Le bienfaiteur ne doit pas faire voir qu'il se souvient du service rendu ; l'obligé doit faire voir qu'il s'en souviendra toujours.

 

M. Clertan, de son côté, n'était pas resté inactif ; il avait songé aux moyens les plus convenables de récompenser Francinet du service qu'il lui avait rendu.

M Clertan savait bien que Francinet, en lui rendant ce service, ne l'avait point fait par intérêt ni par espoir de récompense ; mais l'action du jeune apprenti n'en était que plus méritoire et plus digne d'être récompensée, car rien n'est plus beau que de faire le bien pour le bien.

M. Clertan fit venir l'enfant dans son cabinet 

- Mon ami, lui dit-il, tu m'as épargné, par ton intelligence, un malheur dont les suites pouvaient être fort graves ; sans toi notre atelier ne serait peut-être qu'un amas de ruines à cette heure. Je tiens donc à t'exprimer ma reconnaissance. Voici une enveloppe cachetée que porteras à ta mère. Elle contient une rente sur l'État pour Mme veuve Roullin.
Coupon-rente 1882 Chaque trimestre ta mère détachera du titre de rente un de ces petits carrés de papier qu'il contient et qu'on nomme coupons ; elle ira chez le trésorier général présenter son coupon et, en échange, on lui remettra la somme indiquée dessus. Quant à toi, mon enfant, je désire te donner ce que je regarde comme le plus grand bienfait, une bonne éducation ; mais je ne veux pas te faire sortir de ta condition d'ouvrier, car je veux que tu sois toi-même l'artisan de ta fortune. Tu continueras donc ton apprentissage chez moi. Seulement tu ne travailleras à ton métier que quatre heures par jour ; le reste du temps, tu assisteras aux leçons de mes enfants, tu feras comme eux des devoirs, et je l'espère, Francinet, tu t'appliqueras de façon à ne pas me causer de regrets. Plus tard, tu instruiras ton petit frère à ton tour ; tu veilleras à ce qu'il devienne un bon travailleur et un ouvrier intelligent. Si tu veux, Francinet, il ne tient plus qu'à toi de sortir de la misère.

 

 

Francinet était si agréablement surpris qu'il ne savait que dire. M Clertan mit fin à son embarras en l'envoyant aussitôt porter à sa mère le titre de rente.

Aimée accompagna Francinet, et elle s'y prit si gentiment pour exprimer à la veuve les idées de son grand-père, qu'elle triompha des résistances de Mme Roullin : celle-ci ne voulait pas comprendre que le service si simple de Francinet valût une telle récompense.