"Bienheureux ceux qui sont pacifiques, parce que la terre leur appartient" (Évangile)

Combien l'industrie qui fait vivre est plus glorieuse que la guerre qui tue ! L'une et l'autre portent sur leur front la couronne de la victoire ; mais les lauriers de l'industrie sont sans tache, tandis que ceux de la guerre sont sont couverts de sang.

 

 

M. Edmond - Les deux Stephenson sont, avec le Français Séguin, les inventeurs des chemins de fer. Il y a longtemps qu'on a dit des chemins de fer qu'ils finiraient par supprimer les guerres entre les peuples. Devinez-vous, mes enfants, la raison qui a inspiré cette pensée toujours vraie, malgré la fréquence des guerres qu'on fait encore ? Voyons, tâchez de m'expliquer cela. Les trois enfants se regardèrent, embarrassés.

Henri - Monsieur, j'ai en effet entendu dire : "la vapeur fera tomber les barrières qui séparent les peuples" ; mais je n'ai point du tout compris cette grande phrase.

Un nouveau silence se fit ; Aimée réfléchissait.

Elle regarda Francinet : - Je crois que je comprends, fit-elle. Un frère et une sœur, comme Henri et moi, s'aiment tout naturellement, car l'habitude de vivre et de penser ensemble a uni leurs cœurs dès qu'ils se sont connus; mais les enfants de deux familles étrangères, et qui ne se connaissent pas, - comme nous - comme nous étions, Francinet et moi, - restent indifférents l'un à l'autre ; ils peuvent même quelquefois se haïr, si l'on vient à dire à l'un du mal de l'autre. Pour les réconcilier, il suffirait qu'ils se connussent mieux ... L'enfant s'arrêta, interdite.

- Continuez, petite Aimée, dit M. Edmond. Votre comparaison est fort juste. Vous voulez nous dire que les peuples ennemis se réconcilieraient s'ils se connaissaient mieux.

- Oui, monsieur, dit la petite, et les chemins de fer, qui traversent si rapidement toute l'Europe, feront tôt ou tard que les différentes nations de l'Europe se connaîtront et s'aimeront, comme font aujourd'hui les habitants des diverses provinces de la France, jadis ennemis. Cela demandera peut-être bien du temps, mais cela arrivera sans doute.

- C'est très bien, mon enfant, lui dit M. Edmond, tandis qu'Henri, fier de l'explication de sa soeur, l'embrassait de toute sa force. Pour Francinet, il avait les yeux baissés ; il semblait continuer en lui-même la pensée d'Aimée.

M. Edmond s'en aperçut.

- Voyons, mon ami, lui dit-il, pense tout haut, et tire la conclusion.

- Oh ! dit Francinet avec embarras, c'est trop difficile, Monsieur, car je pensais trop de choses à la fois.

- Eh bien, mon enfant, essaie tout de même.

Francinet rougit : Monsieur, dit-il, en vous écoutant dire qu'un jour les peuples renonceraient à la guerre, j'ai songé au pauvre mineur Georges, fils d'ouvrier comme moi, qui, en s'instruisant à force de veilles et de fatigues, aura ainsi contribué à empêcher un jour les hommes de se haïr. Cette pensée, qu'un pauvre ouvrier pouvait accomplir de si grandes choses, m'a rendu heureux. Je me suis mis à aimer le travail, à songer que je voulais, comme Georges, étudier avec courage et m'instruire tant que je le pourrais, sans me rebuter des difficultés de l'étude. Puis alors, j'ai songé à Dieu qui bénit les travailleurs, à Dieu qui veut que tous les hommes s'aiment comme des frères, et je l'ai prié de me donner la force nécessaire pour bien remplir mes devoirs.

- Allons, cher petit Francinet, dit M. Edmond, je suis content de toi ; tu as trouvé une fort belle conclusion à nos réflexions sur le travail. Le fruit que tu retires de mes leçons me rend très douce la tâche de les continuer.

- Monsieur, dit Henri, il n'y a que moi qui n'ai rien su dire aujourd'hui ; mais je tâcherai de faire mieux une autre fois, je vous le promets.