Cependant, la réputation d'habileté de Stephenson comme mécanicien se répandait. On l'envoya au fond de l'Écosse réparer une machine importante. Au lieu de prendre une voiture, il fit courageusement la route à pied, un bâton à la main. - Autant d'économisé, pensait-il ; cela me permettra de payer les mois d'école de mon fils.

Georges en effet avait un fils, qu'il avait appelé, du nom de son vieux père  : Robert. Ce que Georges désirait le plus pour son fils, c'était de pouvoir lui donner une bonne éducation. C'était dans ce but qu'il joignait depuis tant de temps le travail de la nuit à celui du jour.

La machine dérangée que Stephenson était allé voir finit, grâce aux bons soins de notre ami, par reprendre son service. Il reçut 700 francs en paiement. - Que me voilà riche, pensait-il ! C'est égal, je suis venu à pied; je retournerai de même pour ne pas entamer mon trésor.

Chemin faisant, il voulut passer par le village qu'habitait son vieux père, et il y arriva épuisé de fatigue.

Un affreux accident avait eu lieu. Le vieux Stephenson, horriblement brûlé par un jet de vapeur qu'une machine lui avait lancé, était devenu aveugle. De plus, il était tombé dans une misère profonde. Stephenson, qui avait fait une longue route à pied plutôt que de toucher à ses 700 francs, en dépensa sitôt la moitié pour payer les dettes de son vieux père.

Puis il lui fit quitter la pauvre cabane où il languissait, et l'emmena dans une jolie maisonnette, à peu de distance de sa demeure. L'aveugle vécut là, heureux, pendant de longues années.

- Le bon, l'excellent fils ! fit Aimée. Comme il méritait bien la protection de Dieu !

- Oui, chère enfant, car Dieu bénit les bons fils. Mais de nouvelles épreuves attendaient encore notre ami.

Stephenson avait déjà eu précédemment le malheur de perdre sa femme ; il ne lui restait donc plus que son petit Robert, très jeune encore, et son vieux père aveugle.

À ce moment-là l'Angleterre, engagée contre la France dans une guerre désespérée, appelait sous les armes tous les hommes valides, même les ouvriers dont la famille réclamait le travail pour vivre.

Georges, forcé de partir ou de s'acheter un remplaçant, dépensa ses dernières économies pour s'exempter du service, afin de gagner le pain de son père et de son fils.

Ainsi, de tant de travail, de tant de nuits passées, il ne restait plus rien à Stephenson. Un chômage, une maladie, auraient suffi pour le plonger dans la plus affreuse misère.- "Que de fois, disait-il lui-même, dévoré d'inquiétude sur l'avenir, j'ai fait en pleurant le trajet de ma cabane à la mine !"