandescentes et fiévreuses dans la hâte du moment, jusqu'à ce que la faucille bruisse beaucoup trop tôt pour elles !

 

[© Hermann Hesse, Considérations - Die Marmorsäge].

 

 


 

Texte soumis aux droits d'auteur - Réservé à un usage privé ou éducatif.